Tag: chanvre

  • L’école des anciens

    L’école des anciens

    Mariana Mereu a grandi dans le village de Geoagiu de Sus, dans le département d’Alba (centre), au sein d’une communauté attachée aux traditions, dans laquelle la couture, le tissage, les danses et les chants traditionnels avaient une place centrale. Aujourd’hui elle continue de promouvoir ces traditions. Pour ce faire, elle a participé à des foires du tourisme, des expositions et conférences thématiques et a fait l’acquisition d’une importante collection ethnographique. Mariana Mereu a aussi organisé « l’Ecole des anciens » (Şcoala bunicilor), où ceux qui le désirent peuvent apprendre l’art de tisser, de coudre ou de cultiver et travailler le chanvre afin de fabriquer des objets artisanaux.


    Mariana Mereu a fait de sa maison une école, « l’Ecole des anciens », un lieu de transmission des traditions :



    « J’ai toujours gardé et pris grand soin de mes costumes traditionnels, je n’ai jamais rien jeté parmi les vieux objets de la maison. Le métier à tisser à toujours fait partie des meubles et ma mère et ma grand-mère l’utilisaient. J’ai pris goût au tissage, à la couture et au filage de la laine. J’adore ça, si je pouvais je ne ferais que ça. J’aimerais que tout le monde puisse apprendre, les enfants, les gens de tout âge et de tout horizon. Même ici, au village, j’ai organisé des veillées et des ateliers. »



    Mariana Mereu constate, à regret, que ce sont surtout les étrangers qui s’intéressent à ces traditions.



    « L’année dernière nous avons accueilli une famille de Français à qui nous avons appris à coudre et à tisser, et qui s’est rendue dans la région du Maramureş (dans le nord de la Roumanie) pour apprendre à faucher l’herbe. Ils ont payé afin d’apprendre tout ça. Voilà où nous en sommes aujourd’hui ! Très peu de jeunes savent encore faucher de nos jours, car tout est automatisé. Ils peuvent le faire s’ils sont payés, car ils ont besoin de gagner leur vie comme tout le monde. »



    Mariana Mereu nous a raconté avec passion comment elle cultive le chanvre, le file et le tisse, et son envie de partager ces traditions ancestrales avec les autres. Pour le reste, elle fabrique des serviettes et costumes traditionnels en fibre de chanvre.



    « Cela fait maintenant sept ans que je cultive le chanvre. J’ai commencé sur le métier à tisser chez une dame qui n’est plus là aujourd’hui, et qui avait du chanvre dans son grenier. Ce n’est pas une mince affaire. Il faut obtenir des autorisations, c’est très difficile. Et quand on croit que tout est réglé, un nouveau problème se présente. La préparation du chanvre aussi est un sacré travail. Il faut le faire sécher, puis faire de petits paquets que l’on met de nouveau à sécher, avant le rouissage. On recouvre le tout de pierres afin de les maintenir sous l’eau, et après une semaine, lorsque la fibre commence à se détacher de la tige, alors c’est qu’il est prêt. On recueille la fibre, on la nettoie et on la met de nouveau à sécher. Lorsqu’elle commence à joliment blanchir, on peut la tiller, la peigner, la filer et la travailler. C’est un processus long et fastidieux, mais cela vaut la peine. On fait quelque chose de ses propres mains, à partir d’une plante, faire une blouse roumaine, c’est magique ! Honnêtement, je ne fais pas ça pour l’argent. Personne ne semble apprécier ce travail à sa juste valeur. Cela m’affecte, et si je ne reçois pas le juste prix, je renonce et je me contente de faire des cadeaux. »



    Mariana Mereu regrette que le travail effectué par les femmes et les jeunes filles désireuses de partager ces traditions ne soit pas reconnu à sa juste valeur.



    « Par exemple, lorsque l’on demande 50 lei (10 euros) pour une paire de bas de laine ou en fibre de chanvre, les clients trouvent ça trop cher. Mais une paire de bas ne se fabrique pas en une journée ! L’été, les bas de laine empêchent la transpiration, car la laine est vide à l’intérieur, comme les macaronis, idem pour le chanvre. Cela tient chaud en hiver, et permet de rafraîchir en été. »



    Puisqu’elle travaille le chanvre, Mariana Mereu a décidé de créer une fête en son honneur. C’est ainsi qu’elle a célébré l’été dernier la 4ème édition de la Journée du chanvre, à laquelle ont aussi pu participer les touristes. Les plus curieux ont pu découvrir l’ensemble du procédé, de la plantation à la récolte de la fibre utilisée dans la fabrication de vêtements, de tissus et de costumes traditionnels, à l’époque où chaque foyer cultivait et travaillait son propre chanvre.


