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  • Nora Iuga

    Nora Iuga

    Cette année, lécrivaine et traductrice Nora Iuga sest vu décerner lOrdre national du Mérite pour « labnégation et le talent » avec lesquels elle a œuvré pour promouvoir limage de la Roumanie dans le monde. Nora Iuga (86 ans) nest pas à sa première distinction. En 2015, lAllemagne lui accordait la Croix de Chevalier de lOrdre du mérite. Et cest toujours lAllemagne qui lui décernait, en 2007, le Prix Friedrich Gundolf, accordé par la Deutsche Akademie für Sprache und Dichtung – LAcadémie de langue et de poésie – consacré aux personnalités ayant contribué au rayonnement de la culture allemande dans le monde.





    Poétesse, romancière et traductrice, membre de lUnion des Ecrivains de Roumanie et du PEN Club, Nora Iuga a publié une vingtaine de volumes de poésie dont : « Ce nest pas de ma faute » (publié en 1968), « La Captivité du cercle » – paru en 1970 et retiré des librairies et des bibliothèques, son auteure ayant été interdite de publication pendant 7 ans).





    Dautres volumes allaient être publiés après 1980 : « Opinions sur la douleur », « Le Cœur comme un poing de boxeur », « Le Marché du ciel », « Dactylo de nuit », « LHôpital des mannequins », « Le Bus des bossus », « Fête à Montrouge », « Le Chien mouillé est un saule », « Ecoute les parenthèses pleurer ».





    Le souvenir des premiers vers quelle a jamais écrits est encore très vivant dans la mémoire de lécrivaine. A lépoque, elle habitait la ville de Sibiu et elle était au CE1.



    Nora Iuga : « Je me rappelle quun jour, je me trouvais dans la cuisine de la maison modeste que jhabitais avec mes parents et jétais en train de faire mes devoirs. Sur la table où je travaillais, il y avait un livre dhistoire et un petit carnet. Mon père travaillait son violon. Et cest à ce moment-là quil mest arrivé décrire ma première poésie. Cest une confidence que jai déjà faite à dautres occasions, mais cest exactement ainsi que tout a commencé. Et cest de cette façon que sont nés la femme et lartiste et lesprit fouineur, curieux, devenu depuis de plus en plus vif. Cet esprit me pousse à déchiffrer toute seule les miracles de la nature, les éléments astraux, laurore boréale. Je tâche de mexpliquer autant que possible les choses que je découvre autour de moi. Jai souvent limpression de me trouver aux débuts de la philosophie, me posant les mêmes questions que lon se posait à lépoque. Car je naime pas lire des livres où les autres mexpliquent le monde à leur façon. Un tel aveu est ridicule venant de la part dun intellectuel. Pourtant, cest une joie extraordinaire de trouver tout seul les clés du mystère. »





    Agée de 86 ans, Nora Iuga nous surprend presque chaque année avec un nouveau volume de poésie ou de prose, qui ne passe jamais inaperçu. Ce fut le cas du volume de poésie « Ecoute pleurer les parenthèses », paru lannée dernière aux maisons dédition « Cartea Românească » et que le Jury du Gala des Jeunes Ecrivains a désigné le meilleur livre de poésie de lannée 2016. Et pourtant…





    Nora Iuga : « Je ne me suis jamais proposé de jouer le rôle de lélève modèle. Tout ce que jai fait, je lai fait par plaisir, un énorme plaisir. Et Dieu ou lIngénieur génial – comme je me plais à lappeler – a pris soin de moi et ma donné une force inouïe. Il est vrai que durant les 5 ou 6 dernières années, jai sorti un livre – de prose ou de poésie – par an et je pense que ce rythme, je le dois avant tout à la solitude. Une solitude absolue, quune personne dune vitalité comme la mienne ne pourrait supporter si elle ne la remplissait pas de quelque chose qui la fasse se sentir vivre et laide à devenir plus utile. Je nai jamais aimé recevoir les choses toutes faites. La conviction de pouvoir offrir quelque chose au monde a été la seule à mavoir gardée en vie. Je me sens obligée de toujours donner et cela me rend heureuse. Pourtant, la solitude nest pas la seule à mavoir aidée. Je peux dire que jai un bon cerveau et pour cela je remercie, une fois de plus, cet Ingénieur génial. »





