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  • Ana Pauker

    Ana Pauker

    Il fut un temps où le simple fait d’évoquer le nom de Ana Pauker faisait frissonner l’interlocuteur. Dans l’histoire du régime communiste roumain, cette femme de poigne, militante de la première heure, membre du premier gouvernement rouge installé à Bucarest, occupe une place certainement à part.

     

    Ses origines et son parcours politique

     

    Née en 1893 dans le département de Vaslui, situé à l’est de la Roumanie, au sein d’une famille juive orthodoxe, comptant un grand-père rabbin, Hana Rabinsohn, mieux connue sous le nom d’Ana Pauker, rencontre en France celui qui deviendra son mari et le père de leurs trois enfants, Marcel Pauker, juif né à Bucarest et communiste radical, engagé au sein de l’Internationale communiste.

     

    Devenue agent soviétique, arrêtée et condamnée d’abord en 1922, puis en 1935, elle sera libérée, puis expulsée en 1941 en l’URSS à la suite d’un échange de prisonniers. Durant sa détention, son époux, Marcel Pauker, avait été exécuté, en 1938, à Moscou, lors des purges staliniennes, accusé d’espionnage à la solde de l’Occident. Pendant la guerre, Ana Pauker prendra la tête du groupe des militants communistes roumains réfugiés à Moscou, connus sous la dénomination de « faction moscovite » du parti communiste roumain.

     

    Son portrait dressé par les Soviétiques

     

    C’est en 1994 que le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine invite à son micro le docteur Gheorghe Brătescu, gendre d’Ana Pauker, qui fait revivre le temps d’une interview la personnalité contrastée de sa belle-mère.

     

    Gheorghe Brătescu commence par citer une caractérisation réalisée par les Soviétiques :

    « Dans ce document, rédigé en 1946, les Soviétiques soulignent que la « camarade Pauker est une idéologue chevronnée, bénéficiant d’une grande influence au sein du parti communiste roumain. Que c’est elle qui dirige dans les faits les travaux du comité central du parti. Que son image jouit aussi d’une notoriété importante au sein des Roumains, grâce à sa longue période de militantisme communiste déroulé dans des périodes hostiles. Qu’elle dirige par ailleurs le groupe parlementaire des communistes au sein du parlement roumain, tout en assurant les liens entre les communistes roumains et les autres partis membres de la coalition au pouvoir à Bucarest. Le document soviétique met également en exergue sa place de premier ordre au sein de la Fédération Démocratique Internationale des Femmes. Mais ce même document se montre plus critique à son égard, estimant qu’Ana Pauker ne fait pas assez pour raffermir le parti communiste roumain sur le plan idéologique et du point de vue organisationnel ».    

     

    Le sort tragique d’Ana Pauker

     

    La fin de la Seconde Guerre mondiale et l’occupation de la Roumanie par l’Armée rouge ouvre un boulevard aux communistes. Elue secrétaire du Comité central du parti communiste roumain, Ana Pauker deviendra la première femme ministre des Affaires étrangères de la Roumanie après l’abdication contrainte du roi Michel, le 30 décembre 1947.

     

    Pourtant, au début des années 1950, la lutte intestine au sein du parti communiste roumain, à l’instar des autres partis communistes du bloc soviétique, fait rage. En 1952, le secrétaire-général du parti, Gheorghe Gheorghiu-Dej, tentant d’éliminer les concurrents potentiels, démarre une vague d’épurations à la tête du parti. Ana Pauker et Vasile Luca, autre membre de premier plan de la faction moscovite du parti, seront les premiers visés. Accusés de déviationnisme et de sabotage, les deux anciens caciques communistes seront emprisonnés. Lucrețiu Pătrășcanu, autre communiste marquant et autre possible contre candidat de Dej à la tête du parti, sera lui exécuté.

     

    En 1953, Ana Pauker sera pourtant libérée mais contrainte de garder son domicile. L’année suivante, elle se verra exclue du parti. Vers la fin de sa vie, survenue en 1960, elle travaillera comme traductrice de français et d’allemand pour la maison d’édition officielle du parti. Elle fera partie de l’équipe de traducteurs chargés de la première édition parue en langue roumaine des œuvres complètes de Karl Marx et Friedrich Engels.

