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  • Le monastère de Văcărești

    Le monastère de Văcărești

    Le monastère a disparu en 1986, mais le nom de Văcărești nous est resté, puisqu’il désigne le boulevard qui mène à Piața Sudului/la Place du Sud et au parc naturel formé près de l’ancien site du monastère. Le 29 octobre 1974, l’organisme législatif de la République Socialiste de Roumanie adoptait une loi qui lançait « la systématisation urbaine et rurale » du pays, autrement dit la politique de démolition d’une partie du centre-ville de Bucarest imaginée par Nicolae Ceauşescu. Jusqu’en 1977, cette politique avait été appliquée plutôt localement, en prêtant attention aux détails. Mais, après le tremblement de terre catastrophique de cette année-là, Ceaușescu a changé d’approche, imposant des démolitions brutales et le découpage de grandes artères de circulation. Des dizaines de milliers de logements pavillonnaires particuliers, des bâtiments uniques, tels l’Hôpital Brâncovenesc et l’Institut de médecine légale « Mina Minovici », et des églises ont été abattus. Ce fut aussi le cas du grand monastère de Văcăreşti.



    L’ensemble monastique avait été bâti entre 1716 et 1722 par Nicolae Mavrocordat, le premier prince régnant phanariote de Valachie nommé par l’Empire ottoman. Les deux enceintes de l’ensemble occupaient environ 18.000 mètres carrés, parmi les vergers éparpillés sur la colline de Mărţişor. Pour l’architecte George Matei Cantacuzino (Cantacuzène), le monastère de Văcăreşti était « un sommet de l’art brancovan ». Le film documentaire « Calea Văcărești/L’avenue Văcărești », réalisé au début des années 1970 à la demande du Musée d’histoire de la ville de Bucarest, est la seule pièce d’archives qui montre en détail l’immense monastère perdu. Les images en sont d’autant plus précieuses pour le spectateur d’aujourd’hui. Dans cette édition de notre rubrique, nous vous invitons à écouter deux extraits de la bande-son du film. Le premier explique l’importance de la tradition de l’architecture valaque des siècles antérieurs dans la construction du monastère de Văcărești.



    « La construction de l’ensemble monastique de Văcărești a commencé au printemps de l’année 1716, sur un escarpement de la colline, avec une vue exceptionnelle sur le bourg de Bucarest. Les travaux ont été finis en 1722. Son fondateur était Nicolae Mavrocordat, le premier prince de la série des règnes phanariotes en Valachie, comme le rappelle l’inscription votive en langue roumaine, frappée en pierre. Les édifices valaques les plus renommés étaient l’Eglise princière de Curtea de Argeș, le monastère de Cozia fondé par le prince Mircea le Vieux, le monastère de Mihai Vodă, qui à l’époque se trouvait dans la partie « haute » de Bucarest, tandis que le monastère de Radu Vodă se était dans la partie « basse » du bourg, l’église Sfântul Gheorghe/Saint Georges également de Bucarest, mais surtout le monastère de Hurezi, érigé par le prince Constantin Brâncoveanu/Brancovan. Ce furent les monuments — sources d’inspiration pour les maîtres-bâtisseurs du prince Nicolae Mavrocordat qui allaient construire l’ensemble monastique de Văcărești. »



    Le monastère bâti par la famille Mavrocordat était un sommet des arts du 18e siècle en Valachie. La preuve — les colonnes, les bas-reliefs, les décorations intérieures et extérieures de l’église. L’ensemble abritait la plus grande bibliothèque du pays, un cave à vins, des bâtiments et des dépendances utilisés par la communauté de moines. Le second extrait de la bande-son du film documentaire parle des dons importants faits par le prince Nicolae Mavrocordat à l’établissement dont il était le fondateur et qu’il chérissait tant, un mérite reconnu par la postérité.



