Tag: égalité de genre

  • Quelle place pour les femmes sur le marché roumain de l’emploi ?

    Quelle place pour les femmes sur le marché roumain de l’emploi ?

    La Roumanie, en queue de peloton

     

    De tous les pays européens, la Roumanie est celui qui présente le plus faible taux d’emploi des femmes. En effet, seul 45,4 % d’entre elles ont un emploi alors que c’est le cas de 62,7 % des hommes. A titre de comparaison, selon les données Eurostat pour 2022, aux Pays-Bas 68,1 % des femmes travaillent, en Estonie 67%, en Suède 65,9 % et au Danemark 65 %. Comment expliquer cet écart entre les différents pays ? Selon l’Institut européen pour l’Égalité des genres, il faut en chercher la cause dans la répartition du travail domestique. Or en Roumanie ce sont bel et bien les femmes qui tiennent la maison. Nous nous sommes entretenus avec Octavian Moldovan, lecteur au département d’Administration et de management public de l’Université de Cluj Napoca et expert en ressources humaines et discriminations fondées sur le genre.

     

    Pourquoi cette situation ?

     

    Octavian Moldovan décrypte pour nous la situation roumaine.

    “Je pense qu’il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer qu’en Roumanie le taux d’emploi des femmes soit beaucoup plus faible que celui des hommes, d’environ 20%. En premier lieu, il faut pointer du doigt le travail domestique. Le fait que les femmes sont beaucoup plus impliquées dans le travail lié à a maison que les hommes. Et ici il est question à la fois des travaux ménagers, la cuisine, la lessive, la vaisselle, le ménage etc mais aussi du soin apporté aux éventuelles personnes âgées et aux enfants. Ce sont en général les femmes qui remplissent ces tâches. Et là, il faut parler du manque d’alternative disponible pour prendre en charge les enfants ou d’éventuelles personnes âgées. En effet, bien souvent les familles n’ont pas d’autre choix que de s’en occuper elles-mêmes. Il s’agit ici d’un transfert de responsabilité de l’Etat vers les familles et dans les faits, vers les femmes. Il y a aussi des problèmes liés au marché de l’emploi, notamment en termes de localisation des lieux de travail. La plupart des opportunités d’emploi se trouvent dans les grandes villes, les villes moyennes et les petites villes, très peu à la campagne. Donc, si quelqu’un veut un emploi bien rémunéré ou même un emploi en général, cette personne doit habiter en ville ou avoir la possibilité de faire la navette quotidiennement entre son domicile et un centre urbain. Or, les femmes ayant la charge de la maison, elles ont d’autant moins de chances de pouvoir effectuer cette navette. Toujours en ce qui concerne le marché du travail, on peut noter l’échec ou tout simplement le manque de politiques publiques de réintégration sur le marché du travail après une maternité, après un congé parental ou toute autre situation familiale qui entraîne une perte d’emploi. Ici, ce sont de nouveau les femmes qui sont le plus touchées. Le manque d’emploi flexibles est un autre facteur qui creuse les inégalités femmes-hommes. Il y a en Roumanie trop peu de possibilités de travailler à mi-temps, ou encore de travailler depuis la maison, ces formes de travail sont rarement acceptées et bien vues alors qu’elles seraient plus favorables aux femmes qu’aux hommes”.

     

    Des discrimination acceptées

     

    Les discriminations s’apprennent pendant l’enfance. Nous les acceptons passivement avant de les reproduire à notre tour comme l’explique Octavian Moldovan.

