Connecting Emerging Literary Artists, CELA en abrégé, est un projet soutenus par plusieurs partenaires européens. La Roumanie y est representée par le Musée national de la littérature roumaine de Iasi, en association avec ARTLIT, l’Association roumaine des traducteurs littéraires et AER, l’Association des éditeurs de Roumanie. Une première grande rencontre de tous les participants à cette troisième édition CELA a eu lieu à Turin, du 30 janvier au 2 février. Trois jours intenses d’ateliers, de débats, de rencontres sur lesquels RRI fait le point.
Tag: auteurs
-
Le programme CELA #3
-
Christian Ghibaudo (France) – Des campagnes censées encourager la lecture
En janvier
2022, Christian Ghibaudo nous posait la question suivante :
« que fait le service public de radio et télévision pour
encourager les Roumains à lire un peu plus ? Par exemple, disait-il,
en France, à la télévision nous avons la grande librairie et à la radio la
librairie francophone. Cette dernière émission diffusée le samedi après midi
sur France Inter est largement plus intéressante, opinait notre auditeur. Hé
bien, cher Christian Ghibaudo, récemment, une campagne lancée par une des
maisons d’édition les plus connues de Roumanie, m’a fait penser justement à ce
sujet. Effectivement, les statistiques sur la place que les livres occupent
dans la vie des Roumains sont plus qu’inquiétantes : 93,5% des Roumains
n’achètent aucun bouquin par an ce qui fait que le marché roumain du livre soit
un des moins importants en Europe.
Dans ce contexte, la maison
d’édition Nemira vient de lancer la campagne « Bookvertising » censée
encourager la lecture et la littérature roumaine contemporaine. Comment ? « Hé
bien, en plaçant dans les publicités aux différents produits autochtones des
livres écrits par des auteurs roumains contemporains », explique
Laura Câlţea Vinţ, bloggeuse, en citant le communiqué de presse officiel. Il est très rare que des
bouquins soient présents dans des publicités et lorsqu’ils le sont, ils font
plutôt partie du cadre, donc impossible de déchiffrer le nom de l’auteur ou le
titre. Et si tous ces livres deviennent réels et que leurs auteurs soient mis
en avant ? Voilà l’idée qui a servi de tremplin à cette campagne qui a
enthousiasmé déjà plusieurs marques importantes de produits roumains. « Par
cette campagne, poursuit Laura Câlţea Vinţ, Nemira souhaite que le public
considère une sorte de normalité de voir des livres apparaître dans des
publicités ».
Pour
cela, rien de plus simple: les maisons d’édition dressent des listes d’auteurs
roumains contemporains et de leurs livres et les producteurs entrent sur la
plateforme Bookvertising, à l’adresse www.bookvertising.ro pour choisir
le bouquin qu’ils souhaitent intégrer dans la publicité faite à leurs produits.Cette idée
innovatrice cartonne déjà sur les réseaux et a toutes les chances d’encourager les
Roumains à lire, notamment de la littérature roumaine contemporaine. Et pour
que cette démarche soit encore plus pertinente, les Maisons d’édition Nemira
ont lancé dans le cadre de cette même campagne, une pétition enligne censée
convaincre le Conseil national de l’Audiovisuel à faire passer à la télé le
message « Pour un développement harmonieux, lisez au moins un livre par
mois ».Les Roumains
lisent moins de 5 minutes par jour et 41% des élèves roumains ont des
difficultés de la lecture, titre le journal Libertatea qui a consacré tout un
article à cette campagne intéressante. Parmi les livres promus jusqu’à présent dans
le cadre de la campagne Bookvertising, une grande partie figurent dans la
collection N’auteur coordonnée par Eli Badica, celle à qui on doit, en fait, l’idée de cette campagne mise en place avec ses collègues du Département de Relations publiques de Nemira. La collection N’auteur est consacr&e justement aux auteurs roumains contemporains. Une chance de plus donc offerte à ceux-ci de se faire
connaître dans un pays où la lecture perd de plus en plus, du terrain. Et
pourtant, n’oublions pas que le simple fait de lire enrichit notre vocabulaire,
nourrit l’imaginaire, réduit le stress et améliore la concentration.Le lien audio de cette réponse est à écouter ici:
-
La Roumanie au Festival du livre de Paris (22-24 avril)
Après deux éditions annulées,
pandémie oblige, voilà que le célèbre Salon du livre de Paris est de retour ce
printemps, mais sous la forme d’un festival, à découvrir du 22 au 24 avril
2022. Organisé avec le soutien de l’ICR
de Paris, le stand de la Roumanie au Salon du livre s’avère une excellente