    « Le prince a fait de riches dons à l’établissement, qu’il avait fondé, et il a décidé que l’argent soit utilisé pour « accueillir les étrangers, nourrir ceux qui ont faim, soigner les malades, consoler ceux qui étaient en prison ». Lorsque Nicolae Mavrocordat fut emporté par la peste en septembre 1730, il a été enterré à l’intérieur de l’église du monastère, dans une tombe en marbre, dont la pierre tombale était décorée des armoiries des deux pays dont il avait été prince régnant. »



    Au bout de plus d’un siècle de vie monastique et spirituelle, au milieu de du 19-siècle, le monastère de Văcăreşti change d’utilisation. Lors de la Révolution de 1848, qui avait ébranlé l’Europe entière, l’armée russe y emprisonne des chefs des révolutionnaires valaques, transformant ainsi l’établissement en maison d’arrêt. D’ailleurs, la construction se prêtait à une telle utilisation, puisque le prince Nicolae Mavrocordat avait prévu, dans la première enceinte, une résidence princière et un corps de garde pour les troupes qui assuraient sa protection. En 1868, le monastère est officiellement transformé en prison, où étaient incarcérés les auteurs de complots contre l’Etat, alors que l’église et la seconde enceinte préservaient leurs utilisations initiales. Des personnalités importantes de la littérature roumaine, dont les écrivains Liviu Rebreanu, Tudor Arghezi, Ioan Slavici, ont été détenues à Văcărești. Le fondateur, en 1927, du mouvement fasciste de la Légion de l’Archange Michel, Corneliu Zelea Codreanu, a lui aussi été incarcéré là-bas, une des icônes exposées à l’intérieur de l’église lui ayant servi de source d’inspiration. Le régime communiste installé en Roumanie 1947 a emprisonné à Văcărești des gens quelconques et des adversaires politiques, tels l’évêque grec-catholique Vasile Aftenie.



    La menace de la disparition de l’ensemble de Văcăreşti commence à se faire sentir au début des années 1980. La décision de le démolir a été prise pour faire de la place aux projets de construction d’un gigantesque palais des congrès, d’un immense stade, d’un complexe de sport et d’un siège de tribunal. Les efforts désespérés des spécialistes de sauvegarder l’ensemble n’ont pas abouti. Ceauşescu en personne a donné l’ordre de le démolir le 2 décembre 1984. Les croix, les colonnes et toutes les pièces sculptées qui ont pu être sauvées de la destruction ont été ensuite abritées aux palais de Mogoşoaia et, en moindre mesure, à l’église Stavropoleos de Bucarest. En 1990, il a existé une proposition de reconstruire l’ensemble monastique dans son intégralité, mais à présent, c’est un centre commercial qui se dresse à sa place.


    (Trad. : Ileana Ţăroi)

  • Ceausescu’s ruthless demolition of Romania’s historical monuments

    Ceausescu’s ruthless demolition of Romania’s historical monuments

    The southern area of
    Bucharest up until 1986 used to play host to the largest Christian Orthodox
    monastic compound in South-eastern Europe. It is known as the Vacaresti
    monastery. For long the compound had been rated the area’s most important
    landmark. Today, the denomination of Vacaresti still exists because of the
    boulevard taking us all the way up to Piata Sudului, the southern marketplace
    and the nature park, lying quite close to the place where the monastery once stood,
    four decades ago.


    The then Socialist Republic
    of Romania’s legislative assembly on October 29, 1974 voted into law the bill
    on urban and rural planning. It was actually a demolition policy of part of the
    city center of Bucharest, according to Nicolae Ceausescu’s vision. Until 1977,
    such a policy had been implemented on a limited scale, with details being
    especially taken into account. But the 1977 earthquake occurred, which prompted
    Ceausescu to implement the policy on a
    very large scale. Demolition was brutal, while the great thoroughfares were
    severely cut. And that lead up to the disappearance of tens of thousands of
    lodgings, private residences, one-of-a-kind buildings, such as the Brancoveanu
    Hospital or the Mina Minovici Forensic Medicine Institute as well as a great
    number of churches. The great Vacaresti monastery was one of the Orthodox
    worship places that back then was fatally brought down.


    The compound was erected
    between 1717 and 1722 by then the Wallachian ruling prince Nicolae Mavrocordat.
    He was the first Phanariot prince the Ottoman Empire appointed in the Romanian
    Principalities. The compound stretched on a surface area of some 18,000 square
    meters, having two precincts. It was built on the Martisor hill, a green area with
    lots of orchards. The architect G. M. Cantacuzino thought the Vacaresti monastery
    was QUOTE, the epitome of the master builders’ craft who were trained in the
    Brancoveanu art school, UNQUOTE.


