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  • La révolution anticommuniste de 1989 et la radio publique  roumaine

    La révolution anticommuniste de 1989 et la radio publique roumaine

    Depuis sa création, en 1928, la Radiodiffusion a été présente à tous les moments forts de l’histoire roumaine. Têtes couronnées, responsables politiques, gens de culture ou simples citoyens se sont succédé au fil des années devant les micros pour s’adresser aux Roumains. Du coup, on ne saurait parler de la Révolution de décembre 1989 sans évoquer le rôle joué par la radio et la télévision publiques.

    Véritables institutions clé de l’Etat roumain, les deux médias ont servi dans un premier temps à informer les auditeurs avant que le régime communiste ne s’en empare pour en faire des instruments de propagande. Dans les années 1980, la Radio et la Télévision publiques ont mis en place le culte de la personnalité de l’ancien couple dictatorial Elena et Nicolae Ceausescu. La pénurie d’aliments mise à part, c’était justement l’absence de programmes médiatiques de qualité qui exaspérait le plus la population.

    Le 16 décembre 1989, les habitants de la ville de Timisoara descendent dans la rue et réclament le départ du dictateur et la fin d’un régime oppressif responsable du désastre économique d’un pays au bord du précipice. Quelques jours après les représailles sanglantes contre les protestataires de Timisoara, une foule réunie le 21 décembre, à Bucarest, dans le cadre d’un meeting de soutien à l’ancien chef communiste commence à réclamer son départ et la fin de son régime. Cela allait marquer le début du moment le plus important de l’histoire roumaine de la seconde moitié du 20ème siècle.

    Soigneusement préservés dans les archives de la Radiodiffusion, des documents sonores datant des jours de la Révolution témoignent d’une forte émotion. Les voix de la foule et des journalistes sont celles d’une masse exaltée devant un changement jugé impossible. Du 22 au 25 décembre, la Roumanie tout entière se réjouissait de la liberté qu’elle avait enfin obtenue et cette joie, Radio Roumanie l’a enregistrée pour la préserver dans sa phonothèque. C’était une vague d’enthousiasme qui avait déferlé sur toute la Roumanie le 22 décembre, à midi trente. A l’époque, nombre de personnalités se sont succédé au micro de la radio publique pour faire part de leur joie et de leur optimisme.
    Eugen Dichiseanu, reporter photographe au journal communiste Scanteia, fut le premier à avoir fait passer son message: Vive la Roumanie! Vive la Roumanie libre! Chers Roumains, les mots sont très faibles pour m’aider à exprimer ce que je vois tout autour. Je ne croyais pas, effectivement, je ne croyais pas pouvoir vivre ce que je vis actuellement. Je ne me suis jamais imaginé décrire au micro ce que j’ai l’occasion de voir: les larmes, les sourires et les étreintes de mes collègues!

    La poétesse Ana Blandiana a figuré parmi les premiers intellectuels à avoir parlé au micro en ce jour de 22 décembre 1989. Ana Blandiana: Chers amis, je viens de quitter les dizaines de milliers de Roumains réunis Place du Palais et je vous assure que tout le monde avait du mal à croire qu’un tel jour soit enfin arrivé. Il est vraiment difficile pour un peuple comme le nôtre – obligé de vivre toutes ces années d’humiliation – de se voir capable d’un changement si important réalisé en l’absence de tout arrangement politique, de tout soutien venu de l’extérieur de la part des ceux plus forts que nous. Les morts de Timisoara et de Bucarest nous ont redonné la confiance dans nos propres forces.

    La barricade que les révolutionnaires ont dressée dans la nuit du 21 au 22 décembre devant la Salle Dalles, au centre de Bucarest, a été décisive pour la chute du régime. Une révolutionnaire sous couvert d’anonymat a invoqué le sacrifice suprême fait cette nuit – là par ses compatriotes: On ne doit pas oublier tous ceux qui ont été tués devant la Salle Dalles. Ils étaient jeunes, ils n’avaient qu’une vingtaine d’années et ils ont été écrasés par les blindés. On s’est caché derrière des voitures pour échapper aux balles. On a pensé que c’étaient de fausses balles. Et pourtant, nombre d’entre nous, on a décidé de rester sur place pour attendre qu’un miracle se produise. Je voudrais vous demander de nous rendre tous ensemble Salle Dalles, des fleurs à la main pour rendre hommage à la mémoire de tous ces enfants qui se sont sacrifiés pour nous.

    Parmi ceux qui ont parlé devant le micro de Radio Roumanie pendant les jours de la révolution, certains ont demandé pardon aux Roumains pour avoir été forcés à leur mentir des années durant. Ce fut le cas du présentateur Viorel Popescu: Au long des années, j’ai essayé de vous dire la vérité, mais on m’a empêché de le faire. J’ai honte de ce que je vous ai dit sur cette époque déjà achevée. J’ai honte d’avoir échoué dans mes tentatives de vous dire la vérité. J’aurais bien voulu vous offrir de l’amour, de la bonne musique. Hélas, je me suis vu empêcher de vous offrir le moindre geste de tendresse ou de tranquillité.