    “L’accès des femmes à l’emploi est influencé par diverses normes culturelles et sociales qui entraînent des discriminations multiples sur le marché du travail. On peut parler d’une part de discrimination horizontale, à savoir d’une discrimination qui relève du fait que certains domaines, certains types d’activités sont dominés par l’un des genres. Par exemple, l’éducation, la santé, l’assistance sociale et en général la base des organisations sont assurées principalement par des personnes de genre féminin. Alors que la police, l’armée, certains secteurs privés recrutent surtout des individus de genre masculin. Il existe d’autre part, une discrimination verticale, qui désigne le fait que les positions de dirigeants, le niveau décisionnel est fermé ou en tout cas son accès en est limité aux femmes, et ce dans de très nombreux domaines et même dans ceux où les positions subalternes sont majoritairement occupées par des femmes”.

     

    Éduquer les nouvelles générations

     

    Pour Octavian Moldovan, il faut remonter aux normes inculquées aux enfants par la société dans son ensemble pour expliquer cette situation.

     “Tant la discrimination verticale que la discrimination horizontale proviennent des types de jeux et du rôle dans les jeux que l’on attribue socialement aux filles et aux garçons. Les petits garçons jouent aux petites voitures, aux policiers, ils jouent des rôles d’autorité, ils doivent s’imposer. Les filles quant à elles doivent manifester de la délicatesse, de la sensibilité, elles doivent être conciliantes, elles jouent à la poupée, elles s’en occupent comme d’un bébé, jouent à la dinette et d’une manière ou d’une autre, même dans le jeu elles s’investissent dans le soin des autres. De là dérive tout ce qu’on a dit sur les différences d’implications des femmes et des hommes dans le travail domestique et la carrière professionnelle. Nous attendons des hommes qu’ils fassent carrière et des femmes qu’elles s’occupent de la maison et des autres”.

     

    Des lois plutôt inefficaces 

     

    Il existe en Roumanie des lois et des politiques publiques orientées vers la réduction des inégalités de genre. Cependant, pour Octavian Moldovan, elles manquent cruellement d’efficacité.

    ” A première vue, en regardant ce qui est fait en termes de politiques publiques et de mesures législatives, on dirait que tout va très bien en Roumanie. Nous avons des organisations consacrées à ces questions, un ministère de la Famille, de la jeunesse et de l’égalité des chances, mais aussi une Agence nationale pour l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. Il y a les cadres législatifs européen et national attachés à l’égalité des genres et des chances sur le marché de l’emploi, il y a également des références indirectes, tant dans le Code du travail que dans la Constitution ou dans d’autres lois qui visent à l’égalité femme-homme dans le domaine du travail. Mais force est de constater que l’efficacité des lois et des institutions censées les porter reste très discutable. Si on regarde les différences salariales entre femmes et hommes, la situation semble bonne en Roumanie. Il n’y a pas de décalage salarial important. Cependant, il ne faut pas oublier les différences de taux d’emploi d’une part et le plafond de verre qui touche les femmes d’autre part. Pourquoi ces différences ? Pourquoi ces inégalités d’accès au travail demeurent-elles ? On peut penser que dans ce domaine comme dans d’autres, les lois sont mal appliquées. Nous avons les lois nécessaires mais nous n’avons pas encore d’institutions capables de les mettre correctement en œuvre. Par ailleurs, les discriminations de genre dans le domaine du travail se perpétuent car il s’agit bien souvent d’un phénomène informel, d’un phénomène qu’on ne peut pas déceler à première vue. C’est quelque chose qui se déroule derrière les portes closes, en deçà des normes et règles institutionnelles”.

     

     

  • Débats sur l’inégalité de genre

    Débats sur l’inégalité de genre

    L’Union
    européenne a beaucoup progressé ces dernières décennies en matière d’égalité
    entre femmes et hommes, malgré des iniquités qui persistent. La Commission européenne considère que les signaux sont
    encourageants, en ce sens qu’un nombre croissant de femmes ont un emploi à l’extérieur
    de leur foyer et qu’elles décrochent de meilleures qualifications. Toutefois,
    de nombreuses femmes travaillent dans des secteurs économiques mal payés, et les présences féminines à des
    postes de décision sont peu fréquentes.