    At the behest of the
    Bucharest Municipality’s History Museum, a documentary film was made in the
    early 1970. The Vacaresti Road is the only such film that survived in the
    archives. It provides a detailed presentation of the huge monastery that later
    disappeared. Today’s viewers may find the images of the past building all the
    more precious, since the worship place is no more. We have selected two
    excerpts from the film’s screenplay. The first one explains the importance of
    the Wallachian architectural tradition in the centuries prior to the building
    of the Vacaresti compound.


    The
    construction of the Vacaresti settlement began in the spring of 1716, on the
    slope of a hill generously overlooking the city of Bucharest, and was completed
    in 1722. Its founder was Nicolae Mavrocordat, a prince whose enthronement
    inaugurates the age of the Phanariot ruling princes in Wallachia, according to
    the text of the stone-written inscription in Romanian. The most famous
    Wallachian buildings were the Princely Church in Curtea de Arges, Cozia,
    founded by Mircea the Elder, the Mihai Voda Monastery, which at that time was
    uphill as compared to the city of Bucharest, while Radu Voda was downhill
    from the city, then there was the Sf. Gheorghe/Saint George church in
    Bucharest, while the most famous of them was the monastery Brancoveanu founded
    in Hurezi. These were the monuments that inspired ruling prince Nicolae
    Mavrocordat’s master builders when they erected the Vacaresti monastery.


    Mavrocordaț ruling princes’
    monastery was the culmination point of the arts in the 18th century
    in Wallachia. Here the most important sculpture works were found, such as the
    columns, the base reliefs, the church decorations, inside and outside the
    premises. Vacaresti boasted a large library, a wine cellar, buildings and
    outhouses of the monastic community. Below is the second excerpt from the
    screenplay of the documentary film about the Vacaresti compound. It focuses on
    the special attention Nicolae Mavrocordat gave to the monastery he founded.
    Proof of that are the generous donations the prince made to the monastery. A
    well-deserved credit was given to the prince by posterity.


    The ruling
    prince endowed the monastery he founded, also ruling that, using its revenues,
    ‘strangers should be welcomed, the naked ones should be dressed, the hungry
    should be fed, the diseased should be tended to, those who were thrust in the
    dungeon should be treated with clemency’. When, in September 1730, Nicolae
    Mavrocordat was killed by the plague, he was buried in the church of the
    monastery, in a beautiful marble tomb, with the carved armories of the two
    principalities over which he ruled.


    In the second half of the 19th
    century, the Vacaresti monastery changed its destination, in the wake of more
    than a century of monastic and spiritual life. During the 1848 revolution that flared up all across Europe, the Wallachian revolutionary leaders were
    imprisoned in the hospital of the monastery by the Russian army. So we’re not
    wrong saying the monastery was turned into a penitentiary, also due to its
    construction design. In the first precinct, ruling prince Nicolae Mavrocordat
    had a princely seat built and a guard house for the troops providing his
    security. In 1868 the monastery officially became a prison where those who
    plotted against the state were incarcerated, while the church and the second
    precinct retained their initial purpose. Icons of Romanian culture were imprisoned
    in Vacaresti, such as writers Liviu Rebreanu, Tudor Arghezi, Ioan Slavici. The
    founder, in 1927, of the fascist movement named Archangel Michael’s Legion,
    Corneliu Zelea Codreanu, was imprisoned there too. Codreanu confessed he was
    inspired by an icon in the church. When in 1948 the communist regime was
    completely instated in Romania, political opponents as well as laypeople were
    imprisoned in Vacaresti. One of them was the Greek-catholic bishop Vasile
    Aftenie.


    But the threat of
    disappearance was looming large over the Vacaresti compound in the early 1980s.
    Construction projects of a gigantic congress hall, of a huge stadium, of a
    sports facility and a court house prompted the then authorities to rule the
    demolition of the compound. Specialists made desperate efforts to save the
    compound; it was to no avail. Ceausescu himself issued the demolition order, on
    December 2nd, 1984. After the demolition, the crosses, the columns
    and all the sculpted pieces were for their most part stored in the Mogosoaia
    palace. A small part of them was stored in the Stavropoleos church.


