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  • L’émetteur radio de Bod

    L’émetteur radio de Bod

    Radio Roumanie émet sans interruption depuis 1928, ayant été le fournisseur dinformation le plus constant ainsi que le témoin le plus actif des grands événements qui ont tracé lhistoire de la Roumanie au XXe siècle. Le premier émetteur a été tout naturellement construit à Bucarest. Mais, pour couvrir lentièreté du territoire national, il a fallu développer systématiquement le réseau démetteurs, une démarche mise en pratique dans les années 1930. Lantenne-relais installée dans la commune de Bod, dans le département de Braşov, au centre de la Roumanie, a été lune des plus importantes du pays.



    De nos jours, la commune est composée du village de Bod et de la colonie homonyme, situés à 10 km au nord de la ville de Brașov. Elle compte environ 4 000 habitants, dont 84 % dethniques roumains, 8 % dethniques magyars et 1% dAllemands. Le nom de la commune est mentionné pour la première fois dans des documents officiels en 1211, année de linstallation dans la région des Saxons originaires du territoire compris entre le Rhin et la Moselle. En 1241, le village est incendié par les Tatars, lappellation allemande « Brenndorf » se traduisant par « Le village brûlé ». En 1889, une fabrique de sucre est érigée à Bod, où apparait aussi la colonie, soit les logements construits pour les travailleurs. Cest dans la Colonie de Bod que lÉtat roumain a fait installer, entre 1933 et 1934, lémetteur Grandes ondes et la fréquence de 153 KHz, qui est toujours en fonction et il est dailleurs le seul de ce type en Roumanie, à lheure où lon parle. Après le 23 août 1944, lorsque la Roumanie a rejoint la coalition des Nations unies, les armées roumaine et allemande se sont affrontées à Bod.



    Dans les années 1990, le Centre dhistoire orale de la Radiodiffusion roumaine a documenté lhistoire de lémetteur de Bod au travers dinterviews avec des gens ayant participé à sa construction. Parmi eux, lon retrouve le serrurier Gheorghe Crisbășanu : « En 1934, jétais embauché à lémetteur radio de Bod. Jy ai installé lantenne de 20 kW, qui devait fonctionner et maintenir la fréquence pour la future station de 150 kW. Jy ai travaillé avec lingénieur Ştiubei, beau-fils de lécrivain Mihail Sadoveanu, avec Lică Georgescu au poste de directeur et avec lingénieur Schnoll, chef des travaux. La station avait deux panneaux dans lesquels il y avait quatre lampes. Le système de refroidissement se trouvait dans une autre salle où une pompe faisait circuler leau industrielle, refroidissait leau distillée qui refroidissait à son tour le filament des lampes. La station de 150 kW a été installée et mise en fonction après, et celle de 20 kW a été démontée et transférée à Chişinău. »



    Lingénieur Alexandru Lică Georgescu, ancien directeur de lémetteur de Bod, a fait partie de ceux qui ont assisté à linauguration: « Dans la nuit où lémetteur radio devait commencer à fonctionner officiellement, moi je me trouvais à Bucarest, dans une réunion du Conseil dadministration, qui analysait la mise en fonction des antennes-relais. Parmi les participants, il y avait un certain Dicem, un grand scientifique de la société Marconi, qui était venu à Bucarest pour transférer linstallation. Et Dicem qui dit : « Nous la mettons en fonction à condition que M. Lică Georgescu soit là-bas. » Or, là, sur place, se trouvait lingénieur qui surveillait lémetteur depuis un an, pour les essais, pour les émissions et la garantie. On ma donné donc une voiture et je suis parti vers Bod autour de minuit. , linstallation fonctionnait, mais sans diffusait quelque chose. Une fois sur place, jai établi la connexion avec le studio et lancé les émissions officielles. Ce fut une grande satisfaction personnelle. »



