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  • Les rites de Nouvel An

    Les rites de Nouvel An

    Sans égard pour la langue, la culture ou le fuseau horaire, la nuit qui marque le passage à la nouvelle année est un moment particulièrement festif pour tout un chacun. Que ce réveillon soit passé en famille, entre amis ou, tout simplement, à la belle étoile, il nen reste pas moins quil demeure toujours un moment privilégié, une occasion de faire la fête et de se réjouir. Dans certaines régions de Roumanie pourtant, les traditions anciennes gardent entier leur pouvoir de séduction, et se perpétuent de la sorte, de génération en génération, faisant fi de lacception moderne de lexpression « faire la fête ». Selon ce rituel, le repas de Nouvel An se rapproche de son acception sacrée. Sabina Ispas, directrice de lInstitut dethnographie et de folklore « Constantin Brăiloiu » de Bucarest, détaille au micro de Radio Roumanie :



    « Le rituel du Nouvel An suit une série dactions de nature cérémoniale, bien que festives. Prenons le rituel de la « sorcova », très prisé par les petits, qui vont souhaiter, à laide dun rameau fleuri, utilisé en guise de baguette magique, le bonheur à leurs proches, en prononçant une sorte dincantation versifié, dont les vers sont hérités de génération en génération. Même chose au sujet de la cérémonie du Pluguşor, pratiquée par les jeunes hommes mariés du village, avec sa version pour les enfants, qui se déplacent en groupe, de foyer en foyer, pour prononcer des vœux, censés assurer la protection du foyer et de ses hôtes, et la richesse de la récolte au printemps. Ces rituels font partie de la famille de ce que lon appelle les « colinde » (cantiques populaires), censés chasser la peur, la malédiction et le péché, et qui, dans certaines régions, ne prennent fin que le 7 janvier, à la Saint Jean. »



    Dans certaines régions reculées, à la campagne notamment, les gens croient encore dans les vertus particulières du jour de lAn, perçu comme un moment qui permet un accès plus aisé au divin, au miracle, à lau-delà. Et, en effet, selon la tradition, il sagit dun moment charnière, dun temps suspendu, chargé de pouvoirs magiques, aussi bien pour lindividu, que pour la communauté dans son entièreté. Sabina Ispas :



    « Pour les gens, lors des fêtes de Noël et du Nouvel An vécues dans la tradition, cest comme si les cieux souvraient. Cela renvoie au concept de théophanie, selon lequel la volonté divine se manifeste, devient compréhensible et accessible. A ce moment, le divin descend sur terre, se répand, se fait connaître aux êtres humains. Ce sont des instants particuliers, lors desquels les hommes peuvent connaître la volonté divine, ce que présage la nouvelle année, qui vient de commencer. Les gens perçoivent cela non pas comme une sorte de sorcellerie ou de magie, mais véritablement comme un message qui leur est transmis par Dieu lui-même, et qui leur devient accessible, lisible et compréhensible. »



    Si de nos jours lon chasse lannée qui vient de sachever à coups de feux dartifices, cétait par le bruit des fouets qui claquaient, maniés adroitement par les jeunes des villages, que lon chassait autrefois lannée qui brulait ses derniers feux. Les cris aigus que lon entendait à loccasion avaient par ailleurs pour fonction de rétablir, pour lannée qui venait de commencer, les rapports déquilibre entre les hommes. Delia Şuiogan, ethnologue à lUniversité de Nord de Baia Mare :



    « Une coutume bien suivie autrefois était de produire ces cris aigus que lon entendait de loin, à travers le village. Cette coutume visait les jeunes filles et les jeunes hommes en âge de se marier, et qui ne létaient pas encore. Daucuns pensaient que ce rituel avait pour objectif de tourner en ridicule, voire de punir ces jeunes gens qui tardaient à prendre leurs responsabilités. Il nen est rien. Mais il sagit en effet dun rituel censé les pousser à prendre leurs responsabilités. Car, dans les communautés traditionnelles, il fallait se ranger à temps. Sécarter du chemin tracé signifiait mettre en danger la communauté dans ses fondamentaux. Il sagit donc dun rituel voué à défendre la communauté. Toujours au Nouvel An, lon remarque le rituel du pardon universel. Ceux qui sétaient disputés devraient se pardonner, en se serrant les mains au-dessus du pain béni à Noël. Au fait, il sagit de rituels qui témoignent dun désir de concorde, de faire la paix, de rétablir lunité de la communauté. Par lintention qui les sous-tende, il sagit dactes éminemment positifs et, au demeurant, très beaux dans leur expression. »



