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  • Urmuz, auteur de l’absurde

    Urmuz, auteur de l’absurde

    En mars 1883, à Curtea de Argeș (dans le sud de la Roumanie), voyait le jour un des plus importants écrivains roumains d’avant-garde : Demetru Dem. Demetrescu-Buzău, personnage énigmatique et bizarre, connu sous le pseudonyme d’Urmuz. Précurseur du surréalisme et de la littérature de l’absurde, Urmuz fascinait surtout par ses textes apparemment dépourvus de sens, mais séduisants du point de vue esthétique. Homme plutôt effacé, à première vue, il a également suscité l’intérêt du public par sa biographie, très peu connue, et par une vie intérieure riche et secrète.

    Qui était Urmuz ? Le critique et historien littéraire Paul Cernat esquisse son portrait: Urmuz était un homme solitaire, timide, qui a eu une existence plutôt bizarre – tout comme son œuvre, d’ailleurs. Il a tenté de devenir médecin, paraît-il, mais il y a renoncé, car, lors des dissections, il pinçait les cadavres et il a été effrayé de voir qu’ils ne réagissaient pas. Ensuite, il s’est mis à étudier le droit et il est devenu greffier à la Cour de Cassation. Il faisait aussi de la musique. Pendant ses heures de loisir, il composait des pièces musicales pour divertir sa famille – selon l’une de ses sœurs. Malheureusement, ses partitions ne se sont pas conservées. Elles ont disparu dans les années 1960. La littérature a été pour lui une occupation plus secrète que la musique. Urmuz a eu la chance de rencontrer l’écrivain et poète Tudor Arghezi, à qui il doit son nom de plume. Le grand poète lui a publié les écrits. D’ailleurs, les seuls textes publiés par Urmuz sont parus en 1922, grâce à Arghezi, dans la revue « Cuget românesc » – « Esprit roumain », paradoxalement, une revue traditionnaliste. Urmuz était un être solitaire et il est resté célibataire. En novembre 1923, il se suicide par balle, dans un buisson au bord de l’avenue Kiseleff, vers la sortie nord de Bucarest. Les raisons de ce geste restent obscures. On a parlé d’une triste histoire d’amour ou d’une terrible maladie cachée, mais rien n’est certain. Des légendes se sont tissées autour de cette biographie énigmatique, cachée, souterraine, créant un véritable mythe. Ce mythe est encore vivant, conférant une identité à la littérature roumaine de l’absurde.

    En outre, son existence de petit fonctionnaire, agrémentée de textes apparemment absurdes et achevée par un suicide dont on ne connaît pas encore la raison, ont augmenté la fascination que cet écrivain exerce sur le public. On se demande encore s’il y a un lien entre sa biographie et ses écrits. Paul Cernat qffirme que « Urmuz était un esprit bizarre, avec un certain penchant pour le divertissement, mais qui avait peut-être aussi quelques traumas profonds. On l’a comparé à Kafka, les spéculations tournant autour des relations que les deux écrivains ont eues avec leurs pères. En fait, on ne sait que très peu de choses sur lui et toute spéculation est plausible. On peut parler d’une schizoïdie, d’une rupture entre son identité publique, de greffier qui prend son métier au sérieux, et celle d’écrivain anarchique, qui ne respectait aucune des règles littéraires de son temps. Pourtant, ce caractère anarchique et absurde mis à part, ses textes ont été longuement ciselés et ils ont une rigueur intrinsèque. Tout comme Flaubert, Urmuz choisissait soigneusement chaque mot et faisait attention à la façon dont il orchestrait ses petits textes. »

