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  • Le début de l’utilisation du roumain comme langue liturgique

    Le début de l’utilisation du roumain comme langue liturgique

    Les livres et la culture n’étaient pas les uniques domaines appartenant à l’Eglise, c’était aussi le cas de l’éducation et de la santé. Quant aux livres, ceux-ci avaient la mission de former les fidèles d’un point de vue théologique et intellectuel en faisant circuler la parole de Dieu.

    Au 16e siècle, une des caractéristiques de la Réforme religieuse du monde chrétien fut la traduction de la Bible dans les langues vernaculaires. Cela a entraîné la baisse du prestige des langues liturgiques, tel le latin en Occident et le grec et le slavon en Orient, parce que les gens simples voulaient comprendre ce qui était dit pendant les services religieux.

    Dans l’espace chrétien – orthodoxe dont les Roumains faisaient partie, un espace dominé d’un point de vue géoculturel par le modèle ottoman, la réforme religieuse a pénétré à petits pas. Les changements venus de l’Occident se faisaient néanmoins sentir et la hiérarchie de l’Eglise devenait de plus en plus réceptive aux besoins de ses fidèles. Sous l’influence du luthéranisme et du calvinisme, le diacre orthodoxe Coresi a traduit les 4 évangiles et les a fait imprimer entre 1556 et 1583 à Braşov, ville se trouvant aujourd’hui au centre de la Roumanie.

    Les débuts des traductions en roumain des textes sacrés remontent aux années 1640. Pour davantage de détails, nous nous sommes adressés au traducteur Policarp Chițulescu : « L’attention et l’amour des prêcheurs de l’Evangile de transmettre la Parole de Dieux d’une manière fidèle et compréhensible a favorisé l’apparition des traducteurs et des traductions. Les sources des traductions dans l’espace roumain sont à retrouver, évidemment, dans la culture byzantine. Même si les Roumains se sont orientés à un moment donnée vers la culture slave, qui est devenue très forte et a influencé la culture roumaine, celle-ci n’était pas une culture originale, c’était toujours une culture de facture byzantine. Les textes gagnaient l’espace via le Mont Athos et Constantinople, vu que les Roumains, par la métropolie de Valachie, appartenaient à la Patriarchie Œcuménique de Constantinople. Ce recours aux textes byzantins était une manière de légitimer l’authenticité des textes, il s’agissait en fait d’aller directement aux sources et non pas de contourner les variantes slavonnes. »

    Dans l’espace roumain donc, la culture religieuse suivait encore timidement la voie ouverte par la Réforme. Les historiens expliquent cette timidité par la crainte que le prosélytisme réformé ne se répande dans les milieux orthodoxes. Dans les siècles qui suivirent, l’orthodoxie roumaine allait approcher de plus en plus le phénomène appelé « la roumanisation » du langage liturgique.

    Le traducteur Policarp Chițulescu explique : « La « roumanisation » du culte signifie l’accès d’un nombre très grand de personnes au message divin. Bien que les Roumains n’aient pas tenu les messes en langue roumaine, cela ne veut pas dire que le roumain n’était pas utilisé à l’église. Les chroniques, les sermons, tous les textes sacrés étaient en roumain. Ce furent les premiers recueils de textes imprimés sans aucune crainte. « Cazania de Govora », un des premiers livres expliquant l’Evangile fut imprimé à Govora en 1642, ouvrant la voie à l’apparition de textes similaires. D’où le besoin de mettre sur pied des imprimeries afin de compléter l’activité des ateliers où les livres étaient copiés, une pratique qui a été maintenue jusqu’au 20e siècle. »

    La hiérarchie de l’Eglise devenait de plus en plus persuadée que le passage du slavon au roumain rapprochait davantage les fidèles de Dieu. C’est pourquoi l’Eglise elle-même encourageait les traductions et les parutions en langue roumaine, affirme Policarp Chițulescu : « C’est avec beaucoup de prudence, de tact et de patience que l’on a fait les premiers pas vers « la roumanisation » du culte, vers l’introduction des messes en langue roumaine, puisqu’à l’époque seules les messes en grec, en slavon, en hébreu et en latin étaient permises, car considérées comme des langues sacrées. Le métropolite de la Valachie, Ștefan, était un érudit. Des débats théologiques étaient organisés à sa résidence de Târgoviște. Il nous a laissé en héritage un très beau manuscrit, en trois langues – slavon, grec et roumain. Il affirme clairement sa foi dans une préface parue à Târgoviște en 1651. Le métropolite Ștefan est connu comme le premier à avoir récité le Crédo orthodoxe en roumain à l’intérieur de l’église, mais aussi et surtout pour ses initiatives d’uniformiser les cérémonies religieuses, pour que tous les prêtres célèbrent les messes de la même manière dans toutes les églises et tous les monastères de sa métropolie. »

    Une fois dépassée la peur du prosélytisme religieux, les nouvelles tendances ont été perpétuées jusqu’à la traduction intégrale de la Bible en langue roumaine, à Bucarest, en 1688.

