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  • La lutte contre les pandémies au fil du temps

    La lutte contre les pandémies au fil du temps

    Les épidémies et les pandémies ont depuis toujours jalonné l’histoire de l’humanité. Et les hommes les ont de tous temps combattus de la meilleure manière qu’ils le pouvaient, en fonction des connaissances et des moyens dont ils disposaient à leur époque. Les communautés ont souvent fait preuve de solidarité, et se sont mobilisées pour les combattre ensemble, en faisant fi des barrières culturelles et politiques, des barrières nationales et ethniques. Dans les pays roumains, il n’en fut pas autrement.

    Au 19e siècle déjà, l’observance de la quarantaine, l’emploi de premiers médicaments, et l’intervention résolue des pouvoirs publics ont montré pour la première fois leur efficacité, aidant grandement à l’extinction des épidémies.Ainsi, en ce début du 19e siècle, l’espace roumain se voyait frapper par la peste, maladie terriblement crainte à l’époque, maladie des agglomérations urbaines en particulier. Et les mesures prises à l’occasion pour tenter de l’endiguer seraient aujourd’hui perçues pour le moins répressives, ce qui n’empêche pas qu’elles se soient, avec le recul du temps, avérées correctes. L’historien Sorin Grigoruţă, de l’Institut d’histoire « A. D. Xenopol » de Iaşi, est auteur d’un livre sur la peste de l’époque et sur ses effets. Ecoutons-le : « Une fois que les autorités avaient compris que les agglomérations humaines constituaient un facteur aggravant, elles ont tout mis en œuvre pour réduire le contact interhumain. L’activité des cours et des tribunaux a été suspendue, tout comme les cours scolaires, alors que les portes des églises et des cafés ont été fermées. L’on observe également une diminution des activités commerciales et l’instauration d’un couvre-feu. En 1785, le voïvode ordonne la fermeture des cafés, mais il reste toujours possible de prendre son café à la fenêtre du café. Par ailleurs, le couvre-feu, en vigueur pendant la nuit a aussi été instauré parce que c’était pendant la nuit que les malades et les corps des décédés étaient évacués hors la ville. La vue de ces transports pouvait avoir un effet démoralisateur sur la population, il valait donc mieux lui éviter le spectacle. »

    Le confinement n’a pas manqué à l’appel des moyens mis en place par les pouvoirs publics de l’époque pour endiguer la pandémie. Sorin Grigoruţă :« Le confinement visait tout d’abord les maisons occupées par les malades. Ils étaient, les malades mais aussi leur famille et les cohabitants sains mais toujours supects, carrément emmurés dans leurs propres maisons. C’était une pratique barbare, néanmoins largement répandue dans toute l’Europe de ces temps. Et puis, si au bout d’une certaine période l’on constatait qu’il y avait des survivants, tant mieux, on les délivrait, sinon, tant pis. L’autre procédure, moins barbare, et qui avait cours à l’époque, était de faire évacuer la maison où un cas avait été déclaré, d’évacuer tout le monde donc, malades ou bien portants pêle-mêle, et de désinfecter la demeure. Il pouvait s’agir juste de la nettoyer, la laver et l’aérer, mais cela pouvait aller jusqu’à la destruction de la demeure infestée, et le plus souvent cela se faisait par les flammes. »

    Mais la méthode qui s’est avérée la plus efficace pour combattre la peste a été l’instauration de la quarantaine. Le port italien de Ragusa fut la première cité européenne à adopter la méthode. Ainsi se fait-il que tout navire en provenance d’Orient devait rester appareillé au large pendant 40 jours, avant de pouvoir accoster dans le port. L’essai, concluant, mit la puce à l’oreille aux autres ports et cités européens. Aussi, à l’intérieur du continent, le bien connu cordon sanitaire autrichien, organisé sur le modèle d’une frontière militarisée, avait aussi fait ses preuves pendant longtemps. Sorin Grigoruţă : « Même si ces mesures ne ciblaient pas spécifiquement le virus en tant que tel, mais plutôt l’isolement des suspects et des malades déclarés, elles se sont révélées efficaces dans la guerre qu’elles menaient contre la pandémie. Alors ces mesures ont été étendues, ciblant les suspects, soit les voyageurs en provenance des régions suspectes, qu’il s’agisse des régions qui faisaient partie du territoire national, ou des contrées lointaines. En parallèle, il avait été instauré un système d’attestations, certifiant le niveau de sécurité sanitaire de la localité de départ du voyageur. Dans la même veine, à l’entrée des villes ou des villages ont été fondés les lazarets, soit des endroits où les voyageurs devaient demeurer en isolement une certaine période, avant d’avoir le droit de pénétrer dans la ville. »