    Les deux ouvrages parus de son vivant dans la revue « Cuget românesc », à savoir « Algazy & Grummer » et « Ismaïl et Turnavitu », ont été ciselé jusqu’à la dernière minute. Selon Tudor Arghezi, alors que les manuscrits étaient déjà à l’imprimerie, Urmuz a souhaité changer certains mots. Paul Cernat dit que La mini-œuvre explosive d’Urmuz a refait surface après la mort de l’auteur. Une partie de cette œuvre a été publiée dans les années ’20, dans la revue « Contimporanul », éditée par Ion Vinea et Marcel Iancu. Pourtant, les nouveautés ont été publiées pour la plupart dans les pages de la revue UNU, par les écrivains Sașa Pană et Geo Bogza, qui, dans les années ’30, sont allés voir la sœur d’Urmuz, détentrice d’un coffre plein de manuscrits. Ils ont publié la partie de son œuvre qui y avait été conservée. Pas encore tout, paraît-il. Beaucoup de textes se sont perdus, mais ce qui reste est amplement suffisant pour assurer à Urmuz un statut qu’il n’aurait jamais imaginé.

    Parmi ses textes – en vers et en prose – publiés à titre posthume, il convient de rappeler « Chroniqueurs », « L’entonnoir et Stamate», « La Fuchsiade » et « Le départ à l’étranger ». Urmuz a influencé non seulement la vague d’écrivains d’avant-garde qui ont fait leur apparition dans la littéraire roumaine après la première guerre mondiale, il a aussi exercé une influence sur la prose de Tudor Arghezi. Les générations d’écrivains qui se sont affirmés après 1965 – connus sous le nom de l’Ecole de Târgoviște – ainsi que les grands poètes Marin Sorescu et Nichita Stănescu ont subi l’influence d’Urmuz, qui a marqué de son sceau la littérature roumaine jusqu’au post-modernisme actuel. Trad. : Dominique

  • Tradition et avant-garde dans l’art roumain moderne

    Tradition et avant-garde dans l’art roumain moderne

    Du temps de la Troisième république française, la période connue comme « La Belle Époque » s’est caractérisée par la paix et la prospérité économique en Europe, par un pic des empires coloniaux et des innovations technologiques, scientifiques et culturelles. La Roumanie s’alignait, elle aussi, à l’esprit européen de cette période d’avant la Première Guerre mondiale. De ce fait, l’Exposition universelle de Paris de 1900 a été un lieu où la géopolitique s’est manifestée au plan culturel. L’événement a également offert au public des images contrastant avec ce que l’on attendait des pays participant à l’Exposition. Ultérieurement, l’avant-garde de l’entre-deux-guerres allait renverser les formes d’art consacrées, en cherchant la proclamation de l’élément artistique nouveau.

    L’historien de l’art Erwin Kessler a participé à la série de débats « L’agora des idées », organisés par le Musée de la ville de Bucarest. C’est à cette occasion qu’il a donné une conférence intitulée « Tradition, modernisation, avant-garde et retour : les avatars de l’art roumain avant et après la Grande Guerre ».

    Erwin Kessler : « A l’Exposition universelle de Paris, en 1900, la Roumanie a affiché une sorte de schizophrénie. D’un côté, son pavillon national était construit sous la forme d’un puits pétrolier. Ça avait l’air d’un pas vers l’avenir, c’était l’incarnation de la Roumanie industrielle. A l’intérieur, cependant, l’on trouvait des icones, des căluşari (les pratiquants de la danse du căluş, danse traditionnelle à effet de rituel), des « ii » (les blouses traditionnelles roumaines), de l’art paysan. Tout ça ensemble. Si la Roumanie se présentait ainsi, nous étions donc un pays avec un énorme corps traditionnel paysan à l’intérieur d’une large couche industrielle. C’est une dissociation entièrement justifiée par la réalité. Plus de 75% de la population vivait en milieu rural à ce moment-là. Plus de 60% de la production de la Roumanie n’était pas pétrolière, mais agricole. »

    L’historien Sorin Antohi, l’hôte de « L’agora des idées », s’est exprimé lui aussi sur la Roumanie rurale de 1900, mais aussi sur la condition du paysan roumain de l’époque, opposée à la représentation idéalisée du village roumain dans les peintures de Nicolae Grigorescu : « Les voyageurs étrangers en Roumanie consignent dans leurs écrits de voyage, de manière récurrente et sans cacher leur regret, la présence humaine. Le paysan roumain est vague, crépusculaire… Ce paysan est la mise de cette période de tensions sociales et de crise économique, alors que la monarchie célèbre son jubilé en 1906 et qu’elle travaille dur pour organiser l’équivalent local d’une exposition universelle. Le but est de faire plaisir aux locaux, mais aussi aux visiteurs protocolaires. C’est un véritable village Potemkine, cette manière d’embellir la réalité, et la maison royale sait bien que ce n’est pas ça la vraie Roumanie. »

