Tag: bataille

  • De Dunkirk à Dunkerque (1)

    De Dunkirk à Dunkerque (1)

    Il y a quelques semaines une grande production cinématographique est sortie sur les écrans de cinéma. Il développe une séquence de la seconde guerre mondiale. Bien entendu, il s’agit du film “Dunkirk” du réalisateur Christopher Nolan. Au Café des francophones, nous avons décidé de saisir cette occasion pour parler plus précisément des l’opération “Dynamo” et du contexte qui l’a fait naître. Pour ce faire, comme à l’accoutumée, nous avons fait appel à un historien des armées et militaire spécialiste de ces questions. C’est donc avec le lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois que nous aborderons ces questions.






  • La bataille pour Bucarest

    La bataille pour Bucarest

    Les opérations de l’armée roumaine durant la Première Guerre mondiale ont été lancées en août 1916, juste après la signature de la Convention militaire entre la Roumanie et la Triple Entente et elles ont commencé par une offensive en Transylvanie. Mais les Puissances centrales ont déclenché une contre-offensive et obtenu une victoire retentissante à Turtucaia, sur la rive sud du Danube, en Bulgarie actuelle. Les historiens roumains ont appelé cette défaite « le désastre de Turtucaia ». En décembre 1916, Bucarest était occupé par les armées allemande, austro-hongroise, bulgare et turque. Le résultat catastrophique de la première partie de la campagne de l’armée roumaine durant la première conflagration mondiale a été causé par ses carences en termes de matériel et de formation des cadres.

    Mais de l’avis de l’historien Sorin Cristescu de l’Université « Spiru Haret » de Bucarest, si la Roumanie était entrée en guerre dès le début, soit en 1914, la situation aurait été complètement différente. Selon Sorin Cristescu, le manque d’expérience pratique de l’armée roumaine est une conséquence du refus de la Russie d’inclure le Royaume de Roumanie parmi ses alliés.

    Sorin Cristescu : « D’abord, la Russie s’est opposée à la perspective de la création d’une Grande Roumanie. Malgré la pression de l’opinion publique de Bucarest, la Roumanie n’a pas été invitée à s’engager dans la guerre, elle a été en quelque sorte tenue à l’écart de cette conflagration. Le mois de septembre 1914 a été marqué par un moment favorable pour la Russie, dont l’armée a conquis la ville de Lemberg. Le 23 mai 1915, ce fut le tour de l’Italie d’entrer en guerre et si la Roumanie rejoignait aussi les rangs de l’Entente, l’effet de ces deux actions aurait pu être dévastateur pour la Triple Alliance. Un troisième moment important, ce fut le 4 juin 1916, lorsque l’offensive des armées russes commandées par Brusilov semblait être victorieuse et à nouveau la Russie n’a pas permis à la Roumanie d’entrer en guerre. Ce n’est qu’après l’échec de l’offensive de Brusilov que la Roumanie a obtenu la permission de déclarer la guerre. L’idée d’une entrée en guerre de la Roumanie a coïncidé avec les intérêts de l’Entente qui voulait arrêter à tout prix les exportations de matières premières vitales de Roumanie vers les pays des Puissances centrales. Au sujet de la valeur des exportations roumaines et du rapt qui suivit en 1918, c’est le général allemand Ludendorff qui s’est exprimé, affirmant que grâce aux matières premières de Roumanie, les Puissances centrales ont réussi (je cite) « à tenir le nez au dessous de l’eau ». »

    Selon Sorin Cristescu, l’offensive visant la capitale roumaine a été déclenchée par les armées allemande et austro-hongroise en provenance de l’ouest et non pas par les troupes germano-bulgares victorieuses à Turtucaia, dans le sud.

