Tag: chute du communisme

  • La révolution de 1989 et la renaissance de la démocratie roumaine

    La révolution de 1989 et la renaissance de la démocratie roumaine

    La révolution du mois de décembre 1989 restera sans doute le
    moment le plus marquant de la seconde moitié du XXe siècle roumain. Inscrite
    dans le mouvement plus ample du délitement des régimes communistes d’Europe
    centrale et orientale, la révolte, partie de Timisoara, gagnera rapidement
    Bucarest, avant d’embraser tout le pays. Les énergies sociales libérées à cette
    époque transformeront radicalement la Roumanie et l’Europe dans son ensemble.






    Le régime
    communiste, instauré dans toute l’Europe de l’Est à la fin de la 2e
    Guerre mondiale à la faveur de l’occupation de la région par l’Armée rouge, a fait
    main basse sur la Roumanie en à peu près 3 ans. D’ailleurs, avant la fin de
    l’année 1948, l’Albanie, la Bulgarie, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, la
    Pologne et la Roumanie se trouvaient embarquées sur le même bateau, dirigées
    par des gouvernements communistes, sous contrôle soviétique. Les historiens
    s’accordent pour conclure que la seconde Guerre mondiale a représenté une
    chance inespérée pour l’URSS, devenue alors une superpuissance, et cela en
    dépit des politiques économiques désastreuses qu’elle avait menées à partir de
    1918. En l’absence de cette guerre, il est probable que l’URSS aurait été
    forcée de réformer son système dès la mort de Staline, en 1953. Mais l’histoire
    contrefactuelle demeure une action risquée, sujette à caution. Ce qu’il en reste
    c’est le souvenir d’un régime totalitaire et répressif, qui a jeté aux
    oubliettes les droits et les libertés fondamentales. Néanmoins, pour beaucoup,
    le régime du totalitarisme communiste n’était que la suite logique des régimes
    totalitaires fascistes qui avaient dominé l’Europe durant la guerre. Ainsi, la
    fin de la conflagration n’a pas pour autant signifié la fin de la tyrannie et
    de l’oppression pour près de la moitié du continent.






    Pour ce qui est de la Roumanie, le régime de Nicolae
    Ceaușescu, hissé à la tête de l’Etat en 1965, avait mené à bout les capacités
    de résistance des 22 millions de Roumains que le pays comptait en 1989. A la
    crise de régime qui caractérisait le système communiste finissant s’étaient rajoutées
    les lubies d’un dictateur pas comme les autres. En effet, Nicolae Ceausescu
    s’étaient fait fort de rembourser la dette qu’il avait contractée dans les
    années 70 pour industrialiser le pays. Entre temps, deux crises pétrolières
    étaient passées par là, et la dégradation du niveau de vie des Roumains s’était
    accélérée à la fin des années 80. Et c’est bien dans ce climat délétère
    qu’allaient exploser la révolte populaire contre le régime de Nicolae Ceausescu
    en particulier, contre le régime communiste au sens large. Dès le 16 décembre
    1989 l’on voit des habitants de Timișoara descendre dans la rue, pour
    manifester leur solidarité à M. Tökes, un pasteur réformé appartenant à la
    minorité hongroise de Transylvanie, que le régime s’entêtait de faire muter de
    son poste et de déloger de sa ville. Progressivement, les manifestants sont
    devenus plus nombreux, et leurs revendications ont commencé à ratisser large.
    Face à cette situation, les forces de répression n’ont rien trouvé de mieux que
    d’ouvrir le feu sur la foule, faisant plusieurs centaines de victimes.
    Ensanglantée, Timisoara est coupée du reste du pays, mais les manifestants
    occupent la ville.






    Le 21 décembre, c’est à Bucarest que les choses se gâtent
    pour de bon pour le régime. Nicolae Ceaușescu organise alors une grande
    assemblée populaire devant le siège du Comité central du parti communiste,
    initiative particulièrement mal inspirée, qui se voulait une démonstration de
    force du régime. Le rassemblement tourne court, lorsque les manifestants
    enrégimentés, venus acclamer le leader suprême, commencent à le conspuer. La foule
    rompt les rangs et se disperse en catastrophe. Certains s’organisent cependant
    et dressent des barricades au centre de la capitale. A l’instar de Timisoara
    quelques jours auparavant, les troupes interviennent en force, et la violence
    de la répression arrive à son apogée dans la nuit du 21 au 22 décembre. Le
    matin du 22 décembre, les ouvriers des grandes plateformes industrielles de la
    capitale s’organisent et répliquent, en donnant l’assaut au siège du Comité
    central du parti communiste. L’armée déployée en nombre dans le centre-ville et
    autour du Comité central fraternise avec la foule, pendant que Nicolae
    Ceausescu, son épouse, elle aussi cacique du régime, et quelques proches se
    sauvent en catastrophe, à bord d’un hélicoptère qui prend son envol depuis le
    toit du bâtiment. En quelques heures, le dictateur déchu sera capturé, jugé
    ensuite, avec sa femme, à la faveur d’un simulacre de procès, expédié à la sauvette.
    Ils seront, tous les deux, exécutés le 25 décembre 1989, dans une base
    militaire de la ville de Targoviste, une ancienne capitale de la Valachie
    historique. La révolution l’emporte, au prix de près de 1.200 vies.






