Tag: Deuxième guerre mondiale

  • La présence américaine en Roumanie durant la seconde moitié des années 1940

    La présence américaine en Roumanie durant la seconde moitié des années 1940

    Avec l’entrée de la Roumanie dans le giron de l’Allemagne nazie fin 1940, les relations entre la Roumanie et les Etats-Unis ont connu une détérioration constante, surtout après l’entrée de la Roumanie dans la guerre contre l’URSS. Alors que les relations entre les deux pays, les Etats-Unis et la Roumanie, étaient dépourvues de points d’achoppement particuliers, le fait de se retrouver dans des camps opposés durant cette guerre ne pouvait pas ne pas les affecter.

    Pourtant, et en dépit de ces événements, les deux Etats essayent de conserver un minimum de contacts bilatéraux durant toute la guerre. Un tel exemple a constitué le camp des prisonniers américains, notamment aviateurs, établi près de la localité Geamana dans le département Arges, et dont parlait en 2004 Gheorghe M. Ionescu, américanophile et ancien membre du parti National-Paysan, au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine :« Vous savez, il y a eu une bataille aérienne juste dans le ciel au-dessus de la commune. Des avions américains ont été abattus par les Allemands. 8 militaires américains sont malgré tout parvenus à s’échapper en parachute d’un B-26. C’était un bombardier qui comptait un équipage de 8 personnes. Sur ces huit-là, 4 étaient déjà morts lorsqu’ils avaient touché le sol, les quatre autres étaient juste blessés. Le vent les avait porté dans une forêt, près du village de Cireşu. L’alarme avait été donnée, et l’on nous a demandé d’aller les chercher. L’on prétendait que c’étaient des méchants. Je n’y suis pas allé. Les gars de sécurité civile y sont finalement allés, les militaires, les gars de la mairie. Mais les Américains sont sortis d’eux-mêmes des bois, et se sont rendus sans faire d’histoires. On les a embarqués dans deux équipages, et on les a emmenés à l’hôpital de Pitesti. C’est là qu’on les a soignés, guéris, ils en sont sortis complètement rétablis. »

    Avec un fair-play certain, ces ennemis de conjoncture que furent les anglo-américains n’ont pas hésité à reconnaître le bon traitement dont bénéficiaient les prisonniers de guerre en Roumanie. Gheorghe M. Ionescu :« Sur ses ondes, Radio Londres avait remercié nommément le docteur Nelecu, le chirurgien en chef de l’hôpital où avaient été soignés les prisonniers américains « pour les soins qu’il leur avait prodigué ». Après s’être rétablis, ces prisonniers ont rejoint le camp de prisonniers de guerre de Predeal, où là encore ils furent extrêmement bien traités. Ils tenaient des conférences, jouaient au tennis, ils étaient plutôt comme en vacances dans une station de montagne que dans un camp de prisonniers en temps de guerre. Les quatre victimes de la bataille aérienne ont été enterrées dans le cimetière de Lăceni, leurs funérailles ont été organisés dans l’église de Badea Cârstei. Ils étaient munis de leurs médaillons où il était mentionné le nom, le régiment auquel ils avaient appartenu, l’âge, enfin toutes ces données qui auraient facilité l’identification d’une personne. »

    Une semaine après le changement de régime du 23 août 1944, lorsque Bucarest avait rejoint le camp des Alliés, les Américains sont venus et ont récupéré les dépouilles, pour les amener à Oklahoma, d’où ils étaient originaires.

    Gheorghe Barbul, le secrétaire personnel du maréchal Ion Antonescu, le Duce roumain, mentionnait lors d’une interview de 1984 sur les ondes de Radio Free Europe les négociations déroulées en catimini durant la guerre entre les Roumains et les Américains, dans le dos des Allemands : « Le premier contact direct avec les Américains avait été réalisé à Stockholm par Rădulescu, le chef de cabinet de Mihai Antonescu, ministre des Affaires étrangères de l’époque. Son interlocuteur était un envoyé personnel du président Roosevelt en Europe. Ce dernier n’avait pas de qualité officielle. Le président américain n’utilisait pas les canaux diplomatiques officiels pour négocier séparément avec les alliés des Allemands, pour ne pas s’attirer les foudres des alliés. Le résultat de ces contacts avait été synthétisé par Mihai Antonescu de la manière suivante : les Américains s’inquiétaient de savoir où exactement les deux armées, soviétique et anglo-américaine, allaient faire jonction sur le sol européen. Et de fait, ce genre de raisonnement confortait le maréchal Antonescu dans son analyse qui faisait qu’en résistant le plus longtemps aux Soviétiques, la Roumanie servait les intérêts des Anglo-Américains. »

    Après la défaite de l’Allemagne nazie, la Roumanie s’est tournée vers la diplomatie américaine, seule en mesure selon elle de préserver le pays du rouleau compresseur des communistes, propulsés au pouvoir par les armées soviétiques d’occupation. Des espoirs fous se faisaient alors jour, certains nourrissant l’espoir d’un débarquement des anglo-américains dans les Balkans. Il s’agissait évidemment d’une illusion.

