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  • Des messages gravés en pierre

    Des messages gravés en pierre

    Les plus anciennes traces
    laissées par nos ancêtres montrent leur besoin de transmettre aux générations
    futures des signes de leur passage dans ce monde. Avant de découvrir
    l’écriture, l’être humain a exprimé ses pensées à l’aide de dessins rupestres
    et d’objets ornés ou peints. Avec l’invention de l’écriture, les messages et
    les pensées destinées à la postérité ont gagné en forme et contenu, ce qui nous
    permet d’apprendre davantage sur les perceptions du passé. Parmi eux, les
    messages gravés dans la pierre font partie des plus durables qui sont arrivés
    jusqu’à nous. S’agissant de cette catégorie tellement spéciale, nous pensons
    presque immédiatement à l’Antiquité et à ses imposants temples, statues et
    monuments funéraires. Pourtant, ce genre de textes datant d’époques plus
    proches de nous ne sont ni éparses ni moins importants.


    Dans la société roumaine du XIXe siècle, les
    messages gravés dans la pierre, notamment ceux inscrits sur des croix ou des
    crucifix, dégagent une force impressionnante. Dans le Bucarest d’il y a deux
    siècle, la pierre a retenu ce que les habitants de la ville ont cru
    représentatif pour eux et pour leur ville. Cezar Buiumaci, muséographe au Musée
    municipal Bucarest, est un chasseur des croix et crucifix en pierre et des
    messages gravés dessus dans la capitale roumaine: Cette étude nous a
    permis de retrouver deux croix dont nous avions perdu la trace. L’une est celle
    d’Ioan Pometcovici, une croix de fontaine de la zone Ferentarilor qui, de nos
    jours, orne la tombe du général Gheorghe Brătianu, au cimetière Bellu. Elle a
    changé de destination, devenant une croix tombale. L’autre croix est celle de
    Miloradovici, un monument rappelant une victoire des troupes russes sur les
    Ottomans. La général Miloradovici a réussi à éviter une confrontation armée
    dans la ville, ce qui lui a valu le surnom de « sauveur de Bucarest ».
    Une croix en pierre a été érigée en souvenir de ces événements sur la colline
    de la Métropolie, près du clocher.


    Les
    messages les plus puissants gravés dans la pierre de Bucarest au XIXe siècle
    sont écrits sur les croix et crucifix, un des plus anciens symboles universels,
    d’avant l’apparition du christianisme, qui lui a donné une valeur centrale. Les
    quatre bras de la croix représentent les grands axes du monde universel et les
    coordonnées physiques sur lesquelles l’homme construit son monde matériel. La
    croix était ainsi une base sur laquelle les messages étaient écrits et dessinés
    pour l’éternité. Par exemple, la scène biblique de l’Annonciation est gravée
    sur la croix de Tănase Cismarul (le Cordonnier), qui se trouve actuellement dans le quartier de
    Ferentari, au sud-ouest de Bucarest. La Mère du Seigneur est agenouillée à
    droite de la scène, l’archange Gabriel est debout à gauche. Des rayons de
    lumière, figurés au-dessus de la Sainte Vierge, signifient la présence du Saint
    Esprit. Le texte est écrit en roumain avec l’alphabet cyrillique utilisé en
    1829, année de la construction de la croix et de la fontaine: « Grâce à la miséricorde et l’aide de
    Dieu glorifié en Trinité, nous avons érigé cette Sainte croix à la gloire de
    l’Annonciation faite à la Très Pure Mère et nous avons creusé ce puits. »

    Car un élément important des messages gravés dans la pierre est lié non
    seulement au côté abstrait de la vie mais aussi au côté matériel, représenté
    dans ce cas par une fontaine. Cezar Buiumaci souligne la connexion entre
    l’esprit et la matière, retenue par les messages gravés sur les croix en pierre
    de Bucarest, dont celle de la rue Puțul cu Tei, dans l’actuel quartier de Berceni: La croix du quartier Bellu datait, selon différents auteurs, du temps
    des Pandours en 1821, ou de l’époque de la génération révolutionnaire de 1848.
    La vraie date est à mi-chemin entre ces deux années, puisque le monument a été
    commandé en 1831. C’est une croix de fontaine, érigée sur un terrain vague rue
    Puțul cu Tei. A l’époque, il y avait cette coutume de planter un arbre et de
    construire une croix lorsque l’on creusait une fontaine. Or c’était très
    généreux d’offrir de l’eau au voyageur assoiffé à une époque où les réseaux
    d’alimentation en eau potable n’existaient pas. Et puis, les fontaines avaient
    aussi la fonction économique de désaltérer les troupeaux d’animaux ou d’arroser
    les cultures agricoles. Cette croix a été érigée là où commençaient les vignes
    de la Colline des Vignes (Dealul Viilor). L’histoire était la suivante: un
    voyageur arrivait, calmait sa soif et se reposait à l’ombre de l’arbre. Et là,
    il arrivait à un point où il lisait le message de ceux qui avaient construit le
    monument.



    Les
    messages inscrits sur les croix en pierre ne transmettent pas que des
    remerciements. Ce sont aussi des messages triomphants, à l’exemple de celui
    gravé sur la croix du prince de Valachie, Leon Vodă, érigée en 1631 en souvenir
    de sa victoire militaire sur l’ennemi. D’autres messages déplorent la perte
    d’un être cher, comme celui écrit sur la croix du grand boyard Papa
    Brâncoveanu, tué en 1655 pendant une révolte paysanne. Et les exemples ne
    s’arrêtent pas là, leur diversité étant une véritable chronique en pierre de
    l’histoire bucarestoise. (Trad. Ileana Ţăroi)