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  • Opération villages roumains

    Opération villages roumains


    Vers la fin des années 80, le régime communiste roumain dirigé par Nicolae
    Ceaușescu s’était donné pour mission de transformer de fond en comble le plan d’aménagement
    du territoire du pays, selon un plan dit de « systématisation des villages
    roumains ». Cette politique visait notamment une mise en coupe réglée du monde
    rural par la destruction de l’habitat traditionnel. De 7 à 8.000 villages
    étaient voués à disparaître à terme, sur les 13.000 que la Roumanie comptait à l’époque,
    et tout cela pour un motif des plus fallacieux : augmenter la superficie
    cultivable du pays, et accroître de la sorte la production agricole. Quant aux
    villes, elles étaient loin d’échapper à la folie destructrice du « Grand leader
    », qui semblait être devenu fou. En effet, des quartiers entiers étaient voués
    à la destruction, pour laisser place nette à la mise en place de la vision
    urbanistique d’inspiration nord-coréenne de Nicolae Ceausescu. La capitale,
    Bucarest, n’était pas en reste, devenant la première victime du projet
    pharaonique. Et ce projet fou prenait corps dans un pays paralysé par l’hyper
    centralisme économique, et gangréné par la pénurie devenue chronique des produits
    de base et des biens de consommation.


    Dans ce contexte délétère, si les opposants internes
    potentiels, paralysés par la crainte de l’appareil répressif du régime, avaient
    du mal à faire entendre leur voix, la diaspora roumaine et l’Europe tout
    entière se sont mobilisées. C’est ainsi que fin 1988 est fondée en Belgique l’association
    Opération villages roumains, qui s’était donné pour mission la sauvegarde de quelques 13.000 villages voués à disparaître selon les plans du pouvoir en place.Le mouvement s’étend rapidement, et des filiales de l’association
    essaiment en France, aux Pays-Bas, en Suisse, en Suède, au Royaume-Uni, en Italie,
    en Espagne, en Norvège et au Danemark. La société civile européenne se lève
    comme un seul homme pour faire barrage face aux visées destructrices du régime
    Ceausescu. Trois personnalités de la diaspora roumaine, le dissident Dinu
    Zamfirescu, avocat et ancien détenu politique, l’activiste et journaliste Ariadna
    Combes, fille de la dissidente Doina Cornea, et l’historien Mihnea Berindei
    deviennent les chevilles ouvrières du mouvement. Un mouvement toutefois qui
    dépasse largement les frontières de la diaspora roumaine, car il bénéficie de l’appui
    de nombreux journalistes, photographes, avocats et architectes, notamment
    belges et français, et qui jetterons les bases de l’Opération villages roumains.


    Le dissident Dinu Zamfirescu a été interviewé en 2003
    par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine. Ancien membre du
    parti national libéral d’avant l’arrivéeau
    pouvoir des communistes, réfugié en France depuis 1975, journaliste à la
    section roumaine de la BBC, il raconte les débuts de l’Opération villages
    roumains. Ecoutons-le :


    « Cela faisait déjà deux années que
    nous alertions l’opinion publique au sujet du danger que guettait le sort des
    villages roumains. L’on rédigeait des pétitions, on en parlait, mais cela ne
    faisait pas bouger les lignes. On était trois, tous roumains d’origine : Mihnea
    Berindei, Ariadna Combes et moi. On allait de ville en ville,
    en France, puis de pays en pays, à travers l’Europe, pour parler de cette
    question ardue. Tout cela pendant deux années. Et puis, nous sommes débarqués
    en Hongrie au mois de juin 1989, à l’occasion des obsèques populaires et
    nationales organisées lors de la réinhumation de la dépouille d’Imre Nogy, et
    de celles de ses amis, assassinés par les Soviétiques après la répression de la
    révolte magyare de 1956. Ce fut un tournant. Et puis, en France, l’on
    tenait parfois jusqu’à 6 conférences en une journée. On allait dans les écoles,
    dans les forums, un peu partout. On faisait de même au Royaume-Uni, en Belgique,
    en Italie. Ariadna était allée parler en Norvège. Moi, j’avais pris mon bâton
    de pèlerin, et suis allé au Danemark. Et puis, tout doucement, l’on constate
    que la sauce commence à prendre. Nous étions de plus en plus sollicités.
    Surtout à Paris, où il y avait un centre de l’association Médecins du monde, un
    centre qui bénéficiait de l’appui du gouvernement socialiste français d’alors, et
    qui nous a beaucoup aidé. C’est grâce à leur aide que nous avions les moyens
    pour nous déplacer, pour organiser ces conférences. Nous représentions à l’époque
    la Ligue roumaine des droits de l’homme. »


    Dinu Zamfirescu avait milité pour l’arrêt des
    destructions entamées par le régime communiste roumain dirigé par Nicolae
    Ceausescu jusqu’à la fin sanglante de ce dernier, fin décembre 89. Mais les actions
    de solidarité menées par l’Opération villages roumains se poursuivront bien
    au-delà de cette date. Le village roumain, exsangue et maltraité pendant les décennies
    de communisme, avait besoin de cette bouffée d’air frais et de cet élan de
    solidarité venus d’Occident. Dinu Zamfirescu :


    « Après la chute du régime Ceausescu,
    nous avons tout de suite commencé à organiser des convois humanitaires. Le
    premier convoi, accompagné par Ariadna Combes et Mihnea Berindei a été embarqué
    au bord d’un avion militaire français, qui a atterri en Bulgarie le 26, ou le
    27 décembre. Moi, j’avais atterri à Bucarest, le 28, ou le 29 décembre 89, au
    bord du premier avion Air France qui avait pu se poser sur place. Parce que l’aéroport
    a été zone de combat durant des jours. J’étais accompagné par une journaliste
    française, membre de la Ligue roumaine des droits de l’homme, et spécialiste des
    questions roumaines. Mon père vivait encore. Je l’appelle pour l’avertir de mon
    arrivée, je ne voulais pas qu’il subisse une crise cardiaque. Ensuite,
    accompagné de cette journaliste, je vais directement chez lui. Cela faisait des
    années que je n’avais plus mis les pieds dans mon pays natal. Il y avait partout
    des points de contrôle, des barrages. Mais avec nos passeports français, on
    nous laissait passer. Les gens étaient gais, enthousiastes, euphoriques. Les
    gens, dès qu’ils apercevaient le passeport français, nous lançaient des « Vive
    l’amitiés franco-roumaine ! Vive la France ! ». C’était enivrant. »


    L’Opération villages roumains s’est érigé en un exemple
    de solidarité européenne face aux abus d’un régime totalitaire. Les villages
    roumains furent finalement préservés, s’avérant bien plus durables que le
    régime politique qui avait un moment envisagé leur destruction. L’entêtement d’une
    poignée de femmes et d’hommes a fait mouche, montrant du coup la puissance de
    la société civile confrontée à la barbarie des régimes totalitaires. (Trad. Ionut
    Jugureanu)