    Radu Campeanu, un des leaders du parti libéral, mentionnait dans une interview donnée en 2000 le peu d’influence de la diplomatie américaine dans les affaires intérieures de la Roumanie d’après-guerre : « Nicolae Penescu, secrétaire-général du parti national-paysan, m’avait raconté un épisode qui s’était déroulé fin 1944. Le parti national-paysan, par peur de la répression des communistes qui venaient de prendre le pouvoir, conservait une partie de ses archives sensibles chez un certain monsieur Melbourne, officier de liaison de la mission américaine en Roumanie. Et une fois, au café, ce Melbourne leur avait avoué : les officiels américains disposaient d’une marge de manœuvre réduite pour intervenir en Roumanie. Il fallait s’entendre avec les Soviétiques, il fallait se tourner vers eux et trouver un terrain d’entente. Et Penescu se rend ensuite chez Maniu, le président de son parti, pour rapporter les propos de Melbourne. Et vous savez quelle a été la réaction de Maniu ? Il prit sa main et lui dit : nous, on va poursuivre comme avant. C’est-à-dire sans conclure le pacte avec le diable, avec les communistes ».

    Et même si les aléas de l’histoire ont fait que la Roumanie et les Etats-Unis se soient à nouveau retrouvés dans des camps politiques opposés de 1945 à 1989, leurs relations bilatérales ont redémarré sur de meilleurs auspices une fois que la Roumanie est parvenue à se libérer de la dictature communiste et de l’influence soviétique. (Trad Ionut Jugureanu)

  • La résistance française de Roumanie pendant la Deuxième guerre mondiale

    La résistance française de Roumanie pendant la Deuxième guerre mondiale

    La Roumanie entre
    dans la Deuxième guerre mondiale à l’été 1941, après avoir souffert une triple
    amputation territoriale l’année précédente. C’était, en effet, au mois de juin
    1940 que l’Union soviétique avait annexé la partie est de la Moldavie, soit la
    Bessarabie, et la Bucovine de Nord. Au mois d’août de la même année, c’était le
    tour de la Hongrie d’annexer la partie nord de la Transylvanie, ainsi que la
    province historique du Maramureș. Enfin, au mois de septembre 1940, la Bulgarie
    occupait la Dobroudja et le Quadrilatère. La crise profonde, qui en résultat, s’acheva
    par l’abdication du roi Charles II, au profit de son fils, Michel I, puis par
    l’instauration de l’Etat national-légionnaire, qui amènera la Roumanie dans le
    giron de l’Allemagne nazie, puis dans la guerre que cette dernière déclenche
    contre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Union soviétique.


    La destruction de l’équilibre qui avait prévalu à la fin de la Première
    guerre mondiale n’avait pourtant pas pu être achevée avant que la France,
    principal artisan de la paix signée à Versailles, ne soit mise hors-jeu, à la
    suite de sa défaite du mois de juin 1940. La chute de la France allait jeter
    l’Europe dans la guerre la plus meurtrière que le monde eut connue, une guerre
    soldée par des dizaines de millions de victimes, ainsi que par des pertes
    matérielles incalculables. Après la débâcle française, l’Europe entre sous la
    férule allemande, et il faudra aux Alliés près de 5 années de guerre pour
    mettre à genoux l’Allemagne nazie et ses alliés.


    Ces années ont pourtant été marquées par l’héroïsme, encore trop souvent
    méconnu, des petites gens, qui avaient décidé, au péril de leur vie, de
    s’engager dans la lutte contre le nazisme. C’est aussi l’histoire de ces trois
    Français, résidents en Roumanie, que nous contera Oana Demetriade, du Conseil
    national pour l’étude des archives de la Securitate, l’ancienne police
    politique roumaine de l’époque communiste. Ecoutons-la : « C’est l’histoire d’un petit groupe de Français qui avaient pris la
    décision de s’engager contre le nouveau régime pro nazi de la Roumanie de
    l’époque. Des gens qui avaient commencé à faire de l’espionnage au profit de la
    France libre, au profit des Anglais aussi. Et dans le centre de notre histoire
    se trouve une Française, Henriette Sümpt, établie en Roumanie en
    1928, qui avait acquis la nationalité roumaine par le mariage. Au moment où elle
    s’engage dans la Résistance, la France était déjà défaite. Pourtant, elle trouve
    le moyen d’établir un contact avec l’agence britannique, la Special Operations
    Executive, basée à Istanbul. C’est à partir de ce moment-là qu’Henriette Sümpt commence à transmettre
    des informations précieuses aux Anglais, sans se douter que le Service spécial
    d’informations, soit le contre-espionnage roumain, l’avait repérée. »


    Henriette Sümpt travaillait comme secrétaire dans les bureaux de la
    célébré agence française de presse Havas. En 1940 déjà, soit avant le début du
    conflit, elle utilise les bases de données de l’agence de presse pour fournir
    les premières informations aux Français et aux Anglais. Elle commence par
    transmettre les mouvements des troupes allemandes en Roumanie: corps d’armées,
    numéros d’immatriculation des véhicules militaires, armement utilisé, trajets
    empruntés par ces troupes, leur nombre, tout y passe. Henriette
    S
    ümpt faisait ses promenades dans le quartier de Floreasca, à
    Bucarest, d’où elle pouvait suivre sans encombre les mouvements de l’aviation
    allemande, basée à l’aéroport de Băneasa, situé à proximité. Mais elle se
    déplace aussi dans d’autres endroits de Roumanie pour dénicher les informations
    qu’elle cherche réunir. L’on suit ainsi sa trace à Galați, Râmnicu Sărat,
    Focșani, Bacău, Iași, Botoșani, toutes ces villes qui bordaient la frontière
    est de la Roumanie, celle avec l’URSS. Oana Demetriade : « C’est toujours elle qui, avec un
    journaliste français, Maurice Nègre, arrive à monter un petit réseau
    d’espionnage. Ensemble, ils envoient de drôles de dessins, qui ne voulaient rien
    dire à un non initié. Leurs dessins représentaient des feuilles, des biches, un
    chien ou un serpent. Mais chaque dessin représentait en fait un type bien
    précis d’unité militaire allemande, des unités qui se déplaçaient à travers la
    Roumanie, pour se déployer dans les Balkans ou se concentrer à la frontière
    soviétique. »



