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  • Les architectes Cerchez

    Les architectes Cerchez

    Des architectes de renom 

     

    Le nom Cerchez est très présent dans l’histoire de l’architecture roumaine. Il appartient à trois familles d’origine arménienne qui ont donné pas moins de cinq architectes importants: les frères Grigore P. Cerchez et Nicolae P. Cerchez, les frères Grigore G. Cerchez et Artaxerxe Cerchez et enfin Hristea Cerchez.

     

     

    L’architecte Ileana Tureanu, professeure des universités à l’Université d’architecture et d’urbanisme « Ion Mincu » de Bucarest et présidente de l’Union des architectes de Roumanie, a parlé des deux paires de frères:

    « Les frères Grigore et Nicolae Cerchez sont nés au milieu du XIXème siècle, en 1850. Ils ont étudié en France, à Paris, et ils ont fondé la Société des architectes roumains en 1891. Autrement dit, ils font partie des fondateurs de l’architecture nationale. Grigore P. Cerchez a été l’ingénieur en chef de la Mairie de la capitale entre 1874 et 1879. Il est l’auteur des projets et des actions de régularisation de la rivière Dâmbovița à Bucarest intra muros. Il est aussi l’auteur du premier projet de systématisation de la ville en 1883. De retour de ses études universitaires, il a jeté les bases d’un développement scientifique et systématique de la ville. Grigore P. Cerchez est devenu directeur de la Poste, une fonction qui lui a permis de faire venir des architectes spécialisés, tels que le Français Alexandre Clavel. Il a fait appel à des collègues et des amis plus jeunes pour construire des sièges de la Poste roumaine dans toutes les villes importantes du pays. Ce sont des projets – type, adaptés au contexte urbain. Pour la seconde moitié du XIXème siècle, c’était une vision urbaine. »

     

    La modernisation de Bucarest

     

    La première génération des frères Cerchez s’est impliquée à fond dans la modernisation de Bucarest et dans sa transformation d’une ville essentiellement orientale en une autre, proche des normes européennes.

     

    Ileana Tureanu : « Dans le domaine de la restauration des monuments, Grigore Cerchez a fondé la doctrine scientifique roumaine. « J’ai toujours observé, disait-il, le principe de conservation d’un bâtiment par la consolidation et la restauration, pour ramener le bâtiment en question à son état initial, en éliminant toutes les parties ajoutées sans connaissance du métier. » Dans un contexte où André Lecomte du Noüy privilégiait des principes nettement différents concernant les monuments historiques, Grigore Cerchez a jeté les bases de la restauration des constructions. Son frère cadet, Nicolae P. Cerchez, né lui-aussi en Moldavie, dans le département de Vaslui, était également une personnalité importante de l’époque. Nicolae a préféré l’action politique et sociale. Il a été élu député, puis sénateur, et il a pu aider son frère à mettre en œuvre les projets et programmes déjà mentionnés. Au début du XXème siècle, il a occupé le fauteuil de vice-président de l’Automobile Club Roumain, il a été intéressé par les espaces publics et par l’entrepreneuriat. Il a dessiné les aménagements extérieurs du Palais royal, l’Ecole de Médecine vétérinaire et le Pavillon de l’Agriculture à l’exposition de 1906, une construction qui lui a valu un prix. »

     

    Une architecture moderne et très puissante

     

    La seconde paire de frères Cerchez n’a pas été en reste en matière de modernisation. Un autre Grigore et son frère Artaxerxés ont marqué l’histoire, raconte Ileana Tureanu :

