Tag: décolonisation

  • Les visées africaines de la Roumanie

    Les visées africaines de la Roumanie

    Depuis la « lutte pour l’Afrique », telle qu’elle avait été définie par les grandes puissances européennes après 1880, le monde, bouleversé par la deuxième guerre mondiale, s’orienta progressivement vers la décolonisation progressive mais inévitable du continent noir. Vers la fin des années 1950 et dans les années 1960, de nouveaux Etats apparurent, et des nations inconnues jusqu’alors firent entendre leur voix. L’Etat roumain de l’époque saisit l’opportunité et noua des relations privilégiées avec ces nations africaines, nouvellement apparues sur la scène internationale.A bien d’égards, la décolonisation et la libération de l’Afrique de ses anciennes puissances coloniales étaient une manière de réinventer le monde. L’Afrique renaissante essaya de se placer entre les deux grands modèles dominants de l’époque : le capitalisme et le communisme.

    Pourtant, pendant que les anciennes puissances coloniales faisaient de leur mieux pour garder leur main mise sur les anciennes colonies, l’Union soviétique, épaulée par ses satellites communistes, se plaçait dans les starting-blocks, essayant d’attirer ces nouveaux Etats africains dans son giron. Dans ce contexte international complexe, la Roumanie déclencha son « offensive » africaine au début des années ’70, la politique africaine devenant très vite une des lignes maîtresses de la politique étrangère du régime dirigé par Nicolae Ceaușescu. La Roumanie, à l’instar d’autre pays européens, avait ses atouts : sans passé colonial, sans avoir jamais occupé la moindre parcelle de territoire africain, elle pouvait y foncer sans traîner des casseroles. C’est d’abord sur l’Afrique du Nord que la Roumanie jeta son dévolu. En premier lieu, parce que les pays tels que le Maroc, l’Algérie, la Tunisie ou l’Egypte avaient, comme la Roumanie, une tradition francophone et l’usage en commun du français. Puis, une proximité géographique plus importante qu’avec d’autres pays de l’Afrique noire. Aussi, les premiers contacts bilatéraux sont établis suite aux visites de haut niveau.

    L’universitaire Domnica Gorovei, professeur à la Faculté des Sciences politiques de l’Université de Bucarest, nous fait voyager à travers les tournées africaines du président roumain de l’époque dès le début des années 70: « Le premier pays qu’il visite sur le continent africain c’est le Maroc en 1970 et par la suite il va faire plusieurs tournées en Afrique en 72, le Maroc, l’Algérie en Egypte, ainsi qu’en Afrique subsaharienne, tels le Soudan, la République centrafricaine, le Congo, le Zaïre, la Tanzanie, la Zambie. Ensuite une année plus tard, en 1973, ce fut le Sénégal, puis à nouveau le Maroc et l’Algérie. Il s’en est suivi, en 1974 le Libéria et la Guinée, en 1977 l’Afrique de l’Ouest (Mauritanie et Sénégal) puis à nouveau le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Nigeria. Je vais vous donner les dates de ces tournées pour vous faire une idée sur la fréquence de ses visites : 72, 73, 74, 77, 79 puis en 83, 87 et 88. Chaque tournée, c’était visiter 5 Etats africains au bas mot. Prenez l’Egypte, par exemple, on y compte pas moins de 8 visites, elle était un de nos partenaires privilégiés du continent africain. »

    Pour mieux comprendre le sens de cette politique africaine, il faut bien saisir le contexte international, car l’Afrique constituait le terrain d’affrontement par excellence entre capitalisme et communisme. Domnica Gorovei : « Quel est le contexte dans lequel Ceausescu développe ces relations avec les Etats Africains. Il s’agit évidemment de la Guerre fronde, lorsque chaque partie cherche un appui avant toute autre chose idéologique pour balancer la situation en sa faveur. Cette rivalité entre les deux blocs vient et s’ajoute aux influences que les anciens pouvoirs coloniaux cherchent à encore maintenir et c’est d’ici qu’on retrouve un certain avantage pour les leaders africains qu’ils ont su d’ailleurs valoriser au maximum. La relation Occidentaux – Soviétiques – communistes africains est à aborder à partir du concept de sopft power, qui est défini par la compétence des Etats à obtenir ce qu’ils veulent non pas par des moyens coercitifs mais en employant la voie de l’attractivité par des politiques très diverses. Les grandes lignes de la politique africaine de Ceausescu à cette époque-là ont de fortes connotations idéologiques sous la forme de la défense de la paix. Ce que j’ai observé, par contre c’est qu’à un certain moment surtout dans les années 80 les leaders africains commencent à répéter le langage de bois de Ceausescu et en effet ils s’adaptent très vite à l’interlocuteur. Pour vous évoquer un peu ce langage de bois : il plaide pour le soutien des mouvements de libération nationale contre l’impérialisme, le colonialisme et le néocolonialisme pour la paix et la collaboration entre les peuples. Voilà donc une synthèse de cette politique de Ceausescu. »