    Policarp Chițulescu ajoute : « Un autre prélat érudit qui a poussé à des progrès, fut le métropolite Teodosie de Valachie. Il a encouragé de manière tacite l’introduction de la langue roumaine dans le culte, étant considéré comme un facteur conservateur. En 1680 il a fait paraître des textes différents par rapport au métropolite Ştefan, qui avait fait imprimer plusieurs livres religieux en langue roumaine, mais non pas le missel orthodoxe, c’est-à-dire le livre liturgique dans lequel on trouve tous les textes nécessaires à la célébration de la messe. Teodosie a été celui qui a fait imprimer ce missel en Roumain, au bénéfice « des prêtres et des diacres », selon ses propres paroles. Peu à peu, les livres religieux ont commencé à contenir de plus en plus de prières en Roumains. Enfin, en 1688, il a également béni l’apparition des Saintes Ecritures en langue roumaine. »

    Début 18e siècle, le changement était irréversible : le Roumain avait déjà remplacé le slavon dans les cérémonies religieuses tenues dans les églises orthodoxes roumaines. (Trad. Valentina Beleavski, Alex Diaconescu)

  • La première traduction roumaine de l’Ancien Testament

    La première traduction roumaine de l’Ancien Testament

    Le 17e siècle a marqué un tournant dans le développement, y compris culturel, des deux principautés roumaines de Valachie et de Moldavie. Si jusqu’alors, les offices religieux ainsi que les documents administratifs officiels utilisaient le grec et le slave ancien, dans les années 1600, notamment pendant la seconde moitié du 17e siècle, ces langues commencent à être remplacées par la langue du peuple: le roumain. Ce changement commence par les textes religieux, les Roumains étant d’ailleurs le premier peuple majoritairement chrétien orthodoxe à avoir traduit la Bible dans leur langue.

    En 1648 est imprimée, à Alba Iulia, en Transylvanie, la version roumaine du Nouveau Testament – connu sous le nom de « Nouveau Testament de Bălgrad », nom slavon de la cité. 40 ans plus tard, en 1688, voit le jour l’ensemble des Ecritures, connues sous le nom de « La Bible de Bucarest », imprimée avec le soutien du prince régnant de Valachie de l’époque, Şerban Cantacuzino. Une troisième traduction est réalisée entre les deux, soit entre 1661 et 1668, par le connétable Nicolae Milescu. C’est à cet érudit que nous devons la première traduction intégrale en roumain de l’Ancien Testament, la principale source ayant été le texte grec de la Septante, parue à Francfort, en 1597. Cette traduction est d’autant plus importante qu’elle est réalisée par une personnalité qui occupe une place spéciale dans la culture et le monde politique de l’époque.

    Le connétable Nicolae Milescu (1636 – 1708) est un des érudits roumains qui, aux côtés de Dimitrie Cantemir, se sont fait connaître au-delà des frontières de leur Moldavie natale. Le professeur Eugen Munteanu, de l’Université « Alexandru Ioan Cuza » de Iaşi, nous explique pourquoi : « Il est connu notamment grâce à un événement culturel et diplomatique d’envergure européenne : il s’est trouvé à la tête d’une grande délégation envoyée par le tsar Alexis Ier en Chine. De ce périple, il allait ramener quelques textes importants, des journaux de voyage, faisant ainsi connaître aux Européens ce grand empire d’Asie. Le connétable Milescu est l’auteur d’une importante œuvre écrite en roumain, slave ancien, latin et partiellement en grec, mais restée malheureusement manuscrite. »

    Nicolae Milescu avait environ 25 ans lorsqu’il a commencé à traduire en roumain la version grecque de l’Ancien Testament : la Septante. La Maison d’édition de l’Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi a récemment publié une édition annotée de cette traduction conservée par la filiale de Cluj de la Bibliothèque de l’Académie roumaine, où elle était appelée le Manuscrit 45.

    Pourquoi cette première version roumaine de la Septante est-elle importante ? Eugen Munteanu : « La Septante est la première version de l’Ancien Testament traduite de l’hébreux dans une autre langue, qui était le grec. Ce texte en grec de l’Ancien Testament est la première Bible du christianisme. En tant que texte littéraire et religieux, la Septante était extrêmement intéressante pour les philologues. Or, de nos jours nous constatons que le premier Européen à avoir traduit la Bible à partir non pas de sa version judaïque ou latine, mais de celle grecque, a été le Roumain Nicolae Milescu. Qu’est-ce qui a pu déterminer un jeune érudit de 25 ans à s’atteler à une telle tâche ? Il n’y a aucun indice direct qui nous aide à répondre à cette question. On peut pourtant supposer que Milescu se trouvait au centre de certains débats sur ce thème, dans lesquels étaient engagés les érudits de l’époque. Il avait été formé à la haute école du Patriarcat de Constantinople, la plus importante institution d’enseignement supérieur de son temps. Nicolae Milescu avait également connu les idées de l’humanisme italien, car nombre de ses professeurs de Constantinople venaient de Padoue. Il faisait donc partie d’une élite d’érudits très conscients de leur devoir envers leur langue maternelle ».

    Le Manuscrit 45 de la filiale de Cluj de la Bibliothèque de l’Académie roumaine, avec ses plus de 900 pages, est une véritable œuvre d’art – estime le professeur Eugen Munteanu : « Le texte s’est conservé sous la forme d’un très beau manuscrit, très élégant, un vrai chef-d’œuvre. Il est écrit à l’encre noire et rouge, avec des initiales enjolivées. Ce manuscrit est une copie très soignée, réalisée vers la fin du 17e siècle, par un copiste, Dumitru de Câmpulung, sur l’ordre du métropolite de Valachie de l’époque. Ce n’est donc pas le manuscrit original de Nicolae Milescu. En 1661, le connétable Nicolae Milescu, âgé alors de 25 ans, se trouvait en mission diplomatique à Constantinople, comme ambassadeur du prince régnant de Valachie, malgré son origine moldave. Durant les 4 premières années, il a travaillé assidûment à cette traduction. Ensuite, il a continué, probablement jusqu’en 1668, pendant ses pérégrinations à travers l’Europe. On considère qu’en 1668, le texte était fini et qu’il arriva d’abord à Iaşi, ensuite à Bucarest. C’est sur lui que repose la Bible imprimée en 1688. »

    Depuis 2016, le public a enfin accès à cette traduction publiée sous le titre : « L’Ancien Testament – La Septante. Version du connétable Nicolae Milescu. » ( Trad. : Dominique)