    Petru Creția, philosophe, essayiste, traducteur
    et éditeur de Platon en langue roumaine, rédigera un manifeste émouvant, qui
    sera diffusé sur les ondes de Radio Free Europe la veille de la chute du
    dernier dictateur communiste de Roumanie. Les lignes écrites à l’occasion par
    Petru Creția illustrent à merveille le summum de la tragédie que le XXe siècle
    était parvenu à atteindre. La voix émue du philosophe, conservée dans les
    archives du Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, est à la
    fois grave et prémonitoire.






    Petru Creția : « L’on
    approche la fin du siècle et, avec lui, la fin inévitable de notre malheur
    collectif. Ce malheur qui s’était drapé de tant de noms menteurs, qu’il suffit
    de lire à rebours pour approcher la vérité. Les longs, les trop longs règnes
    sanglants, qui ont jeté un doute jusqu’au cœur de l’humanité enfouie aux tréfonds
    de l’homme, nous ont profondément meurtri. La crise de l’humanité, incarnée par
    le nazisme, le communisme, le maoïsme, touche aujourd’hui à sa fin, en dépit de
    ses derniers soubresauts. Et les héritiers de ces monstres, leurs épigones,
    qu’ils soient asiatiques, africains, sud-américains, voire européens, ne
    sauront renverser la vapeur. Ils se ressemblent à s’y méprendre, alors qu’ils
    ne sont que des caricatures pitoyables, des pantins misérables, qui grèvent le
    destin des nations. Mais aujourd’hui, leur heure a sonné. Ces autocrates
    pénibles, ces dieux imaginés sont tombés en désuétude. Leurs noms seront à
    jamais damnés, liés qu’ils sont aux innombrables hécatombes, aux morts, aux
    torturés, aux affamés, que leur règne de malheur est parvenu à produire. »







    L’année 1989 sonna le glas du siècle
    finissant, un siècle noir, à plus forte raison qu’il s’était voulu brillant,
    comme nul autre auparavant. Le mal lui a cependant survécu. Et si le passé ne
    saura nous prémunir des malheurs à venir, l’on espère néanmoins, qu’à l’instar
    du vaccin, il aura la force de nous immuniser de ces pandémies idéologiques
    mortifères. (Trad. Ionut
    Jugureanu)

  • Timişoara, il y a 31 ans et aujourd’hui

    Timişoara, il y a 31 ans et aujourd’hui

    Journée de deuil, ce jeudi à Timişoara,
    importante ville de l’ouest de la Roumanie, où, voici 31 ans, les premiers révolutionnaires
    anticommunistes roumains ont perdu la vie au nom de la liberté. A ce moment-là s’allumait
    l’étincelle qui allait mener, quelques jours plus tard, à la chute du régime communiste
    de Nicolae Ceauşescu. A noter que la Roumanie a connu la révolte anticommuniste
    la plus sanglante de l’Europe du sud-est.






    Pour rendre hommage aux héros
    qui ont donné leur vie pour la démocratie il y a 3 décennies, des événements commémoratifs
    sont prévus à Timişoara : des services religieux et des dépôts de couronnes,
    une réunion spéciale, déjà traditionnelle, du Conseil local ainsi que des
    lancements de livres et des expositions consacrées à la révolution. Toutefois,
    en raison de la pandémie, ces événements n’auront pas l’envergure des années précédentes.






