Tag: communisme

  • L’Académie de sciences sociales et politiques « Ştefan Gheorghiu »

    L’Académie de sciences sociales et politiques « Ştefan Gheorghiu »

    Le communisme a été la première doctrine, régime social et organisation sociétale à avoir prétendu reposer uniquement sur la connaissance rationnelle. De ce fait, tout ce qui n’était pas conforme à ses préceptes devait disparaître. La quête de la vérité sur laquelle devait se construire la nouvelle société, le savoir et la recherche devaient être redéfinis. C’est ainsi qu’est apparue l’Académie de sciences sociales et politiques « Ştefan Gheorghiu », institution d’enseignement supérieur où étaient formés les cadres politiques chargés de mettre en œuvre les intentions du régime. Fondée le 21 mars 1945 par le PCR sous le nom de « l’Université ouvrière du PCR », cette institution était censée parasiter le concept traditionnel d’université et déstabiliser le statut de l’intellectuel. Le nom de « Ştefan Gheorghiu » lui a été attribué à la mémoire d’un ancien militant socialiste du 19e siècle.



    Son dépoussiérage, en 1971, a été une réponse que le régime communiste devait donner au capitalisme qui lui faisait concurrence, affirme l’historien Cosmin Popa, de l’Institut d’histoire « Nicolae Iorga » de Bucarest : « La création de l’Académie de sciences sociales au début des années 1970 peut être comprise comme un symptôme de la tendance au conservatisme manifestée par le régime communiste de Roumanie. C’était aussi un signal clair du souhait du parti et de son leader de réintroduire un certain type de fondement idéologique. Les changements substantiels opérés dans les structures du pouvoir, la réintroduction de la direction collective et de la démocratie interne de parti, la poursuite des réformes afin de trouver des réponses aux défis lancés par le capitalisme dynamique sont des évolutions caractéristiques de tous les Etats communistes dans les années 1960-1970. »



    Le régime communiste de Roumanie a dès le début souffert les effets de l’absence de légitimité et du refus des intellectuels les plus réputés de collaborer après 1945. Au milieu des années 1960, son ouverture aux intellectuels a été une offre que beaucoup n’ont pas refusée.



    Cosmin Popa : «La fin des années 1960 a représenté, dans la pensée théorique de Nicolae Ceauşescu, un moment où il était possible de faire le point sur les succès des efforts déployés dans la relation avec les intellectuels. Dans un discours lors d’une conférence avec les cadres politiques de l’éducation et la recherche, en septembre 1969, convoquée afin de détailler les messages lancés par Ceauşescu lui-même depuis la tribune du 10e Congrès du PCR, Paul Niculescu-Mizil, membre du Comité Central du parti, affirmait que la dichotomie intellectuels nouveaux et intellectuels anciens appartenait au passé… La Roumanie avait, disait-il, des intellectuels unis provenant du milieu ouvrier pour la plupart. Le discours donnait toute une série de clefs pour interpréter la politique du parti en ce qui concerne la spécificité du communisme roumain : la relation du parti avec les intellectuels et les principes d’organisation du système d’enseignement et de recherche. Il partait de la prémisse juste selon laquelle on prenait très bien conscience du fait que la société était au milieu d’une révolution scientifique qui accroissait le poids politique des intellectuels. Leur montée en puissance attirait aussi une modification des institutions de gestion idéologique de cette catégorie, étant donné que la construction du communisme dépendait du succès de ses démarches ».



    La décision du Comité exécutif du Comité central du PCR sur l’organisation de l’Académie pour l’enseignement social-politique et le perfectionnement des cadres « Ştefan Gheorghiu » près le Comité central du PCR était adoptée le 3 octobre 1971. L’Académie devait former de nouveaux dirigeants dans tous les domaines d’activité, pour qu’ils occupent des fonctions dans l’appareil du parti et de l’Etat. Le manque de confiance du régime en le travail idéologique des institutions traditionnelles de recherche a conduit à une augmentation du rôle de l’Académie « Ştefan Gheorghiu ». Un prétexte a été que l’activité des institutions traditionnelles n’était pas proche de la réalité économique.



    Cosmin Popa : « Le contrôle idéologique des sciences sociales n’était pas le principal enjeu de ces démarches. Personne ne doutait, d’ailleurs, de l’efficience de ces leviers de guidage et de contrôle sur les intellectuels existant déjà dans les institutions. Ce que les leaders du parti visaient d’abord, c’était une professionnalisation accrue des responsables politiques et des ressources dépensées de manière plus efficiente. Les économistes ont principalement été visés, à maintes reprises, par les critiques de Nicolae Ceauşescu et de tous ceux en charge de la propagande. Le régime se considérait assez fort pour ne plus insister sur la dimension coercitive du contrôle idéologique. Le parti commençait à se sentir entravé dans son dynamisme par les formes bourgeoises d’organisation de la recherche et de la consécration professionnelle. De l’avis de Ceauşescu, les anciennes institutions, tributaires au modèle révolu de l’intellectuel détaché de la vie réelle, ne descendaient pas dans la réalité, ne répondaient pas rapidement aux besoins générés par le développement économique impétueux. En plus, elles donnaient parfois du fil à retordre à ceux en charge de la propagande ».



    En dépit des ambitions du régime d’en faire une université d’élite, l’Académie « Ştefan Gheorghiu » a été perçue par les spécialistes comme un instrument du régime. Jusqu’à la chute du communisme, elle n’a pas pu dépasser sa condition d’institution de l’appareil répressif et a disparu immédiatement après décembre 1989. (Trad. Ileana Taroi, Ligia Mihaiescu)

  • Corneliu Coposu et le devoir de liberté

    Corneliu Coposu et le devoir de liberté

    Figure de proue de la vie politique roumaine, Corneliu Coposu a gardé les liens avec la démocratie d’avant l’instauration du régime communiste. Aux côtés du roi Michel Ier, il a apporté une contribution fondamentale à la renaissance de l’esprit démocratique au lendemain des événements de 1989. La société roumaine lui saura gré pour le modèle qu’il lui a offert, pour sa foi dans le devoir de lutter en faveur de la liberté, de la justice et de l’honneur, pour l’honnêteté et le dévouement dont il a fait preuve durant les longues années de souffrance dans le Goulag roumain. Ces qualités lui ont d’ailleurs valu le surnom de « Senior ».



