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  • News from Polska – expérimentations théâtrales polonaises à Bucarest

    News from Polska – expérimentations théâtrales polonaises à Bucarest

    « The Tickler and the Ticklee », « Chatouilleur et chatouillé », c’était le thème de la troisième édition du festival des arts du spectacle « News from Polka », organisé conjointement, ce printemps, par l’Institut Polonais de Bucarest et le Centre national de la danse.



    Larisa Crunteanu, la commissaire de l’évènement, explique ce choix : « Chatouilleur et chatouillé » est un thème que j’ai imaginé à partir d’un concept appartenant à la psychologie du développement du début du 20e siècle. L’idée c’est que les gens ne peuvent pas se chatouiller eux-mêmes. Cette sensation n’est possible que par l’intervention d’une tierce personne, le fait de se chatouiller soi-même n’arrivant pas à ce même résultat. C’est ce paradoxe qui m’a fait penser à la manière dont fonctionne le dialogue intérieur. Notre cerveau est peuplé des voix des autres, mais nous ne les reconnaissons pas, nous sommes incapables de distinguer nos propres pensées des propos des autres. A partir de ce paradoxe apparent, mais transposé sur un plan mental et dans le dialogue, j’ai essayé de faire une sélection d’ouvrages qui incluent, d’une manière ou d’une autre, le dialogue intérieur en tant que zone neutre, où les interlocuteurs ne sont pas clairement définis. S’il s’agit d’un monologue ou bien d’un dialogue, qui sont les interlocuteurs, tout cela reste à découvrir. »



    Être chargé de décider des spectacles appartenant à une autre culture qui seront présentés chez soi implique une certaine responsabilité, explique Larisa Crunteanu. « En choisissant ces spectacles, j’ai également pensé à la manière dont ils seront perçus, dont ils peuvent créer des contrastes avec ce que l’on peut voir actuellement sur les scènes roumaines. J’ai été également intéressée par la manière dont des spécialistes de la danse choisissent de travailler sur les textes dramaturgiques ou indiquent des procédures théâtrales par leurs travaux. Je crois que c’est pour cela que j’ai choisi de les appeler œuvres performatives, afin de ne pas les confiner à la seule zone de théâtre-danse. »



    Les thèmes abordés dans les spectacles invités à la troisième édition du festival « News from Polska » sont proches de l’homme contemporain. « Make Yourself », le spectacle créé par Marta Ziółek, dans lequel elle se produit aux côtés de cinq autres chorégraphes et d’une chanteuse, présente un Univers futuriste, quelque chose entre un gymnase, une église et une corporation.



    « Make Yourself » est un spectacle plein de vitalité, dans lequel Marta Ziółek utilise au maximum les énergies des artistes, pour s’attaquer au sujet de l’identité : « J’ai été intéressée par la manière dont l’identité devient un produit dans notre société, dont nous pouvons devenir un objet. C’est un genre de fiction très commune dans le capitalisme, où la liberté devient un mensonge. La liberté individuelle est une sorte de prison dans laquelle nous vivons. Nous parlons de consumérisme et d’une certaine manière de nous concevoir en tant que sujets libres. Voici donc un paradoxe du monde contemporain : d’un côté, on parle beaucoup de formation et de devenir un être libre et, de l’autre côté, on devient l’esclave de certaines exigences et de certains désirs. J’ai voulu voir si nous pouvons nous libérer de ce genre de combat et si nous pouvons dévoiler ce mécanisme dans lequel nous vivons. Il y a donc dans ce spectacle une quête de liberté, produite par ce flux énergétique qui nous unit. »



    Marta Ziółek s’est également proposé de créer un spectacle que le public puisse comprendre. D’ailleurs, « Make Yourself » a connu un grand succès en Pologne et aussi à Bucarest.



    Ramona Nagabczynska, un des chorégraphes qui se sont produits dans le spectacle « Make Yourself », a été invitée au festival « News from Polska » avec le spectacle « pURe », consacré à l’idée de corps naturel, à partir du concept de « matière Ur », créé par le renommé metteur en scène et peintre polonais Tadeusz Kantor.