    Or, Bruxelles souhaite que d’ici 2025, l’Europe
    se rapproche davantage de son objectif stratégique, celui de devenir un
    continent de l’égalité homme – femme. Autrement dit, tous les Européens, femmes
    et hommes de tous les âges, devraient pouvoir
    jouir de la liberté de suivre son propre chemin, avoir des chances
    égales de s’épanouir, d’être des citoyens égaux et d’assumer des
    responsabilités, s’ils le méritent. L’UE se propose comme objectifs, entre
    autres, d’éliminer les violences contre les femmes, de combattre les
    stéréotypes de genre, d’éliminer les inégalités de genre sur le marché de
    l’emploi et de garantir une présence égale dans différents secteurs économiques,
    d’éliminer les inégalités salariales, d’éliminer le partage inégal des
    responsabilités familiales et domestiques ou encore d’atteindre l’équilibre de
    genre en politique et dans le processus décisionnel.

    C’est sur cette toile de
    fond qu’a eu lieu à Bucarest la troisième édition du Gala « Women In
    Economy », organisée par la Confédération
    nationale pour l’entrepreneuriat féminin (CONAF). Présente au Gala, la
    ministre roumaine du travail, Raluca Turcan, a déclaré qu’en Roumanie, l’inégalité des chances et la discrimination
    n’étaient pas perçues comme des problèmes pressants. Les femmes semblent avoir
    suffisamment de représentantes de poids dans tous les domaines, et l’accès aux
    opportunités apparaît comme approximativement égal. En fait, si l’on regarde de
    plus près les statistiques fournies par les institutions européennes ou par des
    structures privées, l’on constate que les inégalités existent et qu’elles sont
    importantes. Selon la ministre Raluca Turcan, le Global Mastercard Index des
    femmes entrepreneures montre que seulement 27% des entreprises sont détenues
    par des femmes.

    L’Office européen Eurostat indique, en revanche, que, dans le
    contexte de la pandémie, la présence des femmes en première ligne a été de 80%,
    par rapport à seulement 20% pour les
    hommes. Cela prouve que les femmes sont bien plus vulnérables aux chocs
    provoqués par la crise dans certains secteurs économiques. La Roumanie est une
    société ouverte, qui a enregistré des progrès, mais cela ne rend pas les
    Roumains moins conservateurs, a encore affirmé la ministre roumaine du travail,
    Raluca Turcan, qui est d’ailleurs l’une des deux présences féminines au
    gouvernement de Bucarest, la seconde étant sa collègue titulaire du
    portefeuille de la santé. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Les femmes dans le monde du numérique

    Les femmes dans le monde du numérique

    De nombreuses femmes roumaines font carrière dans ce domaine, brisant chaque jour les stéréotypes liés au genre qui disent que ces métiers ne sont pas pour elles. Plus encore, il semble que les performances des Roumaines dépassent celles des femmes dautres pays. Les statistiques le confirment: selon une récente étude de la compagnie Hacker Ran, en 2017, la Roumanie occupait la 6e place du classement des performances des femmes programmeurs. Ces données correspondent aux statistiques officielles européennes. Selon Eurostat, au niveau de lUE, cest en Roumanie et en Lituanie que les femmes sont les plus nombreuses à travailler dans le domaine des technologies de linformation. Elles y comptent pour 25,7% du total des employés. Cest la Bulgarie qui mène le classement, avec 26,5%.