    Sorin Cristescu : « En mettant de la pression sur les Carpates Méridionales avec des troupes de chasseurs alpins, les Puissances centrales ont réussi à rompre le front autour du 11 novembre dans une région assez éloignée de Bucarest. C’est par le col de Lainici, vers Târgu Jiu (sud-ouest), que les armées allemandes ont progressé vers la ville de Craiova (sud). La chute de cette ville et la traversée de la rivière Olt, le 23 novembre 1916, a coïncidé avec une traversée du Danube exécutée par l’armée allemande, par le même endroit où l’armée roumaine avait traversé le fleuve durant la guerre d’Indépendance de 1877, près de Zimnicea (sud). Les deux opérations, la traversée de l’Olt et du Danube ont eu lieu presqu’en même temps et produit des effets dévastateurs. Un mois avant, soit jusqu’au 26 octobre, la région de Dobroudja, dans le sud-est de la Roumanie, avait été conquise. Le général allemand von Mackenzen, commandant des armées germano-allemandes venues du sud, se promenait déjà sur le pont ferroviaire de Cernavoda et constatait personnellement que celui-ci était utilisable et réparable puisqu’il n’avait pas été entièrement détruit. »

    Les Allemands avançaient vers Bucarest suivant deux axes principaux. L’un était emprunté par la 9e armée sous la commande du général Falkenhayn, ex-chef de l’Etat major de l’armée allemande, et l’autre était suivi par l’armée du général Mackenzen. La dernière tentative de l’armée roumaine d’arrêter l’avancée des armées des Puissances centrales s’est achevée elle aussi par un échec.

    Sorin Cristescu : « Le moment qui aurait dû être décisif a été une soi-disant bataille sur la rivière Neajlov. L’armée roumaine, dépourvue des renforts russes qui n’arrivaient jamais à temps, a essayé d’isoler les deux armées allemandes qui menaient une offensive inédite depuis 1914. Mais ce ne fut pas le cas notamment en raison de la supériorité évidente des armées allemandes, à laquelle s’est ajouté aussi un événement malheureux. Une automobile transportant des officiers roumains qui portaient avec eux l’enveloppe avec les ordres visant le déroulement des opérations est tombée entre les mains des Allemands. Cet épisode a mené au désastre. Mais même en l’absence d’un tel épisode, le résultat aurait été le même. Le 4 décembre 1916, il était évident que Bucarest était impossible à défendre. Les fortifications de la capitale avaient été abandonnées même avant la signature de la Convention du 4 août 1916, visant l’entrée en guerre de la Roumanie. Bucarest était une ville ouverte. »

    L’offensive des Puissances centrales a été arrêtée sur la ligne défensive Focsani – Namoloasa, le 9 décembre 1916, après la bataille de Casin. L’armée roumaine, enfin épaulée par l’armée russe, repoussait les attaques allemandes et passait à la contre-attaque afin de stabiliser le front. La chute de Bucarest a donné le coup d’envoi d’un régime d’occupation, explique Sorin Cristescu : « La Roumanie allait connaître le drame du retrait. Les chemins de fer étaient surchargés et toute sorte de matériel était transporté en Moldavie. Le Parlement, le gouvernement et la famille royale ont fui la Capitale. Pour sa part, la famille royale avait connu aussi un désastre personnel le 22 novembre : la mort de son fils cadet, le prince Mircea, de fièvre typhoïde, même s’il n’était entré en contact avec aucune personne malade. Bucarest a été abandonné sans aucun combat le 6 décembre 1916. C’était d’ailleurs le 67e l’anniversaire du feld-maréchal Mackensen. La veille, le régiment 129 avait été baptisé de son nom, un grand honneur pour le commandant allemand. »

    L’occupation du sud de la Roumanie et de la ville de Bucarest jusqu’en novembre 1918 a été très dure. La Roumanie perdait des territoires dans sa région de montagne, alors que sur le plan économique elle devenait en quelque sorte un sujet de l’Allemagne. Et pourtant, en 1918, tout ce désastre s’est transformé pour devenir la plus grande victoire de l’Etat roumain moderne. (Trad. Alexandru Diaconescu )

  • Un siècle depuis la bataille de Turtucaia

    Un siècle depuis la bataille de Turtucaia

    Le 27 août 1916, la Roumanie déclarait la guerre à l’Autriche-Hongrie et entrait dans la première Guerre mondiale. Alliée de l’Allemagne, la Bulgarie, en guerre depuis 1915, envoyait déployait immédiatement son armée contre la ville de Turtucaia, une ville sise sur la rive sud du Danube, opposée à la ville d’Oltenita, située à 70 km SE de Bucarest. Turtucaia était la principale base d’opérations de l’armée roumaine dans le sud du Danube. Ce territoire est devenu partie du Royaume de Roumanie après la Paix de Bucarest de 1913 qui a mis fin à la seconde guerre balkanique.