    Selon lui, la matière contient un pouvoir que l’artiste se doit d’écouter ; dans ce contexte, il s’agit du corps, explique Ramona Nagabczynska : « J’ai un certain intérêt pour le corps comme objet. Souvent, ce ce qui se passe avec l’artiste durant le spectacle me sert de point de départ pour le thème du spectacle. La transformation est une idée très importante pour moi. C’est pourquoi j’utilise les connaissances obtenues comme danseur dans mon travail de chorégraphe. Ce qui plus est, j’aime travailler avec le corps en tant qu’instrument visuel, c’est-à-dire que j’essaie de séparer la danse du théâtre, pour la rapprocher des arts visuels. Je ne cherche pas à créer quelque chose de trop intellectuel. En fin de compte, je suis intéressée plutôt par l’effet de mon jeu sur les gens. »



    Le festival « News from Polka » s’est achevé par un petit concert « Exit promises », de l’artiste d’origine australienne Zone-L, Laura Hunt de son vrai nom : « Depuis huit ans, je travaille constamment avec le son et je suis curieuse de voir comment il fait réagir les gens. Quelles émotions il éveille en eux. Ils sont nombreux à concentrer leurs vies autour des différents sons. Le son m’intéresse aussi d’un point de vue musical, et là, mon approche devient un peu politique. Je fais des commentaires sur la culture qui nous demande constamment de devenir meilleurs, de faire quelque chose de meilleur. J’utilise des échantillons de sons, avec des voix qui disent « tu vivras une vie meilleure en écoutant cette pièce pendant une dizaine de minutes ». J’utilise des voix tirées d’Internet, des voix de la culture du bricolage. Je joue avec ces voix, afin de créer de la musique de danse. »



    Larisa Crunţeanu, commissaire du festival « News from Polska », explique pourquoi elle avait invité une artiste de l’extérieur de l’espace polonais : « Laura Hunt est une artiste d’origine australienne, que j’ai choisi d’inviter pour faire contrepoids aux tendances politiques de plus en plus nationalistes de Pologne. L’Institut polonais a été très ouvert à l’idée de présenter une position provenant d’une région apparemment exotique. En même temps, nombre d’artistes invités au festival partagent en fait la même situation de précarité. Ils voyagent d’un pays à l’autre, pour exporter leurs œuvres et leurs pratiques artistiques là où ils trouvent du soutien. » (trad. : Alex Diaconescu)

  • Tout ce qui brille, c’est quoi?

    Tout ce qui brille, c’est quoi?

    Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi l’or fascine tant, voire exerce un pouvoir hypnotique sur nombre d’êtres humains ? Certains arborent fièrement des objets brillants, dorés, dans leurs demeures pour signifier leur statut social ou pour émerveiller leurs visiteurs. Pour d’autres, la dorure, surtout quand elle sort d’une boîte de peinture bon marché, n’est qu’une expression du mauvais goût. « Tout ce qui brille » est le titre d’une exposition qui combine la recherche sociale à l’art contemporain, qui vient d’investir les locaux de l’Institut français de Timisoara. Dans une ville avec une architecture opulente, témoignant de son passé impérial austro-hongrois, mais aussi avec des quartiers de nouveaux manoirs imposants ou d’anciens immeubles rachetés et souvent modifiés par les clans roms, cette exposition vient interroger la communauté sur les nouveaux attraits et le devenir de Timisoara. Une évolution qui s’applique à d’autres villes roumaines aussi.