    Fils de prêtre gréco-catholique, Corneliu Coposu est né le 20 mai 1914, dans le comté de Sălaj (nord-ouest de la Roumanie). Diplômé de l’Université de Cluj, iI a été avocat, docteur ès sciences juridiques et assistant personnel de Iuliu Maniu, président du Parti National Paysan. Le 14 juillet 1947, Coposu et tous les dirigeants du parti ont été arrêtés suite à une manigance du gouvernement. Condamné aux travaux forcés à perpétuité, il a été relâché en 1964, au bout de 17 années de détention, dont 9 passées en régime d’isolement cellulaire dans la prison de Râmnicu Sărat.



    Corneliu Coposu a survécu au calvaire du régime d’extermination infligé par les communistes à la démocratie roumaine après 1945. En 1993, il a accordé une interview à la journaliste Lucia Hossu-Longin. Vivrait-il autrement sa vie si le retour dans le temps était possible, lui a-t-on demandé.



    Corneliu Coposu : « Non. Après avoir fait mon examen de conscience, passé en revue toutes les peines et misères que j’ai eu à supporter dans les prisons et après la détention, je pense que je n’aurais pas le choix. J’opterais sans hésiter pour le même sort. Je crois à la prédestination, sans pour autant verser dans le fatalisme. Bref, si d’autres alternatives se présentaient à moi, je pense que je choisirais le passé qui a été le mien et le répéterais sereinement. »



    Rencontrer de telles gens est un véritable privilège. L’expérience qui a le plus marqué l’existence de Corneliu Coposu a été la période de détention à Râmnicu Sărat.



    Corneliu Coposu: « La prison de Râmnicu Sărat avait 34 cellules, dont 16, au rez-de-chaussée et à l’étage, séparées par des cloisons en filets de fer. Il y avait aussi 2 cellules isolées et 4 autres situées au sous-sol. Chaque cellule faisait 3 mètres sur 2. Elles étaient disposées sous la forme d’un rayon de miel, l’une contre l’autre. A trois mètres du sol, il y avait une petite fenêtre mesurant 45 sur 30 centimètres, inaccessible aux détenus. En plus, comme elle était couverte de l’autre côté du mur, elle ne laissait pas filtrer la lumière. A l’intérieur, la cellule était éclairée par une ampoule de seulement 15 watts, que l’on n’éteignait jamais et qui répandait une lumière blafarde de caveau. La prison aux murs épais, et qui datait des années 1900, n’était pas chauffée. Elle était entourée de deux rangées de murailles hautes de 5 à 6 mètres, séparées par un couloir de contrôle. La deuxième rangée de murailles était surplombée de tours d’observation abritant les soldats armés qui gardaient la prison. »



    Pour le régime totalitaire, les gens n’étaient pas des êtres humains portant un nom et un prénom, ils n’étaient que des chiffres. En 1993, Corneliu Coposu racontait sa vie en prison : «Chaque détenu avait un numéro représentant le numéro de la cellule, personne n’avait de nom, nos noms n’étaient pas connus. On nous identifiait selon notre cellule. Comme chaque détenu était seul dans sa cellule, toute conversation était exclue et toute connexion avec les autres prisonniers se faisait à l’aide du code Morse, tapé dans le mur, jusqu’à ce que le système ait été découvert et sanctionné très sévèrement. Ensuite, on communiquait en toussant le code Morse, chose extrêmement fatigante, voire épuisante, vu notamment l’état de santé déplorable dans lequel nous nous trouvions. Moi, j’ai occupé la cellule numéro 1. Au-dessus de moi, dans la cellule numéro 32, se trouvait Ion Mihalache. Si initialement nous pouvions communiquer à l’aide du code morse, après 4 ou 5 ans, il n’a plus répondu aux signes faits dans le mur car son ouïe s’était détériorée».



    Après 1989, Corneliu Coposu a exprimé clairement et fermement le fait que la Roumanie devait renaître. A cet effet, elle avait besoin d’une personnalité à même de lui rendre la confiance en elle-même. Pour Corneliu Coposu, cette personnalité était le roi Michel Ier : « Mon attitude en faveur de la dynastie royale est fondée sur ma conviction ferme que de nos jours en Roumanie, il n’existe aucune personne qui aie la vocation de polariser la sympathie et la confiance de la population outre le Roi Michel. Vu que cette personne – qui puisse bénéficier de la confiance de la majorité de la population et garantir la stabilité à l’intérieur du pays et la crédibilité à l’extérieur – n’existe pas dans notre société, nous faisons appel au roi. C’est lui qui a placé la patrie en première place en 1944, qui a eu une attitude nettement anticommuniste. Il a eu une attitude nettement anticommuniste et a manifesté le prestige et la sagesse d’être un arbitre impartial de la politique roumaine. La motivation de cette adhésion pro-monarchique est pragmatique et dépasse tout sentimentalisme et romantisme. S’il existait une personnalité à vocation de polariser la confiance de la population et la sympathie de la majorité du peuple roumain, peut-être que la restauration ne serait plus nécessaire. Nous ne pouvons pas créer des personnalités de premier rang comme on sort les poulets de la couveuse. Si on essayait de suivre un tel objectif, il serait atteint en 30, voire 40 ans. »



    En 2014, l’Europe commémore le centenaire du début de la première Guerre Mondiale. La Roumanie a également commémoré le centenaire de Corneliu Coposu, la personne sans laquelle le pays n’aurait pas pu redéfinir son identité. (Trad. Mariana Tudose, Valentina Beleavski, Alex Diaconescu)