    In 1990, the suggestion had
    been made to rebuild the whole compound from scratch, but a shopping mall was
    built there instead.



    .

  • Eugeniu Iordăchescu

    Eugeniu Iordăchescu

    Après le tremblement de terre dévastateur de 1977, qui a tué 1.500 personnes, la capitale roumaine a été soumise, par le régime communiste, à de grandes transformations qui ont changé l’apparence de la ville — pour le pire. Depuis 1989, des livres et des albums photographiques ont été publiés qui font découvrir ou redécouvrir l’image du Bucarest d’autrefois. La « systématisation de Bucarest », comme fut appelée officiellement la politique de démolitions mise en œuvre pendant ces années-là, tournait autour de la Maison du Peuple — actuel Palais du Parlement — expression de la mégalomanie de Nicolae Ceausescu, et visait aussi la zone du futur boulevard Victoria socialismului (La Victoire du Socialisme) — actuel boulevard Unirii — censé y aboutir. L’ambition de changer Bucarest de fond en comble s’est soldée par la destruction d’importants monuments laïcs et religieux, pour ne plus parler de villas privées d’une beauté exceptionnelle. Une vingtaine d’églises ont été démolies — dont le monastère de Văcărești, le monastère de Cotroceni, l’église Sf. Vineri, l’église Ienei — pour n’en mentionner que les plus importantes. 12 autres églises ont été déplacées, pour être sauvées des lames des bulldozers et « cachées » derrières des bâtiments d’habitations.



    La solution salvatrice pour certains monuments de Bucarest condamnés à la démolition fut le déplacement, qui libérait l’espace que ceux-ci occupaient pour permettre la construction des nouveaux boulevards ou places prévus. Le déplacement par translation fut l’œuvre d’une équipe d’ingénieurs à la tête de laquelle se trouvait Eugeniu Iordachescu, directeur technique à l’Institut Proiect Bucureşti. Ainsi, l’Ermitage des religieuses, l’église Olari, l’église Mihai Vodă, l’église Domnița Bălașa, le palais synodal du monastère Antim et d’autres monuments religieux sont toujours debout grâce au travail d’Eugeniu Iordăchescu et de son équipe. Eugeniu Iordăchescu s’est éteint le 5 janvier 2019, à l’âge de 89 ans.



    Né en 1929 à Brăila, dans le sud-est du pays, il est devenu ingénieur en bâtiment et, dans les années 1980, il a appliqué, avec ses collègues, la méthode de déplacement des bâtiments par translation, déjà pratiquée avec succès dans d’autres pays depuis plus d’un siècle. Le procédé était le suivant : les fondations de la construction étaient renforcées et une plateforme était coulée en dessous pour les soutenir, le bâtiment reposant, pendant tout ce temps, sur des pylônes en béton armé. Ensuite, des poulies étaient fixées sous le bâtiment, qui était placé sur des rails et pouvait être transporté n’importe où. Le succès de cette méthode a été grand, par conséquent, elle fut appliquée à 28 autres constructions — dont 3 immeubles de logements situés avenue Ștefan cel Mare de la capitale. C’était en 1983. Les locataires n’avaient pas été évacués, l’alimentation en eau n’avait pas été interrompue, le gaz et l’électricité n’avaient pas été coupés. L’opération de déplacement de ces bâtiments a été diffusée par la télévision publique.




