Tag: Empire Ottoman

  • La présence du chameau dans l’espace roumain

    La présence du chameau dans l’espace roumain

    L’archéozoologie – pour étudier les relations entre hommes et animaux au fil de l’histoire

     

    L’histoire de l’humanité, des communautés et des individus peut aussi être connue à travers l’étude des animaux domestiqués et utilisés par les humains et les sociétés. Les archéologues qui exhument aujourd’hui les objets les plus surprenants, ramènent aussi à la surface les restes d’animaux domestiques. L’archéozoologie constitue ainsi la discipline qui étudie les relations de l’homme et le monde animal, à savoir la domestication, l’alimentation humaine, l’économie animale, les rites funéraires. L’archéozoologie diffère par ailleurs de la paléontologie, qui elle étudie l’évolution des animaux et des humains sans se soucier de leurs liens éventuels, mais aussi de la paléozoologie, discipline qui étudie les animaux disparus. Grâce à l’archéozoologie, nous apprenons que le chameau, mammifère typique des zones tropicales et désertiques d’Afrique, d’Asie et d’Australie, a également eu toute sa place dans l’histoire de l’espace roumain.

     

    Trois types de chameau dans l’espace roumain

     

    Grand mammifère herbivore ruminant, le chameau est présent dans l’espace roumain à travers ses trois variantes : le dromadaire ou le chameau à une bosse, le chameau de Bactriane ou chameau à deux bosses, et les espèces hybrides, munies d’une grande et une petite bosse. Appelé « le navire du désert », le chameau a depuis toujours était utilisé pour le transport de lourdes charges sur de longues distances, ses besoins en eau et en nourriture étant minimes. Domestiqué il y a environ 5000 ans, le chameau est élevé également pour sa viande, pour son lait et pour sa laine.

     

    Le plus vieux squelette de chameau en terre roumaine

     

    Adrian Bălășescu, docteur en biologie et zooarchéologue à l’Institut d’archéologie « Vasile Pârvan » de l’Académie roumaine, a étudié les squelettes de chameaux trouvés sur les sites archéologiques de Roumanie et dressé une chronologie des découvertes. Le plus vieil exemplaire découvert à ce jour, découvert dans la région de Dobroudja, près de la forteresse d’Ibida, aurait vécu entre le 2e et le 4e siècle de notre ère.

     

    Adrian Bălășescu : « Il y a 60 ans, les premiers morceaux de squelettes de chameaux ont été découverts à Dinogeti, à Garvăn, dans le département de Tulcea, lors des fouilles archéologiques systématiques portant sur la période byzantine. Une phalange 1 de chameau à deux bosses avait alors été découverte. Après plus de 40 ans, en 2007, on fait mention d’un autre vestige découvert à Noviodunum, aujourd’hui la ville d’Isaccea, situé sur le bord du Danube, près de la frontière avec l’Ukraine. Ces derniers vestiges datent du 11e siècle. »

     

     Les chameaux d’Agighiol, dans la région de Dobroudja, font partie d’un important matériel faunique découvert en 2007. Il s’agit de six chameaux adultes identifiés par leurs mâchoires, dont les os ne présentent aucune trace d’intervention humaine ni aucune trace de dents de carnivore.

     

    Des chameaux enterrés rapidement. Mais pourquoi ?

     

    C’est une indication qu’ils ont été enterrés rapidement, un fait expliqué par Adrian Bălășescu : « On va sans doute se demander comment les os de ces animaux ont fini enfouis sous la terre ? Nous n’avons pas beaucoup d’informations sur la manière dont les fouilles ont été menées et il est difficile d’y répondre. J’ai une théorie selon laquelle l’absence de marques d’entaille, de désarticulation et d’éventration pourrait indiquer une mort dans un court laps de temps de ces animaux peut-être à cause de certaines maladies. Puis on les enterre, pour éviter la propagation de la maladie. À l’appui de cette théorie, des études récentes de paléogénétique et de microbiologie accréditent l’idée selon laquelle ces animaux, à savoir les chameaux, sont des vecteurs de propagation de la peste. Or, les grandes épidémies sont venues d’Asie et, outre les souris et les rats, porteurs de l’agent pathogène des puces, les chameaux semblent avoir aussi joué un rôle très important comme vecteur de transmission. D’ailleurs, la bactérie responsable de la peste a été identifiée dans le tartre dentaire des restes de chameaux étudiés. »

     

     En Europe centrale et Orientale, le chameau est présent depuis l’époque romaine

     

    D’autres restes de chameaux ont été trouvés sur le territoire roumain à Timișoara, forteresse conquise par les Turcs en 1552 et contrôlée par eux jusqu’en 1716. Nous avons identifié ces deux mandibules de chameau trouvées dans des fouilles diligentées dans le centre de la ville. Mais les chameaux existaient en Europe centrale et orientale bien avant l’arrivée des Ottomans.