    Gheorghe Cristoloveanu, qui a travaillé à Bod, se souvient de léquipe et des relations interhumaines après larrivée des communistes au pouvoir et lintroduction de la censure: « À cette époque-là, lentente était parfaite et je vous dis la vérité. Plus tard, en 1949-50, quand les communistes ont pris le pouvoir, ça a été plus difficile, parce quil a fallu faire très attention à ce que lon disait. Moi, je suis resté à Bod, parce que je navais pas un salaire trop généreux. Quand javais combattu sur le front, javais reçu toutes les décorations possibles, dont la « Croix de fer » et lordre « Mihai Viteazul », et donc javais peur davoir des ennuis. Cest la raison pour laquelle jétais plus en retrait, plus soumis. Nos relations étaient plutôt bonnes, nous avions, par exemple, un club à la Maison des ingénieurs, où on se retrouvait de temps en temps pour jouer du tennis de table, pour échanger. Je ne peux pas dire que cétait une période difficile. Nous étions environ 50-60 employés, nous nous connaissons tous et nous nous entendions bien. Nous savions devant qui il fallait se taire ou se surveiller les propos. »



    Lémetteur radio Grandes ondes de Bod fonctionne depuis 87 ans. Cest un vétéran de lémission en ondes hertziennes, en compétition avec le FM et internet. (Trad. : Ileana Ţăroi)

  • Les effets indésirables de l’éducation en ligne

    Les effets indésirables de l’éducation en ligne

    En Roumanie, la suspension généralisée des cours en présentiel est entrée en vigueur le 11 mars 2020, et depuis elle se poursuit sous différentes formes et scénarios, adaptés aux situations épidémiologiques du moment. Conçue comme une solution de crise, la décision nest pas restée sans conséquences sur le parcours éducatif des élèves. Les plus touchés sont — et on s’en doutait – les enfants issus des milieux défavorisés, soit une bonne partie de ceux qui constituaient les 44 % de ce que l’on appelle les analphabètes fonctionnels, déjà avant la pandémie. Une étude, menée plus tôt cette année par l’association World Vision Roumanie, a confirmé les données qui indiquaient déjà que 40 % des élèves issus de milieux défavorisés navaient pas accès à léducation en ligne. A cette situation désastreuse il y a certes plusieurs raisons, explique Mihaela Nabăr, directrice exécutive de World Vision Roumanie :



    « Il y a tout d’abord les raisons financières, des familles qui ne sont pas en mesure d’assurer les moyens techniques et les infrastructures nécessaires au bon déroulement des cours en ligne de leurs enfants, qu’il s’agisse d’ordinateur, d’ordinateur portable, de tablette, et encore de la connexion à internet. Selon les données recueillies par notre association dans les villages où nous menons nos programmes, une personne sur trois est dépourvue d’accès à internet ou alors la connexion est tellement faible que les cours en ligne ne peuvent pas se dérouler normalement. Par ailleurs, les enseignants nétaient pas toujours formés à donner des cours ou à pouvoir examiner leurs élèves en ligne. Pourtant, dans le contexte actuel, il était extrêmement important que tous les enfants puissent avoir accès à l’éducation, car l’éducation est un droit, et cela signifie que nous devons tout faire pour que tous les élèves puissent avoir accès à ce droit et l’exercer à leur guise. Pourtant, les situations sont très différentes dun ménage à lautre, dun enfant à lautre. Pendant toute cette période, beaucoup n’ont pas eu accès à une éducation en ligne de qualité, mais il y a eu aussi des enseignants qui ne se sont pas résignés devant ce constat, et qui ont fait du porte-à-porte, qui sont allés au domicile des enfants pour laisser des notes de cours ou reprendre les feuilles de travail que les enfants avaient remplies. Le tableau d’ensemble est donc assez mitigé et beaucoup d’enfants sont quand même parvenus, dune manière ou dune autre, à joindre leurs professeurs, mais on est loin de pouvoir parler daccès universel et garanti à léducation, et encore moins à une éducation de qualité. »