    « La deuxième famille s’appelait aussi Cerchez. Nous n’avons pas d’informations sur une éventuelle relation de parenté avec la première, mais il se peut qu’une telle relation ait existé. Vingt ans après le premier, un autre Grigore Cerchez fait son apparition : Grigore G. Cerchez et son frère Arta Cerchez. A la différence des deux premiers, qui avaient étudié en France, ceux-ci font des études en Allemagne, à Karlsruhe. Les deux, mais surtout Grigore G. Cerchez, se sont illustrés dans le dessin et dans l’exécution de travaux de construction, mais ils se sont aussi impliqués dans la vie de la ville, ils ont occupé des fonctions publiques à la mairie et ils ont participé à toutes les initiatives majeures visant le développement de la ville, y compris l’organisation de l’exposition de 1906, au Parc Carol. Le frère de Grigore, Arta (Artaxerxés) Cerchez, a produit une architecture moins empreinte du style néo-roumain. C’est lui qui a commencé le Casino d’Eforie et le Casino Movilă de Techirghiol, en proposant une architecture moderne et très puissante. Arta Cerchez a été distingué du Mérite sanitaire, première classe, pour les bâtiments réalisés dans la station Carmen Sylva (actuelle Eforie Sud), sur la côte roumaine de la mer Noire. Il a d’ailleurs été une sorte d’initiateur des stations balnéaires. Et c’est toujours lui qui est à l’origine de l’étude consacrée à l’histoire de l’architecture roumaine. Il était quelqu’un de très véhément ; ses articles incisifs, publiés dans la revue « Arhitectura », restent valables encore aujourd’hui. Arta Cerchez considérait que l’architecture roumaine était à la dérive, entre autres parce que son histoire était ignorée. Il a donc décidé de lancer un concours national pour que cette histoire soit écrite, le gagnant du concours allant être récompensé d’argent public. »

     

    Le cinquième Cerchez, Hristea ou Cristofi, a lui-aussi posé son empreinte sur Bucarest, la villa Minovici, érigée au nord de la ville, étant une construction représentative pour son œuvre. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Architectes et entrepreneurs en construction de Galaţi à l’entre-deux-guerres

    Architectes et entrepreneurs en construction de Galaţi à l’entre-deux-guerres

    La ville de Galaţi, dont la première mention
    officielle remonte à 1445, a toujours été un port danubien important. Mais la
    période la plus importante et la plus riche de son histoire fut comprise entre 1837
    et 1938, lorsqu’elle devint port franc (de 1837 à 1883) et accueillit ensuite
    la Commission européenne du Danube jusqu’en 1938. Durant ces cent ans, la ville
    se développa à un rythme effréné, des banques renommées, des agences navales,
    des compagnies internationales et des consulats s’y installant les uns après
    les autres. Cet essor s’est aussi traduit par l’existence d’une population de
    classe moyenne, dont le raffinement et la richesse sont encore visibles dans
    des bâtiments érigés par des architectes célèbres, roumains et étrangers. Car Galați
    a toujours été une ville multiculturelle. Malheureusement, les guerres et le
    régime communiste ont changé son visage, mais les archives gardent les noms des
    architectes et les plans des constructions qu’ils ont imaginées. Ainsi, le nom
    de Francisc Viecelli, architecte local d’origine italienne, a-t-il refait
    surface.







    C’est l’historienne de l’art Daniela Langusi qui a
    redécouvert cet auteur de plusieurs bâtiments emblématiques de la richesse et
    de l’intense activité économique de Galați à l’entre-deux-guerres : « Je ne crois pas qu’on puisse l’appeler architecte. En 1932, il avait
    fait une demande pour obtenir une carte professionnelle d’architecte, faisant
    référence à la nouvelle loi d’organisation et de fonctionnement du Corps des
    architectes, mais il ne l’a pas obtenue. La mairie de Galați lui a pourtant
    délivré un certificat sur lequel apparait son nom complet: Francesco Vittorio
    G. Viecelli. Un nom italien, car il était d’origine italienne, mais, en fait,
    il est né à Filești, dans le département de Covurlui, l’actuel département de Galați.
    Il est né en 1891 et il a obtenu la nationalité roumaine en 1933. D’après ces
    documents, nous pouvons déduire qu’il a commencé à travailler en 1919, donc
    vers l’âge de 28 ans. (…) Il obtient donc la nationalité roumaine en 1933 et en
    1935 il fait une nouvelle demande d’attestation de sa qualité d’architecte
    constructeur. Il est à nouveau refusé. On ne lui reconnait que la qualité de
    constructeur dessinateur d’architecture autorisé, ce qui veut dire, à mon avis,
    qu’il n’était pas un architecte en bonne et due forme ».






    Malheureusement, la plupart des édifices dessinés
    par Viecelli n’existent plus aujourd’hui, tout comme la plus grande partie du
    centre historique de Galați. Les recherches dénichent pourtant, dans les
    archives, des plans et des dessins qui permettent de retrouver le visage de
    bâtiments disparus.