    La Roumanie offrait de l’assistance économique, s’engageait dans la construction de certains projets industriels d’envergure, tels les barrages des centrales hydrologiques, et puis elle exportait de la technologie, par exemple des tracteurs pour l’agriculture égyptienne. Mais pour ce qui est de la forme que revêtait l’assistance économique, là il est clair que l’idéologie avait son rôle à jouer. Domnica Gorovei : « Ce qu’il essaie de forger c’est justement une alternative roumaine pour l’Afrique contre le comportement néocolonial de l’est et de l’ouest. On retrouve évidemment au niveau de son discours une référence à la démocratisation des relations internationales, une démocratisation comprise dans cette acception communiste. On retrouve un soutien très fort des mouvements de libération nationale des colonies portugaises, un engagement contre le régime ségrégationniste du sud du continent : Rhodésie, Afrique du Sud et évidemment la question syndicale pour militer en faveur de la cause des travailleurs dans les nouveaux Etats africains. Il n’est pas suffisent d’aider l’industrie, mais d’aider les ouvriers dans ces pays qui commencent à s’industrialiser. »

    Les ambitions africaines se sont poursuivies jusqu’en 1989. Mise à part la coopération et l’assistance économique, les relations nouées entre la Roumanie communiste et les Etats africains se sont aussi matérialisées par un certain nombre de places réservées aux étudiants africains dans les universités roumaines, par des mariages mixtes et par des échanges culturels. Les pays d’Afrique du Nord sont demeurés des partenaires traditionnels, même si, le changement du régime politique qui a eu lieu à Bucarest fin 1989, suite à la chute du Mur, a déterminé l’entrée dans un coin d’ombre de ces relations privilégiées, et qu’une redéfinition de la politique africaine de la Roumanie soit toujours attendue.
    (Trad. : Ionut Jugureanu)

  • Le Cameroun en perspective

    Le Cameroun en perspective

    Cette semaine deuxième volet de nos émission sur le Cameroun. Après avoir clarifié l’histoire ancienne du Cameroun, cette semaine nous abordons la question épineuse de l’indépendance. Nous aborderons les conditions d’émancipation de la domination coloniale en nous posant la question du rôle de l’ancienne métropole dans les conflits qui ont profondément agité cette société au moment de l’indépendance.Avec notre invité, le politologue et maître de conférences à l’Université de Cluj, Sergiu Miscoiu.



  • La Côte-d’Ivoire et la crise

    La Côte-d’Ivoire et la crise

    Nous allons nous pencher sur la période de la grande crise de la fin des années 1980 qui correspond à l’adoption d’une politique d’ajustement structurel. Ce mode de gouvernement qui s’est imposé dans de nombreux pays d’Amérique latine et d’Afrique prétend réduire les dépenses de l’Etat pour relancer l’économie. Nous verrons qu’il existe de remarquables analogies avec la politique d’austérité pratiquée depuis plusieurs années en Europe. Les mêmes causes appellent-elles les mêmes conséquences ? C’est une question que l’on pourra se poser à la lumière de ce détour par la Côte-d’Ivoire.



  • Voyage en Côte-d’Ivoire

    Voyage en Côte-d’Ivoire

    Aujourdhui nous partons loin, en Afrique, dans ce grand pays quest la Côte-dIvoire. Cette ancienne colonie était un centre dattraction pour les pays alentours pendant longtemps. Son développement économique rayonnait sur la région. Cest en 1960 que la Côte dIvoire accède à lindépendance. Mais paradoxalement la décolonisation met en lumière la continuité dun lien politique et économique avec lancienne métropole. Pour comprendre cette histoire complexe nous recevons Roch Yao Gnabélli qui est professeur de Sociologie à lUniversité Félix Houphouet Boigny d’Abidjan et fin connaisseur de cette société.



  • La Roumanie et la décolonisation en Afrique

    La Roumanie et la décolonisation en Afrique

    Après la fin de la Seconde guerre mondiale en 1945, le mouvement de décolonisation s’est emparé des relations internationales, la domination des empires coloniaux faisant l’objet de nombreuses contestations. Mais la décolonisation a également marqué le début de violences et de guerres civiles entre factions politiques qui proposaient différents modèles de développement des jeunes Etats. Dans très peu de cas, les situations conflictuelles ont été résolues par le dialogue.



