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  • La vie sociale du Bucarest phanariote

    La vie sociale du Bucarest phanariote

    Étendue
    sur plus d’un siècle, l’époque appelée « phanariote » est généralement
    considérée comme une période néfaste de l’histoire roumaine. Le mot « phanariote » dérive du nom
    du quartier de Phanar de la vieille ville d’Istanbul, d’où venaient les
    fonctionnaires d’origine grecque que les sultans ottomans envoyaient en tant
    que princes régnants à Bucarest et à Iaşi, à l’époque où la Sublime Porte
    étendait sa suzeraineté aux Principautés roumaines. Commencé en 1716 en
    Valachie et en 1714 en Moldavie et achevé en 1821, le règne phanariote a marqué
    l’orientalisation des Principautés du Danube, équivalant à un retour en
    arrière, selon certaines normes. Cependant, la période phanariote n’a pas été
    une ère totalement sombre, des historiens estimant que, dans certaines œuvres,
    elle a été traitée de manière sommaire, étant aussi, par endroits, mal
    comprise.

    Ce point de vue est partagé par Tudor Dinu, auteur du vaste ouvrage
    en trois volumes intitulé « Bucarest la Phanariote » : « Les
    choses sont extrêmement complexes et devraient être nuancées. Cela n’a pas été
    une période des lumières, car de nombreuses batailles ont été menées à Bucarest
    pendant les guerres russo-autrichiennes-turques de l’époque. D’autre part,
    grâce à l’action de ces mêmes princes phanariotes, ce fut une ère de grand essor
    de la ville. C’est à cette époque-là que les rues de Bucarest sont presque entièrement
    revêtues de bois et que le premier système de bornes-fontaines est mis en œuvre
    pour fournir de l’eau de source fraîche à tous les habitants de la ville. C’est
    aussi l’époque où l’éclairage public apparaît, d’abord sur Podul Mogoşoaiei -
    Le Pont de Mogoșoaia (aujourd’hui l’avenue Victoriei) et plus tard dans
    d’autres endroits. Bucarest devient aussi le centre d’éducation le plus
    important de toute l’Europe du Sud-est grâce à l’Académie princière « Saint
    Sava ».




    Bien que
    le siècle phanariote marque l’orientalisation de la culture roumaine, tendance
    rarement présente auparavant dans l’espace roumain, l’occidentalisation est
    également évidente à cette même époque. La raison se trouve dans le fait que
    les princes phanariotes, tous de souche grecque, deviennent des vecteurs de la
    culture notamment italienne, puis française à Bucarest. Tudor Dinu : « Ma recherche a infirmé, entre autres, l’idée que
    l’occidentalisation des Principautés roumaines n’avait commencé qu’après 1821, à
    la fin de l’époque phanariote. En fait, elle commence avec la première
    occupation autrichienne en 1789, elle s’intensifie avec l’arrivée des troupes
    russes stationnées à Bucarest entre 1806 et 1812, et les Phanariotes permettent
    l’infiltration de la culture occidentale chez nous parce que leur rôle était,
    entre autres, aussi d’informer la Sublime Porte sur les intentions des
    puissances occidentales. Et à partir du 18-e siècle, des Occidentaux commencent
    aussi à s’installer à Bucarest, en particulier des Allemands qui ne venaient
    pas seulement de Transylvanie, mais aussi de régions plus éloignées. Ils ont eu
    une contribution fondamentale au développement de la ville, principalement en
    tant qu’entrepreneurs en construction, ingénieurs et architectes. Ce sont eux
    qui ouvrent les premières brasseries et le premier hôtel à Bucarest. Les
    premiers Français et Italiens font eux-aussi leur apparition, car chaque boyard
    voulait avoir un secrétaire ou un précepteur français pour ses enfants. »


    Puisqu’il
    vient de mentionner les premières brasseries, l’historien Tudor Dinu détaille
    également les plaisirs des Bucarestois du 18-e siècle, décrits amplement dans
    son livre « Bucarest la phanariote.
    Vie quotidienne, divertissement, culture ». Tudor Dinu : « Chaque jour, les Bucarestois allaient dans des
    bistrots où ils écoutaient la musique des ménétriers. D’autres préféraient les
    cafés où l’on fumait, jouait au billard, aux échecs ou aux dames, où avaient
    lieu des spectacles et se produisaient des saltimbanques. Surtout, ils
    s’adonnaient à leur jeu favori – faire et défaire des intrigues politiques en
    tout genre, bien sûr. D’autres se rendaient dans des foires, dont le principal
    amusement était la balançoire, qui attirait tout le monde de Bucarest, même les
    boyards. Mais peut-être la compétition la plus populaire était une sorte de
    sport complètement disparu et inconnu aujourd’hui. Le nom du jeu venait du
    terme ottoman « roseau ». C’était une confrontation entre les
    cavaliers qui maniaient des lances et les jetaient les uns sur les autres, tout
    en essayant de les parer. Ce n’était pas une lutte pacifique, c’était comme une
    sorte de tournoi d’inspiration ottomane. Et, bien sûr, il y avait aussi les
    jeux de hasard, que les Princes phanariotes ont tenté de supprimer, parce
    qu’ils dépouillaient la population. »




    Toutefois,
    il y avait quelques jeux de hasard autorisés par les autorités, telle la
    « loterie des billets », l’ancêtre du loto, qui a survécu jusqu’à nos
    jours. (Trad. Felicia Mitraşca)