    La bataille de Turtucaia s’est déroulée du 1er au 6 septembre 1916 et s’est terminée par la première grande défaite de l’histoire de l’armée roumaine. Jugée comme une véritable débâcle, la défaite de Turtucaia a engendré l’écroulement de tout le plan d’opérations mis au point par l’Etat major de l’armée roumaine. Les effectifs de l’armée roumaine, dont la mission était principalement défensive, s’élevaient à 39 mille soldats, alors que ceux des armées bulgare et allemande arrivaient au total à 55 mille hommes. 6 mille militaires roumains ont été tués et blessés, tandis que les pertes des armées allemande et bulgare se sont élevées à 7700 hommes. Mais 28 mille soldats et officiers roumains sont devenus prisonniers.



    La bataille de Turtucaia a fait couler beaucoup d’encre et elle a fait l’objet de nombreuses analyses. L’historien Sorin Cristescu de l’Université « Spiru Haret » de Bucarest pense que deux aspects sont essentiels pour l’armée roumaine: les préparatifs faits par l’armée roumaine et ses conséquences sur le moral des Roumains : « La bataille de Turtucaia illustre deux aspects importants. D’un côté, elle a montré les carences de l’armée roumaine. Certes, le pays a mobilisé 800 mille hommes, mais l’armée ne disposait que de 500 mille fusils. Entre 1914 et 1916, quelque 120 mille fusils Lebel ont été importés de France. Mais sur le demi-million de fusils disponibles, 100 mille dataient depuis la guerre de 1877. Durant la guerre de 1913, sur 460 mille soldats roumains à avoir traversé le Danube, seuls 300 mille avaient des fusils. Même cas de figure à Turtucaia. L’armée manquait de munitions, manquait d’armes et ses canons avaient été placés incorrectement, donc leur tir n’a eu aucun effet sur l’ennemi ».



    La formation du personnel et la dotation mises à part, la force morale d’une armée peut gagner une guerre. Sorin Cristescu affirme que le moral a joué un rôle décisif dans la défaite de Turtucaia et surtout pour la suite de la guerre : « Le désastre militaire a été doublé par un désastre moral. Le 6 septembre 1916, Bucarest était déjà dépassé par l’immense nombre de blessés de guerre. A cela est venu s’ajouter la rumeur que depuis Turtucaia, les troupes allemandes et bulgares allaient se diriger directement vers la Capitale. La panique s’est installée et elle s’est reflétée aussi au niveau du commandement de l’armée. Les opérations en Transylvanie, qui allaient bon train ont été arrêtées et un repli a été organisé à Flamanda, dans la plaine roumaine. Certains Roumains ont refusé de tomber en proie à la frayeur générale. Le célèbre journaliste et rédacteur en chef du journal Adevarul, Constantin Mille, a publié un éditorial dans lequel il disait que dans une guerre il y a avait des hauts et des bas. Qu’après une belle victoire dans le nord, où l’offensive roumaine avait gagné du terrain, la Roumanie a perdu une bataille dans le sud. Que l’une compensait l’autre. Il ne fallait pas penser sous l’empire de la panique, puisque les Bulgares et les Allemands ne pouvaient pas arriver du coup à Bucarest. Mille disait qu’il fallait rester calmes et ne pas paniquer après la première défaite. Et pourtant, les conséquences psychologiques du désastre de Turtucaia ont été immenses. »



    Turtucaia a produit d’immenses traumas dans la conscience publique des Roumains. Sorin Cristescu a identifié la mauvaise organisation de l’armée roumaine comme principal coupable de cet échec retentissant. La légèreté avec laquelle la Roumanie est entrée en guerre mais aussi le niveau social et économique de sa population, formée surtout de paysans, ont joué des rôles cruciaux dans les événements d’il y a un siècle : « Turtucaia a été décrite par le poète George Topîrceanu, l’homme politique Gheorghe Bratianu et d’autres. Ce fut un moment tragique qui a montré que l’armée roumaine n’était pas préparée. Pourquoi ? Parce que c’était l’armée d’un pays de paysans, qui étaient en 1908 les plus pauvres d’Europe, selon l’historien Nicolae Iorga. Parmi les principales causes du désastre, le manque de munitions a été décisif. Chaque soldat disposait d’une ration de 100 cartouches et les usines de munitions produisaient tout au plus une cartouche par jour pour chaque soldat. Cela signifie que la ration suivante de cartouches arrivait au soldat après une centaine de jours. Et nous savons déjà que le 100e jour de la guerre, Bucarest est tombé sans aucun combat, car abandonné le 6 décembre 1916. Il était impossible de ravitailler les troupes de Turtucaia. Puis les canons et les mitrailleuses n’arrivaient pas à frapper l’ennemi qui a réussi à se mettre à l’abri du tir roumain. Il était clair que l’armée roumaine a subi une défaite rapide et désastreuse. »