occasion pour la littérature et les auteurs roumains de se voir mettre à
l’honneur. Pour un petit avant-goût de ce que le public pourra découvrir sur le
stand roumain, j’ai invité au micro Iulia Chealfa coordinatrice de mission de
l’ICR de Paris. -
La vitrine aux auteurs roumains
De passage sur Paris, en février, j’ai eu la joie de me retrouver devant la librairie indépendante L’Ecume des pages, au coeur de Saint Germain des Prés. A ma grande surprise, une de ses vitrines était entièrement occupée par des auteurs roumains. Du coup, j’ai voulu apprendre qui se trouve derrière cette belle initiative. A pousser la porte de la librairie, on m’a conseillée de contacter Caroline Dhennin pour en apprendre davantage. Qui est cette libraire passionnée, quels sont ses rapports avec les auteurs roumains, la réponse toute de suite!
-
Weekends au Musée national d’art contemporain
Le Musée national d’art contemporain (le MNAC pour les habitués), a beaucoup fait parler de lui depuis son ouverture, il y a 20 ans. Occupant à présent une partie de l’aile ouest de l’imposant Palais du Parlement de Bucarest, un symbole en soi, c’est d’abord la taille du Musée qui impressionne, voire qui intimide. Le MNAC ne présente plus d’exposition permanente, et renouvelle ses expositions deux fois par an, l’occasion de montrer de nouvelles œuvres de sa collection et d’exposer des artistes roumains et internationaux. L’année dernière, année Covid comme on l’a appelée à juste titre, le Musée a choisi deux directions de développement. Tout d’abord, le MNAC a lancé un appel aux artistes pour l’acquisition d’œuvres, le premier en 12 ans, pour un montant de 2 millions de lei (quelque 400 000 euros). Mais 2020 a aussi été l’occasion de mettre en place plusieurs programmes afin d’attirer le jeune public vers le musée. Des ateliers pour expliquer aux enfants les expositions en cours et le processus de création dans l’art contemporain, « L’art par courrier », qui met en lien jeunes et personnes âgées afin de renouer le dialogue intergénérationnel ou encore « Weekends au MNAC – Soirées de lecture pour les petits ». C’est de ce dernier que nous allons parler aujourd’hui en détail, de la volonté de présenter des titres de la bibliothèque du Musée aux plus jeunes, afin d’éveiller leur intérêt pour la lecture, l’art et, pas en dernier lieu, pour le dialogue.
Astrid Bogdan, bibliothécaire au Musée national d’art contemporain, nous raconte les débuts du projet : « A la fin de l’année dernière, mes collègues et moi avons lancé « Les soirées de lecture au MNAC ». Pratiquement, nous avons rendez-vous, petits et grands, chaque vendredi à 19 h pour lire des histoires de la bibliothèque du Musée. Petit à petit, nous essayons d’introduire dans ces sessions, conçues autour de la lecture, des interventions visuelles d’illustrateurs de livres ou des interventions musicales. Nous souhaitons enrichir le texte avec des images et des sons. Il n’y a pas de limite d’âge pour participer aux ateliers, que nous voulons les plus ouverts qui soit. Nous souhaitons, dans le même temps, continuer la tradition des histoires racontées devant la cheminée, alors la participation est gratuite. Et, avantage d’un événement virtuel, nous accueillons des participants de Roumanie et de l’étranger aussi. »
En parlant ici et ailleurs, estime notre interlocutrice, ce type d’atelier soutient auteurs roumains aussi bien que les étrangers. Astrid Bogdan : « Nous dédions certaines soirées de lecture aux livres qui abordent le thème de l’autisme ou des troubles du développement ou qui parlent d’enfants ayant des capacités spéciales. Nous essayons d’organiser plusieurs rencontres sur la même thématique. Celles autour de l’introversion, par exemple, ont eu un grand succès. En ce moment, nous tâchons d’associer les auteurs à notre démarche pour que chaque vendredi soir un auteur nous fasse découvrir son livre. »
Côté participation, le nombre d’enfants qui se connectent pour les soirées de lecture du MNAC peut varier pas mal. Il y a parfois 30 participants, parfois plus, mais il y a aussi eu des ateliers avec 70 inscrits. La participation étant limitée à 25 enfants, s’il y a plus d’inscriptions, une autre soirée lecture est organisée un autre soir. En plus du nombre croissant d’inscrits, ce sont surtout les messages de remerciement et d’encouragement reçus après chaque rencontre qui motivent les bibliothécaires du MNAC à continuer le projet et à toujours rechercher de nouveaux titres inédits.