    Quoi quil en soit, les cérémonies qui accompagnent le passage dune année à lautre ont un double rôle. Il sagit tout dabord, en quelque sorte, d« enterrer » lannée qui vient de sachever, ensuite de fêter la naissance de la nouvelle, de léternel recommencement. Les masques quenfilent les joueurs des « colinde » protègent de laction des esprits maléfiques. Danciennes « colinde » renvoient par ailleurs à des rituels de fertilité ancestraux. En Bucovine, les jeunes gens qui vont chanter les « colinde », se déplaçant de maison en maison, vont dabord enfiler des costumes représentant des personnages ou des créatures fantastiques. Parfois les villageois les suivent et forment ensemble une sorte de cortège de carnaval, qui passe au milieu du village, avant de sarrêter aux portes pour chanter les « colinde ». Et le cortège se pare alors dun air joyeux, parfois loufoque, sinon carrément exubérant.



    Certes, fin 2020, les cortèges de Nouvel An seront sans doute bien moins étoffés que de coutume, pandémie oblige. Il nen reste pas moins que les ressorts intimes de ces traditions millénaires vont demeurer les mêmes. Pourvu que ça dure.


    (Trad. Ionuţ Jugureanu)


  • Le Père Noël est là !

    Le Père Noël est là !

    Si, dans les villages, les traditions sont préservées précieusement et les groupes de jeunes s’en vont d’une maison à l’autre chanter des noëls, en ville ce sont surtout les marchés de Noël et d’autres initiatives similaires qui viennent compléter l’atmosphère des fêtes. Nous sommes donc partis en balade à travers le pays, voir ce que les villes nous offrent.


    A Bucarest, nous nous sommes rendus au Musée du paysan roumain, où nous avons été accueillis par la muséographe Oana Otilia Constantin.



    « Cette année aussi, nous avons organisé un marché de Noël à la Saint Nicolas. C’était la 24e édition, nous avons grandi, mais nous avons toujours gardé nos âmes d’enfants. C’est pourquoi nous avons invité des artisans de tout le pays pour nous apporter les objets spécifiques de leur contrée d’origine, ainsi que des produits culinaires qui ont fait les délices des petits : pain d’épices, brioches, gâteaux faits maison. Cette édition a été très réussie, elle a attiré plus d’artisans et plus de visiteurs.»



    Ville de l’ouest du pays, Arad est elle aussi prête pour les fêtes. Nous y sommes accueillis par Doru Nardea, de la compagnie de transport urbain.



    « Comme chaque année, pendant la période des fêtes d’hiver, nous avons mis en circulation un tram spécial, un tram de Noël. C’est une tradition qui a commencé en 1997. Le tram circule entre le 5 et le 29 décembre, de 8 heures du matin jusque très tard en soirée. Pendant cette période, la demande est importante, car de nombreux groupes d’enfants l’utilisent pour fêter Noël et la Saint Nicolas. Ils échangent des cadeaux dans ce tram, ils chantent, tout le monde est joyeux. Nous avons des groupes d’enfants qui viennent de tout le comté. Après 4 h de l’après-midi, le tram circule en ville et le voyage est gratuit pour tout le monde. C’est une belle initiative qui réjouit beaucoup les enfants. Les wagons de ce tram sont colorés et bien éclairés, on le voit de loin quand il arrive. »



    Un tram du Père Noël circule à Cluj-Napoca aussi, jusqu’au 30 décembre. Il est orné pour la fête, avec des guirlandes et de petites lumières. Le prix du billet est le même que pour tout autre tram. Là, Père Noël voyage en tram entre 16 h et 19 h. Pendant ce laps de temps, il écoute les souhaits des enfants, et leur distribue des sucreries. Les petits lui récitent de petits poèmes. »


    Depuis 2015, à Bistriţa-Năsăud, il y a non pas un tram, mais un train du Père Noël. Il compte 140 places et de larges espaces pour la rencontre des enfants avec Papa Noël : les petits peuvent faire des selfies avec lui, lui confier leurs souhaits, chanter des cantiques avec lui.