    Le mécontentement de la nouvelle génération d’artistes par rapport à l’art du début du siècle a fait qu’un an plus tard, le 3 décembre 1901, quelques artistes se réunissent dans une société nommé « Tinerimea Artistică » / « La Jeunesse artistique ». Cette association élitiste a introduit en Roumanie la pratique du salon de type européen. Les artistes à l’origine de la Jeunesse artistique étaient les peintres Ştefan Luchian, Gheorghe Petraşcu et Frederic Storck.

    Erwin Kessler précise : « La Jeunesse artistique s’intègre rapidement dans l’espace occidental. De ce fait, l’Exposition universelle de 1904 reçoit une critique positive dans The Studio, la revue d’art de Londres qui était lue par quasiment tout le monde. Le magazine précise qu’ « une partie des artistes exposés semblent accepter de nouvelles théories et formules artistiques. » C’est assez vague, mais ça a le mérite d’être une tape sur l’épaule. Lors de cette troisième Exposition universelle de 1904, qui s’est tenue aux Etats-Unis, à Saint-Louis, la Jeunesse artistique vise pour la première fois de rassembler dans ses expositions, aux côtés de l’art roumain, les artistes des pays voisins, en commençant par ceux des Balkans. »

    Jusqu’à la fin de la première décennie du XXe siècle, la Roumanie allait intégrer de plus en plus le paysage culturel européen. L’apparition du mouvement littéraire futuriste est étroitement liée aux poètes roumains modernes.

    Erwin Kessler : « En Roumanie, Filippo Tommaso Marinetti, le fondateur du futurisme, était beaucoup plus connu qu’ailleurs en Europe. Et cela même avant février 1909, moment où il publie le Manifeste du futurisme dans le journal français Le Figaro. Il était connu ici pour une raison aléatoire. Sa revue, Poesia, est ouverte depuis le début aux écrivains roumains. Ovid Densuşianu remarque le magazine et Marinetti en 1905. En 1906, Poesia publie déjà les poèmes d’Elena Văcărescu. En 1909, l’année du Manifeste du futurisme, Alexandru Macedonski est publié dans Poesia. Marinetti était connu par le monde culturel roumain. »

    L’avant-garde artistique ne tarde pas d’apparaître et le mouvement marque la période de l’entre-deux-guerres en Roumanie. Les futurs grands noms du mouvement fondent une publication qui, en quatre numéros seulement, s’impose comme la plateforme du phénomène en Roumanie.

    Erwin Kessler : « Au printemps 1912 apparaît la revue « Insula » / « L’Ile » de Ion Minulescu. C’est une parution fulgurante, mais essentielle : c’est le premier magazine où se manifeste une forme de proto avant-garde et qui montre un franc mécontentement face à la modernité roumaine du moment. Une grande partie de sa rédaction rejoindra un groupe de lycéens qui publie, entre octobre et décembre 1912, la revue « Simbolul » / « Le Symbole », avec les illustrations de Marcel Iancu. Marcel Iancu, le directeur artistique de la publication, Ion Vinea et Samuel Rosenstock, le futur Tristan Tzara, voilà les rédacteurs de ce magazine. »

    En 1924, est fondée la revue « Contimporanul », forme archaïque du mot roumain pour « Le Contemporain ». Parmi les fondateurs : Victor Brauner, Marcel Ianco, Miliţa Petraşcu et Mattis Teutsch, avec la collaboration du sculpteur Constantin Brancusi et d’autres artistes étrangers. En novembre 1924, le magazine organise l’Exposition internationale Contimporanul, dans la salle du Syndicat des Beaux-arts de Bucarest. L’exposition est l’occasion pour le public roumain de voir les œuvres de la quasi-totalité des membres de l’avant-garde roumaine, ainsi que celles de plusieurs artistes étrangers (Filippo Tommaso Marinetti, Hans Arp, Paul Klee, Hans Richter, Kurt Schwitters). (Trad. Elena Diaconu)

