Tag: anglais

  • Mazar Pacha, Anglais de souche, gouverneur de Bucarest

    Mazar Pacha, Anglais de souche, gouverneur de Bucarest

    Au 19e siècle, durant la période trouble des débuts de leur modernisation, les Principautés Roumaines ont accueilli de nombreux étrangers, arrivés sur leur territoire suite à différentes aventures ou dans d’autres circonstances. Attirés par les possibilités que leur offrait cette région en train de se reconstruire selon les principes occidentaux, mais aussi par l’hospitalité des gens des parages, certains d’entre eux y sont restés et se sont même impliqués dans le développement socio-politique du pays.

    Ce fut le cas de Mazar Pacha qui, en dépit de son nom ottoman, était un Anglais de souche. Il s’appelait en fait Stephen Bartlett Lakeman. Né en 1823, dans le sud de l’Angleterre, il était le descendant d’une famille néerlandaise qui s’y était établie après l’arrivée du roi Guillaume d’Orange, au 17ee siècle. Anglais aventurier et excentrique typique, Lakeman a intégré la Légion Etrangère après avoir terminé ses études à la Sorbonne. Ensuite il arrive sur l’Île Sainte Hélène, où il prend soin de la maison que Napoléon avait habitée pendant qu’il y avait été exilé. Il allait devenir, par la suite, officier dans l’armée britannique en Afrique du Sud.

    En tant qu’officier, il a contribué à la modernisation de l’uniforme militaire britannique, en choisissant une couleur de camouflage, à savoir le kaki, utilisée jusqu’à nos jours. Ses aventures l’ont mené jusqu’à Ceylan, où il a même acquis une plantation de thé. Pour tous les services rendus à l’Angleterre, Stephen Lakeman a été anobli. Il devint donc Sir Stephen Lakeman au seuil de la Guerre de Crimée, éclatée en 1853 et qui allait durer jusqu’en 1856. C’est à ce moment-là qu’il s’est rapproché des Principautés Roumaines.

    L’historien Emanuel Bădescu raconte. Il n’est pas arrivé en Valachie n’importe comment, mais en tant que participant à la Guerre de Crimée : la Grande Bretagne a lutté alors aux côtés de l’Empire Ottoman et de la France contre la Russie. C’est dans ces conditions qu’il fut nommé par les Turcs Mazar Pacha, en tant qu’officier britannique attaché auprès de la Sublime Porte. Il avait été nommé par le sultan à ces fonctions d’attaché militaire en raison de sa vaste expérience sur le champ de bataille, qu’il avait acquise notamment en Afrique du Sud. Pour la période de la guerre il a été désigné par la Sublime Porte Gouverneur de Bucarest et il y est devenu un personnage très important. Après la guerre, il épouse une veuve très riche, Maria Filipescu. Cette dame descendait d’une vieille famille valaque, la famille Bujoreanu, qui possédait d’immenses domaines dans le sud du pays, dans la région d’Argeș, de Vâlcea et dans l’ancien comté de Vlașca, jusqu’à proximité de Giurgiu, au bord du Danube. Suite à son mariage, Lakeman alias Mazar Pacha entra en possession d’une partie de ces domaines.

    Dorénavant, Stephen Bartlett Lakeman allait passer la plupart de sa vie en Valachie, administrant les nombreux domaines de sa femme et continuant à s’ingérer – sans trop de succès, d’ailleurs – dans la politique intérieure du pays, car il s’était lié d’amitié avec les boyards roumains engagés dans la modernisation de la principauté. Cette immixtion ne fut pas toujours favorable aux intérêts de la Roumanie de l’époque. Pourtant, c’est dans sa maison de Bucarest qu’a été créé, en mai 1875, le Parti National Libéral (PNL), durant une réunion lors de laquelle devait initialement se tramer un complot visant à détrôner le roi Carol I. Bien qu’entre temps les leadeurs du complot projeté et souhaité peut-être par la Grande Bretagne y aient renoncé, Lakeman a le mérite d’avoir insisté que les différentes fractions libérales s’unissent en un seul parti. Deux ans plus tard, Mazar Pacha allait tenter à nouveau de s’ingérer dans la politique de Bucarest, ne souhaitant pas que la Roumanie s’engage dans la guerre russo-turque suite à laquelle notre pays allait conquérir son indépendance vis-à-vis de l’Empire Ottoman. Cela a entraîné, bien sûr, un refroidissement entre lui et le PNL.