    Notre interlocutrice espère voir ces traditions retrouver du soutien.



    « Je souhaiterais vraiment que les responsables politiques décident de rémunérer les artisans qui effectuent ce travail, ainsi que ceux qui souhaitent l’apprendre. J’ai cru comprendre que c’était le cas dans d’autres pays. C’est une bonne motivation pour ceux qui travaillent, cela les encourage à continuer. Ils n’ont pas à avoir honte d’être paysans, ni d’être roumains. Ils ne doivent pas oublier leur langue, leur tenue vestimentaire, car on dit que la culture d’un peuple doit se porter tel un vêtement de fête ! De quel vêtement de fête parle-t-on ici ? Du costume traditionnel ! J’encourage tout le monde à essayer, au moins une fois, de tenir une quenouille entre les doigts, à voir à quoi ressemble un mouton. Si l’on ne sait pas faire tout ce travail, on n’a aucun moyen d’en apprécier le résultat. »



    Mariana Mereu et les membres de son association sont convaincus du potentiel touristique de la région et du talent de ses artisans. C’est pourquoi ils souhaitent que Geoagiu de Sus soit la plus visible possible sur la carte culturelle et touristique du département.


    (Trad : Charlotte Fromenteaud)

  • « Nous tordons/tournons le chanvre vers l’avenir »

    « Nous tordons/tournons le chanvre vers l’avenir »

    Nous sommes à
    Bucarest, au Musée du paysan roumain, un endroit où le passé est bien présent.
    Mais cette fois-ci, le musée nous invite à tourner nos regards vers l’avenir
    aussi. L’exposition « Nous tordons/tournons le chanvre vers l’avenir
    » est un événement pluridisciplinaire unique en Roumanie, le premier
    consacré au chanvre, cette matière qui lie la tradition ancienne à l’écologie
    contemporaine. Objets d’art, installations, spectacles donnés par des
    interprètes traditionnels, démonstrations de tissage avec des femmes qui gardent
    cette tradition au Maramureş, contrée du nord de la Roumanie, mais aussi
    conférences sur des sujets liés à l’économie circulaire – l’affiche de cette
    exposition est très riche. L’occasion de marquer aussi les 10 ans écoulés
    depuis la création de la marque Patzaichin, soutenue par l’Association homonyme,
    fondée par le célèbre sportif roumain Ivan Patzaichin, multiple lauréat des
    Jeux Olympiques à l’épreuve de canoë- kayak. Son association lutte pour le
    développement local du delta du Danube, dont le sportif est originaire, mais
    aussi pour le développement d’autres régions de Roumanie.






    Lors du
    vernissage de cette exposition pas comme les autres, Florica Zaharia,
    conservateur au Musée métropolitain d’art de New York et directrice du Musée
    des textiles de Băița (département de Hunedoara, dans l’ouest de la Roumanie),
    nous a parlé de cette matière si spéciale qu’est le chanvre : « Nous avons été invités à participer à
    cette exposition par l’Association Patzaichin et nous sommes très contents de
    pouvoir y présenter des objets de la collection du Musée des textiles. Et ce
    parce que le chanvre est tout aussi important que la laine. En fait, ce sont
    les deux textiles les plus importants dans la culture roumaine, suivis par le
    lin. Cela fait plusieurs années que le chanvre n’est plus cultivé, pour de
    multiples raisons. Toutefois, il faudrait reprendre sa culture, puisque c’est
    un fil extraordinaire qui peut fournir de nombreuses ressources. Le chanvre et
    le lin sont deux fibres extrêmement importantes. S’y ajoute le coton. Ils ont
    été utilisés pour fabriquer les vêtements d’été, des tissus pour l’intérieur,
    tels le linge de lit ou les nappes. La laine, elle, assure le confort durant la
    saison humide et froide. La spécificité de la laine roumaine, c’est sa fibre
    dure. C’est valable pour toute la région des Balkans et des Carpates. Je suis
    persuadée que la personne qui essaie une chemise en chanvre hésitera par la
    suite d’acheter un vêtement synthétique. Les vêtements en chanvre ont cette
    qualité exceptionnelle de permettre au corps de respirer et de protéger en même
    temps des intempéries. »