    En dépit des précautions prises, le réseau finira par tomber et Henriette
    Sümpt sera arrêtée. Oana Demetriade : « Le réseau a été découvert et ses membres arrêtés, sous la pression
    des Allemands. Henriette a été arrêtée la première. Les agents du
    contre-espionnage roumain découvrent du matériel informatif lors des
    perquisitions de sa maison. L’agent qui l’arrête lui brosse le portrait :
    une femme belle, très intelligente, à l’esprit vif, douée en dessin, sachant se
    maîtriser et ne laissant rien paraître lors de l’arrestation. Le procès est
    mené tambour battant, à la suite duquel Maurice Négre, condamné, sera libéré
    après seulement quelques mois passés en prison, à la suite de l’intervention
    des autorités françaises. Henriette, elle, condamnée à 10 années de travaux
    forcés, demeurera en prison plus longtemps, passant le plus clair de cette
    période dans le centre pénitentiaire pour femmes de Mislea. Ses ex-époux, car
    elle avait été mariée à deux reprises, ne l’avaient pourtant pas abandonnée.
    Ils vont l’aider à rédiger ses mémoires en grâce, qu’elle va adresser au roi
    Michel. Elle sera finalement libérée le 22 août 1944. Le lendemain, le roi
    Michel déposera le maréchal Antonescu, pro nazi, et la Roumanie passera dans le
    camp des Alliés. »



    Après la guerre, Henriette Sümpt devient sœur de charité, puis
    masseuse, travaillant pour des centres médico-sportifs. Ses moindres faits et
    gestes seront épiés par la police politique communiste, la Securitate, mais il
    semble qu’elle se soit départie de ses activités d’espionne, car les notes
    informatives rédigées par les agents de la Securitate ne font état d’aucun
    agissement suspect. En 1959, elle sera rapatriée en France, grâce à
    l’intervention de son troisième mari. Aux côtés d’Henriette Sümpt et de Maurice Négre, rappelons encore la
    présence du journaliste Jean Paul Lenseigne, qui avait à son tour rejoint les
    deux premiers résistants, dans leurs actions courageuses menées pour défendre aussi
    bien la France libre que leurs convictions personnelles. (Trad Ionut Jugureanu)

  • 75 ans depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

    75 ans depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

    Le monde sortait durablement traumatisé du carnage qu’avait représenté la Deuxième guerre mondiale. La période immonde, située entre 1939 et 1945, avait donné la mesure du règne de l’inhumanité. Aux tragédies du front s’ajoutèrent les tragédies des camps et des déportations. Aux idéologues de la haine tombèrent victimes, en égale mesure, militaires et civils. Le summum de l’horreur qu’a représenté l’Holocauste, avec ses 6 millions de victimes juives, donne la mesure de l’époque. Le 9 mai 1945, avec la capitulation de l’Allemagne nazie, l’Europe retrouvait, enfin, la paix. Une fin heureuse, en quelque sorte.

    Pourtant les fruits de cette paix n’ont pas été les mêmes dans toute l’Europe. Alors que l’Occident retournait, petit à petit, à une vie normale, l’Europe centrale et de l’Est, y compris la Roumanie, se retrouvait soumise à l’occupation soviétique, forcée d’expérimenter, pour un demi-siècle, le régime communiste. Avec Vladimir Tismăneanu, professeur de sciences politiques et spécialiste de l’histoire du communisme à l’Université de Maryland, aux Etats-Unis, nous essayons de déceler les places occupées par le Bien et le Mal pendant cette Deuxième guerre mondiale : « Ma lecture des faits s’inspire surtout d’auteurs tels que Hannah Arendt, Arthur Koestler et George Orwell. Il ne s’agissait pas à proprement parler d’une lutte entre un bien absolu, mettons celui incarné par les démocraties de la coalition antifasciste, et un mal absolu, comme l’on pourrait croire. Dans la coalition antifasciste nous retrouvons l’Union soviétique stalinienne, un empire totalitaire, initialement alliée de l’Allemagne nazie. On peut à la limite parler d’un bien relatif. Le bien absolu est sans doute un concept qui fait défaut dans l’histoire histoire. De l’autre côté, nous retrouvons l’Axe nazi, la coalition léguée contre l’Internationale communiste. Pour la petite histoire, lors de la visite rendue par Molotov à Berlin, au mois de novembre 1940, Hitler ou quelqu’un de son entourage avait proposé à Molotov de rejoindre ce pacte anticommuniste. Alors que le siège de l’Internationale se trouvait à Moscou. Cela en dit long. J’avais repris dans un de mes livres le concept lancé par le philosophe polonais Leszek Kolakowski, le « diable dans l’histoire ». Eh bien, l’URSS était ce diable alors, un diable qui semblait moins dangereux, moins enclin à l’expansionnisme, un diable dont l’Occident avait besoin. »