    Malgré ses échecs politiques, en tant que propriétaire terrien, Lakeman semble avoir agi pourtant plus favorablement envers son pays d’adoption – estime l’historien Emanuel Bădescu. Il s’est établi tout d’abord à Bucarest, rue Enei, vis-à-vis de l’actuelle faculté d’Architecture. Pourtant, il a passé le plus clair de son temps à son domaine de Copăceni, situé à proximité de Bucarest, ou à d’autres domaines – une dizaine au total – qu’il administrait au nom de sa femme. A Copăceni, mais aussi dans les autres villages où il possédait des terres, il a imposé la structure carrée – typiquement britannique – dans la disposition des ruelles. Même aujourd’hui, les villages situés tout près de Giurgiu ayant appartenu à Mazar Pacha gardent cette structure des ruelles, inhabituelle pour les zones rurales roumaines. Ensuite, il a contribué financièrement à la restauration de toutes les églises. Pour certaines d’entre elles, il a même apporté des cloches d’Angleterre. Son comportement envers les villageois a été irréprochable et il les a soutenus dans tous les procès dans lesquels ceux-ci étaient engagés contre des marchands qui voulaient les tromper.

    Après la mort de Maria Filipescu, en 1881 Sir Stephen épouse, en secondes noces, Maria Arion, qui était beaucoup plus jeune que lui et passe son temps à Bucarest et à ses différents domaines. Pourtant, il retournait souvent en Angleterre. Emanuel Bădescu. Il s’y rendait aussi quand il était appelé par le ministère britannique des Affaires étrangères de Londres – car, à mon avis, il a été agent secret britannique en Roumanie. Il a été également présent aux jubilées de la reine Victoria, auxquels il était obligé de participer, ayant été anobli par cette souveraine. Au Jubilée de Diamant, la tribune s’est effondrée et Lakeman a été blessé à la jambe. Son pied se gangrena, ce qui allait d’ailleurs entraîner sa mort. Là, on touche à un grand problème : où Lakeman est-il mort ? Certains de ses amis affirment qu’il est mort en Angleterre, peu de temps après cet accident de 1896. Pourtant, selon la famille Chrissoveloni – apparentée par alliance à Mazar Pacha – il se serait éteint à Bucarest, étant enterré dans un cimetière évangélique du nord de la capitale, sur l’emplacement duquel se dresse actuellement l’Institut d’histoire « Nicolae Iorga ».

    Où qu’il se soit éteint, l’aventurier, l’officier, l’espion, le propriétaire terrien, l’homme politique Mazar Pacha alias Stephen Bartlett Lakeman est entré dans l’histoire des Roumains grâce au rôle qu’il a joué dans la naissance du parti libéral. Une partie de ses aventures sont racontées dans son volume de mémoires What I saw in Kaffir-Land, publié aux éditions William Blackwood and Sons, en 1880.(Trad. : Dominique)

  • Le roumanglais et ses locuteurs

    Le roumanglais et ses locuteurs

    Si, depuis longtemps déjà, les Français parlent franglais, les Roumains commencent eux aussi, depuis une dizaine d’années à parler roumanglais.



    C’est dans les années ’90 que les linguistes se sont aperçus de l’influence grandissante de l’anglais sur le langage quotidien — en fait de l’anglais américain, pénétré notamment par l’intermédiaire de la musique et des films essentiellement dans la culture des jeunes. Les ordinateurs et les langages des différentes sciences y ont également beaucoup contribué.



    La linguiste Rodica Zafiu, professeur à la Faculté de lettres de l’Université de Bucarest nous donne quelques éléments de roumanglais. « Le langage des jeunes foisonne de termes argotiques et familiers empruntés à l’anglais. Certains d’entre eux y sont présents depuis un certain temps déjà — et c’est le cas de « funny» et « grogy » pour ne plus parler de « OK ». Ça c’est déjà vieux. Parmi les termes adoptés plus récemment, on peut mentionner « loser » — perdant. Aux termes argotiques — expressifs et le plus souvent péjoratifs — s’ajoutent de nombreux connecteurs : « by the way » vient ainsi se substituer partiellement au syntagme « à propos », emprunté au français et que les Roumains utilisent comme tel depuis très longtemps. Pour les jeunes, il est pourtant déjà un peu désuet. Un phénomène à part — et quelque peu indépendant du roumanglais — est celui qui a trait au monde des ordinateurs et d’Internet. Bien que le langage utilisé par ce domaine d’activité ne soit pas propre aux jeunes, ils sont les plus nombreux à l’utiliser. Ce nouveau langage, teinté d’anglais, est devenu une sorte de code quasiment inaccessible aux personnes un peu plus âgées. Les jeunes se régalent de « LOL » (mort de rire) et d’abréviations puisées à l’anglais. Souvent, ces abréviations sont reconstruites en roumain, selon le même modèle. »