     

     

    Adrian Balășescu : « En Europe centrale et Orientale, le chameau est présent depuis l’époque romaine. Sa présence pourrait être principalement le résultat de l’expansion de l’Empire romain et du déploiement d’unités militaires provenant de provinces du Proche-Orient ou d’Afrique, où l’espèce était fréquemment rencontrée. Ainsi, des preuves ostéologiques ont été trouvées en Allemagne, en Suisse, en Autriche, en Hongrie, en Serbie et en Bulgarie. Au début du Moyen Âge, et nous avons les découvertes de Dinogetea et de Noviodunum, l’on retrouve la présence du chameau entre le 9e et le 12e siècle, lorsque ces animaux sont présents dans la région en raison de l’influence romano-byzantine. »

     

     Moyen Age : le chameau arrive en Europe grâce aux Ottomans

     

    La présence ottomane en Europe centrale depuis la seconde moitié du 16e siècle explique la présence des restes de chameaux datant de cette époque.

     

    Adrian Balășescu : « Avec la pénétration des Turcs en Europe, on assiste à nouveau au retour de cette espèce relativement bien documentée en Hongrie, entre le 15e et le 17e siècle. La présence de ces animaux sur le territoire de la Roumanie est principalement due au fait qu’ils étaient utilisés comme animaux de transport à des fins militaires et civiles. Probablement, en cas de pénurie alimentaire, ils étaient également utilisés dans l’alimentation. Au cours du 16e et du 17e siècles, il existait des auberges dans la région du Banat occupée par les Turcs où l’on servait de la viande de chameau. Mais la présence de ces animaux en Roumanie est attestée jusqu’au XXe siècle. Il existe des archives photographiques d’un régiment d’artillerie de la Première Guerre mondiale basé en Dobroudja où l’on voit que les canons étaient tirés par des chameaux. »

     

     

    Animal typique des régions chaudes, le chameau a une histoire transcontinentale ancienne. Et l’espace roumain fait partie de l’histoire universelle de cette fameuse espèce. (trad. Ionut Jugureanu)

  • La vie sociale du Bucarest phanariote

    La vie sociale du Bucarest phanariote

    Étendue
    sur plus d’un siècle, l’époque appelée « phanariote » est généralement
    considérée comme une période néfaste de l’histoire roumaine. Le mot « phanariote » dérive du nom
    du quartier de Phanar de la vieille ville d’Istanbul, d’où venaient les
    fonctionnaires d’origine grecque que les sultans ottomans envoyaient en tant
    que princes régnants à Bucarest et à Iaşi, à l’époque où la Sublime Porte
    étendait sa suzeraineté aux Principautés roumaines. Commencé en 1716 en
    Valachie et en 1714 en Moldavie et achevé en 1821, le règne phanariote a marqué
    l’orientalisation des Principautés du Danube, équivalant à un retour en
    arrière, selon certaines normes. Cependant, la période phanariote n’a pas été
    une ère totalement sombre, des historiens estimant que, dans certaines œuvres,
    elle a été traitée de manière sommaire, étant aussi, par endroits, mal
    comprise.

    Ce point de vue est partagé par Tudor Dinu, auteur du vaste ouvrage
    en trois volumes intitulé « Bucarest la Phanariote » : « Les
    choses sont extrêmement complexes et devraient être nuancées. Cela n’a pas été
    une période des lumières, car de nombreuses batailles ont été menées à Bucarest
    pendant les guerres russo-autrichiennes-turques de l’époque. D’autre part,
    grâce à l’action de ces mêmes princes phanariotes, ce fut une ère de grand essor
    de la ville. C’est à cette époque-là que les rues de Bucarest sont presque entièrement
    revêtues de bois et que le premier système de bornes-fontaines est mis en œuvre
    pour fournir de l’eau de source fraîche à tous les habitants de la ville. C’est
    aussi l’époque où l’éclairage public apparaît, d’abord sur Podul Mogoşoaiei -
    Le Pont de Mogoșoaia (aujourd’hui l’avenue Victoriei) et plus tard dans
    d’autres endroits. Bucarest devient aussi le centre d’éducation le plus
    important de toute l’Europe du Sud-est grâce à l’Académie princière « Saint
    Sava ».