  • L’invité du jour – le professeur Ion Pop, théoricien de l’avant-garde littéraire

    L’invité du jour – le professeur Ion Pop, théoricien de l’avant-garde littéraire

    Comment faire pour bien commencer sa journée ? Une idée serait de prendre une bonne tasse de café ou de thé en compagnie d’un interlocuteur merveilleux. RRI a le plaisir de vous faire la connaissance du professeur des universités Ion Pop, fin connaisseur de l’avant-garde roumaine.



    Né le 1er juillet 1941 dans la commune de Miresu Mare, au cœur du Maramures, dans le nord du pays, Ion Pop s’impose dans le paysage littéraire roumain en tant que théoricien de l’avant-garde, poète, critique et historien littéraire. Il fut également doyen de la Faculté des Lettres de l’Université Babes Bolyai de Cluj et directeur du Centre culturel roumain de Paris. Bien que le régime communiste ait considéré avec mépris le mouvement avant-gardiste, Ion Pop s’y est profondément intéressé, selon son propre témoignage : « J’ai publié un premier recueil consacré à l’avant-garde en 1969. Après l’invasion de la Tchécoslovaquie en ’68, quand Ceausescu, rappelons-le, a refusé de rejoindre les troupes soviétiques, un vent de liberté a soufflé un peu sur la Roumanie ce qui a bien servi aux intérêts littéraires de plusieurs de nos concitoyens. Je pense, par exemple, à Sasa Pana qui a fait sortir en ’69 une première anthologie de l’avant-garde roumaine admirablement préfacée par l’écrivain Matei Calinescu. Moi, j’avais commencé en ’64 mon mémoire de licence avec pour sujet l’œuvre d’Ilarie Voronca. A regarder en arrière, il est presque inimaginable à quel point on a pu supporter l’oppression et la censure. Moi, j’ai préféré me pencher sur le phénomène en soi sans recourir aux slogans. Je pense que j’ai bénéficié de la présence d’un ange gardien de la lucidité et du bon sens ».



    Ion Pop est le critique littéraire roumain dont le nom se rattache à l’existence de la revue Echinox qu’il a dirigée pendant 17 ans. Une longue période de temps durant laquelle il a eu à ses côtés des personnalités littéraires importantes telles Marian Papahagi ou encore Ion Vartic. Pour sa vaste contribution à la littérature roumaine, Ion Pop s’est vu accorder à plusieurs reprises le prix de l’Union des Ecrivains roumains en 1973, 1979, 1985 et 2001. Un riche palmarès auquel s’est ajouté, en 1985, le prix de l’Académie Roumaine.



    Sur l’ensemble de ses préoccupations littéraires, ce fut notamment l’histoire de l’avant-garde roumaine qui l’a intéressé le plus. Le critique Ion Pop : « Depuis la parution de mon premier recueil sur l’avant garde, en 1969, j’ai publié encore au moins 5 livres consacrés à ce sujet dont une anthologie rédigée en français et sortie en 2006 chez les Editions Maurice Nadeau. Ce fut le fruit d’une collaboration avec une maison d’édition roumaine et l’Institut culturel roumain. A présent, je suis en train d’écrire pour la collection des « Œuvres fondamentales » sous la coordination d’Eugen Simion, ancien président de l’Académie Roumaine, une anthologie riche et complète de l’avant-garde. Il faut bien comprendre que ce courant est plus qu’un moment historique, c’est un état d’esprit. Il nous invite à rester réceptifs aux idées nouvelles, à préserver notre curiosité et notre intérêt face à la profondeur du langage. L’avant-garde a bien insisté sur le sens profond de la littérature et sur cette vision du monde à laquelle j’ai fait et je continue de faire confiance ». (trad.: Ioana Stancescu)