  • L’histoire du communisme dans les écoles

    L’histoire du communisme dans les écoles

    La décision était prise suite à une recommandation du rapport final de la Commission présidentielle d’analyse de la dictature communiste en Roumanie. L’élaboration du programme scolaire a été suivi par la parution d’un manuel d’histoire du communisme destiné aux élèves des deux dernières années d’étude de lycée; il a été rédigé sous l’égide de l’Institut d’Investigation des crimes du communisme en Roumanie et la mémoire de l’exil roumain dont l’ancien président exécutif Adrian Muraru nous en dit davantage: « Nous essayons d’entrer dans les détails de ce régime qui a couvert la période 1947-1989 : vie quotidienne, économie, vie culturelle, minorités, régime politique, répression etc. Certes, concentrer tous ces thèmes s’est avéré une tâche ardue. Toutefois, on a essayé de privilégier les textes courts et de nombreuses sources historiques: documents d’archives et d’histoire orale. Le manuel est accompagné d’un DVD contenant des images d’archives de la chaîne publique de télévision, datant de 1988. A notre avis, c’est un instrument très bien réalisé qui donne la possibilité aux élèves de se renseigner tous seuls. On n’a pas voulu faire de la propagande ou encore imposer une certaine vision de l’histoire du communisme en Roumanie. D’où le titre du manuel «Une histoire du communisme» car il se peut qu’il y en aient plusieurs, compte tenu de la personne qui l’étudie ou encore de l’aspect examiné».



    A présent, le cours facultatif d’histoire du communisme est enseigné dans 146 établissements scolaires du pays. Selon les estimations, il est choisi en option par près de 3000 élèves chaque année. De même, l’Institut d’investigation des crimes du communisme en Roumanie et la mémoire de l’exile roumain met en place des stages de formation pour les professeurs d’histoire, car enseigner cette discipline exige des connaissances et des méthodes un peu différentes de celles utilisées dans l’enseignement de l’histoire générale. Le besoin d’informations est important, comme en attestent les sondages d’opinion sur la période communiste.



    Une étude commandée en 2010 par l’Institut susmentionné faisait état d’une position ambivalente des Roumains sur la période communiste et ses significations. 47% des sondés considéraient le communisme comme une bonne idée, mal appliquée alors qu’un peu moins de 30% affirmaient que le communisme avait été une idée erronée. Trois ans plus tard, en décembre 2013, dans un autre sondage d’opinion 47,5% des Roumains considéraient Nicolae Ceausescu comme un personnage politique ayant joué un rôle positif dans l’histoire de la Roumanie, contre 46,9% qui le qualifiait de personnage négatif. Des pourcentages similaires sont à retrouver aussi dans le cas de Gheorghe Ghoerghiu – Dej, le prédécesseur de Nicolae Ceausescu à la tête du Parti communiste roumain.



    Ceci étant, les opinions exprimées par les élèves avant une classe d’histoire du communisme ne sauraient surprendre personne. Mihai Stamatescu enseigne l’histoire dans une école de la ville d’Orsova; il est aussi un des auteurs du manuel d’histoire du communisme: « En général, l’élève recueille ses informations notamment au sein de la famille, ou encore auprès des voisins, de la communauté élargie, et moins dans les médias. Ces informations sont pour la plupart celles véhiculées dans l’espace public ; elles sont du type: « C’était bien à l’époque de Ceausescu car j’avais un emploi ou j’avais un logement ». Les enfants viennent à l’école avec toutes ces informations et, du coup, ils se rendent compte que ce qu’ils savaient ne correspond plus à la réalité. Car les explications délivrées pendant cette classe ou celle d’histoire récente nous dévoilent la réalité sous une autre lumière. Les élèves constatent tous seuls que les nostalgies des parents ne sont pas portent pas sur le régime communiste mais plutôt sur leur propre jeunesse. Certes, si on leur fournit des arguments, des preuves, si on leur lance le défi d’aller aux sources historiques, si on leur explique ce que la manipulation, la propagande veulent dire, ils comprendront sans aucun doute ce que leurs parents ont vécu. Et ils sont prêts à réfléchir et à critiquer tout ce qui est arrivé à cette époque-là. »



    Au fur et à mesure que les élèves suivent ce cours, ils commencent à mieux comprendre les différents aspects de leur vie quotidienne et ils sont de plus en plus intéressés par ce sujet. D’ailleurs, c’est toujours par une approche étroitement liée aux problématiques actuelles que l’on se propose d’enseigner l’histoire du communisme aux élèves plus jeunes. Mihai Stamatescu explique: « Nous avons rédigé un document intitulé «Les droits de l’homme dans l’histoire récente de la Roumanie», constatant qu’il était possible de discuter du communisme avant l’âge de la majorité. Ce document s’adresse aux élèves de collège, mais les enseignants du primaire peuvent eux aussi s’en servir. Du moment où les enfants étudient la discipline appelée «Culture civique», nous estimons que la meilleure approche pour leur fournir des informations sur le régime communiste est celle des droits de l’homme. Il y a beaucoup de professeurs de collège qui utilisent notre dossier. Il n’a pas de programme scolaire attaché, et ne s’adresse pas uniquement au profs d’histoire, mais à tous ceux qui enseignent des disciplines appartenant aux sciences humaines et sociales. »



    Certes, un seul cours optionnel pendant les deux dernières années de lycée ne pourra pas changer la vision de toute la société. A part les activités scolaires, il faudrait avoir aussi d’autres initiatives qui parlent du communisme au large public.