    La Musée du village de Bucarest est une zone rurale au cœur même de la capitale roumaine. Nous découvrons dans ses ruelles quelques traditions anciennes des différentes régions du pays. Entre le 6 décembre et le 6 janvier, à Luncaviţa, dans le comté de Tulcea (dans le sud-est du pays) se déroule une coutume appelée « Moşoaie ». Le professeur Marcu Trandafir explique:



    « Cette coutume est spécifique de la commune de Luncaviţa. Je m’occupe de l’ensemble qui la présente depuis que j’étais enfant. La Saint Nicolas ouvre la période des fêtes de fin d’année. C’est à ce moment-là que nous commençons à préparer les masques. La veille de Noël, un défilé des masques a lieu à Luncaviţa. Ici, au Musée du village, nous avons emmené 9 « moşoaie », alors qu’à Luncaviţa, nous en avons 60, qui se réunissent au centre du village et tout le monde les admire. Les personnes portant des masques appelée moşoaie sont accompagnées d’un groupe de jeunes qui chantent des cantiques. Elles entrent dans la cour de chaque maison, munies d’une massue en jonc — puisque nous nous trouvons aux portes du delta du Danube. Ces personnes masquées chassent les mauvais esprits qui pourraient se trouver dans la cour de la maison respective. Si le masque ne suffit pas pour les mettre en fuite, elles ont cette massue et elles se battent contre les mauvais esprits pour les vaincre et les chasser, afin que les bons esprits viennent s’installer. »



    A Asău, dans le comté de Bacău, dans l’Est du pays, les mauvais esprits sont également chassés en faisant beaucoup de bruit. Florin Andrieş est venu au Musée du village de Bucarest pour présenter une coutume où il joue le rôle d’un ours.



    «Nous, les ours, nous dansons au rythme du tambour. C’est une coutume propre à la Moldavie. Le groupe compte au moins 10-15 personnes, mais leur nombre peut aller jusqu’à 100-120. Ici, nous sommes une vingtaine : 12 ours, 3 tambours, le vieil homme et le maire. Ce groupe est censé chasser les mauvais esprits de la maison. »



    Voilà ! Une fois ces rituels accomplis, il ne sous reste qu’à vous souhaiter « Joyeux Noël » et « La mulţi ani! » — notre vœu traditionnel pour les fêtes.


    (Trad. : Dominique)


  • Quand les cieux s’ouvrent – le Nouvel An roumain

    Quand les cieux s’ouvrent – le Nouvel An roumain

    Le passage à la nouvelle année est sans aucun doute une des plus importantes célébrations de la société moderne. Les significations qui y sont attachées par la tradition continuent d’exister de nos jours encore, bien que sous une forme adaptée. Les feux d’artifices, qui aident aujourd’hui à chasser l’année en train de partir, ont remplacé les claquements du fouet qui résonnaient jadis à travers les villages ; et le repas, autour duquel famille et amis se rassemblent, a gardé toute sa valeur symbolique. Delia Suiogan, ethnologue à l’Université du Nord de Baia Mare, explique : « Au Maramures, de nombreuses coutumes liées au Nouvel An sont des variantes de noëls. Entre la fête de Noël et le Jour de l’an, les chanteurs portent souvent des masques. Dans la mentalité traditionnelle, le masque est important parce qu’il est une représentation imaginaire de l’au-delà. Les ancêtres, les animaux totémiques ou le végétal aux fonctions totémiques viennent aider l’être humain à réintégrer le monde des vivants, appelé aussi « le monde blanc » par les ethnologues. Au Maramures, nous avons de très beaux défilés de masques de vieillards et de diables. Le masque du vieil homme a des racines anciennes, dans le culte des ancêtres, la vieille femme et le vieil homme étant les médiateurs entre les deux mondes. La ronde des vieux du Maramures est un cercle magique, et les coups de bâton, dans le sol ou appliqués symboliquement aux autres participants au rituel, ont des significations très anciennes, l’ancêtre étant capable de refaire tout déséquilibre. De même, le masque de la chèvre est lui aussi très ancien. La chèvre joue un rôle essentiel, car elle aussi meurt et renaît ; elle symbolise l’année qui s’en va et l’année qui arrive sous de bons augures. Les diables sont les signes du mal, qui nous rappellent que le bien n’existe pas sans le mal, et inversement. L’homme traditionnel a toujours su unifier ces éléments dans des rituels. »