    Une chose est sûre, le 17
    décembre 1989 reste dans la mémoire des habitants de Timişoara comme une des
    journées les plus tristes de l’histoire de leur ville. Il y a 31 ans jour pour
    jour, les forces de répression avaient ouvert le feu sur les manifestants qui
    scandaient dans les rues « Liberté ! » et « A bas Ceausescu !
    ». Une centaine de personnes sont mortes dans la révolution de Timişoara et
    quelque 350 ont été blessés. Leur sacrifice a été évoqué mercredi, lors d’une
    réunion des élus locaux avec les représentants des associations de révolutionnaires.
    Ces derniers n’ont pas hésité à exprimer leur mécontentement au sujet des carences
    actuelles de la société roumaine :






    Voix 1 : « Malheureusement,
    on voit que de petits pas sont faits tant pour ce qui est de la séparation du
    pouvoir au sein de l’administration que dans la réforme de la Justice ou de l’Enseignement.
    Chaque année, le 16 décembre, c’est à nous de leur rappeler les objectifs de la
    Révolution et de leur demander d’avancer. »







    Voix 2 : « Les
    habitants de Timişoara et certains responsables rendent hommage aux héros de leur
    ville en venant ici, en ces jours de commémoration. On devrait le faire par nos
    actions quotidiennes aussi, car nous vivons tous les jours avec les idéaux de
    la Révolution »,
    affirment les représentants des révolutionnaires.






    Parmi eux, l’Association du
    Mémorial de la révolution a organisé une Journée portes ouvertes qui a permis
    aux visiteurs de revivre ou d’en apprendre davantage sur les journées de feu de
    Timişoara, celles de décembre 1989. De l’avis de l’Association, le plus grave,
    c’est que, 31 ans après la Révolution anticommuniste, on ne connaît toujours
    pas toute la vérité sur ce qui s’est passé ces jours-là et du point de vue
    juridique, la vérité sera peut-être connue dans plusieurs années. Et pour cause :
    un seul dossier concernant la Révolution se trouve actuellement devant les
    juges. Selon le réquisitoire, à compter du 22 décembre, lorsque la révolte s’est
    répandue sur l’ensemble du pays, une ample action de désinformation et de diversion
    a été mise en place, favorisant l’instauration d’une véritable psychose du
    terrorisme, qui fut la principale cause de nombreux décès survenus ces jours-là. (Trad. Valentina Beleavski)





  • Logique de la révolution (II)

    Logique de la révolution (II)

    Cette semaine nous continuons de discuter de la révolution de 1989. Lors de notre dernière émission, nous avons abordé le contexte des années 80 en Roumanie avec ses pénuries et les frustrations engendrées par le pouvoir. Cette semaine nous allons nous pencher sur le détonateur de la révolution à Timisoara. Avec notre invitée, l’historienne Claudia Dobre.

  • La révolution roumaine de 1989 et ses zones d’ombre

    La révolution roumaine de 1989 et ses zones d’ombre

    Le mouvement populaire portait, à l’occasion, le coup de grâce à la dictature communiste, instaurée partiellement avec l’installation du premier gouvernement à dominante communiste, le 6 mars 1945, et définitivement à partir du 30 décembre 1947, jour de l’abdication forcée du roi Michel. Pourtant, très vite, aux moments de liesse populaire, le doute s’installe. Des frustrations accumulées, des destinées brutalement interrompues, de nombreuses questions sans réponse donneront naissance à une véritable mythologie et nourriront les fantasmes entourant le moment d’élan magique de la révolution, qui s’achèvera par la chute du communisme et l’instauration, dans la douleur, de la démocratie roumaine actuelle.

    Et le plus tenace des mythes de cette révolution roumaine demeure sans doute celui d’un mouvement populaire confisqué au profit d’une nomenklatura communiste réformiste, dirigée par Ion Iliescu. Activiste de premier plan et chouchou du couple Ceauşescu au début des années 70, Ion Iliescu deviendra le premier président post communiste, de la Roumanie, après avoir été écarté du premier cercle du pouvoir communiste dans les années 80, et considéré par la suite comme un des seuls opposants internes au pouvoir discrétionnaire de Nicolae Ceausescu au sein du parti communiste. Son apparition, quelque peu inattendue, au premier plan de la vie politique post révolutionnaire, entouré par d’autres comparses, vieux compagnons de route eux aussi du régime communiste, sentait le roussi.

    Dragoș Petrescu, professeur à la faculté des Sciences politiques et administratives de l’Université de Bucarest et auteur de nombreuses recherches au sujet des révolutions de 1989 qui ont changé le visage du monde, nous parle du mythe de la révolution confisquée : « Je pense que le soupçon d’une révolution confisquée a été véhiculé très vite après le 22 décembre 1989, date de la chute de la dictature communiste en Roumanie. C’était assez logique, voyant apparaître au premier plan des noms connus de la nomenklatura communiste qui avaient été écartés du premier cercle du pouvoir par Ceauşescu et son clan. Des gens qui faisaient partie du pouvoir communiste et qui ne faisaient que remplacer les proches de Ceausescu, ceux directement coupables de la crise qui a secoué le régime dans les années 80 : crise économique, nationalisme déchaîné, assimilation forcée des minorités, image désastreuse de la Roumanie à l’étranger. »