    Andrei Muraru, président exécutif de l’Institut d’investigation des crimes du communisme en Roumanie et de la mémoire de l’exil roumain, nous parle de l’impact de ce cours: « Ça dépend aussi de nos actions en tant que société. L’Institut de la mémoire nationale de Pologne, notre homologue, compte plus de 2000 employés, alors que nous n’avons que 36. Nos collègues polonais disposent d’un budget de 60 millions d’euros, alors que nous ne bénéficions que d’un million. L’institut polonais existe depuis 1999 et son travail commence à peine à porter ses fruits, après 10-15 ans d’investissements massifs dans l’éducation. Des investissements qui ne se sont pas limités aux cours, mais qui ont également visé jeux pour enfants et adolescents, programmes scolaires, films, conférences, livres. Moins nous investissons, plus les sondages d’opinion transmettront des messages de nostalgie pour la période communiste, une nostalgie mélangée à la révolte à l’égard du pouvoir actuel. Tout dépend des ressources que la société investit dans ce domaine. »



    L’histoire du communisme est un des nombreux cours optionnels disponibles dans les lycées d’enseignement général et technologiques de Roumanie. Elle ne figure pas sur la liste des cours proposés par les lycées professionnels. (trad. : Alexandra Pop, Valentina Beleavski)



  • George Enescu et le régime communiste

    George Enescu et le régime communiste

    George Enescu (Georges Enesco), le plus grand compositeur roumain de tous les temps, qui a vécu entre 1881 et 1955, a laissé derrière lui une œuvre impressionnante, inscrite dans l’histoire universelle de la musique des 19e et 20e siècles. Le créateur Enescu se détache pourtant de l’homme Enescu, dont la biographie n’est pas entièrement honorable. Si le premier fait, aujourd’hui encore, l’objet d’un culte de la personnalité hérité de la politique culturelle du régime communiste, le second a été un collaborateur du régime communiste installé en Roumanie, après 1945, avec le soutien de l’armée soviétique. Les historiens ont découvert dans les archives des documents prouvant que l’homme Enescu a été largement inférieur à l’artiste et intellectuel Enescu.



    Malgré l’amitié témoignée à l’occupant et à son régime marionnette, George Enescu a été pris pour cible par les services de renseignement du régime communiste, qui l’ont surveillé de près. Pour l’historien Adrian Cioroianu, professeur à la Faculté d’histoire de l’Université de Bucarest, ce paradoxe a une explication. «George Enescu était une cible parce qu’au début des années 1950, la majorité des intellectuels, sinon tous, l’étaient. Il a été une cible même si son départ de Roumanie avait été atypique pour l’exil roumain, bien que plutôt répandu parmi les intellectuels de la fin des années 1940. Son départ a été négocié. Avant de quitter la Roumanie, Enescu, qui était complètement innocent en matière de politique, s’est laissé manipuler, et d’une manière agressive, par le régime communiste ; cela avait commencé avec une tournée en URSS en 1945, allant jusqu’aux pressions de sa femme, qui lui disait comment gérer la relation avec le premier ministre de l’époque, Petru Groza. Enescu a été utilisé d’une manière tellement perverse et sans scrupules. Il a même été élu député de la part du Bloc des Partis Démocratiques mené par le PCR, au premier parlement issu de l’immense fraude électorale du 19 novembre 1946. Ensuite, il est parti, ou il a été laissé partir en tournée en Amérique et il est resté en Occident. C’est la raison pour laquelle il a été surveillé. Ils étaient tous surveillés, il l’aurait été à coup sûr s’il était resté en Roumanie. L’élément fondamental nouveau c’est qu’il a été surveillé, bien qu’il soit parti avec l’accord du régime, bien qu’il ait échangé des lettres avec Petru Groza. »




    Cultiver une attitude ambiguë envers les amis, mais aussi envers les ennemis, a été un élément essentiel du stalinisme. Adrian Cioroianu considère que la naïveté politique, de toute façon difficilement quantifiable, de George Enescu est un exemple en ce qui concerne le traitement appliqué à un intellectuel lorsqu’il fait partie de l’entourage d’un régime criminel. « Le cas de George Enescu a été le suivant: en 1945, il a été invité et encouragé par le régime de Bucarest à faire une tournée en URSS où il a été complètement surpris de l’accueil qui lui avait été réservé. Le monde venait l’écouter, des salles de concert combles, il a joué aux côtés de David Oistrah. De retour en Roumanie, il a été utilisé d’une manière criminelle. Il était emmené à des rencontres avec les travailleurs, dans les locaux de l’ARLUS (l’Association roumaine pour les liens avec l’Union Soviétique), où il parlait du succès de la culture en URSS, à l’automne 1945. C’est pour ça que je l’ai qualifié de naïf. Il n’est pas comparable avec Sadoveanu le rusé, qui a négocié chacun de ses mouvements. Sadoveanu a été un profiteur et un intellectuel qui a vécu en symbiose avec le régime. Nous ne pouvons pas le soupçonner d’être naïf. Il a été un usurier de son propre talent, il s’est vendu pour de l’argent et pour d’autres avantages, ce qui n’a pas été le cas d’Enescu. Je crois que Groza a été content du départ d’Enescu, qui n’avait aucun penchant pour la politique ; d’ailleurs, je ne plaisante pas quand je dis que c’était sa femme qui lui disait quoi faire et à qui parler. Lui, il écrivait de la musique, il avait une vie d’intellectuel complètement plongé dans le monde musical. C’est le régime qui a été intéressé à le voir partir, à condition qu’il ne dise rien de mal. Je ne le vois pas créer des odes pour Staline et pour l’URSS. S’il s’était obstiné à rester en Roumanie, il aurait eu toutes les chances de mourir dans une geôle communiste. Il était sincèrement monarchiste, mais suffisamment naïf pour croire que l’art était aimé en URSS. Il était incapable de voir l’autre réalité : là-bas, soit on aimait Staline et s’inclinait devant lui, soit on se retirait dans le monde des arts, essayant de résister par la culture. »