    Partisane de lavant-garde, Nora Iuga pense que lexpérimentation est le facteur dinnovation le plus important dans la littérature : « Jaime cette étape que la poésie est en train de traverser, car je sens que nous sommes près dune frontière, nous approchons une autre étape. Après un minimalisme qui a beaucoup duré, les poètes semblent se tourner de nouveau vers lavant-garde, vers lexpérience. Il y a plusieurs jeunes poètes qui sont très bons et que jadmire – et je parle notamment de Robert G. Elekes. Je men réjouis beaucoup, car je le considère comme ma découverte. Je lai découvert à loccasion des Journées de la littérature allemande de Reşita. Entre temps, il a publié son premier volume, qui a eu un succès extraordinaire et a reçu les prix les plus importants. Paru aux Editions Tracus Arte, ce volume sappelle «Sur ce, je prends mes dents à mon cou et adieu ». Jen ai écrit la postface. »





    Cette année, Nora Iuga se propose de sortir un nouveau livre de poésie, en collaboration avec Angela Baciu. « Plus joli que Dostoïevski » est un dialogue alerte, qui abonde en calambours, satire politique, observations quotidiennes, références à ses lectures, au monde artistique, à des faits divers dintérêt local. Le livre comporte 25 brefs tableaux qui suivent, très subtilement, le fil dune histoire damour : deux femmes attendent larrivée de lhomme aimé, Monsieur T, qui doit retourner chez elles couronné de gloire après une chasse aux lions. Chaque tableau sachève par lintervention du Chœur antique. Par son langage, ce livre renvoie à des tics verbaux et à des expressions utilisées de nos jours de façon excessive. Le volume a une teinte dadaïste très marquée, pouvant être considéré comme une tentative hardie de renouveler lavant-garde. (Trad. : Dominique)

  • Dana Grigorcea

    Dana Grigorcea

    La version roumaine du roman « Das primäre Gefühl der Schuldlosigkeit » («Le sentiment primaire de l’innocence») de l’écrivaine Dana Grigorcea vient d’être lancée aux Maisons d’édition Humanitas de Bucarest. Ce roman a été distingué par le Prix 3sat du concours 2015 de littérature et nominé pour le Schweizer Literaturpreis. Dana Grigorcea a commencé par publier des récits dans la revue bucarestoise România literară (La Roumanie littéraire), à la fin des années ’90. Elle a étudié l’allemand et le néerlandais à l’Université de Bucarest et la mise en scène à l’Université de Bruxelles et elle a continué par un mastère en journalisme à l’Université Danubienne de Krems. Elle a travaillé pour la télévision ARTE de Strasbourg et pour la radio Deutsche Welle de Bonn. En 2007 elle s’est établie à Zurich, où elle a enseigné le langage du film à l’Ecole d’art et elle a collaboré à l’émission de littérature de la Radio nationale suisse DRS. A présent, elle organise à Zurich un salon littéraire et, en collaboration avec son époux, l’écrivain Perikles Monioudis, elle a créé un blog de littérature (www.neue-telegramme.ch).

    Dana Grigorcea a fait ses débuts littéraires en allemand en 2011, par le roman « Baba Rada. Das Leben ist vergänglich wie die Kopfhaare » (Baba Rada. Tout dans la vie est passager, comme les cheveux), qui a valu à l’écrivaine le prix suisse Literaturperle, ainsi que des distinctions honorifiques accordées par la ville et le canton de Zurich.

    Dans son hommage à l’auteure prononcé lors de la remise du prix Ingeborg Bachmann, la critique littéraire Hildegard Keller évoquait «le souffle épique » de son roman, « Le sentiment primaire de l’innocence ». Keller qualifiait le texte d’« excellente satire », dont se dégage une « vitalité exubérante ».