    Mais toute guerre qui s’achève compte à la fin un certain nombre d’Etats victorieux puis, de l’autre côté, des Etats vaincus. Qui a gagné, qui a perdu, finalement, cette guerre ? Vladimir Tismăneanu : « Du côté des vaincus comptons déjà les partis, les gouvernements, les mouvements à l’idéologie fasciste. Le fascisme a été défait, et cela est fondamental. Réécrire l’histoire après coup, cela se fait dans certains endroits, parfois en Roumanie aussi, cela est mu par la volonté de réhabiliter divers courants fascistes, de nouveaux fondamentalismes de type tribaliste, collectiviste, raciste. C’est que ces gens n’ont rien compris au dénuement politique, militaire et éthique de cette guerre. D’un autre côté, l’on observe l’apparition d’une sorte de syndrome post Yalta. C’est que la moitié de l’Europe, l’Europe centrale et de l’Est s’est retrouvée occupée par l’Armée rouge. L’Occident aurait-il pu repousser les Soviets ? On ne peut pas faire des supputations là-dessus. Ce qui est certain c’est que l’occupation soviétique n’est pas le résultat d’un abandon ou d’une trahison de l’Occident à l’égard de cette partie de l’Europe, mais d’une situation de fait, une conséquence du théâtre des opérations. »

    Pendant cette guerre, la Roumanie s’est d’abord retrouvée du côté de l’Axe, ensuite dans la barque des Nations Unies. A la Conférence de Paix de Paris, la Roumanie s’est retrouvée dans le camp des vaincus. Qui plus est : dans le camp des pays occupés et communisés par l’URSS. Comment se fait-il, pourquoi ce sort ingrat ? Vladimir Tismăneanu : « Le glissement de la Roumanie sur la pente d’un régime totalitaire d’extrême droite, tel qu’il a été depuis le 6 septembre 1940 et jusqu’au 23 août 1944, est en partie imputable à la crise de la démocratie libérale. La Roumanie peut, certes, se targuer d’avoir connu une démocratie véritable, fonctionnelle, respectueuse de la constitution. Une démocratie qui a succombé finalement sous les coups de butoir des extrémistes des tous bords, de droite comme de gauche. Deux premiers-ministres avaient été assassinés à l’époque par des commandos fondamentalistes de type hitlérien, le crime semblait devenir une arme politique. Et puis, la classe politique démocrate n’a pas su faire preuve d’assez de résilience face aux attaques répétées des extrémistes. Le glissement de la Roumanie dans le giron des extrémismes n’a pas été une fatalité, mais le résultat logique d’une suite d’erreurs. »

    Quelles leçons en retirer ? Vladimir Tismăneanu encore: « Les illusions fondées sur les issues proposées par un système idéocratique, sur une dictature inspirée par une idéologie, sont funestes. A court terme, à moyen terme, mais surtout à long terme. L’on vit cela de nos jours, avec la crise de la Covid. Je ne suis pas des ceux qui pensent à un acte criminel mûrement réfléchi par la République populaire de Chine. Mais le secret, le mystère qui a entouré l’affaire sont des éléments spécifiques, caractéristiques des systèmes totalitaires. On l’a déjà expérimenté lors de l’accident nucléaire de Tchernobyl. S’il y avait une leçon à retenir de la Deuxième guerre mondiale, eh bien, ce serait celle-ci : ne jamais marchander la liberté, la vérité, la confiance. Ne jamais les laisser impunément attaquées, humiliées, foulées aux pieds. »

    75 ans plus tard, l’on ne vit sans doute pas dans le meilleur des mondes. Mais l’on vit du moins dans un monde mieux vacciné contre les tentations des fondamentalismes. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • Les ethniques allemands de Roumanie après la Deuxième Guerre mondiale

    Les ethniques allemands de Roumanie après la Deuxième Guerre mondiale

    La Deuxième Guerre mondiale a été l’occasion d’une reconfiguration ethnique presque totale sur le continent européen, résultat du bouleversement sans précédent provoqué par la guerre et par ses conséquences ultérieures. A l’issue de la guerre, après l’interminable désastre, les vainqueurs, tout comme les vaincus, n’ont eu de cesse de rebâtir leur économie, mais en égale mesure leur démographie. En termes démographiques, les pires pertes ont été subies par les Juifs, la plupart morts dans les camps nazis, suivis de près par les Allemands mêmes. En quelque sorte, la tragédie allemande ne semblait qu’un juste retour du bâton.

    Les ethniques allemands qui vivaient depuis des siècles en Roumanie, et qui étaient connus sous les noms de Saxons ou de Souabes, ont subi un terrible sort, à l’instar des autres communautés allemandes d’Europe Centrale et de l’Est. En effet, certains de ceux qui avaient échappé à la mort au front, de ceux qui ont échappé aux déportations forcées en Sibérie, mises en œuvre par l’Armée rouge, se sont retrouvés dans une Roumanie prisonnière des communistes installés par Moscou. De 1945 à 1989, l’exode systématique des Roumains ethniques allemands vers la République fédérale d’Allemagne a été ainsi mené jusqu’à la disparition presque totale de la communauté allemande originaire de Roumanie. Les Roumains ethniques allemands durent quitter, parfois du jour au lendemain et pour toujours, leurs biens, leur vie d’avant, leurs racines et leur passé, abandonnés au-delà du rideau de fer qui se refermait derrière eux. Mais cet exode massif s’explique tant par la politique menée par la RFA par rapport aux Allemands originaires de l’Europe Centrale et de l’Est que par le désir de l’État communiste roumain d’alors de tirer profit de cette situation. D’en tirer profit en monnaie sonnante et trébuchante.