     

    Le changement de régime n’aide pas à la réhabilitation de son image

     

    L’arrivée au pouvoir de Nicolae Ceausescu en 1965 a été marquée par la volonté du nouveau leader de réhabiliter la mémoire de certains communistes de la première heure déchus par son prédécesseur, Gheorghiu-Dej. Ce ne fut pourtant pas le cas d’Ana Pauker, qui demeura encore le paria du régime à l’avènement duquel elle avait tout donné.

     

    Gheorghe Brătescu :

    « L’on n’a jamais tenté sa réhabilitation politique. Même le poste auquel on l’avait reléguée, son travail de traductrice se déroulait dans des conditions indignes. Elle vivait comme une pestiférée. Tant qu’il avait été en vie, l’ancien secrétaire-général du parti, Gheorghiu-Dej, la craignait. Elle était potentiellement sa principale concurrente politique. Ce n’est qu’après 1968 que l’on a timidement commencé à mentionner son nom. Pour l’anecdote, en 1961, soit un an après sa mort, on lui a retiré tous les titres et les décorations reçus. C’est dire combien fut-ce sa mémoire était crainte par ses anciens camarades ».   

     

    Une femme isolée à la fin de sa vie

     

    Peu de ses anciens amis osaient encore la contacter dans la période 1953-1960. L’un de ces rares amis a été l’avocat Radu Olteanu, un des défenseurs des communistes lors des procès des années 1930, l’autre, une ancienne collègue de cellule.

     

    Gheorghe Brătescu :

    « Cette camarade de prison, Maria Andreescu, une ouvrière, était la seule qui osait lui rendre encore visite sans réserve. Les autres maintenaient des relations plus distantes. A ses obsèques furent pourtant présents quelques-uns de ses anciens camarades, dont le premier secrétaire-général du parti communiste roumain, un traître opportuniste, Gheorghe Cristescu. Mais il se devait être présent, représentant l’ancien mouvement socialiste qui donna naissance au parti communiste roumain ».

     

    Aveuglée par les idéaux d’une société de justice sociale, sourde devant la terreur par laquelle cette dernière entendait s’instaurer, Ana Pauker fut un de ces enfants dévorés sans pitié par la révolution qu’elle avait pourtant appelée de tous ces vœux.  (Trad Ionut Jugureanu)

  • Le Plan Z

    Le Plan Z

    Un contexte mitigé

     

    Occupés après 1945 et soumis à des régimes communistes inféodés à Moscou, les pays d’Europe centrale et orientale ne disposaient pratiquement d’aucune stratégie de défense nationale, étant à la merci de l’Union soviétique. Un grand frère soviétique qui n’a pas hésité à occuper la Hongrie en 1956 et la Tchécoslovaquie en 1968 pour tuer dans l’œuf les tentatives réformistes des dirigeants communistes locaux. Se sentant menacée également par une possible agression soviétique, la Roumanie, seul Etat du bloc communiste ayant condamné l’invasion de la Tchécoslovaquie, chercha à élaborer un plan de défense nationale, agencé autour de ce que le dirigeant roumain de l’époque, Nicolae Ceaușescu, a appelé la doctrine militaire de « guerre populaire ».

     

     

    Un plan pour mettre à l’abri la famille dirigeante

     

    Le général Neagu Cosma, qui a travaillé dans les structures de sécurité du régime d’avant 1989, dévoilait en 2002 dans une interview conservée par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, les détails de ce que la presse allait appeler le Plan Z. Un plan conçu dès le départ dans la logique de toute stratégie de sécurité nationale.

     

     

    Neagu Cosma : « L’on avait analysé tout d’abord un bon nombre de plans concernant les possibilités d’évacuation de l’administration, du commandement des opérations militaires ainsi que du commandant suprême dans l’éventualité d’une guerre. Certains ont prétendu par la suite que ces plans étaient conçus pour que Ceausescu et sa famille puissent se mettre à l’abri. Ce que je puis vous répondre c’est que les plans de sauvetage et d’évacuation de Ceausescu dans l’éventualité d’une invasion militaire respectaient les règles habituelles prévues dans de telles situations par n’importe quel Etat au monde. Ceausescu était le commandant suprême de l’armée, et dans n’importe quelle armée et dans n’importe quel pays, le commandant et le commandement doivent disposer d’un plan d’évacuation, pour qu’ils puissent continuer d’exercer leurs missions en sécurité. »

     

    Qu’est-ce que “Le Plan Z” ? 