    Quels nouveaux « chez soi », quelle mutation des goûts, quel effacement des frontières entre sphère privée et sphère publique ? Mais aussi comment l’art contemporain gagne-t-il de nouveaux publics en se constituant en alternative aux études scientifiques ? « Tout ce qui brille n’est pas or », mais du savoir dans un décor poignant, questionné par l’artiste visuelle Pusha Petrov, auteur de « Tout ce qui brille », Anouk Lederlé, commissaire de cette exposition, et par Sorina Jecza, directrice de la Fondation et de la Galerie Triade de Timisoara


  • La série d’auteur Gheorghe Craciun,

    La série d’auteur Gheorghe Craciun,

    Les Maisons d’Editions Cartea Romaneasca ont lancé un nouveau projet éditorial consacré à l’un des romanciers roumains les plus importants de l’époque contemporaine. Il s’agit d’une série d’auteur Gheorghe Craciun qui a débuté avec deux titres Documents originaux/ Copie certifiée conforme (des variations sur un thème en contre-jour) et La mécanique du fluide”. Les couvertures des deux recueils laissent au public la joie de découvrir des dessins originaux signés par l’auteur lui-même, décédé en 2007.



    La série d’auteur Gheorghe Craciun, parue grâce aux efforts conjugués du critique littéraire Carmen Musat et de la fille de l’écrivain, Oana Craciun, réunira aussi bien de la prose, que plusieurs essais, articles de presse, théorie et critique littéraire, déjà connus du grand public, que des recueils inédits retrouvés dans les archives personnelles de l’auteur.



    Véritable créateur d’univers et passionné d’idées, Gheorghe Craciun nous a légué une oeuvre unitaire où chaque volume représente une séquence en soi, un texte unique, constamment réinventé et révisé. Chaque lecture de son oeuvre nous laisse y découvrir une conscience vive qui frémit au rythme spécifique de son écriture” note le critique Carmen Musat, selon laquelle les deux volumes qui ouvrent la série d’auteur annoncent déjà le futur parcours d’écrivain de Gheorghe Craciun.



    Carmen Musat: « Gheorghe Craciun a fait ses débuts sur la scène littéraire en tant qu’auteur déjà accompli, un romancier qui laissait entrevoir tout son futur parcours d’écrivain dès le premier roman Documents originaux/ Copie certifiée conforme”. Ce roman, on ne l’a pas choisi par hasard pour ouvrir la série d’auteur. Avec Oana Craciun, la fille de l’auteur, j’ai essayé de mettre ensemble, sous les yeux du public, le roman qui avait reçu le droit de paraître en 1983 et celui par lequel l’auteur aurait bien voulu débuter, mais qui a passé sept ans au fond d’un tiroir avant d’être publié en 2003, aux Editions Cartier de Chisinau. Nous avons donc créé une sorte de pont à travers le temps qui rapproche les deux visages de l’auteur Gheorghe Craciun. »



    Aux dires de l’auteur même, le volume de début « Documents originaux/ Copie certifiée conforme » représente le livre le plus expérimental qu’il ait écrit et qui, du coup, s’avère le moins accessible au public. Pourtant, loin de se considérer comme appartenant à l’avant-garde ou au postmodernisme dans le véritable sens du mot, Gheorghe Craciun affirmait se sentir emporter par la fascination de la quête d’une force supérieure censée lui offrir la possibilité d’expliquer le monde par des termes mathématiques. Mon expérimentalisme ne se réduit pas au langage, comme on a déjà affirmé à tort, disait-il. Il tire sa source de la sensation que notre langage naturel et la rhétorique dont on dispose grâce à la littérature s’avèrent insuffisants face à la multitude, à la richesse et à la diversité de la réalité. Il existe une volonté de la quête que le langage entreprend afin de surprendre la complexité et la richesse du monde qui nous entoure”. C’est par ces mots que Gheorghe Craciun présentait sa littérature.