    Le sociologue Remus Anghel, spécialiste des migrations à l’Institut pour l’étude des questions nationales de Cluj et coauteur d’un ouvrage sur l’histoire de la communauté allemande de Roumanie à partir des années 30 du siècle dernier, rappelle le contexte de l’époque : « Les associations allemandes de Roumanie ont eu un rôle essentiel pour décider le gouvernement allemand à agir, en initiant un programme d’aide à l’endroit des ethniques allemands de Roumanie, par le biais des compensations financières offertes par le premier au gouvernement roumain. En fait, il existait déjà un précédent : l’accord scellé entre le gouvernement israélien et celui de Bucarest, pour faciliter la migration des ethniques juifs, depuis la Roumanie vers l’État d’Israël nouvellement créé. Au vingtième siècle, les ethniques allemands de Roumanie se trouvent en fait pris entre le marteau et l’enclume, entre Hitler et Staline. Prisonniers entre, d’une part, l’expansion de l’Allemagne nazie durant la guerre, puis de l’Union soviétique après la guerre ».

    C’est que, après la guerre, près de 12 millions d’ethniques allemands originaires d’Europe Centrale et de l’Est seront forcés d’émigrer en RFA. Près d’un million sont morts en route. Il s’agit d’une tragédie collective, dont l’ampleur et la responsabilité n’ont été que tardivement comprises et assumées par l’Allemagne de l’Ouest.

    Remus Anghel précise qu’en fait, la probabilité d’un départ des ethniques allemands de Roumanie était déjà prévisible pendant la guerre : « Pendant la guerre et tout de suite après se fait jour un courant de pensée au sein de la communauté allemande qui les encourage à partir. Nous, en tant que Roumains, ignorions tout de ce mouvement à l’époque. On savait qu’il existait des communautés d’Allemands en Roumanie, sans plus. Mais sachez que près de 40% des Souabes ont quitté la Roumanie ou sont morts pendant la guerre. Pratiquement, la quasi-totalité des jeunes se sont enrôlés sous le drapeau allemand, dans la Wehrmacht ou les SS, et ils sont morts ou se sont retirés en Allemagne avec le front. Les communautés allemandes de Dobroudja, de Bucovine, de Bessarabie, de Valachie et de Moldavie sont passées en Allemagne par la Pologne dès 1940, par la volonté de l’Allemagne. L’on comptait une population 750 mille ethniques allemands en Roumanie à l’entre-deux-guerres. A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il ne restait plus qu’entre 300 et 310 mille Allemands. »

    L’historiographie roumaine d’après 1989 utilise le terme de « vente » des Allemands par le régime communiste lorsqu’elle parle de leur exode vers la RFA. Et, en effet, si on se fie aux sources, le prix du départ s’élevait entre 5 et 15 mille deutsche marks pour chaque ethnique allemand. La tragédie de ceux qui ne disposaient pas de ressources financières et essayaient de franchir illégalement la frontière est cependant autrement plus poignante, beaucoup d’entre eux laissant leur vie pendant la tentative. Remus Anghel n’hésite pas à parler de vol d’État lorsqu’il analyse l’époque et le contexte de ces départs : « Lorsque l’on parle de la vente d’Allemands, il faudrait regarder des deux côtés, car il y avait d’abord le point de vue allemand. Et là, faciliter aux Allemands de souche de réintégrer la mère patrie était perçu comme un devoir, une responsabilité. Il ne s’agissait pas d’un intérêt étriqué, économique, celui d’obtenir une main d’œuvre bon marché. Pas du tout. Parce qu’ils pouvaient en importer de partout, et ils ne s’en sont pas privés. Mais les ethniques allemands de Roumanie avaient souffert plus que les autres groupes ethniques pendant le communisme. Il était rare qu’une famille ne compte pas au moins un membre déporté, surtout les hommes et les femmes en âge de travailler. Et ce drame-là, nous, les autres, ne l’avons pas connu. Pour eux, c’était une tragédie. Ils ont perdu confiance, espoir, ils ont complètement abandonné le sentiment d’appartenir à cette zone où ces choses-là pouvaient leur arriver. Aussi, pour l’Allemagne, l’achat des Souabes et des Saxons était un geste réparateur. Pour l’État communiste de Roumanie, c’était en revanche différent. Ils avaient convenu des quotas, de 10, 15 mille personnes qui pouvaient émigrer par an. Or, en fait, lorsque quelqu’un demandait à émigrer, cela déclenchait tout un processus administratif, des retards bureaucratiques. Et, entre temps, cette personne perdait son emploi, elle devait vendre sa maison à des prix bradés, c’était un calvaire, c’était long et douloureux. Alors les gens préféraient trouver l’argent et payer pour contourner les quotas. Pratiquement, on extorquait les gens, les Allemands, l’État allemand pour les laisser partir. Et puis, de mon point de vue, ce n’est pas tant l’argent qui pose problème que la manière dont les gens ont été traités pendant le processus ».