    Après avoir perdu la bataille, les 28 mille prisonniers roumains ont vécu deux années de cauchemar dans les camps bulgares. Leurs mémoires, et notamment celles du poète George Topîrceanu, récemment republiées, sont autant de pages émouvantes pleines d’exemples de dignité, de désespoir et d’humiliation qui s’achèvent sur la joie de la libération et de la victoire de 1918, l’année de la paix en Europe. (trad. : Alex Diaconescu, Ileana Taroi)

  • Batailles historiques en miniature

    Batailles historiques en miniature

    Si vous avez gardé votre âme d’enfant, si vous aimez toujours les soldats de plomb et que vous soyez passionnés d’histoire, vous agréerez à coup sûr l’idée d’un musée de Roumanie de mettre sur pied une exposition de batailles en miniature. Le musée de la dépression de Baraolt (Musée national des Sicules) présente un diorama comptant près de 2.000 petits soldats qui met en scène la bataille de 1849 à Chichiş, dans le comté de Covasna, durant laquelle le révolutionnaire Gabor Aron a perdu la vie.

    Le directeur du musée, Demeter Laszlo, nous raconte l’histoire de ces figurines : « L’année dernière nous avons commencé à travailler à une exposition d’envergure : une histoire en miniature – l’histoire de la Transylvanie depuis les temps les plus anciens jusqu’à la seconde guerre mondiale. L’année dernière nous avons réalisé le premier diorama figurant la bataille de Chichiş. L’exposition est toujours ouverte et nous nous proposons de lui ajouter chaque année de nouveaux dioramas. »

    Fondé il y a 35 ans, le Musée de la dépression de Baraolt recèle une riche collection d’histoire locale, d’ethnographie, d’archéologie et de sciences de la nature. La création de ce musée est liée au nom de l’horloger et historien de la région Gaspar Kaszoni, qui a offert à la ville les objets qu’il avait collectionnés pendant plusieurs dizaines d’années. Le musée a été ouvert en 1979 et fermé cinq ans plus tard. Les objets ont pourtant été transférés au Musée national des Sicules de Sfântu Gheorghe. Suite à une initiative civique, le musée a été rouvert en novembre 2006 et la collection Kaszoni retourna dans ce musée qui allait s’appeler le Musée de la dépression de Baraolt.

    Pourtant, puisque les visiteurs étaient peu nombreux, le directeur du musée, Demeter Laszlo, a envisagé de faire quelque chose d’unique en Roumanie : « Il s’agit en fait de soldats de plomb. On sait que dans leur enfance, nos grand-pères ont joué avec de tels soldats de plomb et j’ai cherché sur Internet pour voir si quelqu’un s’intéressait à ce hobby. J’ai trouvé Monsieur Homoki Gyula de Hongrie, qui habite à proximité de Budapest et qui en fabrique différents modèles et différents dioramas. En fait, c’est lui l’auteur de cette exposition, réalisée avec l’aide financière du Conseil local et du Musée national des Sicules. C’est lui qui a réalisé le premier diorama et nous envisageons de poursuivre cette collaboration. Le diorama est constitué de soldats de plomb de 15 mm, il sont donc tout petits et le diorama est très intéressant et présente tout en détail. Il s’agit d’une bataille entre les Russes et les Sicules, une bataille célèbre, lors de laquelle a perdu la vie Gabor Aron, le fondateur de l’artillerie des Sicules. On peut voir une partie du village de Chichiş, même l’église unitarienne et les troupes russes. De l’autre côté du diorama se trouve l’armée hongroise. Ce champ de bataille en miniature est constitué de quelque 2200 figurines – soldats, tours, maisonnettes. En Occident de telles figurines sont en vente dans les magasins. Ce que le travail de M.Homoki et de son équipe apporte de nouveau, c’est qu’il peint ses soldats – Sicules, Hongrois et Roumains. Et il dispose toutes les figurines sur le champ de bataille, pour donner une image très fidèle de ce qui s’est passé à l’époque. »