    Le professeur Adrian Cioroianu croit que l’idéalisme d’Enescu n’ épargne pas au compositeur le regard critique de la postérité. « Que doit faire un intellectuel? Quel est le rôle d’un intellectuel quand son pays traverse un mauvais moment? Quel doit être son message moral? Quand le pays est conquis, faut-il partir à Paris ? Qu’est-ce que ça aurait donné si le roi Ferdinand et la reine Marie étaient partis eux aussi à Paris, pendant la première guerre mondiale?Quel est le message moral d’un départ encouragé? Je dis très ouvertement que le régime avait besoin d’Egizio Massini, un chef d’orchestre qui obéissait totalement aux ordres de Petru Groza, il avait besoin de Matei Socor, qui dirigeait la Radio nationale et qui a été un instrument incroyable de l’emprise du communisme sur la Roumanie, malgré ses origines sociales. Les communistes avaient besoin de gens comme ceux-là. C’est pour cette raison qu’Enescu recevait autant de louanges, mais lui, il aurait dû rester à sa place. »



    La relation privilégiée de George Enescu avec le régime communiste a été profitable pour les deux parties impliquées. Elle est un exemple de plus de l’aide à la terreur que peuvent apporter la naïveté et les bonnes intentions. (trad. : Ileana Taroi)


  • 19.09.2013

    19.09.2013

    Protestations – Les travailleurs du système roumain de santé continuaient jeudi à protester pour le deuxième jour de suite devant les ministères de la Santé et des Finances. Les médecins dénoncent notamment les maigres salaires et le sous-financement. Si leurs revendications ne trouvent pas de solution, les salariés du système sanitaire envisagent d’organiser une ample marche de protestation à Bucarest, en octobre, une grève générale devant être déclenchée en novembre, lorsque seulement un tiers de l’activité sera assurée. Le ministre de la Santé, Eugen Nicolàescu, a appelé les protestataires au dialogue.



    Croissance – Si la Roumanie ne dépasse pas le seuil psychologique d’une croissance de 2% du PIB, elle n’arrivera jamais à récupérer les décalages par rapport au reste de l’UE. C’est ce qu’a déclaré jeudi, à Bucarest, le ministre de l’Economie, Varujan Vosganian, à l’occasion d’une conférence consacrée à l’économie roumaine. Et lui d’ajouter qu’un taux satisfaisant d’absorption des fonds européens permettra à l’économie roumaine une croissance de presque 4%. A l’heure actuelle, les exportations roumaines se montent à 50 milliards d’euros et la Roumanie s’apprête à relancer son économie, a encore précisé le Ministre Vosganian. L’Institut National des Statistiques a révisé à la hausse la prévision de croissance économique du pays, de 1,6% à 2% en 2013.



    Visite – En visite à Ankara, le premier ministre roumain, Victor Ponta, a été reçu par le président de la Turquie, Abdullah Gul. Il s’était entretenu auparavant avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan. Le chef du cabinet de Bucarest est accompagné par les ministres roumains de l’agriculture, de la défense et de l’énergie. Le sujet dominant de ses discussions avec les officiels turcs a été le Partenariat stratégique conclu en 2011. La Roumanie vise à développer des projets communs avec la Turquie, qui est son premier partenaire commercial à lextérieur de lUE et le cinquième sur l’ensemble de ses échanges internationaux.



    Justice — Le Conseil Supérieur de la Magistrature de Bucarest a donné son avis favorable au projet de loi qui condamne les anciens tortionnaires communistes à payer des dédommagements pour les faits commis entre 1945 et 1989. Aux termes de cet acte normatif, adopté mercredi par le gouvernement, ces paiements ne sauraient être effectués sur une période inférieure à cinq ans. Quant au montant de la somme à verser par les personnes condamnées, il devrait représenter 25 % au minimum et 75% au maximum de leur revenu mensuel. LInstitut roumain de recherche sur les crimes du communisme a déposé des plaintes pénales auprès de la Haute Cour de Justice et de Cassation contre deux anciens commandants de camps de travail, les premiers d’une liste comportant 35 noms de tortionnaires. Au total, plus de 600.000 Roumains ont été condamnés et emprisonnés pour des motifs politiques durant la période communiste, entre 1945 et 1989.




  • 18.09.2013

    18.09.2013

    Santé – Les employés du système roumain de santé ont entamé ce mercredi leurs protestations. Le personnel médical va placer des piquets jusqu’au 27 septembre devant les Ministères de la Santé et des Finances. Les médecins dénoncent notamment les maigres salaires. Une autre revendication vise l’octroi au système de santé d’au moins 6% du PIB, ainsi qu’une législation qui garantisse l’indépendance professionnelle de ceux qui travaillent dans le système public et privé. Si leurs revendications ne trouvent pas de solution, les salariés du système sanitaire envisagent d’organiser une ample marche de protestation à Bucarest, en octobre, une grève générale devant être déclenchée en novembre, lorsque seulement un tiers de l’activité sera assurée.



    Protestations – La commission parlementaire spéciale qui examine le projet de loi controversé visant l’exploitation aurifère de Rosia Montana s’est réunie mercredi pour une première discussion. Les élus devront entendre, les prochains jours, des représentants des ministères de la Culture, de la Justice et de l’Environnement. Les travaux de la commission se déroulent sur la toile de fond de protestations de rue contre le projet d’exploitation de l’or à Rosia Montana. Les manifestants réclament, entre autres, le retrait du projet de loi réglementant l’exploitation des minerais de cette région, l’interdiction de l’utilisation des cyanures en Roumanie, et l’introduction de Rosia Montana au patrimoine de l’UNESCO. De l’autre côté, les partisans du projet, dont notamment des habitants, affirment que l’ouverture de la mine créerait de nouveaux emplois..



    Avertissement – Le ministère roumain des Affaires étrangères a met en garde les ressortissants roumains qui se trouvent en Grèce ou qui ont l’intention d’y voyager contre la suspension de l’ensemble des services publics dans ce pays, paralysé par une grève générale de 48 heures, qui devrait durer jusqu’à jeudi. La diplomatie roumaine recommande aux Roumains se trouvant sur place d’éviter les endroits où se déroulent les protestations. En cas de difficultés, ils sont invités à contacter l’ambassade roumaine d’Athènes, lit-on encore dans le communiqué de la diplomatie roumaine.