    Daniela Langusi a récupéré ainsi une liste des
    ouvrages de Francisc Viecelli : « Nous avons une liste de neuf particuliers et
    une fabrique, dénommée « Talpa/La semelle ». Une fabrique de
    chaussures, qui n’existe plus, mais qui fabriquait des chaussures militaires,
    pour l’armée. Dans les archives de la ville, j’ai trouvé la demande de permis
    de construire de 1925. Dans le dossier, nous avons les plans signés par Viecelli.
    (…) Les plans d’architecture ont été finalisés sur le permis de construire. Ce
    qui est intéressant c’est que la fabrique demande ce permis, affirmant que l’exécution
    des travaux sera dirigée par un ingénieur. (…) La fabrique se trouvait à la
    périphérie de la ville, dans une rue Șanțului, qui est l’actuel boulevard George
    Coșbuc. (…) C’est une architecture
    plutôt simple, mais je voudrais attirer l’attention sur les fenêtres dont
    l’encadrement est rectangulaire. (…) Il utilise cet effet de fenêtre à la
    française, constituée de battants. (…) C’est un détail de style que nous
    retrouvons aussi dans d’autres ouvrages de Viecelli. (…) En 1925, la fabrique
    « Talpa » fait une demande de permis de construire un bâtiment de 350
    mètres carrés, avec rez-de-chaussée et étage, à destination de logements,
    bureaux et ateliers ».









    Les mêmes recherches dans les archives aident à
    reconstituer le visage passé du centre de la ville de Galați, une zone à
    proximité de laquelle se trouvaient de nombreux édifices conçus par Viecelli.







    Daniela Langusi nous fournit des détails : « Là se trouvait une place ronde, la place Royale, sur laquelle
    débouchaient six rues très importantes, dont la rue Domnească, (…) et une
    autre, qui est aujourd’hui encore la deuxième plus importante artère de la
    ville sur la direction est-ouest(…). Cette zone centrale a également subi les
    bombardements de la deuxième guerre mondiale et, en plus, après le 23 août 1944,
    l’armée allemande, qui y avait un QG très important, a jugé utile de faire
    sauter des édifices de ce périmètre. À la fin de la guerre, tout le centre
    était pratiquement rasé. Les autorités de la ville d’après 1945 ont considéré
    bon de reconstruire cette partie de la ville avec des bâtiments et des
    immeubles d’un tout autre type, ce qui a entièrement changé les lieux, qui
    n’ont plus aucun rapport avec la ville d’autrefois ».







    Les barres d’immeubles à plusieurs étages
    communistes ont remplacé les raffinées villas privées du passé, et l’ancienne
    image de la ville n’a pas survécu dans la mémoire collective de ses habitants.
    Et pourtant, une des maisons dessinée par Viecelli vers la fin des années 1920
    a survécu à la débâcle: c’est la maison de Cristache Teodoru, située en face du
    Palais de Justice, construit en style néo-roumain, et qui abrite l’Université
    du Bas Danube.






    Daniela Langusi nous présente le seul immeuble
    encore debout de ceux imaginés par Francisc Viecelli : « Que
    reconnaissons-nous là ? Nous reconnaissons le style simple, le traitement
    des fenêtres avec les six battants disposés de façon asymétrique. Mais ici,
    l’encadrement n’est plus rectangulaire, il est en demi-cercle. (…) Je ne sais
    pas si c’est une demande du propriétaire ou bien si elle est la seule maison
    dont Viecelli a choisi de traiter les fenêtres ainsi. Nous remarquons aussi
    cette ceinture en bas-relief avec des motifs floraux végétaux. La maison a été
    rénovée. (…) Le rez-de-chaussée est très haut, avec une ceinture de type socle
    pour maison rehaussée. (…) Son propriétaire, l’avocat Cristache Teodoru, a
    aussi occupé les fonctions de maire de Galaţi entre 1928 et 1931 et puis entre
    1932 et 1933 ».







    Les informations plus détaillées sur le constructeur
    roumain d’origine italienne Francisc Viecelli, manquent pour l’instant à
    l’appel. D’autres recherches devront mettre en lumière aussi bien son activité
    que le passé de Galaţi, la ville-port sur le Danube. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Architectes roumains dans les prisons communistes

    Architectes roumains dans les prisons communistes

    Au cours des deux premières suivant son instauration, le régime communiste s’est appliqué à faire taire les élites soit en les jetant en prison soit en les discréditant. Parmi les cas d’intellectuels – écrivains et artistes – ayant connu ce sort, certains sont notoires. Il s’agit de professionnels de génie, qui ont embelli les villes de Roumanie par des bâtiments célèbres de nos jours encore et donné, pendant l’entre-deux-guerres un souffle nouveau à l’architecture roumaine.