    Avec le départ des Allemands, installés depuis des siècles sur le territoire de la Roumanie actuelle, la Roumanie se retrouva ethniquement plus pauvre. L’histoire et la civilisation d’une communauté autrefois puissante, prospère et florissante sont parties en fumée en l’espace de quelques décennies. Une fois arrivés en Allemagne, une nouvelle vie les attendait. Une vie qui ne pouvait toutefois pas effacer la mémoire des traumas subis au XXe siècle, dans leur pays d’origine. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • La reconstruction de la Roumanie après la Seconde guerre mondiale

    La reconstruction de la Roumanie après la Seconde guerre mondiale

    Outre les dégâts matériels, les traumas subis par les rescapés, qui ont vu parfois mourir leurs proches, demeurent des blessures qui ne s’effacent pas de sitôt. Heureusement, les survivants se mobilisent pour effacer les traces visibles laissées par le conflit armé, puis les nouvelles générations font leur entrée dans la vie active, dans la vie tout court et, petit à petit, les souvenirs de la guerre s’éloignent, pour enfin disparaître complètement. Mais les traumas sont encore plus difficilement effaçables lorsque la société, déjà blessée par la guerre, est, en plus, boiteuse, du fait des arrangements post conflit. Les régimes communistes, instaurés par l’Armée rouge dans l’ensemble des pays de l’Europe Centrale et de l’Est à l’issue de la deuxième conflagration mondiale, ont usé de la violence d’Etat contre des couches entières des populations concernées.

    Au milieu des années 1940, le gouvernement communiste roumain, fraîchement instauré sous ordre de Moscou, semblait largement dépassé par la tâche ardue de la reconstruction. Des hommes politiques sans expérience administrative, mais d’autant plus obéissants aux ordres de l’Union Soviétique, ont pris la direction du pays. Les denrées alimentaires se faisaient encore plus rares qu’en temps de guerre, en hiver le chauffage des habitations des particuliers s’avérait un véritable défi, de même que la mobilité urbaine. Ștefan Bârlea, à l’époque jeune lycéen, était voué à une brillante carrière au sein des structures du parti. Interviewé en 2002 par le Centre d’histoire orale de la Radio roumaine, il se souvient des difficultés auxquelles les bucarestois, à l’instar des habitants des autres villes du pays, étaient confrontés à l’époque : « En 1945 déjà, pire encore en 46, la situation devenait grave en matière d’approvisionnement. Les transports, les combustibles, la vie quotidienne, c’était la catastrophe. En 1946, l’activité économique redémarrait timidement, sur des bases encore capitalistes, privées donc. De l’Etat, n’en parlons pas. Bon, évidemment, une bonne partie des soldats et la population, qui avait fui Bucarest à cause des bombardements en 44, étaient rentrés, les écoles avaient rouvert, mais le plus difficile c’était le transport. C’était inimaginable, je n’ai pas de mots pour vous faire comprendre ce qu’était le quotidien de ces années-là. »

    L’état du transport public bucarestois montrait une face désolante, provocant de véritables tragédies. Ștefan Bârlea s’en souvient : « Pour monter dans les trams, les gens s’accrochaient aux portes, montaient sur les tampons. En 1945, les réfugiés, ceux qui avaient fui Bucarest, revenaient. L’hiver est arrivé tôt cette année-là. Pour monter dans un tram, on patientait jusqu’à une demi-heure, parfois plus. J’habitais le quartier de Ghencea, et je devais aller au lycée Lazar, au centre-ville. Beaucoup d’enfants du quartier suivaient le même trajet. Je devais me réveiller une heure ou deux à l’avance pour essayer d’attraper un tram. Le tramway passait juste sous nos fenêtres, à deux arrêts de chez nous c’était le terminus. J’allais là pour pouvoir y monter. Il était déjà bondé. Deux arrêts plus loin, il n’y avait plus de place que sur les tendeurs, éventuellement. Les tendeurs étaient recouverts d’une sorte de tôle, et c’est là que les gens s’asseyaient. Il n’était pas rare que des accidents mortels arrivent. C’était le gros problème à ce moment-là : comment se rendre à son travail, comment aller à l’école et ainsi de suite. En été, on allait à pied et l’on rentrait de la même façon. »

    L’approvisionnement en denrées alimentaires était l’autre gros problème. Les rations ont constitué la parade trouvée par les autorités. Une solution, forcément, hautement insatisfaisante. Ștefan Bârlea encore : « Quant à l’approvisionnement avec les denrées de base, – pain ou viande- c’était terrible. Ces produits étaient rationalisés, mais les rations n’étaient pas assurées. Même pour se procurer du pain il y avait des files d’attente immenses. Les gens se levaient à deux ou trois heures de la nuit pour faire la queue, espérant s’approvisionner un tant soit peu. Cela est revenu dans les années 1980, lors des dernières années du communisme, à l’époque de Ceausescu, lorsque l’on est revenu en arrière de quelques décennies ; on a pu revivre cette situation d’après la guerre du point de vue du niveau de vie. »

    La reconstruction de la Roumanie des suites de la guerre n’a pas été facile. Sans doute, le gouvernement communiste roumain, installé le 6 mars 1945 et inféodé à Moscou, en est pour quelque chose. Peu capable de gérer la vaste entreprise de reconstruction, provoquant des remous sociaux et politiques aux conséquences économiques désastreuses, il a été prêt à payer au grand « Frère de l’Est » bien plus que les dédommagements de guerre prévus par les traités.

  • Radio Linz en langue roumaine

    Radio Linz en langue roumaine

    A l’issue de la guerre, les Roumains étaient internés par le gouvernorat militaire américain dans le camp de Linz en tant que prisonniers de guerre. C’est ainsi, à travers les ondes de Radio Linz, que les Roumains ont pu entretenir l’espoir dans les cœurs des prisonniers et caresser l’idée de pouvoir améliorer l’avenir de leur pays d’origine dans le monde qui se dessinait dans l’après-guerre. La communauté des Roumains d’Autriche n’était pas homogène. On trouvait des Roumains faits prisonniers par l’Armée allemande et ramenés en Autriche, des étudiants, des employés de différentes industries autrichiennes, d’anciens membres de la Garde de fer (le parti roumain d’extrême droite, et dont de nombreux membres ont dû s’exiler après janvier 1941, à l’issue d’un coup d’Etat échoué, fomenté contre le maréchal Antonescu, l’homme fort du régime).