    Communisme – L’Institut d’investigation des crimes du communisme et pour la mémoire de l’exile roumain a annoncé avoir déposé une plainte pénale au Parquet près la Haute Cour de cassation et de justice contre le commandant d’un ancien camp de travail communiste. Selon l’IICCMER, de 1958 à 1963, le colonel Ion Ficior (85 ans) avait institué un régime d’extermination des détenus politiques emprisonnés dans la colonie pénitentiaire de Periprava, une commune isolée du delta du Danube. Une centaine de personnes ont alors perdu la vie à cause des conditions de détention, ce qui rend Ion Ficior coupable de génocide, précise l’Institut d’investigation des crimes du communisme. L’homme est le deuxième tortionnaire identifié et traduit en justice par cet organisme. Ce dernier a récemment publié une liste de 35 personnes ayant infligé des mauvais traitements menant à l’extermination des détenus politiques à l’époque du régime communiste. Depuis l’installation de celui-ci, en 1945, et jusqu’à sa chute, en 1989, plus de 600 mille Roumains ont été condamnés et jetés en prison pour des raisons politiques.



    Visite – Le Premier ministre roumain, Victor Ponta et plusieurs membres de son Cabinet se rendent jeudi à Ankara. Ils doivent notamment rencontrer le président turc, Abdullah Gul, ainsi que le premier ministre Recep Tayip Erdogan. Les responsables feront le point sur les relations bilatérales, davantage renforcées depuis la signature en 2011 du partenariat stratégique roumano-turc. La Turquie, rappelons-le, est le premier partenaire commercial de Bucarest à l’extérieur de l’UE.

  • Communisme versus communisme – le conflit roumano-yougoslave

    Communisme versus communisme – le conflit roumano-yougoslave

    En mars 1948, le Kominform, lorganisation centralisée du mouvement communiste international, condamnait par une résolution la Yougoslavie et le général Josip Broz Tito pour avoir trahi la cause communiste. Suite au conflit russo- yougoslave, tout le bloc communiste s’est vu tenu de s’aligner à la politique du Kremlin, en qualifiant l’attitude de Tito de capitaliste.



    Attirée dans ce conflit, la Roumanie, voisine de la Yougoslavie, a vu sa frontière yougoslave se transformer en une véritable ligne Maginot. Et pourtant, le conflit roumano-yougoslave n’avait pas existé réellement. C’était plutôt une dispute idéologique alimentée par deux partis, deux régimes et deux leaders tout aussi acharnés et fidèles aux valeurs embrassées.




    En 1998, le Centre d’Histoire Orale de la Radiodiffusion Roumaine a interviewé Ion Suta, chef de la section Opérations de l’armée roumaine et un des responsables du système de fortifications dressé sur la frontière roumano- yougoslave. A ses dires, ce fut Moscou qui avait décidé d’une telle mesure, mise en place, par la suite, par les communistes roumains sous la haute surveillance des conseillers soviétiques: « Suite au conflit avec la Yougoslavie, Moscou a décidé qu’une guerre contre ce pays était imminente. Par conséquent, puisque la Roumanie avait une frontière commune avec la Yougoslavie, elle allait assumer le rôle principal lors d’un possible conflit armé. Pourtant, il faut préciser qu’il ne fut pas question d’une offensive contre Tito ; au contraire, la stratégie était défensive. Voilà pourquoi l’URSS n’avait pas envisagé d’envoyer les troupes roumaines ou des forces soviétiques pour écarter Tito du pouvoir. Peu de temps après mon arrivée au commandement, on a reçu l’ordre d’élaborer une stratégie de défense sur la frontière yougoslave ».



    Malgré une stratégie défensive, l’escalade des tensions dans la région a semé la panique des deux côtés de la frontière. N’oublions pas que la deuxième guerre mondiale venait de s’achever et pour tout le monde, l’offensive militaire restait la meilleure solution en cas de conflit. La défense de la frontière était donc l’objectif numéro 1.



    Ion Suta: « Accompagné par le général Vasiliu et par un groupe d’officiers de ma section et par un contingent armé de Timisoara, je suis parti en reconnaissance à la frontière pour dresser par la suite le plan de défense du pays. Je dois vous dire que toutes ces missions de reconnaissance se sont déroulées en présence du conseiller militaire soviétique, le général Zaharenco. Parfois, il y avait aussi d’autres officiers soviétiques dont je ne me rappelle plus les fonctions. A l’occasion de ces missions sur le terrain, j’ai constaté le régime sévère mis en place en 1950, sur la frontière avec la Yougoslavie. Des barbelés étaient installés sur une bonne partie de la frontière afin d’empêcher toute tentative de passage frauduleux des deux côtés. D’autre part, ce régime de douane tellement strict s’accompagnait d’un contrôle plus sévère encore de la police politique. On a créé des unités de police et de milice à cheval qui patrouillaient dans toute la région, jusqu’à 30 ou 40 km de la frontière ».



    L’ombre d’une instigation belliqueuse se dessinait à présent sur la ligne de démarcation. Par le passé, c’était une simple formalité marquant le passage entre deux pays amis et démocratiques.



    La Roumanie n’était pas la seule qui devait renforcer sa frontière avec la Yougoslavie; cela était valable pour tous les autres pays communistes qui avaient une frontière commune avec ce pays: « C’est à partir du plan d’opérations défensif du pays sur la frontière ouest avec la Yougoslavie que nous avons dressé les fortifications. Ces dernières étaient partagées en plusieurs catégories: fortifications lourdes, légères, bétonnées ou non bétonnés. Ces constructions défensives étaient reliées par des tranchées de communication ou de combat. Ces fortifications étaient munies de mitrailleuses, de canons anti-char et de mortiers. Ces défenses étaient renforcées de positions d’artillerie, installées plus en profondeur, qui ne faisaient pas partie du système de fortifications proprement-dites, mais défendaient les troupes qui maniaient ce système. Ces fortifications allaient sans interruption de Curtici, au nord de la rivière Mures, jusqu’à Orsova. Elles se poursuivaient jusqu’à Gura Timocului où elles s’unissaient avec les ouvrages que les Bulgares devraient construire sur la rive du Timoc, jusqu’au sud, à la frontière avec la Grèce. »



    Les casemates en béton armé ont été érigées pendant la nuit afin qu’elles restent invisibles à l’ennemi potentiel. Des incidents et même des tirs d’armes légères entre les soldats des deux rives du Danube ont également été enregistrés.