    Tout cela nest pas une surprise, si lon pense au développement de lenseignement, estime Veronica Ştefan, fondatrice de lassociation Digital Citizens Roumanie : « Nos points forts sont notamment les jeunes femmes qui étudient linformatique, du moins au niveau de la licence. Par contre, elles sont moins nombreuses à faire un master ou un doctorat dans ce domaine. Cela veut dire quelles ne visent pas un très haut niveau de spécialisation. Pour ce qui est des jeunes femmes qui travaillent en tant que programmeurs ou qui participent à la création de différents produits technologiques, là cest un domaine où la Roumanie se porte plutôt bien. Somme toute, nous avons beaucoup de spécialistes des technologies de linformation. Cela se voit aussi au niveau des lycées, où les classes dinformatique sont assez équilibrées : 50% des places sont occupées par les filles, 50% – par les garçons. En fait, la Roumanie est en 2e position au niveau de lUE. Chez nous, les femmes comptent pour 26% des employés du domaine, alors que la moyenne européenne est de 17%. Autre atout : notre système déducation encourage les filles à sorienter vers les domaines techniques, surtout dans les grandes villes ».



    Pourtant, il est difficile de dire combien de femmes activant dans ce domaine occupent aussi des postes de direction. Ce qui plus est, le marché roumain de la technologie de linformation est dominé par lexternalisation: de nombreuses compagnies produisent et développent des idées venues dailleurs. En même temps, peu de femmes figurent dans les rangs de managers des projets ou des start-ups autochtones. Veronica Ştefan explique: « Les femmes font partie des équipes, mais elles nen sont pas nécessairement le leader. Le plus souvent, elles font partie de léquipe chargée de la communication ou des équipes de création. Côté entrepreneuriat, javoue que les choses pourraient aller mieux.»



    Pour le reste de lUE, la situation nest pas trop différente. Les spécialistes de légalité des chances estiment que la faible présence des femmes dans les domaines techniques et scientifiques est étroitement liée à leur estime de soi, mais aussi aux aspirations qui leur ont été inculquées par léducation reçue et les traditions héritées. Explication avec Lina Salanauskaite, chercheuse dans le cadre de lInstitut Européen pour légalité entre les hommes et les femmes, basé à Vilnius: « A étudier la présence des femmes parmi les spécialistes des technologies de linformation, on constate que la moyenne européenne est de 17%, un taux en stagnation depuis 5 ans. Plusieurs raisons expliquent pourquoi il y a moins de femmes dans les professions scientifiques ou dans lingénierie et toutes ont trait aux stéréotypes de genre. Dautres visent les aspirations des femmes. Prenons lexemple des jeunes de 15 ans : entre 3% et 15% des garçons de lUE souhaitent devenir des spécialistes du domaine. Par contre, seulement un peu plus de 1% des filles de 4 Etats membres rêvent de la même carrière. Les jeunes filles narrivent même pas à la limite inférieure des chiffres des garçons. Cela na rien à voir avec leurs capacités numériques, ni avec leurs connaissances en mathématiques. Cela tient plutôt à la manière dont les jeunes filles et les jeunes garçons voient leur avenir, leurs points forts et leur capacité à progresser dans un domaine ou un autre. Donc cest après lâge de 15 ans que toutes ces différences se font remarquer. »



    Lorsquil est question dutiliser lordinateur, davoir accès à Internet, de créer des contenus, de sinformer en ligne ou de se spécialiser dans le domaine de linformatique, la Roumanie reste un pays des paradoxes, constate enfin Veronica Ştefan, fondatrice de lassociation Digital Citizens Roumanie : « Bien que nous soyons fiers davoir de nombreux spécialistes de lIT et du numérique, au niveau de lensemble de la population, les statistiques nous projettent à lautre bout du classement. Seulement 30% de la population a des compétences numériques de base, ce qui place la Roumanie en queue du peloton européen. Les grandes villes se portent bien – Bucarest, Cluj, Iași, Constanța, Craiova, Sibiu et Brașov, mais une grande partie de la population ne maîtrise pas très bien lordinateur. Sur lensemble des employés de Roumanie, seuls 2% travaillent dans lIT. En même temps, dans le milieu rural seulement 40% des Roumains ont un emploi. Il y a donc un énorme clivage entre milieu urbain et milieu rural », a conclu Veronica Ştefan, fondatrice de lassociation Digital Citizens Roumanie. (Trad. Valentina Beleavski)