    Carmen Musat: « Dans l’espace littéraire roumain, Gheorghe Craciun figure parmi les auteurs dont l’approche auctoriale est doublée d’une forte conscience théorique. De ce point de vue, il rejoint la famille des écrivains ayant construit leur oeuvre pas à pas, tels Camil Petrescu, Mircea Eliade et George Calinescu. Et le roman Documents originaux/ Copie certifiée conforme ” prouve cette idée. L’un des défis que Craciun a tenté de relever fut de mettre ensemble sur la même page, différents types de langages pour faire de la littérature à partir de la peinture, de la photographie ou de la musique. D’ailleurs, le modèle d’écriture pratiquée par Craciun s’inspire de l’art photographique et de la musique. La façon dont il construit ses phrases, le rythme qu’il leur imprime, l’enchaînement des mots, la construction de la narration, tout cela renvoie à la technique photographique et musicale. Je voudrais ajouter encore un détail: cette nouvelle syntaxe narrative proposée par Craciun et utilisée dans son roman Documents originaux/ Copie certifiée conforme” apparaît aussi dans ses autres volumes de prose. Pourtant, au fur et à mesure que l’écriture avance, la dimension théorique-expérimentale s’efface, laissant la place au romancier tel quel, sans aucune armature théorique. Celle-ci continuera à apparaître dans les autres romans aussi, sans être aussi évidente que dans le volume de début. »



    « Une pensée, un sentiment, une certaine tristesse, mais aussi de la joie, peut-être malgré nous, ce monde existe, est une partie de nous-mêmes, nous demande de le sentir, de l’affirmer. Le monde, la partie dans laquelle nous nous trouvons, comme cette forêt quand j’y suis. Parce que moi je le vois d’un œil d’enfant, comme une sorte d’enfant qui n’a pas encore lu tout ce qu’on a écrit de bien et de bon sur son charme. Lui, mon œil, ne peut pas se le rappeler. Il n’est coloré par aucune intrusion étrangère. Dans mon cerveau il n’y pas de place pour des paroles, ni pour des couleurs connues. Aucun climat esthétique, aucun texte littéraire, aucune toile célèbre n’altèrent mon regard. Il n’y a rien en moi qui puisse arriver et rester dans mes pensées. Je regarde et j’aime regarder, et j’aime combien je regarde et j’aime lorsque je regarde », ce fut un fragment du volume qui ouvre la série d’auteur Gheorghe Crăciun.



    Le critique Carmen Musat, initiatrice de la série d’auteur Gheorghe Craciun, explique : « La prose de Gheorghe Craciun et la prose de la génération des années 1980 en général est connue comme une prose réaliste. Une prose réaliste qui est venue s’opposer au projet littéraire du réalisme socialiste ou du soi-disant roman « politique », en vogue dans les années 1980. Ce que font les auteurs de la génération des années ’80, c’est de saisir la réalité jusque dans ses moindres détails. C’est une tentative de ne pas laisser les filtres idéologiques altérer et même couvrir le regard posé sur le monde réel. Dans la prose de Gheorghe Craciun, les gens agissent tout naturellement. Ce sont des personnes lambda surprises dans des actions quotidiennes : professeurs, exilés quelque part à la campagne, dont l’horizon existentiel se ferme pour des raisons idéologiques. Et pourtant cette prose n’est pas à thèse, elle ne se propose pas de dévoiler des conspirations politiques ou des abus, comme ce fut le cas des créations des années 1950, soit la période la plus dure du stalinisme en Roumanie. Les personnages de la prose de Gheorghe Craciun sont très bien ancrés dans le réel puisqu’ils vivent dans un monde réel, se voient confronter aux problèmes quotidiens de tout un chacun. C’est pourquoi, lus aujourd’hui, ces fragments n’ont pas besoin de notes supplémentaires. Craciun ne parle pas entre les lignes. C’est très facile de comprendre cette prose, même en l’absence des notes de bas-de-page. »



    Une partie des écrits de Gheorghe Craciun a été publiée par des maisons d’édition étrangères. Il est l’auteur, entre autres, des volumes « Images et textes » (publié en 2000) et « Composition aux parallèles inégales » (sorti aux éditions Maurice Nadeau, Paris 2000, traduit en français par Odile Serre). (Trad.: Ioana Stancescu, Alexandru Diaconescu)