Tag: crucifix en pierre

  • Les crucifix en pierre de Bucarest

    Les crucifix en pierre de Bucarest

    Les
    crucifix ont constamment été présents dans l’espace public de Bucarest. A
    travers le temps, une cinquantaine de tels monuments ont été érigés sur le
    territoire de la ville, pour marquer des événements militaires ou sociaux, pour
    délimiter une propriété ou pour jouer le rôle de cénotaphe. Certains crucifix
    ont été ramenés d’ailleurs pour intégrer les lapidaires de monastères et de
    musées locaux, tels le monastère Antim et les Palais brancovans de Mogoşoaia.
    Le monument le plus ancien est sculpté en bois sur les ordres de Leon Vodă, prince
    régnant de Valachie entre 1629 et 1632, qui voulait marquer ainsi sa victoire sur
    Matei Basarab du 23 août 1631. La dégradation due au passage du temps a
    poussé le fils de Leon Vodă, Radu Leon,
    à le faire refaire, mais en pierre, entre 1664 et 1665. Un autre crucifix en
    bois, refait plus tard en pierre, est celui de Papa Brâncoveanu, le père de
    Constantin Brâncoveanu, prince régnant de Valachie de 1688 à 1714, qui a été
    tué pendant la révolte des corps militaires des Seimeni et des Dorobanţi en
    1655.


    Cezar-Petre
    Buiumaci, muséographe au Musée municipal de Bucarest, est le coordonnateur d’un
    projet centré sur les crucifix en pierre de la capitale de la Roumanie. Il a
    expliqué la construction de ces monuments publics avant l’époque moderne : Les grands fléaux qui se
    sont abattus sur la ville ont persuadé la population d’ériger ces monuments à
    double signification : la protéger des désastres et lui rappeler ce
    qu’elle avait subi. C’est le cas du crucifix en pierre que le serdar
    (commandant de cavalerie) Matei Mogoş (Mogoşescu) a fait installer sur son
    domaine au début du XVIIIème siècle, dans l’espoir d’accélérer la fin de
    l’épidémie de peste, qui secouait la ville. Le monument a acquis une importance
    telle dans le mental de la communauté que le métropolite Grigore II a fait
    bâtir une église autour de cette croix en pierre. Placé à l’intérieur de
    l’autel de l’église Oborul Vechi, le crucifix, qui devait rappeler aux gens les
    temps difficiles de l’épidémie de peste et de la période de famine, est devenu
    un objet de culte très peu visible de nos jours. Nous retrouvons ce même type
    de rappel d’une épidémie à Vienne, où l’empereur autrichien avait fait ériger
    une colonne dédiée à la miséricorde divine à la fin de l’épidémie de peste de
    la fin du XVIIème siècle. Dans la ville d’Arad, sise à la frontière actuelle de
    la Roumanie avec la Hongrie, une colonne similaire, représentant la Sainte
    Trinité, a été dressée vers le milieu du XVIIIème siècle. De tels monuments
    existent aussi dans d’autres villes, de la région du Banat, de Hongrie ou
    d’Allemagne, résultats des promesses faites en lien avec la fin des épidémies.



    Les
    crucifix publics pesaient d’un poids impressionnant sur le mode de vie et le
    mental collectif des habitants de Bucarest. Cezar-Petre Buiumaci raconte une de
    ces nombreuses histoires : Un des crucifix très importants de l’histoire de Bucarest est celui,
    aussi visible que peu connu, dit de Neofit. Il a été commandé par le
    métropolite de l’Ungrovalachie Néofit le Crétois pour servir de borne de
    frontière. Il avait pris cette décision en raison des nombreuses violations des
    droits de propriété sur les terrains et les vignobles de la métropolie par les
    supérieurs du monastère Mihai Vodă. Après une enquête sur le terrain, le
    métropolite a décidé de faire poser la croix en pierre à l’endroit où se
    trouvait la fontaine des Gueux, dans la rue Cazărmii (de la Caserne). Sauf que
    l’enquête n’a pas vraiment produit le résultat espéré, car les moines du
    monastère Mihai Vodă avaient convaincu les habitants du faubourg de ne rien
    dire sur les anciennes limites des domaines de la métropolie. Comme il ne
    réussissait à obtenir aucune information qui l’aide dans sa démarche, Neofit a
    lancé une malédiction contre les habitants du faubourg, pour les presser de
    dire la vérité. « La Grande malédiction » et la « Terrible
    imprécation » ont été lues dans les églises Alba-Postăvari,
    Arhimandritului, Gorganului et Golescu, dans les trois premiers dimanches du
    Carême, leurs destinataires étant tous ceux qui connaissaient les repères des
    terrains en question, mais qui ne voulaient pas en parler. La démarche a eu du
    succès, car les gens ont indiqué les repères à la commission d’enquête chargée
    de faire de la lumière dans ce cas.



    L’une
    des plus récentes croix publiques de Bucarest se trouve Place de l’Université,
    au centre-ville de la capitale. La Croix de Bessarabie se dresse aux côtes des
    crucifix qui commémorent la Révolution de décembre 1989. Cezar- Petre Buiumaci
    a raconté l’histoire de cet ensemble : La Croix de Bessarabie est une croix en bois ramenée de Chişinău par
    un groupe d’étudiants de la République de Moldova lors de la Marche de l’Union
    et posée le 27 mars 1992, date de l’union de la Bessarabie avec la Roumanie en
    1918. La croix en bois symbolise l’union de la nation, étant pratiquement le
    premier crucifix de l’ensemble actuel, dressé à la place de crucifix posés en
    décembre 1989. Huit autres croix en pierre y ont été ramenées de la commune
    d’Alexeni, dans le département d’Ialomiţa, et forment ainsi l’Ensemble des
    Héros de la Révolution de décembre 1989. C’est devenu le principal lieu de
    commémoration des martyrs de la révolution anti-communiste. C’est un exemple de
    changement de la signification d’un monument, passé de borne de frontière à
    monument de forum public important dans l’histoire récente.