    Bien que
    le siècle phanariote marque l’orientalisation de la culture roumaine, tendance
    rarement présente auparavant dans l’espace roumain, l’occidentalisation est
    également évidente à cette même époque. La raison se trouve dans le fait que
    les princes phanariotes, tous de souche grecque, deviennent des vecteurs de la
    culture notamment italienne, puis française à Bucarest. Tudor Dinu : « Ma recherche a infirmé, entre autres, l’idée que
    l’occidentalisation des Principautés roumaines n’avait commencé qu’après 1821, à
    la fin de l’époque phanariote. En fait, elle commence avec la première
    occupation autrichienne en 1789, elle s’intensifie avec l’arrivée des troupes
    russes stationnées à Bucarest entre 1806 et 1812, et les Phanariotes permettent
    l’infiltration de la culture occidentale chez nous parce que leur rôle était,
    entre autres, aussi d’informer la Sublime Porte sur les intentions des
    puissances occidentales. Et à partir du 18-e siècle, des Occidentaux commencent
    aussi à s’installer à Bucarest, en particulier des Allemands qui ne venaient
    pas seulement de Transylvanie, mais aussi de régions plus éloignées. Ils ont eu
    une contribution fondamentale au développement de la ville, principalement en
    tant qu’entrepreneurs en construction, ingénieurs et architectes. Ce sont eux
    qui ouvrent les premières brasseries et le premier hôtel à Bucarest. Les
    premiers Français et Italiens font eux-aussi leur apparition, car chaque boyard
    voulait avoir un secrétaire ou un précepteur français pour ses enfants. »


    Puisqu’il
    vient de mentionner les premières brasseries, l’historien Tudor Dinu détaille
    également les plaisirs des Bucarestois du 18-e siècle, décrits amplement dans
    son livre « Bucarest la phanariote.
    Vie quotidienne, divertissement, culture ». Tudor Dinu : « Chaque jour, les Bucarestois allaient dans des
    bistrots où ils écoutaient la musique des ménétriers. D’autres préféraient les
    cafés où l’on fumait, jouait au billard, aux échecs ou aux dames, où avaient
    lieu des spectacles et se produisaient des saltimbanques. Surtout, ils
    s’adonnaient à leur jeu favori – faire et défaire des intrigues politiques en
    tout genre, bien sûr. D’autres se rendaient dans des foires, dont le principal
    amusement était la balançoire, qui attirait tout le monde de Bucarest, même les
    boyards. Mais peut-être la compétition la plus populaire était une sorte de
    sport complètement disparu et inconnu aujourd’hui. Le nom du jeu venait du
    terme ottoman « roseau ». C’était une confrontation entre les
    cavaliers qui maniaient des lances et les jetaient les uns sur les autres, tout
    en essayant de les parer. Ce n’était pas une lutte pacifique, c’était comme une
    sorte de tournoi d’inspiration ottomane. Et, bien sûr, il y avait aussi les
    jeux de hasard, que les Princes phanariotes ont tenté de supprimer, parce
    qu’ils dépouillaient la population. »




    Toutefois,
    il y avait quelques jeux de hasard autorisés par les autorités, telle la
    « loterie des billets », l’ancêtre du loto, qui a survécu jusqu’à nos
    jours. (Trad. Felicia Mitraşca)

  • Les Roumains face à la conquête ottomane des Balkans

    Les Roumains face à la conquête ottomane des Balkans

    La poussée de la Sublime Porte vers l’Europe durant les 14e et 15e siècles a été marquée par des guerres, entrecoupées de brefs moments de paix relative. En 1453, le sultan Mehmet II arrive à conquérir Constantinople, mettant ainsi fin à la glorieuse existence de l’empire de Byzance. La chute de Constantinople marque aussi un tournant dans l’existence des peuples des Balkans.

    Avant cela, surtout entre 1360 et 1453, les Roumains avaient essayé, à l’instar des autres peuples de la région, de trouver un modus vivendi avec une puissance ottomane en pleine expansion, essayant de concilier, tant que cela se pouvait, la civilisation chrétienne orientale, à laquelle ils appartenaient, mais qui se trouvait en déclin, et la civilisation ottomane, en pleine expansion. Cette longue coexistence entre ces deux mondes, apparemment irréconciliables, avait fini par donner naissance à ce que l’on peut aujourd’hui appeler la culture balkanique, issue de la fusion entre deux mondes, deux cultures et deux civilisations. Une synthèse qui rapprocha les peuples des Balkans, dans leurs pratiques religieuses, dans leurs traditions et leurs coutumes, arrivant à générer des comportements humains assez semblables.

    Les Grecs, les Serbes, les Bulgares, les Albanais et, à certains moments, aussi les Roumains, soit les peuples de souche des Balkans, étaient forcément hostiles et s’opposaient militairement à la poussée ottomane, ce qui ne les empêcha pas de cohabiter, à certains moments, avec les Turcs Ottomans, suite à des défaites militaires.

    L’historien suisse Oliver Jens Schmitt, professeur à l’Université de Vienne et spécialiste de l’histoire médiévale de l’Europe du Sud-Est, met en exergue le nombre significativement plus important des princes chrétiens de la région disposés à collaborer avec les Ottomans, plutôt qu’à les combattre militairement.