    On se trouve devant une image très pittoresque du village de Chichiş, tel qu’il était il y a près de 170 ans, le diorama rendant les vêtements et des éléments de la vie des gens des parages. Nous avons demandé à Demeter Laszlo si les visiteurs souhaitaient acheter de telles batailles en miniature ou certains de leurs héros: « Nous disposons d’une petite collection à vendre et souhaitons mettre sur pied un magasin où l’on peut acheter de telles figurines. Ce qui est intéressant, c’est que non seulement les enfants sont intéressés, mais aussi les adultes, surtout les hommes. Ils viennent de tout le pays et même de l’étranger – et c’était d’ailleurs là le but de cette exposition: réaliser quelque chose d’unique en Roumanie et contribuer ainsi à développer le tourisme dans la dépression de Baraolt. »

    Le musée recèle d’autres objets intéressants, dont le squelette d’un mastodonte ayant vécu il y a deux millions d’années et qui a été découvert en 2008, dans les mines de Racoş dans la contrée de Baraolt, durant des travaux d’excavation: « Le squelette de ce mastodonte, Anancus arvernensis, que l’on a trouvé dans la mine de lignite de la contrée de Baraolt est unique au monde. C’est le squelette le plus complet d’un mastodonte de cette espèce, ayant conservé plus de 80% de ses os. »

    Le squelette mesure 7 mètres de long et il a une hauteur de 3,5 mètres. Pour l’instant, faute d’espace, il n’est pas exposé en entier, mais il attire déjà un grand nombre de touristes curieux. Notre interlocuteur espère que le musée pourra bénéficier d’un deuxième bâtiment, plus vaste, pour permettre à sa collection de s’élargir et au mastodonte de s’étaler à la verticale. (Trad.: Dominique)

  • L’armée roumaine sur le front de l’Est

    L’armée roumaine sur le front de l’Est

    En 1941, après l’échec de toute tentative de faire la paix en Europe, la Roumanie rejoint les troupes allemandes en guerre contre l’Union soviétique. Le 22 juin 1941, l’armée roumaine traverse le Prut aux côtés des Allemands pour libérer la Bessarabie annexée par les Soviétiques une année auparavant. Entre temps, les pays vainqueurs de la Première Guerre Mondiale se trouvaient dans une situation désespérée. Une bonne partie de la France était sous occupation allemande, tandis que l’Angleterre s’efforçait de tenir tête aux attaques de la Wehrmacht, l’armée allemande du IIIe Reich.



    Entre temps, la Roumanie, sanctionnée par Hitler pour sa politique francophile et anglophile et soumise au nouvel ordre allemand instauré en Europe, se voit forcer à contribuer massivement aux efforts de guerre.



    L’offensive de l’armée roumaine contre celle soviétique a commencé sur un front allant de la Mer Noire jusqu’aux Carpates de la Bucovine. Au bout d’une faible résistance russe de trois semaines seulement, les troupes roumaines arrivent à libérer la Bessarabie et le Nord de la Bucovine. Dans un télégramme adressé le 27 juillet au maréchal Antonescu, Hitler le félicite pour la libération des territoires roumains et lui demande de franchir le Dniestr et de s’emparer de la Transnistrie. Les contingents roumains et allemands poursuivent ensemble leur offensive antisoviétique et avancent par le sud de l’Ukraine pour atteindre finalement Stalingrad.



    Dans une interview accordée en 1993 au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, le sous-lieutenant Ahile Sari se rappelait des épisodes atroces dont il avait été témoin lors de son passage par le sud de l’Union soviétique: « Ce fut pour la première fois de ma vie que j’ai eu l’occasion de voir un train bondé de déportés soviétiques. Ce n’étaient pas des prisonniers, mais des familles déportées, probablement en route vers l’Allemagne. Ce ne fut qu’à ce moment là que j’ai réalisé la situation dramatique que traversaient toutes ces figures déshumanisées, affamées qui couraient après nous, la gamelle vide, en espérant recevoir quelque chose à manger. Ce fut tellement triste de voir tout le contingent d’officiers et de soldats se précipiter sur les barbelés pour donner à manger à ces malheureux, tandis que les chiens aboyaient près des wagons».