    Par
    leurs messages forts et expressifs d’un point de vue artistique, les crucifix
    en pierre de Bucarest, sont devenus des éléments constitutifs du paysage urbain
    actuel. Même si le bucarestois lambda peut s’habituer à leur présence, ces
    monuments gardent intacte tout leur poids symbolique. (Trad. Ileana Ţăroi)



  • « Messages gravés dans la pierre » – un nouveau projet de culture urbaine

    « Messages gravés dans la pierre » – un nouveau projet de culture urbaine

    Le Musée de la ville de Bucarest vient de lancer un nouveau projet de
    culture urbaine – « Messages gravés dans la pierre » – qui se propose
    de réaliser la numérisation des crucifix en pierre de Bucarest. Cela devrait
    aboutir à une carte des lieux où s’érigent les monuments, ainsi qu’à une exposition
    accueillie par le musée municipal. Cezar Petre Buiumaci, manager du projet,
    explique le concept: Le Musée de la ville
    de Bucarest a lancé cet été le projet, de numérisation des crucifix en pierre
    de Bucarest « Messages gravés dans la pierre ». Un projet cofinancé
    par l’Administration du Fonds culturel national, avec deux composantes
    principales : la première rassemble l’identification, l’inventaire et
    l’étude des crucifix en pierre érigés sur le territoire de la capitale ;
    la seconde concerne l’introduction de ces monuments dans le circuit public à
    travers un site web dédié, une exposition, un catalogue, une conférence et des
    ateliers d’histoire urbaine pour les élèves des lycées « Iulia Hașdeu »,
    « Ady Endre » et « George Coșbuc » et pour les étudiants de
    la Faculté de lettres de l’Université de Bucarest. Notre projet s’est proposé
    d’identifier et de mettre en valeur les crucifix en pierre de la ville, afin
    d’en faire un sujet de recherches, d’identifier des modalités de faire passer
    le message, de remémorer des événements de l’époque médiévale et de l’époque
    moderne de l’histoire roumaine ; de trouver aussi les modalités de résoudre
    des situations critiques, les promesses ou la mise en évidence de certains
    comportements, aussi bien à l’intention de ceux qui étudient l’histoire, la
    géographie et l’anthropologie urbaine, que des communautés locales où se
    dressent ces monuments, pour qu’en fin de compte, toutes ces personnes prennent
    conscience de l’importance de ces éléments d’identité locale. Le projet
    implique aussi la réalisation d’une carte interactive de tous ces monuments.



    Pour ce qui est des endroits de la capitale où se dressent les crucifix en
    pierre, Cezar Buiumaci a ajouté : Les crucifix en
    pierre sont éparpillés dans plusieurs zones de la ville de Bucarest, certains
    en étant assez visibles, d’autres moins. Au centre-ville, il y a un ensemble de
    ces crucifix du côté de Universitate ; cet ensemble commémore l’héroïsme de
    ceux qui sont morts au nom de la liberté en décembre 1989. Le crucifix
    principal a été érigé sur les ordres du métropolite Neofit, qui le voulait une
    sorte de borne de frontière sur les terres appartenant à la Métropolie. Les
    crucifix encore en place ont été érigés entre les XVIIIème et XXème siècles
    pour établir les limites des propriétés ou pour rappeler une victoire princière
    dans une guerre. Par exemple, le Crucifix de Leon Vodă, à l’église Sfântul
    Dumitru Slobozia, célèbre la victoire du voïvode Léon contre Matei Basarab en
    1631 ; il est aussi le plus ancien crucifix non funéraire de Bucarest. Ou
    bien le crucifix de Papa Brâncoveanu, ayant également un rôle de cénotaphe,
    mentionne le meurtre de celui-ci en 1655, pendant la révolte des Seimeni (corps
    militaire d’infanterie composé de soldats mercenaires assurant la garde de la
    Cour princière en Valachie ou en Moldavie) et des Dorobanți (fantassins) ;
    de nos jours, il se trouve en bas de la colline de la Métropolie. Un crucifix
    en pierre se trouve à l’intérieur de l’autel de l’église Oborul Vechi,
    construite au XVIIIème siècle dans l’espoir de mettre fin à l’épidémie de peste
    qui sévissait dans la ville. Le crucifix acquiert ainsi une double
    signification – protéger les gens contre les malheurs et rappeler le malheur
    qui s’était abattu sur eux.




    Cezar Buiumaci a expliqué
    quels autres types de crucifix peut-on rencontrer à Bucarest: Un type de crucifix différent est celui qui rappelle les
    constructeurs d’une fontaine et qui en est le plus répandu d’ailleurs. Il y
    avait cette coutume qui faisait que les gens plus aisés ou la communauté
    entière construisaient une fontaine, plantaient un arbre ou bien érigeaient un
    crucifix pour rappeler les noms de ceux qui avaient construit le puits.
    Assouvir la soif d’un passant était quelque chose de très important et de cette
    façon les constructeurs considéraient qu’ils offraient de l’aumône en leur nom
    de leur vivant. Le passant assoiffé se désaltérait à l’ombre de l’arbre et
    lisait les noms gravés sur le crucifix. Les monuments étaient sculptés par des
    maîtres tailleurs de pierre.
    – a
    conclu Cezar Petre Buiumaci, manager du projet « Messages gravés dans
    la pierre », du Musée de la ville de Bucarest. (Trad. Ileana Ţăroi)