    Voici le regard que pose sur ce livre la traductrice Nora Iuga, qui signe, aux côtés de Radu-Mihai Alexe, la version roumaine du roman : « Un traducteur finit par s’identifier à l’auteur, car la relation qui se tisse entre un traducteur et un auteur est plus étroite que celle entre une mère et sa fille, entre un frère et une sœur. C’est qu’un tel lien se crée par le biais du langage et il n’y a pas d’élément plus fort que le langage pour s’identifier à quelqu’un. A part la beauté du style et les qualités expressives du livre, c’est le titre qui a attiré mon attention, par sa profondeur. « Le sentiment primaire de l’innocence. » Cela donne matière à réflexion. J’ai essayé longuement de m’expliquer le rapport entre ce titre et le sujet du livre, entre ce titre et le regard que l’auteure jette sur ces années-là. Ce furent justement les années durant lesquelles elle se formait en tant qu’être humain et en tant que femme, à Bucarest. Et le livre nous aide à découvrir de quel Bucarest il s’agissait. »

    Le Bucarest des années 2000. Fraîchement revenue de Zurich, Victoria assiste à un braquage de la banque où elle travaille. La jeune employée se retrouve tout d’un coup en congé payé et elle a le temps de se promener avec son ami à travers la ville ou de la parcourir toute seule à pied. A mesure qu’elle rencontre des personnes qu’elle avait connues jadis, des souvenirs d’enfance refont surface, remontant à l’époque où elle et ses copains découvraient le monde dans le quartier tranquille de Cotroceni. C’est un roman sur le Bucarest d’hier et d’aujourd’hui, sur les dernières années du communisme et sur la période chaotique du capitalisme naissant, sur les miracles de l’enfance et la quête du soi. »

    « Le sentiment primaire de l’innocence » a été accueilli avec enthousiasme et il a bénéficié d’éloges de la part de la presse d’expression allemande. « Un humour mélancolique » se dégage de ce roman, qui raconte des scènes d’une enfance passée dans la Roumanie communiste. En changeant sans cesse les plans de la narration, de l’enfance passée pendant les années du communisme, Dana Grigorcea fait un saut dans la réalité post-communiste, pour raconter le concert de Michael Jackson à Bucarest, puis un autre saut qui nous fait atterrir sur le toit de la gigantesque Maison du Peuple, où un groupe de jeunes parlent de la vie sexuelle du couple dictatorial.

    Nous avons demandé à Dana Grigorcea si elle avait saisi une différence entre les lectures publiques faites dans l’espace allemand et dans l’espace roumain : « La manière dont je vois le nouveau roman dépend énormément du public. Celui-ci réagit d’une manière différente en Allemagne, par rapport à la Suisse, par exemple. Il existe un fragment que j’ai lu à plusieurs reprises, dans lequel je raconte la cérémonie durant laquelle j’ai été admise dans les rangs des pionniers, une organisation réunissant les écoliers à l’époque communiste. Je peux vous dire qu’à chaque lecture les réactions ont été différentes. Dans l’ex RDA, les gens ont réagi autrement que ceux de Düsseldorf et de Hambourg. Le public suisse a répondu, lui, d’une manière encore plus différente. Certaines blagues que je fais dans le roman ont plus de succès en Suisse qu’en Autriche. Par ailleurs, en Autriche le public perçoit certaines subtilités plus facilement qu’en Suisse. Grâce à mon livre, j’ai réussi à connaître mon public et à découvrir certaines mentalités locales ».

    A l’occasion du lancement de la version roumaine du roman « Das primäre Gefühl der Schuldlosigkeit » (« Le sentiment primaire de l’innocence »), les lecteurs de Bucarest, Braşov, Timişoara et Cluj ont pu rencontrer Dana Grigorcea et participer à des lectures publiques organisées par la Maison d’Edition Humanitas. Des traductions en anglais, néerlandais et bulgare s’ajouteront bientôt à la version roumaine du livre. (Trad. Dominique)