    Le mythe de la révolution confisqué a la dent dure dans l’opinion publique, et Dragoș Petrescu pense que ce même mythe nous empêche au fond de réaliser une analyse objective des changements profonds subis par la société roumaine ces 30 dernières années : « En partant de l’idée que Ion Iliescu et ses comparses sont montés au créneau pour mettre un coup d’arrêt à la révolution roumaine, nous risquons au fond de saper la crédibilité de l’un des moments de grâce de l’histoire roumaine du 20e siècle. Car la révolution de 1989 est un moment qui devrait nous rendre très fiers de ce que l’on est et de ce que l’on avait réussi à accomplir. En effet, en réduisant un vaste mouvement populaire de 1989 à un simple coup d’Etat, à un coup de palais, le risque serait d’amoindrir la portée et l’importance du moment. Par ailleurs, ce serait inexact, car bon nombre de moments de cette révolution ne peuvent être réduits à un simple coup d’Etat. Iliescu n’a pu d’ailleurs avoir aucun rôle dans la répression brutale du mouvement révolutionnaire à Timisoara, ni infléchir la décision de Ceauşescu d’organiser ce grand rassemblement populaire, le 21 décembre, à Bucarest. Ce meeting qui était censé remettre en selle Ceausescu et reconfirmer son emprise sur la société roumaine, et qui s’est avéré être l’élément déclencheur de la révolution de Bucarest, celui-là même qui accula Ceauşescu au pied du mur le lendemain. Dans le déroulement de ces événements, Iliescu et ses comparses n’ont pu tenir aucun rôle. »

    Mais comment expliquer le mythe du coup d’Etat, et surtout sa belle carrière dans le mental collectif roumain, allant de pair avec le mythe de la révolution confisquée ? Dragoș Petrescu répond : « Pour comprendre cela, il faut comprendre la manière dont les gens fonctionnent. L’on a souvent observé que la lecture d’un événement historique change avec le temps. La frustration liée au rythme trop lent des réformes, le fait que la Roumanie a eu besoin de plusieurs années pour se tourner résolument vers l’Europe, ces éléments ultérieurs font que les gens arrivent à nier la portée, la signification même de l’événement fondateur de ces changements, qui est la révolution. La lenteur de la démocratisation de la vie politique et du rythme des changements, la présence dans les cercles raréfiés du pouvoir post communiste d’anciens apparatchiks communiste, tout cela fait douter de la portée de la révolution de 1989. Mais, force est de constater que ce changement n’est pas moins réel, profond et radical, et cela en dépit de la lenteur apparente du processus de changement. La révolution de 1989 a été une révolution véritable, déterminant un changement total de régime. Il s’agit d’une révolution authentique, et les tragédies de ses 1100 victimes et de ses 3300 blessés sont là pour en témoigner. »

    Enfin, n’oublions pas le mythe des terroristes. Ces terroristes qui ont semé la mort après le départ de Ceauşescu du pouvoir. Lancé par Ion Iliescu après sa prise des rênes du pouvoir, ce mythe semble avoir servi les desseins du nouveau pouvoir, et peu sont les Roumains qui lui font encore crédit, affirme Dragoș Petrescu : « L’affaire des terroristes est en lien direct avec les près de 900 victimes, tombées après la chute effective du régime de Ceauşescu. 900 morts tragiques et inutiles, provoquées par l’énorme diversion et la confusion qui régnaient alors dans les rangs de l’armée et du pouvoir nouvellement installé. Mais, selon moi, il s’était agi d’une confusion sciemment entretenue par les proches du nouveau pouvoir installé après le 22 décembre 89, pour qu’il puisse se consolider. La terreur semée par les crimes commis par ce que l’on appelle les terroristes a eu comme effet de mettre un coup d’arrêt net à l’élan révolutionnaire de la population, qui risquait de vouloir exiger la punition immédiate de tous les coupables du régime communiste, des agents de la Securitate, cette police politique tant honnie, mais aussi des membres de la nomenklatura, ce qui aurait mis en danger les nouveaux maîtres du pouvoir installé après la chute de Ceauşescu. Le fait que Ion Iliescu a lancé lui-même le mythe des terroristes ne fait qu’étayer cette supposition. »

    Heureusement, si les mythes ont la dent dure, la réalité du changement de régime, subi par la société roumaine à partir de la révolution de 1989, ne peut être mis en doute, et encore moins sous-estimée. (Trad. Ionut Jugureanu)