    La fête du Nouvel an a une double portée — la mort de l’année qui s’achève représente la renaissance cosmique. Si les masques des danseurs protègent contre les esprits maléfiques, des formules de vœux découlent d’anciens rituels de fertilité.



    En Bucovine, pendant la nuit de la Saint Sylvestre, « les masqués » arpentent les rues des villages, déguisés en personnages ou créatures fantastiques, accompagnés par des musiciens et, souvent, aussi par des villageois. Le cortège, qui passe d’abord par le centre du village, fait le tour de toutes les maisons. Surnommés aussi « les hideux », les danseurs prennent possession du territoire où ils se trouvent en culbutant, montant dans les arbres ou sur les toits des maisons ou encore en salissant les hôtes – et notamment les jeunes filles — de cendres.



    L’exubérance se mêle ainsi à la frayeur, recevoir ces messagers de l’avenir étant de mise pour avoir une douzaine de mois à l’abri de la mauvaise fortune, précise Sabina Ispas, directrice de l’Institut d’ethnographie et folklore « Constantin Brailoiu » de Bucarest : « Le passage à la Nouvelle Année s’accompagne d’une série d’actions et de rites festifs, dont le plus connu est la « sorcova » des enfants, soit des vœux formulés par les petits alors qu’ils touchent gentiment les adultes, les propriétaires d’une maison généralement, avec des branches ornées de fleurs naturelles ou en papier. De même, nous avons le « plugusor » des enfants et le « plug » des adultes, notamment mariés. Réunis en groupes séparés, petits et grands faisaient du porte à porte avec des charrues de dimensions variables, symbolisant la protection divine. Noël et le Jour de l’an sont des moments particuliers quand les cieux s’ouvrent vers la terre, les humains communiquant directement, plus aisément, avec l’au-delà, selon les croyances. En sa toute-puissance et splendeur, Dieu venait à la rencontre de l’homme, sa création. C’est précisément devant ces cieux ouverts que les mortels peuvent apprendre ce qui peut leur arriver au cours de l’année qui commence. Et il ne s’agit surtout pas de divination ou de sorcellerie, comme on peut le croire, mais d’un message que Dieu fait passer aux humains dans un moment où il a un contact rapproché, sans médiation, avec eux ».



    La croyance de cet accès sans entrave à la divinité dans la nuit du Nouvel An n’a pas faibli en Roumanie, surtout dans les communautés traditionnelles. Dans la tradition populaire, ce genre de message, reçu à un tel tournant temporel, est considéré comme le seul véritablement important, tant pour chaque individu que pour l’ensemble de la communauté en question. (trad. : Ileana Taroi, Andrei Popov)

  • Chambres entrouvertes

    Chambres entrouvertes

    Arrivés dans la région au 17e siècle, fuyant lempire ottoman et les guerres, les Bulgares du Banat ont assimilé, réinterprété et fait leurs les cultures avec lesquelles ils sont venus en contact. Ils sont catholiques et non orthodoxes, leur langue a subi de nombreuses influences roumaines, allemandes, hongroises, leur alphabet est latin. Aujourdhui, il nen reste quun millier de personnes environ de cette communauté, qui renferme toujours, soigneusement, nombre de secrets. Pusha Petrov, artiste visuelle et chercheuse, a souhaité fouiller un peu dans les tiroirs aux souvenirs des vieilles chambres. Des chambres appelées “soba”, poêle en traduction littérale. Pusha Petrov est lauteure de “Soba”, lexposition sur les Bulgares du Banat, à voir à la galerie de ICR, au 1 rue de lExposition à Paris.