    Et pourtant, un certain seuil des tensions n’a jamais été franchi, parce que tout cet épisode n’a été qu’une démonstration réciproque de force. Ni les Roumains, ni les Yougoslaves ne voulaient voir la situation escalader. Les relations entre les deux pays se sont vite améliorées après la mort de Staline en 1953. Les fortifications étaient désormais inutiles… (trad. : Ioana Stancescu, Alex Diaconescu)

  • Staline et le stalinisme

    Staline et le stalinisme


    Joseph Vissarionovitch Staline est mort le 5 mars 1953. Ce ne sont pas ses détracteurs qui lui ont collé l’étiquette de plus grand criminel dans l’histoirede l’humanité, mais les preuves accablantes des crimes commis par son régime. Le régime stalinien est non seulement une page de l’histoire de l’Union Soviétique, mais aussi de bien des nations, en raison de son impact sur la période 1945-1991.


    Le stalinisme, la plus horrible des gouvernances politiques, est synonyme de tyrannie. Une tyrannie poussée à l’extrême, mais qui a bénéficié de l’accord des individus et de la société, de la soumission aveugle à l’idéologie qu’elle promouvait. Selon Liviu Rotman, professeur à l’Ecole nationale d’études politiques et administratives de Bucarest, c’est justement l’attachement à cette idéologie et au dirigeant qui l’incarne qui explique l’apparition et la survie du stalinisme : « Je voudrais souligner le fait qu’il existe plusieurs approches quand il s’agit de définir le régime communiste. Il y a, tout d’abord, celle que l’on véhiculait du temps de Staline, lorsqu’on considérait que l’on avait affaire à la forme supérieure de l’idéologie communiste et de sa pureté. A cette époque précise, on parlait d’écrivains, d’historiens, d’acteurs, de peintres ou encore d’activistes staliniens dans le sens positif voire mélioratif du terme. Rattachée aux activistes, cette épithète désignait les communistes les plus déterminés et zélés entre tous, mais aussi les plus durs. A propos de cette dernière caractéristique, il faut rappeler que Staline est en fait un pseudonyme et que «stal» est le mot russe qui désigne l’acier. Autrement dit, on pensait que c’était une politique dure comme l’acier, mais très appropriée pour l’accomplissement des idéaux communistes. »


    La perception populaire du stalinisme peut s’avérer trompeuse. Et ce parce que, tout en imposant sa propre volonté aux autres, le tyran se doit de rester crédible aux yeux de ses tenants et son discours politique doit avoir du sens pour ses auditeurs. L’historien Cristian Vasile de l’Institut d’histoire Nicolae Iorga de Bucarest nous livre la synthèse de la pensée politique de Staline : « Erik Van Ree, un spécialiste du système politique soviétique, a publié un livre très important, intitulé «La pensée politique de Staline». Pourquoi est-il si important? Parce qu’Erik Van Ree a eu le privilège d’étudier dans les archives russes un certain type de source historique et de documents. Il s’agit des nombreuses annotations de Staline sur les livres de sa bibliothèque. Cette excellente source d’information, qu’Erik Van Ree a très bien su mettre à profit, a quelque peu modifié la perception sur Staline et le stalinisme, notamment sur les sources d’inspiration de celui-ci. A la question de savoir d’où Staline a pu s’inspirer pour forger sa doctrine, Van Ree affirme tout d’abord que l’on a affaire à une pensée politique cohérente. Ensuite, il rappelle que l’historiographie occidentale est partagée sur la question de la source d’inspiration prédominante de Staline. D’aucuns trouvent qu’il s’est inspiré de la tradition russe autocratique, depuis Ivan le Terrible jusqu’à Pierre le Grand, deux despotes modernisateurs que Staline prend pour modèle.D’autres pensent au marxisme occidental, au mouvement révolutionnaire d’Occident. Van Ree a découvert que la source d’inspiration de prédilection a été pour Staline la tradition révolutionnaire occidentale, jacobine. Il est même tombé sur des annotations de Staline prouvant que ces idées-là, bien évidemment filtrées par la pensée léniniste, lui avaient servi de source d’inspiration».


    Après la chute du communisme, de nombreuses voix ont mis ce désastre sur le compte de l’échec des leaders soviétiques à mettre en oeuvre les idées de Marx. Liviu Rotman souligne le caractère essentiellement stalinien du régime communiste, un régime que seule la tyrannie peut faire fonctionner, à son avis : «Je pense que, par la terreur et par sa politique, Staline a instauré le communisme dans sa forme la plus pure. Une fois sorti des clichés staliniens, le communisme commence, dès Khrouchtchev, à battre de l’aile et à manquer son but. C’est pourquoi même les Soviétiques retournent au stalinisme. Sans rien affirmer officiellement, Brejnev tâche — sans succès, d’ailleurs — de revenir aux pratiques staliniennes. Dans les pays-satellites de l’URSS — dont la Roumanie — l’image de Staline est affectée, il est critiqué, ses statues sont enlevées de leurs socles. Pourtant ce fut là uniquement l’apparence des choses, car pour que le communisme puisse continuer d’exister, le stalinisme devait être conservé, d’une façon ou d’une autre, même si personne ne l’affirmait ouvertement. Si je le dis, c’est parce que l’on considère d’habitude que les critiques visant le communisme de Staline visent en fait Staline lui-même. Comme si le communisme d’avant ou d’après Staline avait été plus humain, plus proche de la nature humaine, de la marche normale de l’histoire. »