    La décolonisation de l’Afrique a été fermement soutenue par l’Union Soviétique et par la Chine, deux pays communistes en quête de sphères d’influence dans leur lutte contre l’Occident capitaliste. Dans la majorité des colonies africaines, les disputes se sont transformées en guerres parce que les guérillas de gauche, subventionnées et armées par le bloc communiste, ont refusé de négocier avec d’autres groupes politiques. A l’instar des autres pays de ce bloc, la Roumanie s’est elle aussi impliquée dans la décolonisation de l’Afrique. Choisissant de mener sa propre politique, Bucarest a essayé de suivre la voie des pays non-alignés, un mouvement auquel la Roumanie n’a pourtant pas adhéré. Mircea Nicolaescu a été ambassadeur de Roumanie dans plusieurs pays africains et latino-américains, ainsi que membre de la délégation roumaine au Comité de décolonisation de l’ONU. Dans une interview accordée en 1996 au Centre d’histoire orale de la radiodiffusion roumaine, l’ancien diplomate a évoqué les principes promus par la Roumanie dans le processus de décolonisation : « La Roumanie avait des relations avec les espaces ex-coloniaux même avant la Seconde guerre mondiale, des relations très intenses, d’ailleurs. Elles s’étaient intensifiées davantage après la deuxième conflagration mondiale notamment sur la toile de fond des efforts de la Roumanie de s’afficher sur la scène politique internationale en tant que pays indépendant, qui mène sa propre politique étrangère, qui cherche à faire des alliances avec des pays partageant les mêmes intérêts. Les accords scellés avec ces colonies et ensuite Etats africains prévoyaient le maintien de la liberté individuelle, le droit de chaque pays de choisir son propre chemin de développement. Le problème du système d’administration des nouveaux pays et du respect de celui-ci par les autres a toujours figuré dans les documents de la diplomatie roumaine. »



    Pour ce qui est des guerres civiles, la diplomatie roumaine a choisi de promouvoir une politique équidistante et ne s’est pas impliquée ouvertement au côté d’un quelconque mouvement politique africain, affirme Mircea Nicolaescu. « Au Caire, les ambassades visitées par tous les mouvements de libération d’Afrique étaient peu nombreuses. En 1961 — 1964, tous ces mouvements qui suivaient différentes orientations politiques siégeaient au Caire. Mais les ambassades de Roumanie et de deux ou trois autres pays étaient les seules à recevoir des mouvements de libération tant de droite que de gauche. Les Soviétiques avaient leur propre groupe de clients qui soutenaient le modèle soviétique (de régime socialiste). Les Chinois avaient eux aussi leurs clients, pour ne pas mentionner aussi les Américains. Les Français et les Anglais étaient compromis. Dans les pays où les affrontements idéologiques ont divisé le mouvement de libération nationale — Congo, Angola, Mozambique, Kenya, Zimbabwe et ainsi de suite — la Roumanie a été le seul pays à maintenir des contacts avec toutes les parties. Notre canal de dialogue est toujours resté ouvert, mais nous avons constamment souligné que l’accord entre les différentes factions était leur problème à eux. »



    Les Soviétiques n’aimaient pas trop la voie d’une politique africaine indépendante qu’avait choisie la Roumanie. Mais l’équidistance affichée par la Roumanie n’avait pas de substance et elle n’a pas eu d’écho, comme nous l’explique Mircea Nicolaescu « A l’occasion de la proclamation de l’indépendance de l’Angola, les Soviétiques avaient organisé une réunion des ambassadeurs de tous les pays socialistes qui devraient présenter ensemble leurs hommages au nouveau président élu. Et pourtant, le représentant de la Roumanie, l’ambassadeur Gheorghe Stoian n’a pas accepté de s’y rendre en compagnie des autres et a choisi de saluer seul l’indépendance de l’Angola et présenter l’appui de la Roumanie. Le long des troubles en Angola, la Roumanie a entretenu des liens avec tous les mouvements qui ont choisi de la contacter. La Roumanie les a constamment conseillé à se réconcilier. Les Soviétiques ont misé sur un mouvement, les Américains sur un autre, les Chinois se sont rangés du côté des Américains et ça a fini par déclencher une guerre. Ce qui n’a pas été le cas en Tanzanie, où la maturité politique des forces intérieures les a poussées à prendre leur distance des uns comme des autres. »



    Mircea Nicolaescu a également parlé des particularités du continent africain, qui, si elles sont ignorées, ont mené à des échecs tels l’Algérie. « Pour ce qui est de la vision du processus de décolonisation, l’évolution de l’Afrique dite arabe est parfois artificiellement séparée de celle de l’Afrique dite noire. Le continent africain n’est ni complètement arabe ni complètement noir dans aucune de ses régions. Au Sahel, les influences sont réciproques. Historiquement, c’est aussi difficile à les séparer. Un des derniers Etats africains à avoir proclamé son indépendance a été l’Algérie. Dans le monde, peu de zones coloniales avaient été incluses dans le territoire national de la métropole, comme ce fut le cas avec l’Algérie, divisée en trois départements de la France. Pour le mouvement communiste, l’Algérie a été un échec à cause de l’incapacité de comprendre qu’il s’agissait de l’indépendance nationale d’un peuple, non pas de l’indépendance de trois départements français. »



    L’implication de la Roumanie dans la décolonisation de l’Afrique a également signifié le choix d’une direction d’action diplomatique sans perspectives. Dans les années 1980, isolée du monde occidental et maintenue à l’écart par les pays communistes, la diplomatie du régime a trop misé sur la carte africaine…(trad. : Alex Diaconescu, ileana Taroi)