    La révolution roumaine s’est poursuivie quelques jours durant aussi bien dans les locaux que sur les ondes de Radio Roumanie. Ensuite, l’enthousiasme s’est petit à petit diminué et la vie a repris son cours normal. Pourtant, l’intensité des sentiments ressentis alors montre l’intensité avec laquelle les Roumains ont vécu les événements de décembre 1989. (trad.Ioana Stancescu)

  • La Fondation et la famille Dalles

    La Fondation et la famille Dalles

    Située près de l’Université, sur l’une des deux grandes avenues en plein cœur de Bucarest, la fondation Dalles est un endroit bien connu des Roumains. Toutefois, peu nombreux sont ceux qui font la liaison entre son nom et celui de ses fondateurs, à savoir la famille Dalles.



    Invité au micro de RRI, l’historien Dan Falcan nous propose une incursion dans le passé de cette famille: « Ioan Dalles était d’origine grecque. A l’instar de tant d’autres compatriotes, ses parents s’étaient établis dans les Principautés roumaines à l’époque des princes phanariotes. Né en 1816, Ioan Dalles avait choisi de gagner sa vie en tant que commerçant. L’argent, il l’a par la suite investi dans l’acquisition de plusieurs domaines, dont le plus important est celui de Bucşani, du comté de Dâmboviţa, près de la ville de Târgovişte. Ce très beau domaine, il l’avait acheté à la princesse Cleopatra Trubetskoï, propriétaire d’une célèbre maison sise Avenue de la Victoire et que l’on peut admirer aujourd’hui encore. Le domaine de Bucşani s’étendait sur une centaine d’hectares. Ioan Dalles a épousé Elena Anastasescu, fille de propriétaires fonciers du comté de Dâmboviţa. Ensemble, ils ont engrangé une grosse fortune. Avant 1918, les Dalles passaient pour une des familles les plus riches du pays. C’étaient des gens très laborieux et dévoués aux habitants des lieux. Ils ont pris soin des paysans qui travaillaient leurs terres. »



    Voilà pourquoi le domaine de Bucşani et la famille Dalles n’ont pas eu à souffrir pendant la révolte paysanne de 1907. Toutefois, la diligence et l’honnêteté des Dalles n’ont rien pu contre le sort qui les a durement éprouvés, affirme l’historien Dan Falcan: « Ioan G. Dalles et Elena ont eu trois enfants. Malheureusement, George, l’aîné, est mort à seulement trois ans. D’ailleurs, en ces temps-là, la mortalité infantile était très élevée. Un autre malheur allait s’abattre sur eux en 1892, lorsque leur fille, Dora, mourra à cause d’un amour non partagé. Entre temps, plus précisément en 1886, Ioan Dalles, de 33 ans plus âgé que sa femme, avait lui aussi rendu l’âme. Cette différence d’âge ne les avait pas empêchés de former un couple heureux et bien soudé. Enfin, le dernier enfant, Ioan I. Dalles ou Jean Dalles, qui emprunta d’ailleurs son nom à la fondation actuelle, allait quitter ce monde dans la fleur de sa jeunesse, à 40 ans ».



    Après la mort de Jean Dalles, la fortune et les affaires familiales seront gérées par Elena Dalles, la mère. C’est grâce à elle que le nom de la famille entrera dans l’histoire. Elle a survécu à toutes les tragédies de sa vie, n’a pas perdu ses idéaux et n’a jamais abandonné les œuvres caritatives. La Fondation Dalles est le fruit de sa volonté, explique Dan Falcan: « En dépit des grands coups du destin, elle a trouvé bon de mettre son immense fortune au service du bien-être de ses semblables. Après la mort de Jean Dalles, Elena a décidé de créer une fondation portant le nom de son fils et ayant pour but de promouvoir les valeurs culturelles roumaines. Elena Dalles est morte en 1921. Toute sa fortune, qui se montait à plus de 20 millions de lei – une somme énorme pour cette époque-là -, elle l’a léguée par testament à l’Académie roumaine pour que celle-ci crée la fondation Dalles. Malheureusement, des imprécisions juridiques et la crise économique mondiale qui venait d’éclater allaient reporter jusqu’en 1932, soit 11 ans après la mort d’Elena, la naissance de la fondation. Cette université ouverte à tout le monde se proposait d’instruire les Roumains. N’importe qui pouvait suivre les cours dispensés par des personnalités de la culture et des sciences de l’entre-deux — guerres, dont l’historien Nicolae Iorga, les compositeurs George Enescu et Mihail Jora, les écrivains Camil Petrescu et Mihail Sadoveanu ».



    La construction du siège de la fondation Dalles, nous la devons à l’architecte Horia Theodoru et à l’ingénieur Emil Prager. Dans les années ’50, les communistes l’ont rehaussé de plusieurs étages, destinés au logement. La fondation Dalles a toujours gardé sa vocation d’université populaire et sa célébrité demeure intacte aujourd’hui encore. (trad.: Mariana Tudose)