Astrid Bogdan raconte que ce programme a fait découvrir aux gens la bibliothèque du Musée et les a fait venir sur place pour mieux l’explorer : « J’ai dû leur lire dans la bibliothèque aussi et ça m’a donné envie d’organiser ces soirées de lecture sur la terrasse du musée, quand cela sera possible. Mais nous continuerons à rester en ligne aussi, car beaucoup de participants nous rejoignent depuis leur domicile, de différents endroits de Roumanie ou de l’étranger. Nous pensons que tout jeune peut atteindre, à travers la lecture et l’art, la liberté de choix, et peut se créer de bonnes habitudes, parce que nous plaidons pour des histoires avec un message qui résiste au temps. »
Une invitation à saisir, le soir et en ligne si vous êtes à distance (et si vous parlez le roumain) ou en vrai, au Musée d’art contemporain de Bucarest. La bibliothèque est ouverte au public du lundi au vendredi entre 13h30 et 17h30 et aussi le premier dimanche du mois, aux mêmes horaires. (Trad. Elena Diaconu)
-
Le samizdat en Roumanie
A l’époque communiste, tous les écrits étaient soumis à la censure. Paru comme une forme subversive de communication, le samizdat était un système clandestin de circulation d’écrits dissidents en URSS et dans les pays du bloc de l’Est. Le mot russe samizdat se traduirait par autoédition et cela veut dire que ce système supposait la publication des écrits par leurs auteurs sans l’implication d’une maison d’édition. Parmi les principaux auteurs de samizdats figurent l’écrivain et le médecin soviétique Vladimir Bukovsky ou encore le dramaturge tchèque Vaclav Havel. Il est important de préciser que le samizdat était toujours écrit à la machine et distribué à l’aide de moyens plutôt rudimentaires.
En Roumanie, la production de samizdats fut assez faible vu la sévérité du régime communiste. Pour la réprimer, les machines à écrire faisaient l’objet d’un contrôle strict de la part de la milice qui prétendait à leurs propriétaires de les enregistrer et d’offrir chaque année un échantillon d’écriture. Malgré la rigueur du régime, le samizdat a pourtant servi aux intérêts de ceux qui voulaient défendre les droits de l’homme. Tel fut le cas de l’Union des Magyars de Transylvanie.
Créée par le professeur de philosophie Borbely Ernö, l’association figurait parmi les organisations subversives comme nous le disait en 2002 son auteur : « J’ai pris la décision de mettre en place une telle organisation subversive suite à des discussions avec plusieurs amis intellectuels roumains et après avoir lu et distribué des samizdats qui me parvenaient de l’étranger. On a donc décidé de créer une société qui nous aide à lutter contre le sentiment d’impuissance et inutilité que l’on ressentait à l’époque. La plupart des samizdats nous parvenaient de Hongrie, d’Autriche et de France. La diaspora roumaine de France était très forte à l’époque. Elle nous envoyait des samizdats qui s’attaquaient au communisme, en démontrant d’une façon objective les lacunes d’un tel système et l’injustice du communisme en Roumanie. Il convient de mentionner qu’un tel mouvement anti-communiste existait en Hongrie aussi, depuis le début des années 1970. Mais bon, les Hongrois étaient plus libres que nous, malgré le pouvoir de surveillance des autorités. Le régime communiste hongrois n’était pas aussi sévère que le nôtre et la circulation des samizdats dont la plupart appartenaient à des professeurs d’université, de philosophie et sociologie, était plus intense qu’en Roumanie ».