    La même Florica
    Zaharia nous a présenté les objets que le Musée des textiles a décidé de
    présenter à l’exposition organisée par le Musée du paysan roumain de Bucarest :
    « Une des catégories les plus importantes, ce sont les échantillons de tissus,
    car ils témoignent de la complexité du processus technologique de la production
    et de la sélection les fibres de chanvre selon des critères de qualité. On
    expose donc des objets utilisés dans la vie quotidienne et des objets destinés
    aux moments de fête. S’y ajoutent deux chemises de la région des Monts Apuseni,
    et une autre de la région des Pădureni. On constate ainsi que le chanvre s’est
    répandu sur l’ensemble de la zone des Carpates. On expose aussi des objets de
    la culture japonaise. Pourquoi est-ce important ? Parce qu’il s’agit de la
    même matière, travaillée différemment, c’est une technologie différente qui
    correspond aux demandes de fibre des pays asiatiques. Au Japon, le fil n’est
    pas tordu, il est formé en tressant les bouts des fils. En résulte un tissu
    semblable à une feuille de papier. Ce fil n’a pas le même volume que le fil
    tordu. C’est ce que notre musée souhaite montrer à chaque fois : placer la
    culture roumaine et les textiles roumains dans un contexte global. Parce qu’en
    comprenant les autres cultures, on se comprend mieux nous-mêmes. »






    La culture
    traditionnelle roumaine a été mise à l’honneur non seulement à l’aide de
    tissus, mais aussi via d’autres manifestations de l’art. L’artiste
    international Mircea Cantor y était présent aussi : « Pour moi, cette
    exposition est un hommage rendu à tous ceux qui par leurs mains et par leurs
    voix perpétuent aujourd’hui la mémoire reçue en héritage. Ces tisseuses et
    tisserandes, ces maîtres artisans du Maramureş, ces chanteurs qui, par ce qu’ils
    ont hérité de leurs ancêtres, nous montrent à quel point la tradition et les
    racines sont importantes, à quel point il est important de les garder vives, de
    les promouvoir et d’intégrer toute cette beauté de leur travail, leurs
    vêtements, leurs sculptures, leurs chants de noces. Tout cela forme un trésor
    très précieux que la Roumanie a la chance de garder encore. Chacun l’approche à
    sa manière et j’en suis vraiment touché. Ce qui m’a impressionné chez Ivan
    Patzaichin, ce sont sa passion et son attention pour le chanvre, qui fut un
    véritable bouclier de protection du peuple roumain. Car, à regarder dans le
    passé, les vêtements en chanvre appartenaient aux paysans, à la couche sociale
    la plus défavorisée. L’Association Patzaichin a perpétué cette tradition et a
    montré qu’il est possible de transformer un objet humble en objet noble. Voici
    son mérite : continuer à travailler avec des fabriques roumaines, avec des
    Roumains, à créer des emplois en Roumanie, justement en valorisant cette matière
    qui revient sur le devant de la scène de l’agriculture mondiale. »






    Aux côtés du
    même Mircea Cantor, lauréat du prestigieux Prix Marcel-Duchamp en 2011, nous
    avons réfléchi sur l’avenir du chanvre dans la société roumaine : « A mon
    avis, il faut parier sur la Roumanie, parce que nous avons beaucoup de terrains
    et de gens et de savoir-faire aussi. Il suffit d’y investir. C’est à la classe
    politique de se rendre enfin compte qu’il existe un énorme potentiel à
    valoriser. En matière d’artisanat aussi, car il existe toujours des gens qui
    savent tordre et cultiver le chanvre et ils devraient être encouragés par des
    politiques économiques et culturelles.»






    Ceci dit,
    l’exposition du Musée du paysan roumain de Bucarest prouve encore une fois que
    les traditions sont toujours vivantes en Roumanie et que cela vaut vraiment la
    peine de les découvrir et de les perpétuer. (Trad. Valentina Beleavski)