    Le prêtre orthodoxe Richard Grabovschi, ancien officier pendant la guerre, a été l’un des membres fondateurs du Comité national roumain. C’est l’un de ces témoins privilégiés de la première heure et qui, interviewé par l’Institut d’histoire orale de la Radio roumaine en 1998, apporte son éclairage sur ce moment méconnu de l’histoire des Roumains dans ces moments ambigus : « Dans le camp, nous étions 350, peut-être 370 prisonniers. On logeait dans une ancienne base militaire allemande désaffectée. Puis nous avons organisé ce comité, on l’a appelé Comité national roumain, et on a contacté les autorités américaines. Le problème était qu’aucun d’entre nous ne parlait l’anglais. Mais on a eu de la chance. C’est que lorsque nous sommes entrés dans le siège du Commandement militaire de l’Autriche supérieure, quelqu’un nous avait entendu parler en roumain, entre nous, dans le couloir. C’était un gars en uniforme américain, sans épaulettes. Il nous a demandé en roumain ce qu’on cherchait là, et nous lui avons répondu. Il nous a dit qu’il était interprète de langue roumaine, il était professeur d’allemand et vivait dans l’Ohio. Il s’appelait Gheorghe Leucă, il possédait un doctorat en langues germaniques et était employé en tant qu’interprète. Il nous a accompagnés dans le bureau du commandant, et on a pu ainsi lui présenter nos doléances. L’Américain nous a écoutés et nous a assuré qu’il allait aviser. »

    Suite au mémoire présenté aux autorités américaines, les conditions des Roumains internés dans le camp se sont améliorées. Les membres du Comité ont rédigé un mémoire adressé aux autorités américaines demandant qu’ils ne soient plus considérés comme d’anciens ennemis, parce que, à compter du 23 août 1944, l’armée roumaine avait rejoint la coalition alliée. Et puis, suite à la démarche du Comité, les Roumains du camp de Linz ont été enregistrés, et dans leur grande majorité ils ont consenti à aider à déblayer les ruines qui étaient là suite aux bombardements, ils ont aidé à reconstruire les routes, les voies de communication, apporté leur aide dans l’agriculture et dans les usines qui fonctionnaient encore. Les autorités américaines nous ont même permis d’avoir une émission hebdomadaire à la radio locale, le jeudi matin, entre 10h30 et 11h00. Richard Grabovschi a été le présentateur de cette émission :« Le gouverneur américain avait choisi Radio Linz comme le meilleur moyen de communication entre les comités nationaux et leurs communautés respectives, de différentes nationalités, entre les gens de ces communautés qui se trouvaient à Linz à l’époque. Au début, nous disposions d’un quart d’heure d’émission, puis on a pu bénéficier d’une demi-heure. C’est nous qui choisissions qui allait parler à la radio. Quant on est jeune ou nouveau, on vous envoie partout. Alors, c’est moi qu’on avait envoyé parler sur les ondes. D’habitude on passait une ou deux mélodies de musique roumaine, à plusieurs reprises on avait repris l’hymne national, l’hymne royal, et puis on passait de la musique de fête, des mélodies de chanteuses connues : Maria Tănase, Ioana Radu, Mia Braia. Puis on lisait les communiqués ou certaines annonces du genre : « Ion Popescu qui se trouve à tel endroit voudrait avoir des nouvelles de sa cousine ou de sa sœur qu’il croit trouver en tant que réfugiée en Autriche dans telle région ou en Allemagne. Celui ou celle qui la connaît est prié de bien vouloir lui faire passer le message ou se faire connaître auprès du Comité national roumain», et je donnais notre adresse. Parfois on allait à la campagne pour enregistrer. Mais tout ce qu’on allait dire sur les ondes était vérifié au préalable. Il nous fallait écrire tout ce qu’on voulait dire à la radio et remettre les papiers trois jours à l’avance, avant la diffusion, pour qu’ils soient vérifiés. « L’annonce du début de l’émission était la suivante : « Chers auditeurs, ici Radio Linz d’Autriche supérieure. A l’antenne, le représentant du Comité national roumain, le sous-lieutenant Richard Grabovschi. »

    Au fil du temps, Grabovschi a émigré aux Etats-Unis, là où un autre Comité national avait commencé à s’organiser : « J’ai obtenu le visa pour les Etats-Unis à l’automne 1951, et j’ai quitté l’Europe en 1952. J’ai débarqué à New York au début du mois de juin. Ce Comité dont je vous parle fonctionnait déjà. Je connaissais une publication qu’il éditait en Amérique, et qui s’appelait « Le Messager ». Puis, il y a avait la publication de l’archidiocèse, et puis une revue qui s’appelait « L’Amérique », l’officiel de l’Union des Sociétés fraternelles, ou encore une autre revue, « La Gazette du peuple », éditée par un certain Gheorghe Stănculescu. Aussi, de temps en temps, on recevait l’officiel « L’Union » édité par l’Eglise gréco-catholique, parce que cette église pouvait continuer d’exister aux Etats-Unis, alors que, en Roumanie, elle avait été supprimée en 1948 par les communistes, arrivés entre temps au pouvoir ».