    L’historienne Delia Bălăican de la Bibliothèque de l’Académie roumaine, qui avait étudié l’épidémie de typhus exanthématique déroulée durant la Première guerre mondiale, passe en revue les mesures d’exception introduites pour l’endiguer par les autorités de l’époque. Delia Bălăican : « Une équipe comptant pas moins de 150 ingénieurs s’est mis à ériger un système de baraquements censés servir au confinement des personnes atteintes. Les baraques étaient en bois, formant une sorte d’hôpital de campagne, et qui était censé accueillir, pêle-mêle, les malades des deux sexes et de tous âges, qu’ils soient civils ou militaires. Voyez-vous, les villageois logeaient à l’époque dans des sortes de cabanes mal aérées et dans lesquelles la lumière du soleil avait du mal à pénétrer. L’absence d’aération et l’humidité abondante qui caractérisaient ces abris créaient les conditions propices pour l’apparition du virus. Alors, une fois ces baraques érigées, les malades ont pu être évacués de leurs maisons, et ces dernières stérilisées. Des campagnes de désinfection ont été menées tambour battant. L’on mit l’accent sur l’importance de l’hygiène personnelle, sur celle des vêtements et des objets intimes. Des maisons des malades, l’on brûlait tout ce que l’on ne pouvait pas désinfecter ou passer dans des fours spéciaux. D’autres objets se sont retrouvé plonger dans du mazout, ou frotté à l’aide du vinaigre ».

    Le professeur Călin Cotoi observe l’autorité renforcée de l’Etat roumain suite au rôle accru endossé par ce dernier lors de l’épidémie de choléra qui avait ravagé les principautés roumaines en 1830. Călin Cotoi : « L’Etat roumain instaure des lazarets au long de la rivière Prut et surtout au long du Danube. Les commerçants entraient d’emblée en quarantaine, une quarantaine strictement observée et surveillées par les autorités. Seulement, cela a vite fait de provoquer une véritable crise économique, car les rentrées fournies par le commerce des céréales constituaient l’essence qui faisait tourner l’économie roumaine de l’époque, et l’essentiel des rentrées fiscales publiques. L’on observe donc déjà à l’époque cette tension, devenue encore plus manifeste de nos jours, entre, d’une part, la liberté du commerce et puis, d’autre part, le risque représenté par la pandémie. Pour moi, il s’agit là d’une crise fondatrice de l’Etat roumain moderne, de la Roumanie qui était en train de naître ».

    Les mesures prises pour endiguer ou stopper l’épidémie, aussi critiquées qu’elles ont pu être, ont néanmoins eu le don de sauver l’humanité du pire, en période de crise sanitaire. Et puis, force est de constater que le sens des responsabilités impose souvent, qu’on le veuille ou non, des décisions impopulaires. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Microbes, maladies et épidémies dans l’espace roumain au 19e siècle

    Microbes, maladies et épidémies dans l’espace roumain au 19e siècle

    Les microorganismes et les maladies qu’ils produisent et qui ont engendré des pandémies, sont apparus à la suite du développement de la médecine. Ils ont été à l’origine d’une réorganisation des politiques sanitaires et ont modifié les comportements sociaux. Au 19e siècle, la société roumaine s’est confrontée à un ennemi qui refaisait surface périodiquement depuis des siècles : la peste. Mais d’autres ennemis invisibles et inconnus jusque-là se manifestaient avec une force destructrice, tel le choléra.

    Le médecin, anthropologue et professeur des universités Călin Cotoi, de l’Université de Bucarest, nous aide à examiner cette nouvelle apparition, qu’était le microorganisme, dans le mental collectif roumain. Quand les Roumains ont-ils appris l’existence des microorganismes générateurs de pandémies ? Ecoutons Calin Cotoi : « Une partie des Roumains commencent à comprendre ces choses-là en même temps que le reste du monde : c’est-à-dire après la découverte, par Pasteur, de la fermentation lactique et puis de celle alcoolique. Ensuite, Pasteur montre qu’il n’y a pas de génération spontanée, c’est-à-dire que les petites bestioles n’apparaissent pas du néant. Le reste de la population de la Roumanie, hormis celle impliquée dans la réforme sanitaire et médicale, connait un retard assez important dans cette connaissance. Ce n’est que vers la fin du 19e siècle et le début du 20e que le microbe devient une image plus répandue dans l’espace roumain. »