    En 2004, Eugeniu Iordăchescu racontait cette translation dans une interview pour le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine: « Les bâtiments étaient au nombre de 3. Ils devaient être soit déplacés, soit démolis, car une ligne de métro devait passer par là. Puisque cette technologie commençait à avoir du succès, grâce à ses bons résultats, on m’a permis de procéder à leur déplacement. Parmi les invités présents à de cette opération de déplacement comptait Suzana Gîdea, présidente du Conseil de la culture et de l’éducation socialiste. Le déplacement avait déjà commencé et, après un certain temps, la camarade Gîdea me demanda : « Pouvons-nous visiter un appartement ? » « Oui, bien sûr » — lui ai-je répondu. Nous avons traversé la passerelle qui nous séparait du bâtiment en mouvement, nous y sommes entrés et nous avons pris l’ascenseur, qui fonctionnait. Stupéfaite, Suzana Gîdea se tourna vers moi et me dit : « Mais non, t’es dingue, toi ! » Nous nous sommes arrêtés au 6e étage et nous sommes entrés dans un appartement. Elle a voulu s’asseoir, pour se convaincre que rien ne bougeait. Dans l’ascenseur, elle n’avait rien senti, bien que le bâtiment fût en mouvement. Dans l’appartement, elle a demandé un verre d’eau et notre hôtesse nous a apporté plusieurs verres. En fait, Suzana Gîdea ne voulait pas boire, elle voulait vérifier si l’eau du verre tremblait. Celle-ci ne bougeait pas. »



    Pourtant, la créativité de l’ingénieur Iordăchescu et de son équipe ne plut pas au couple Ceaușescu. En dépit de la solution du déplacement par translation, plusieurs églises ont été démolies sur l’ordre de Nicolae Ceaușescu. Ce fut le cas de l’église Sf. Vineri et du monastère de Văcărești, pour lesquels il y aurait eu assez de place pour qu’ils puissent être déplacés.



    Eugeniu Iordăchescu raconte l’aventure des ingénieurs qui ont entrepris le déplacement du palais synodal du monastère Antim: « Pour la plupart des églises, j’ai fait construire un cadre porteur, censé soutenir la majeure partie du poids. Dans le cas des églises, le plus grand poids est représenté par les murs extérieurs, très épais. Le palais synodal du monastère Antim est une construction hors du commun, qui pèse 9 mille tonnes. Il a été déplacé en 3 temps : dans un premier temps, j’ai prévu un mouvement de rotation, pour le sortir de l’alignement des futurs bâtiments qui allaient être construits le long du boulevard « La Victoire du Socialisme ». Dans un deuxième temps, nous avons réalisé un déplacement de 20 mètres. Au moment de dire « Ouf ! », en pensant que ça y était, Ceauşescu est arrivé et il n’a pas accepté l’emplacement. Nous avons dû déplacer le palais 13 mètres de plus. Et là, il s’est encore passé quelque chose — et ce ne fut pas de notre faute. Une des tours du monastère abritait la cuisine — et ce fut cette tour-là que nous avons déplacée la première, sur une distance de 40 m. Elle se trouvait à gauche de l’entrée et il fallait la garder, pour préserver la symétrie, car à droite il y avait une autre tour. Nous étions parvenus à réaliser leur déplacement après avoir énormément travaillé. Mais voilà Elena Ceauşeascu qui arrive et qui exige que la tour soit démolie. Et elle a été démolie — par nous-mêmes ! »



    L’ingénieur Eugeniu Iordăchescu et son équipe ont tenté de limiter les amputations que Bucarest a subies durant cette décennie difficile. Ils ont réussi dans une certaine mesure, tant que l’époque l’a permis. (Trad. : Dominique)

  • L’ingénieur Eugen Iordăchescu

    L’ingénieur Eugen Iordăchescu

    En 1977, le régime Ceausescu initiait un projet de reconstruction de Bucarest et des villes roumaines. Cela se traduisait par la démolition de plusieurs quartiers de maisons pour faire place à de nouveaux boulevards. Une multitude de monuments historiques, notamment des églises, ont ainsi disparu sous les coups des bulldozers. Les pertes d’habitat humain ont été encore pires. A l’époque, en pleine dictature communiste, les gens avaient peur de prendre attitude ouvertement contre les abus. C’est à ce moment – là qu’un inventeur a trouvé la solution pour sauver les bâtiments menacés de disparaître. Son nom est Eugen Iordăchescu. Il était ingénieur constructeur, directeur technique de l’Institut « Proiect » de Bucarest. C’est lui qui a mis au point une méthode ingénieuse permettant de déplacer des bâtiments afin de les cacher derrière les HLM. Plusieurs églises historiques de la capitale ont été ainsi sauvées grâce à la contribution d’Eugen Iordăchescu.