    Staline et le stalinisme n’ont pas été des modèles uniquement pour les sociétés non-démocratiques. Ils ont eu des sympathisants dans le monde de la démocratie aussi — ce qui prouve que la démocratie n’est pas infaillible. Elle a eu ses Staline, plus grands ou plus petits, qui ne cédaient en rien à l’original. Pourtant, la vérité, qui est une notion non seulement philosophique, mais aussi historique, refait toujours surface. (aut.Steliu Lambru; trad. Mariana Tudose, Dominique)

  • Lettres des années 1980

    Lettres des années 1980


    Dans les archives des Services de renseignements, on trouve généralement des informations portant sur les missions secrètes, le travail des agents, les coulisses diplomatiques ou les intérêts politiques. A l’instar des autres Services secrets des régimes communistes, l’ancienne police politique roumaine, la Securitate, contrôlait la société dans son ensemble. Or, parmi ses principales sources d’informations, la correspondance a contribué de manière importante à l’obtention des renseignements et au chantage des citoyens.






    Liviu Taranu, chercheur au Conseil National pour l’Etude des Archives de l’ancienne Securitate est également l’éditeur de l’ouvrage « Les Roumains à l’Epoque d’or. La correspondance dans les années ’80 », qui regroupe une partie des lettres adressées par les citoyens roumains aux institutions de l’Etat. Création de la propagande, le syntagme « l’Epoque d’or » servait au culte de la personnalité de Nicolae Ceausescu, en se proposant de mettre en lumière les performances enregistrées par la Roumanie sous les communistes. Pourtant, la réalité était tout autre: le régime du dictateur Ceausescu avait poussé le pays au bord du précipice, en pleine crise matérielle et spirituelle sur fond d’une profonde dégradation psychologique.






    Nous passons le micro à M. Liviu Taranu pour une brève caractérisation de la Roumanie des années 1980, telle qu’elle apparaît dans la correspondance de l’époque: « Elle était pessimiste, tragique. Dramatique, c’est ça le mot juste. Il y a des lettres, des documents pleins d’humour, puisque les Roumains savent faire bonne mine contre mauvaise fortune. Pourtant, le contenu est dramatique, en raison de la pénurie quotidienne. Ce sont notamment les familles nombreuses qui se plaignent de toute sorte de difficultés: manque d’aliments, d’électricité, majoration des prix, insécurité de l’emploi. C’est incroyable de parler de l’insécurité de l’emploi dans les années ’80, mais on en parle fréquemment! »






    La Securitate passait au peigne fin toute la correspondance de l’époque, avec une attention particulière accordée à celle adressée aux institutions publiques. Liviu Taranu: « Toutes les lettres adressées aux journaux, au Comité Central, aux personnes morales, notamment à celles de la capitale , passaient à travers le filtre de la Securitate. Sur leur ensemble, plusieurs arrivaient à destination, mais d’autres, comportant des messages durs à l’adresse du régime, étaient confisquées et attachées par la suite au dossier ouvert par la police politique. Comme vous voyez, la liberté d’expression était généralement entravée. Mais, il y avait aussi des cas heureux quand les Roumains arrivaient à s’adresser par écrit aux responsables politiques ».





    Les mécontentements liés au niveau de vie étaient dominants. Et pourtant, l’insécurité de emploi est également évoquée, ce qui était inimaginable dans un régime qui prétendait être un régime des ouvriers. Cette peur contredit en effet le cliché qui affirme que dans les années du socialisme les emplois étaient garantis. Liviu Taranu : « Cette peur était très justifiée par la désorganisation des entreprises au plus haut niveau, en raison des changements opérés du jour au lendemain dans les structures d’Etat qui géraient différents secteurs de l’économie. Puis, il y avait aussi le problème de la commercialisation des produits roumains qui s’avérait de plus en plus difficile. Alors, les entreprises accumulaient des stocks. Le plan de production n’était plus respecté parce qu’à leur tour, les entreprises ne possédaient plus la matière première nécessaire pour produire. Les gens ne touchaient plus leurs salaires, la direction essayait de réduire le personnel afin de pouvoir payer les autres salariés. Toutes les réorganisations et les difficultés endémiques au niveau macroéconomique ne faisaient que produire l’insécurité de l’emploi et le chômage. Certains salariés étaient simplement virés et c’était à eux de trouver un nouvel emploi. »






    La violence de la révolution anti-communiste roumaine s’explique notamment par le fait que la voix des gens était étouffée. C’est une des choses que l’on peut observer dans la correspondance éditée dans ce volume. Tous les pays communistes se confrontaient à cette crise, mais nulle part la liberté d’exprimer son mécontentement n’était punie avec une telle sévérité qu’en Roumanie à l’époque de Nicolae Ceausescu.





    Est-ce qu’il existe un lien entre la fermeté du régime dans les années ’80 et la violence de la révolution anticommuniste de décembre 1989 ? Liviu Taranu : « Oui, j’en suis convaincu. Les tensions ne se sont pas dissipées de manière progressive. Elles couvaient avant de se manifester sous différentes formes, tant au niveau des minorités qu’à la périphérie de la société. La majorité n’aboutissait pas à esquisser des points de riposte. Au moment où ces points sont apparus, ils se sont multipliés dans tous les pays. Ces tensions étouffées pendant plus d’une décennie, même si les choses avaient commencé à ne plus aller bon train avant 1980, n’ont fait que produire ce mouvement violent. Les mécontentements étaient trop importants pour que les choses puissent se dérouler calmement, sans violence, comme en Tchécoslovaquie ou dans d’autres pays de la région. »





    Un des effets traumatisants de l’époque communiste a été d’inoculer à la population un état d’esprit névrosé. Cet état d’esprit s’est fait sentir dans les années 1990, dans le nouvel espace public démocratique roumain….(trad. : Ioana Stancescu, Alex Diaconescu)