    Dans sa thèse de doctorat, l’architecte Vlad Mitric Ciupe a récemment examiné ces cas-là à l’aide des documents et identifié 100 architectes victimes du communisme. Le jeune chercheur a étudié à fond la situation de 75 d’entre eux. C’étaient des architectes renommés tels George Matei Cantacuzino, Stefan Bals, Constantin Iotzu, Constantin Joja et I.D Enescu mais aussi des architectes moins connus ou encore des étudiants en architecture.



    Vlad Mitric Ciupe : Une précision s’impose dès le début. Sur tous les cas que j’ai examinés, la plupart c’étaient des architectes diplômés — 70%. Mais il y avait aussi des étudiants-architectes arrêtés et condamnés qui ont achevé leurs études beaucoup d’années après leur sortie de prison. S’y ajoutent les élèves — détenus politiques pour différentes raisons et qui ont choisi l’architecture au moment où ils ont reçu la permission de faire des études universitaires. Bien que le régime communiste n’ait pas fait de différence entre les détenus frappés d’une sentence d’internement administratif et ceux condamnés en justice, ces derniers sont majoritaires, même si la taille de la première catégorie n’est elle non plus négligeable. Les condamnés en justice étaient considérés comme des ennemis qu’il fallait éliminer. Mais il y avait aussi des architectes qui, après avoir purgé la peine de prison décidée en justice, ont dû aussi subir l’internement administratif, cette privation de liberté allant de 12 à 60 mois. A noter aussi les cas d’architectes arrêtés, enquêtés et puis libérés. Les enquêtes, très dures, s’étalaient parfois sur deux ans, ce qui équivalait en réalité à une sorte d’arrêt. »



    Mais de quoi ces professionnels étaient – ils tenus pour coupables ? «A regarder les encadrements juridiques des condamnés on constate que la plupart étaient jugés pour appartenance à des organisations subversives. C’est sous ce chapeau que les communistes entassaient toute sorte d’accusations, depuis la publication de tracts de solidarité avec les événements qui se passaient dans la Hongrie voisine en 1956 jusqu’à l’appartenance à différentes organisations paramilitaires qui souhaitaient le changement de régime. Il y a pas mal de cas de favorisation de l’infracteur ou d’omission de dénonciation. Dans nombre de cas, les condamnés pour omission de dénonciation, avaient fait partie, en réalité, de différentes organisations de résistance, les membres de la police politique n’ayant pas réussi durant les enquêtes à apprendre la vérité. Une autre catégorie visait les tentatives de passage frauduleux de la frontière ».



    De même, il y a eu des architectes condamnés pour leur qualité de membre des anciens partis politiques et pour s’être affiliés au régime du général Antonescu. S’y ajoute ceux, tels Emanoil Mihailescu, à qui on a imputé les préoccupations spirituelles et l’appartenance au groupe orthodoxe, « Rugul aprins » « Le brasier allumé ». Détenu politique, du temps de ses études d’architecture, entre 1958 et 1963, Emanoil Mihailescu en garde de vifs souvenirs : « Les prisons n’étaient pas des espaces de loisirs ou de repos. Il n’ay qu’un fou qui pourrait le croire. Je vous invite à visiter les prisons de Jilava, voir les lits superposés à trois niveaux, la nourriture misérable… la terreur était permanente ; le fait de porter des lunettes m’a rendu suspect dès le début, étant considéré comme une sorte d’ennemi de la classe prolétaire. « Eh toi, là bas! » c’est ainsi qu’ils nous adressaient la parole, avec grossièreté et méchanceté. J’étais consterné de voir la brutalité qu’ils mettaient à frapper des gens inconnus ou avec qui il n’avaient jamais eu de maille à partir ».



    Malgré les conditions sauvages et inhumaines des prisons communistes, Emanoil Mihailescu avoue que la détention a également été une période de vécus spirituels intenses et d’amitiés intellectuelles, un sentiment partagé aussi par les autres survivants de la terreur de cette époque-là. (trad.: Alexandra Pop, Mariana Tudose)