    Etant donné la vitesse de communication sur le net, l’anglais ici utilisé n’a pas tardé à contaminer le roumain. C’est désormais monnaie courante que d’entendre les jeunes parler de download, sher, click ou like. C’est plus commode et bien sûr plus cool, pour ainsi dire. La sociologue Claudia Ghişoiu explique. Près de 85% de l’information que l’on retrouve sur la toile passe en anglais. Résultat de la mondialisation, environ 1 milliard et demi de personnes au monde maîtrisent l’anglais à différents niveaux. Savoir l’anglais c’est devenu une condition pour pouvoir être actif sur le net. Cette langue a l’avantage d’être synthétique, ce qui veut dire qu’elle est capable de rendre quantité d’information en peu de mots simples. D’où son usage répandu dans les milieux d’affaires et dans le langage informatique. On en fait usage aussi dans le domaine de l’éducation. Les étudiants, par exemple, ont à consulter de nombreux ouvrages rédigés en anglais ; ils lisent, parcourent beaucoup de documentation en cette langue. En plus, ils ont pris l’habitude de truffer leurs discours de termes anglais. Pour les traduire en roumain, il faudrait employer beaucoup plus de mots, voire même des syntagmes.”



    Seuls la mode et l’emploi excessif de l’ordinateur ne sauraient expliquer l’usage du roumanglais. En réalité, ce langage reflète aussi une attitude envers la culture de son pays, affirme le sociologue Claudia Ghisoiu. « C’est un peu plus qu’un langage de circonstance. En langage sociologique, on emploie le terme « xéno centrisme », soit l’appréciation et le désir d’adopter tout ce qui vient de l’étranger. Cela est de plus en plus visible chez les jeunes de Roumanie, où la fête autochtone de Dragobete est considérée comme inférieure à celle de Valentine’s Day. Cette dernière est importée et a un « drive » économique, pour utiliser un mot anglais, c’est à dire une raison économique. De la culture, on en exporte sous la forme des fêtes, des films et de la musique. La plupart des importations viennent des Etats-Unis: par conséquent, elles sont en anglais et sont considérées comme bonnes ».



    Bien qu’il n’y ait pas d’études qui quantifient le degré de propagation du xéno centrisme, une des caractéristiques des locuteurs de roumanglais est leur appétence pour ce qui vient de l’extérieur du pays. Elle s’explique aussi par un contexte où la culture roumaine n’est pas mise en valeur. Toutefois, le phénomène du roumanglais ne devrait pas nous préoccuper, explique la linguiste et professeur universitaire, Rodica Zafiu: «Il est peu probable que ces termes nuisent à la structure de la langue standard ou encore à celle d’un essai philosophique. Ce mélange gardera le caractère éphémère d’un langage familier argotique qui, de par sa nature, se renouvelle très rapidement, choque au début, emprunte à n’importe quelle langue, du romani comme de l’anglais. C’est ce qui est arrivé par le passé aussi, lorsqu’on empruntait des mots au turc, au grec et au français. Pour le reste, chat, facebook, link, hacker — autant de mots courants qui ont des chances d’adaptation ou qui peuvent disparaître. Toutes ces notions sont elles mêmes hautement éphémères. Elles n’existaient même pas il y a une vingtaine d’années: certaines se sont formées par métaphore en anglais ou suite à différentes dérivations sémantiques. Il se peut également que le progrès de la technologie entraîne leur disparition avant qu’elles n’intègrent plus en profondeur la langue roumaine ».



    La sociologue et professeur Claudia Ghisoiu ne partage pas cette opinion: «Les plus de 25 ans ne peuvent pas écrire un texte qui ait un certain niveau scientifique ou académique sans avoir recours à des mots anglais. C’est pareil pour leurs discours. C’est quelque chose qui saute aux yeux. Si on leur demande ce qu’ils ont voulu dire, ils ont du mal à communiquer leur message en roumain: il font un paragraphe pour expliquer un seul mot. Ils ont des difficultés à trouver les correspondants en roumain. »



    Phénomène inquiétant ou non, le roumanglais témoigne aussi du fait que la langue est vivante, que ses normes ne sont pas éternelles et qu’elles peuvent changer sous l’emprise du temps. (Trad.: Alexandra Pop, Mariana Tudose, Dominique)