    Baptisé Rovine IS 70, le plan Z visait à assurer la survie des éléments essentiels de l’État roumain dans des circonstances extrêmes.

     

    Neagu Cosma : « Le plan reçut finalement le nom de code Rovine IS 70. Après l’effondrement du régime communiste fin 1989, la presse l’appela le plan Z. Le plan était censé être mis en œuvre lorsque, à la suite d’un acte d’agression dirigée contre la Roumanie, apparaissait le danger imminent d’occupation temporaire de la capitale et d’une partie du territoire. En l’absence de ce plan, une occupation aurait paralysé la lutte de résistance armée. Il fallait donc pouvoir assurer le sauvetage efficace du commandant suprême et du commandement militaire. Selon ce plan de sauvetage, Nicolae Ceauşescu devait être exfiltré du siège du Comité Central du parti communiste par le tunnel qui relie le bâtiment du Comité Central à l’ancien Palais Royal qui se situe juste en face. »

     

     

    Une stratégie en 8 points

    Le plan organisait, entre autres, la guérilla, le sabotage, le retrait de l’armée jusqu’à la frontière avec la Yougoslavie et la sauvegarde de Ceaușescu et de la direction de l’armée dans l’éventualité d’une invasion soviétique. Conçu en 8 points, il a été amélioré au fil des années.

     

    Neagu Cosma : « Il fallait tout d’abord s’assurer que la radio et la principale chaîne de la télévision publique puissent continuer d’émettre. Préparer et mettre en place les équipes chargées du sabotage des troupes de l’envahisseur. Evacuer ensuite le quartier général et le commandant suprême, soit exfiltrer Ceaușescu du siège du Comité Central du parti communiste, au cas où ce dernier aurait été encerclé. L’on avait par ailleurs planifié de concevoir un détecteur des radiations nucléaires à l’Institut de recherches en Physique atomique de Măgurele. Il fallait aussi sécuriser les routes situées au sud des Carpates tout comme les voies de passage qui traversaient les Carpates en vue de leur utilisation en cas de retraite précipitée. Le plan précisait également le lieu de redéploiement des institutions essentielles au bon fonctionnement de l’Etat dans l’éventualité de l’occupation de la capitale par l’ennemi. Une autre mesure prévoyait la mise en place d’une commission mixte composée du ministre des Transports, du chef de la section organisation du Comité Central du parti communiste et des spécialistes pour étudier et présenter des propositions visant à réguler le trafic ferroviaire et routier entre Bucarest et Timisoara dans l’éventualité d’une agression militaire. Enfin, les documents qui relevaient de la sécurité nationale avaient été microfilmés, pour être facilement transportables au besoin, et la méthode de cryptage qui servait aux communications secrètes allait être changée ».

     

    L’échec du Plan Z

    Mais l’impopularité croissante du régime et le cynisme du couple Ceaușescu ont fait que le plan Z se soit avéré inapplicable au mois de décembre 1989, échouant à protéger la liberté et la vie de Nicolae Ceaușescu, victime cette fois de la fureur des masses populaires révoltées.

     

    Neagu Cosma : « Ça n’a pas marché à ce moment-là, parce qu’il n’y avait plus personne pour l’appliquer. En 1989, plus personne n’était disposé à mettre en œuvre ce plan de sauvetage du dictateur, pas même un seul, car ils en avaient tous marre. Même les officiers de sa garde rapprochée ont fait défection. Le vent avait tourné, et ils avaient senti cela. C’est pourquoi le Plan Z, comme on l’a finalement appelé, n’a pas été déclenché. Il n’avait plus personne qui soit disposé à l’appliquer. »

     

    Au mois de décembre 1989, le régime communiste implosa, et les structures censées assurer la protection de son leader l’abandonnèrent. Aussi, la Roumanie tournait la page de 45 années de dictature communiste. (Trad. Ionut Jugureanu)