    Les craintes des Roumains du 19e siècle n’étaient pas moins importantes que celles de l’homme médiéval. Călin Cotoi affirme que, dans l’Europe du 19e siècle, l’ennemi microbiologique change. La peste est déjà de l’histoire passée et un nouvel ennemi invisible surgit, à savoir le choléra. « La peste sévit dans les principautés roumaines jusqu’en 1830 environ. Au 19e siècle, la peste de Caragea a tué beaucoup de Roumains. Mais la maladie la plus intéressante et la plus importante à mon sens pour l’espace roumain au 19e siècle fut le choléra. Certes il y en a eu d’autres, mais ce fut le choléra qui modifia radicalement la structure politique et sociale des principautés roumaines. Je dirais, exagérant un peu, que la Roumanie moderne est une des créations du choléra, des épidémies européennes de choléra. C’est une des maladies les plus créatives du point de vue social au 19e siècle et elle est très différente de la peste de ce point de vue. Le choléra a dépassé le corridor sanitaire des Habsbourg pour migrer de ses foyers en Inde jusqu’à Paris, Londres et en Amérique du Nord, modifiant en profondeur tant l’espace social occidental qu’en quelque sorte par ricochet l’espace des bouches du Danube. »

    Ce n’est pas du tout un secret le fait que les épidémies et les pandémies ont été génératrices de changements dans l’histoire de l’Humanité. Le choléra n’en fait pas exception. Călin Cotoi explique que l’application de la quarantaine dure, c’est-à-dire de 40 jours, au cours de laquelle tout transport de marchandises et de personnes était arrêté directement sur les bateaux ou bien à des postes de quarantaine au bord du Danube, a provoqué une progression de l’autorité de l’Etat roumain. « L’Etat roumain a créé des lieux de quarantaine sur la rivière Prut, mais surtout sur le Danube. Les quarantaines de l’époque sont très solides, mais, justement, elles arrivent à provoquer des crises. L’Etat roumain dépendait de plus en plus du commerce des céréales, qui lui assuraient les sources de financement et d’existence et ce commerce était mis en danger par une quarantaine trop dure. Il y a donc toujours une tension entre la liberté du commerce et le danger du choléra. Je crois que c’est à partir de ce dilemme que la Roumanie est née. »

    Au début du 19e siècle, l’Europe était frappée par le choléra, une maladie nouvelle, inconnue, impossible à combattre avec les moyens disponibles à l’époque. La modernisation et l’européanisation de l’espace roumain ont facilité l’arrivée des solutions et des traitements disponibles dans les pays plus avancés, explique Călin Cotoi. « Le choléra dépasse facilement les anciens corridors sanitaires érigés notamment contre la peste et, dans d’autres endroits du monde contre la fièvre jaune, et arrive à dévaster une Europe qui connaissait un fleurissement commercial, industriel et urbain. L’Europe est surprise par la virulence du choléra. Elle agit contre cette maladie inconnue créant des systèmes de gouvernance, des systèmes médicaux et d’enregistrement des maladies, de théories sur la relation entre le milieu social et la maladie. Ensemble, tous ces éléments créent un autre visage et une autre forme de l’administration et de la gouvernance européennes. Ces modèles d’hygiène publique, de politiques publiques arrivent aussi en Roumanie pour transformer en quelque sorte la société. Des modèles internationaux de réaction à cette maladie affreuse et inconnue sont répliqués en Roumanie aussi. Mais elles y connaissent malheureusement un échec, en grande partie à cause de la fracture entre les milieux urbain et rural. Dans les villes, des mesures d’hygiène publique sont introduites mais dans les campagnes, l’échec est tout à fait visible. »

    Les microorganismes et les pandémies du 19e siècle n’ont pas été uniquement générateurs de malheur et de mort dans l’espace roumain, comme ce fut le cas au cours de siècles précédents. Les contacts avec le monde occidental européen ont rendu possible l’éradication des maladies dans un espace roumain caractérisé auparavant par le pessimisme et par le fatalisme. (Trad : Alexandru Diaconescu)

  • Pandemics in 19th century Romania

    Pandemics in 19th century Romania

    Microorganisms
    and the associated diseases that made pandemics possible have occurred with the
    advancement of medicine, in the life of modern man. Because of microbes and
    pandemics, healthcare policies were thought out and also because of microbes
    and pandemics social behavior patterns were changed. In the Romanian space,
    microorganisms and the diseases they caused grabbed everyone’s attention and
    generated healthcare public policies precisely because they caused epidemics
    and pandemics. The Romanian world in the 19th century had to face a
    common enemy: the plague. However, other enemies, unseen and, until then, unbeknownst
    to man, had manifested with a destructive virulence. Cholera was one such
    enemy.