    Bien que la Roumanie fasse partie du peloton de tête des pays réputés en termes de qualité de ses connexions à internet, les chiffres publiés en début d’année ont montré que 237 mille élèves navaient pas accès à internet et 287 mille élèves ne disposaient pas de léquipement nécessaire pour suivre les cours en ligne. Environ 40 % de chaque groupe était aussi repris dans l’autre groupe. Mais là où le bât blesse par-dessus tout, c’est que la situation ne s’est pas améliorée depuis. Mihaela Nabăr :



    « 91 % des enfants ou leurs parents se disent affectés par cette situation, d’un point de vue psychologique. Pire encore, environ 23 % des enfants qui vivent à la campagne et qui ont été repris dans notre étude se disent malheureux. Or, toute cette situation aura très certainement un impact majeur sur les chances de leur réintégration scolaire. Nous ne pouvons dès lors qu’espérer et saluer la reprise attendue des cours scolaires en présentiel, car cest la seule façon de pouvoir joindre et scolariser les enfants qui font partie des communautés les plus vulnérables. »



    50 % des enseignants qui ont pris part à létude menée par l’association World Vision Roumanie estiment que leurs élèves auraient besoin de suivre des cours de rattrapage, car ils ont décroché et ne seraient pas en mesure de réussir les tests qui les attendent. Mihaela Nabăr :



    « Selon les évaluations réalisées dans les communautés où notre association propose ses programmes de rattrapage scolaire, l’on constate une détérioration accentuée des résultats scolaires, et ce en dépit de tous nos efforts. Autrement dit, ces facteurs laissent présager ce que sera l’évolution du taux dabandon scolaire dans un proche avenir. »



    Et bien que les données officielles concernant labandon scolaire ne soient publiées quen fin dannée scolaire, l’on constate déjà à l’œil nu une explosion des situations de décrochage, surtout en ce qui concerne la tranche d’âge des 14-15 ans, dans ce contexte de fracture du processus éducatif. Pour comprendre le phénomène, plusieurs raisons sont invoquées par les spécialistes, à commencer par la crainte des élèves de ne pas faire face aux évaluations à venir, et jusqu’aux modifications constatées dans leur programme quotidien, certains enfants qui vivent à la campagne étant entraînés par leurs parents à faire des travaux à la maison. En outre, certains lycéens ont choisi de chercher du travail rémunéré pour subvenir aux besoins de leurs familles, alors que les cours en ligne ne leur étaient pas accessibles. La reprise des cours en présentiel pour ces catégories d’enfants s’est ainsi avérée plutôt compliquée, le 8 février dernier, certains choisissant de ne plus retourner en classe.



    Mihaela Nabăr, directrice à World Vision Roumanie, une organisation présente dans 92 pays, relève que les statistiques indiquent que près dun milliard denfants ont été touchés par la transition de l’éducation en présentiel vers léducation en ligne. Par rapport à la Roumanie, certains pays peuvent se targuer d’avoir mieux réussi le passage aux cours en ligne, alors que d’autres ont fait encore moins bien. Mihaela Nabăr :



    « Il y a certes des pays qui ont été bien moins touchés par les conséquences de la pandémie, mais cela parce que leurs systèmes éducatifs respectifs ont été mieux préparés, qu’ils se sont avérés plus résilients. Notre capacité de résilience s’est également améliorée entre temps, et nous saurons sans doute mieux nous adapter, au besoin, à moyen ou à long terme, même si j’espère que ce ne sera pas nécessaire. Aussi, il est certain que d’autres pays ont fait bien mieux que nous pour assurer la continuité de la scolarité des enfants, alors que d’autres pays ont fait moins bien que nous, c’est un fait. »



    Sans égard pour toutes ces considérations, une chose est sûre : l’école en ligne laisse des traces et affecte de manière conséquente les enfants, mais aussi leurs parents. L’anxiété, la déprime, les problèmes de vue, occasionnés par l’augmentation du temps passé devant un écran, sont là. L’absence du contact social laisse également des traces ; les petits s’avèrent moins sûrs d’eux, et manifestent des difficultés au niveau de l’expression orale.


    (Trad. Ionut Jugureanu)