    Lors de la bataille de Stalingrad, l’armée roumaine subit des pertes importantes. La contre-offensive russe, connue sous le nom d’opération Uranus, visait justement le flanc nord allemand particulièrement vulnérable, puisqu’il était défendu par les unités hongroises et roumaines faiblement équipés et au moral bas. Appuyés par des blindés, les Soviétiques déclenchent l’offensive le 19 novembre. Mais les troupes roumaines s’y attendaient et elles ont commencé à demander des renforts. Sans résultat.



    Le sous-lieutenant Ahile Sari remémore un des épisodes intervenus à la veille de l’attaque de l’armée soviétique: « A un moment donné, un prisonnier russe emmené dans notre caserne nous a communiqué de rester en alerte et de prendre des mesures de sécurité car l’armée russe s’apprêtait à déclencher une grande offensive. Attention, on est très bien armé, nous disait le Russe, nous avons beaucoup de blindés. Nous en avons informé nos supérieurs, mais ils ont fait la sourde oreille. Ils avaient du mal à croire qu’au bout d’un ou de deux mois de combats en plein hiver, les Russes auraient toujours la force de passer à l’attaque. Tout cela se passait le 17 novembre. Le 19 novembre 1942, à quatre heures du matin, la grande contre-offensive russe s’est déclenchée sur le Don et à Stalingrad ».


    Plus de 300.000 soldats roumains ont perdu la vie lors de la bataille livrée à la boucle du Don. Dans une interview accordée en 1998, le notaire Mircea Munteanu remémore sa participation à la guerre. Il fut blessé et il s’est vu obliger de se retirer pour recevoir des soins médicaux dans des conditions extrêmes.



    Pourtant, son témoignage ne fait que renforcer l’idée qu’à la guerre, même blessé et théoriquement mis hors danger, le soldat continue à subir des souffrances parfois atroces: « L’attaque a commencé le 29 novembre, sur la rive du fleuve Don. Une balle m’a transpercé la clavicule et l’omoplate gauches. Blessé, je me suis retiré sur un char allemand. En route, j’ai croisé deux majors qui m’ont demandé de descendre du char et de les rejoindre. Je leur ai dit que le commandant de notre peloton avait été tué à la baïonnette par les Russes. Ils ont pansé mes blessures. Et puis nous sommes arrivés à une ferme, en fait un kolkhoze, appelé Frunza, la Feuille. J’y a rencontré un sergent qui m’a offert du pain et une boîte de conserve. Il m’a conseillé de me rendre au village voisin, où il y avait des chariots du Régiment 16 d’infanterie. J’y suis allé, mais j’avais très mal à l’épaule, car j’avais fait le chemin à cheval en traversant un champ enneigé. La neige n’était pas trop épaisse, mais il faisait affreusement froid et je saignais, car le bandage avait décollé. Je ne pouvais plus monter à cheval, parce que j’avais les bottes gelées. Faute de boussole, je m’orientais d’après la lune. Je ne voyais rien. Et tout d’un coup, j’ai aperçu un village. J’ai entendu la sommation, en roumain, d’une sentinelle. Je lui ai demandé où trouver un aide-soignant pour me faire panser. On m’a dit qu’il y avait un vétérinaire. Je me suis remis à marcher aux côtés d’autres blessés. Nous avons parcouru une trentaine de km derrière la ligne de front. Là, il y avait un bain pour les soldats et un hôpital. Les Allemands ont jeté à l’étuve nos uniformes tachés de sang. Finalement, nous avons embarqué dans les wagons d’un train de bétail qui nous a emmenés en Pologne.»



    Considérée par les historiens militaires comme la plus sanglante de l’histoire, la bataille de Stalingrad a marqué un tournant dans la guerre menée sur le front de l’Est. Ce jugement, c’est nous qui le faisons maintenant, car, à l’époque, les gens espéraient toujours dans un autre dénouement de l’histoire. (trad : Ioana Stăncescu, Mariana Tudose)