    La solution qu’il avait imaginée était simple : la fondation consolidée s’appuyait sur des piliers armés et une plaque en béton était introduite sous la fondation. Cette idée lui est venue à l’esprit au moment où il a vu un serveur porter plusieurs verres sur un plateau sans en verser une seule goutte et sans les faire bouger. Alors, si on place le bâtiment sur une sorte de «plateau» en béton, parfaitement horizontal, et en y installant un système de poulies, on pourra le déplacer sur des rails sur n’importe quelle distance, pense Eugen Iordachescu.

    L’opération au cours de laquelle plusieurs HLM ont été déplacés du boulevard Ştefan cel Mare (une des principales artères de Bucarest) a été transmise en direct à la télévision en 1983. Pendant les manœuvres, l’alimentation en eau, en électricité et en gaz des immeubles n’avait pas été coupée et aucun habitant n’avait été évacué. De même, on n’a enregistré aucun dégât à l’intérieur des appartements, ni d’autre événement désagréable.

    En 2006, Eugen Iordachescu racontait pour le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine comment se déroulait le déplacement des HLM : « On a transporté trois HLM de l’avenue Ştefan cel Mare. Il fallait soit les déplacer, soit les démolir. Comme cette technologie commençait à porter ses fruits et à avoir du succès, on m’avait permis de les déplacer. Ces blocs devaient disparaître pour laisser la place au métro. Parmi ceux qui ont été invités à assister aux travaux, il y a eu Suzana Gâdea, la présidente du Conseil de la Culture et de l’Education Socialiste. Après avoir assisté au démarrage du déplacement, à un moment donné, elle me dit : peut-on visiter un appartement ? « Oui », je lui ai répondu. Nous avons donc traversé la passerelle qui nous séparait du bâtiment en mouvement, nous y sommes entrés et nous avons pris l’ascenseur qui fonctionnait toujours. Etonnée, Suzana Gâdea, se tourne vers moi et me dit : « T’es complètement dingue! » Nous nous sommes arrêtés au 6e étage, nous sommes entrés dans un appartement et elle a voulu s’asseoir pour se convaincre que rien ne bougeait à l’intérieur. Elle n’avait rien senti dans l’ascenseur, même si le bloc se déplaçait. A l’intérieur de l’appartement, elle a demandé un verre d’eau et notre hôte nous en a apporté plusieurs. En fait, elle ne voulait pas boire de l’eau, elle voulait vérifier si l’eau bougeait dans le verre. Et l’eau ne bougeait pas».

    Grâce à cette idée, de nombreux bâtiments voués à la disparition ont pu être sauvés. Le professionnalisme d’Eugen Iordachescu a prouvé qu’il était possible de se servir de l’intelligence pour lutter contre le dogmatisme. (Trad. Valentina Beleavski)

  • “Le Bucarest démoli”

    “Le Bucarest démoli”

    Une collection dinstants suspendus – des immeubles richement décorés, parfois aux fenêtres béantes néanmoins, des gens en train de se livrer à des activités quotidiennes, une végétation séculaire parfois luxuriante. Un quotidien apparemment ordinaire, qui ne létait pourtant pas – cest en fait à cela que ressemblait la vie en attendant les bulldozers qui allaient mettre à terre une des parties les plus belles, intéressantes et riches en histoire de Bucarest. A sa place, quelques années plus tard, la gigantesque Maison du Peuple, aujourdhui le Palais du Parlement, et son immense centre civique comme on lappelait, un site darchitecture du pouvoir communiste inédit en Europe, allaient régner sur la capitale roumaine.


    Alors que très peu de Bucarestois se souviennent encore de ce quétait avant leur centre-ville, alors que les touristes se demandent pourquoi une telle ville de blocs grisâtres était considérée comme “le petit Paris des Balkans”, Serban Bonciocat, Hanna Derer et Corina Popa viennent de publier “Le Bucarest démoli”, aux éditions de la Fondation Ines. Un travail qui interroge le passé, mais surtout le présent de la capitale roumaine, à 25 ans depuis le renversement du régime communiste en Roumanie. Débat avec Hanna Derer, professeur à lUniversité darchitecture “Ion Mincu” de Bucarest, et Serban Bonciocat, photographe.