    La plupart des membres du Comité national roumain d’Autriche ont choisi d’émigrer et de ne plus rentrer dans leur pays occupé par l’Armée rouge. Mais Radio Linz est restée dans leurs mémoires tel un pont qui leur a permis de se retrouver, de refaire leurs vies brisées par la guerre, et de reprendre le cours de leur vie en liberté.

  • L’exécution des membres du groupe Antonescu

    L’exécution des membres du groupe Antonescu

    A part le maréchal Ion Antonescu, dirigeant du pays, le groupe réunissait aussi le professeur en droit Mihai Antonescu, vice- premier ministre, le gouverneur de la Transnistrie, Gheorghe Alexianu et le général Constantin Vasiliu, commandant de la Gendarmerie. Destitué le 23 août 1944 et mis en examen par le Tribunal du peuple, le groupe Antonescu est condamné à mort le 17 mai 1946 et fusillé par le peloton d’exécution quelques semaines plus tard. Le général de brigade, Mircea Herescu, a assisté à l’exécution du groupe Antonescu, un événement qu’il remémore au micro de Radio Roumanie. La nuit du 31 mai au 1 juin, pendant que sa compagnie assurait la garde de la prison de Jilava, le commandant de la prison lui a passé un coup de fil pour lui ordonner de se présenter d’urgence, le lendemain matin, dans la cour où se trouvait le groupe Antonescu.

    Un événement important devrait y avoir lieu, c’est tout ce que l’on m’a dit, se rappelle Herescu, qui poursuit: « Le lendemain matin, je me suis réveillé et je me suis précipité vers la cour que l’on m’avait indiquée et où se trouvaient le maréchal Antonescu et ses compagnons. Je les ai salués et ils m’ont tous répondu poliment. Je suis passé juste à côté du professeur Mihai Antonescu et je l’ai vu préoccupé par un tas de papiers. Qu’est – ce que vous faites, Monsieur le Professeur?. Il m’a répondu qu’il préparait une nouvelle réforme de l’Education. Le général Piki Vasiliu qui me connaissait aussi, a gentiment répondu à mon salut. Puis, accompagné par le lieutenant Petrescu, j’ai salué aussi le maréchal Antonescu avant de me présenter devant le commandant de la prison, le colonel Pristavu. C’est à ce moment – là que j’ai appris que le groupe Antonescu condamné à mort serait emmené devant le peloton d’exécution le jour même. En attendant, ce fut le secrétaire général au Ministère des Affaires Intérieures, Avram Bunaciu qui fit son apparition, aux côtés de l’inspecteur Gavrilovici, pour discuter avec le chef de la prison et arranger que les prisonniers téléphonent à leurs familles et leur demandent de se rendre sur place pour faire leurs adieux ».

    Mircea Herescu se souvient des dernières heures de vie que les condamnés ont passées en compagnie de leurs proches: « Je me souviens de l’arrivée de l’épouse du maréchal. Elle était vêtue en noir, les cheveux blancs et elle a été conduite dans une sorte de guérite transformée en parloir. Le maréchal se trouvait dans sa cellule. Le gendarme venu l’escorter près de son épouse, lui a offert aussi un petit bouquet de fleurs, qu’Antonescu a par la suite offert à sa femme. Entre temps, d’autres personnes ont commencé à venir à Jilava. L’épouse du professeur Alexianu et ses deux enfants, le frère du professeur Mihai Antonescu qui était officier de marine et qui est arrivé vêtu en uniforme, l’épouse et le fils du général Vasiliu. Madame la maréchale et son époux ont choisi d’avoir leur dernière conversation en français, surtout qu’elle s’est déroulée devant un inspecteur de police, Gavrilovici de son nom. Au bout d’une heure, tous les membres de famille sont partis et les prisonniers ont été reconduits dans leurs cellules ».

    Impossible d’oublier les détails d’une exécution à laquelle on a assisté, se confesse Mircea Herescu qui se rappelle que les 4 membres du Groupe Antonescu ont gardé leur sang froid jusqu’à la fin, en choisissant de mourir dignement: « Les condamnés ont été conduits devant les quatre poteaux d’exécution. On leur a demandé s’ils souhaitaient qu’on attache leurs mains. Le maréchal a refusé, tout comme Ica Antonescu et Alexianu. Seul Piki Vasiliu y a consenti. Un procureur est arrivé sur place pour lire la sentence aux termes de laquelle, suite à la décision du Tribunal du Peuple, les quatre condamnés seront fusillés. On leur a demandé s’ils souhaitaient avoir les yeux bandés. Le maréchal a refusé, tout comme le professeur Antonescu et Alexianu. Seul le général Vasiliu a voulu qu’on lui mette un bandeau sur les yeux et c’est pourquoi on lui a bandé les yeux d’un foulard gris. Une fois la sentence lue, le procureur a ordonné sa mise en pratique. Le chef du peloton a ordonné aux 28 tireurs de faire feu. A la première fusillade, le maréchal Antonescu tombe à genoux, le professeur Antonescu s’écroule, tout comme Alexianu, tandis que Vasiliu, touché par balle, se retrouve à son tour à genoux. Antonescu se redresse et d’une voix éteinte dit « tirez encore, je suis toujours en vie ». Le commandant du peloton approche alors et lui tire une ou deux balle dans la tête. Il a fait de même avec Vasiliu. Ensuite, ce fut le tour du médecin légiste d’approcher pour constater le décès de chacun des condamnés ».

    L’exécution du groupe Antonescu reste dans l’histoire roumaine comme un des épisodes importants du XXème siècle, un des plus violents, peut-être, de l’histoire de l’humanité. (trad. Ioana Stancescu)