A l’époque communiste, quiconque s’associait sans une approbation officielle était accusé d’intentions subversives et jeté en prison. Conscient de l’injustice de la bataille qu’il avait engagée contre l’Etat, Borbely Ernö a décidé que son organisation s’ouvre à un nombre limité de membres : « On n’a pas voulu accepter trop de personnes comme le font d’habitude les partis ou les associations politiques. Nous, on formait plutôt un petit cercle de personnes réunies autour d’un noyau dur de trois ou quatre membres qui avaient de nombreux contacts. On a entamé des discussions avec des dissidents en vogue à l’époque, tels Kiraly Karoly, afin d’élargir les rangs de notre organisation. Pourtant, dès le début, on s’est proposé de construire tout autour de trois membres fondateurs : moi, Biro Katalin et Buzasz Laszlo. On était parfaitement conscients des risques que l’on courait. La police était agile, elle dressait l’oreille à tout moment et surtout, elle avait plein d’agents au sein de la population ».
Quel était le but de l’organisation ? Bornely Ernö répond: « Nous voulions diffuser plusieurs éléments, y compris ceux des spécialistes de différents domaines, élaborer nos propres samizdats et faire une sorte de propagande. Certes, on ne pouvait pas faire cette propagande de manière directe, bien que nous ayons voulu transmettre des manifestes et de petites revues dans différentes localités. Nous avons pensé à une méthode en ce sens, mais notre but était de faire tout paraître dans des publications occidentales et surtout d’être diffusés par les radios telles que la Deutsche Welle, Radio Free Europe et La Voix de l’Amérique, à l’aide desquelles les textes arrivaient de nouveau en Roumanie. C’est de cette manière que nous avons tenté de mener une sorte de propagande, d’attirer l’attention vers nous. Si nous n’avions pas été découverts, nous aurions attiré encore davantage d’adhérents. Aux côtés d’amis d’Occident nous aurions pu affirmer publiquement, devant une presse plus nombreuse, que nous nous déclarions association officielle. Et pour cause : il était facile de liquider 2 ou 3 personnes, mais il était plus difficile d’en faire de même avec une cinquantaine ou une centaine».
Le samizdat était plus qu’un manifeste, c’était un diagnostic donné à un régime malade en phase terminale, tel le communisme. Nous avons demandé à Borbely Ernö quel était le contenu des textes qu’il a écrits: « Parmi les thèmes abordés figuraient avant tout ceux ayant trait à la liberté : la liberté de la presse, la liberté d’expression, la libre circulation. Je voulais diffuser une étude parue en France justement sur les documents de Helsinki signés par Ceausescu lui-même et qui n’avaient pas été publiés, ni mis en œuvre. Je voulais diffuser une brochure avec les droits de l’homme. Puis, il y avait des sujets liés à la vie sociale et aux opportunités des jeunes. Nous parlions de tout en fait. Nous étions une organisation magyare, mais nous étions très conscients qu’en fin de compte les grandes souffrances étaient les mêmes pour tous et que le problème de la minorité magyare ne pouvait pas être résolu sans trouver une solution aux problèmes fondamentaux ».
En Roumanie, le samizdat a été donc une tentative de mobiliser la population à construire une résistance civile face aux abus du régime communiste. Bien qu’il n’ait pas eu l’ampleur du samizdat de l’Union Soviétique, de Hongrie, de Tchécoslovaquie ou de Pologne, en Roumanie ce phénomène a eu de forts échos au sein de la population qui voulait faire changer les choses. (Trad. Ioana Stancescu, Valentina Beleavski)