    Jointly with
    physician, anthropologist and professor Calin Cotoi with the University of
    Bucharest we had a closer look at the new phenomenon that emerged in Romanians’
    mindset, namely the microorganism. We found out from Calin Cotoi when the Romanians
    first found out about the existence of the microorganisms that generated the
    pandemics.


    Part of the Romanians got to know that at the same time when the rest of the
    world got to know it, after Pasteur first discovered the lactic acid fermentation
    and then the alcoholic one. Then Pasteur revealed there was no such thing as a
    spontaneous generation, meaning that small animals could not possibly be formed
    out of nothing. The Romanian population elsewhere around the country, apart
    from the numbers that had been involved in the healthcare and medical reform
    was rather late to impart that kind of knowledge. In late 19th
    century and early 20th century, the image of the microbe becomes
    more popular in Romania.


    The fear of
    pestilence of the people in the 19th century was at least as strong as the fear
    of the medieval man. According to Calin Cotoi, in 19th century
    Europe, the microbiological enemy was a different one. The plague had by then
    become history and a new, unseen, enemy emerged: the cholera.


    Until around 1830 or thereabouts, the plagues had still been reported for
    Romania. In the 19th century there was Caragea’s plague which
    claimed the lives of many, many people. But the most interesting and, to my
    mind, the most important disease for 19th century Romania was the cholera.
    I should say, exaggerating things a little bit, that modern Romania was one of
    the creations of cholera, of the European cholera pandemics. It is one of the
    most creative diseases, socially speaking, in the 19th century, and
    is very different from the plague, in this respect. The cholera succeeded to
    break through the Hapsburg sanitary cordon, and, from India, its hotbeds
    reached as far as Paris, London and North America, generating a thorough change
    in the Western social space and, somehow indirectly, in the territories at the
    Mouths of the Danube.


    There is no
    secret that epidemics and pandemics were literally generators of change in
    history. Cholera did not make an exception to that rule either. Calin Cotoi
    also shown that imposing the strict quarantine, whereby for 40 days running,
    any transport of commodities and the movement of people were immediately
    confined on the ship or in quarantine stations on the banks of river Danube,
    all that favored the enhancement of the authority of the Romanian state.

    Calin
    Cotoi:


    The Romanian state created quarantine stations on the banks of river Prut, but
    mainly on the banks of river Danube. This time, the quarantine stations are
    very tough, it’s just that, once created, these stations enter a time of
    crisis. The Romanian state increasingly depended on the trade of grains, which
    provided a source of financing and subsistence, and that grains trade is
    jeopardized by too tough a quarantine. So there was always a tension between
    the freedom of trade and the danger of cholera. I think it was out of that
    crisis dilemma that Romania was created.


    In the early 19th
    century, Europe was hit by cholera, a new, unbeknownst disease, against which
    no form of efficient fight had been discovered. The fact that the Romanian
    space was modernized, becoming more European, made it possible for solutions
    and treatments of the developed states to reach the Romanian space.


    Calin Cotoi:


    SOUNDBITE V.M.:
    The cholera had no problem breaking through the old sanitary cordons that had
    been erected especially against the plague and, elsewhere around the world,
    against the yellow fever, devastating a Europe where the commercial, industrial
    and urban progress saw their heydays. Europe had been taken by surprise by the
    virulence of the cholera. As a reaction to that unknown disease, Europe created
    several governance and medical systems, as we well as systems of recording the
    diseases and of certain theories on the relationship the social milieu had with
    the disease. All that put together provided a makeover regarding to European administration
    and governance. Such public hygiene models, models of public policy, reached
    Romania as well, somehow transforming the society. Those international models
    occurred, as a reaction to that terrible and unknown disease. In Romania, they
    failed significantly, because of the rift between the urban and the rural
    areas. In the urban areas the implementation of the public hygiene methods was
    successful, to a certain extent, yet in the rural regions, the failure of all
    that was blatant.


    In 19th
    century Romania, microorganisms and pandemics did not cause only sorrow and
    death, just as they had caused in the previous centuries. The contacts with the
    Western European world made it possible for the Romanian world to turn from a
    world of pessimism and fatalism into a world that had real possibilities of
    eradicating all forms of pestilence.

    (Translation by Eugen Nasta)