    Oliver Jens Schmitt : « La plupart des voïvodes ont collaboré avec les Ottomans. La liste des partenaires chrétiens de ces derniers est bien mieux fournie que celle des voïvodes qui se soient opposés par les armes à la poussée ottomane. Parmi les commandants chrétiens à avoir laissé leur vie dans les batailles contre les Turcs mentionnons les commandants serbes de la bataille de Marița, Uglješa et son frère, le roi Vukašin, puis aussi le prince albanais Balša II, en 1385, le voïvode serbe Lazar Hrebeljanović, les princes et les voïvodes valaques Mihail, en 1420, Dan II, Vlad, dit l’Empaleur, et encore l’empereur byzantin Constantin XI. Les Ottomans ont également mis à mort le père du voïvode albanais Skanderbeg, Ioan Kastriota, ou encore le dernier duc italien d’Athènes et le dernier roi bosniaque, ainsi que nombre de représentants de la noblesse bosniaque, telles les familles Kovacevici et Pavlovici. »

    « Les Turcs adorent les bagarres entre chrétiens », notait à l’époque un chroniqueur resté anonyme. En effet, les élites chrétiennes n’hésitaient pas à aller jusqu’à embaucher des mercenaires turcs pour les aider à remporter une succession au trône contre des rivaux chrétiens, et il n’était pas rare que ces mercenaires, appelés ponctuellement en aide, deviennent les véritables maîtres du pays, une fois la victoire remportée. C’est de la sorte que l’empire ottoman était arrivé à bâtir autour de ses frontières une véritable ceinture d’Etats vassaux, dépendants de la Sublime Porte, des Etats qui intervenaient d’ailleurs massivement, à leur tour, dans les luttes de pouvoir de l’empire ottoman.

    Ce fut ainsi le cas lors de la longue guerre civile ottomane, qui s’était déroulée entre les années 1402 et 1413. Les historiens s’accordent sur le fait qu’après la bataille de Marița de 1371, lors de laquelle les Serbes se sont inclinés devant les Turcs, les peuples des Balkans commencent à s’accommoder de la suzeraineté ottomane. Les Roumains se retrouvent ainsi en première ligne. La première bataille importante est celle de Rovine, en 1395, où les troupes roumaines sont commandées par le voïvode Mircea, dit le Vieux.

    Oliver Jens Schmitt montre que, déjà à l’époque, les Serbes étaient devenus des alliés de confiance des Ottomans : « Les boyards serbes Marko Kraljević et Konstantin Dragaš sont tombés lors de la bataille de Rovine de 1395 en luttant du côté des Ottomans contre la Valachie, dirigée par Mircea dit le Vieux. Cela montre la direction de la conquête ottomane. En fait, sans l’appui des chefs locaux chrétiens vassaux, l’offensive ottomane n’aurait pas été possible. Dans tous les moments essentiels de la conquête ottomane des Balkans, l’on voit les élites serbes guerroyer du côté des Ottomans. On les retrouve à Rovine, ou encore à Nicopolis, où c’est la cavalerie de Ștefan Lazarevici qui fait pencher la balance en faveur des Turcs, ou encore à Ankara, où la même cavalerie lutte jusqu’au bout pour Bayazid 1er, alors que ses troupes à lui avaient déjà pris la poudre d’escampette. Enfin, en 1430, c’est encore le même cas de figure, lorsque l’on voit Grigore Brankovici aider les Turcs à s’emparer de Salonique, et même en 1453, lorsque l’on voit les Serbes apparaître à Constantinople, non pas du côté des Grecs, mais du côté des Ottomans. »

    Aussi, dans les principautés roumaines situées au nord du Danube apparaissent progressivement les premiers signes d’accommodement avec le nouveau rapport de forces, qui faisait des Ottomans la puissance dominante de la région.

    Oliver Jens Schmitt : « Les élites roumaines ont commencé à se diviser entre les partisans des Ottomans et ceux du roi hongrois. Les voïvodes misaient sur l’une ou l’autre puissance, au gré de l’évolution de la situation politique ou militaire. Il n’est pas aisé de décider qui manipulait qui, et qui arrivait à mieux tirer son épingle de ce jeu des alliances changeantes: les Turcs et les Hongrois, ou les boyards et les voïvodes locaux, dans leurs luttes de pouvoir internes. Certes, les derniers manipulaient ainsi pour pouvoir raffermir leur position, asseoir leur pouvoir, en changeant fréquemment d’alliances. Les successions effrénées sur le trône bosniaque ou sur les trônes des principautés roumaines sont redevables à ces jeux d’alliances. Parmi les voïvodes roumains favorables à la Sublime Porte, mentionnons Radu II Prasnaglava, Alexandru Aldea ou encore Radu dit le Beau ».

    1453 c’est le moment de la rupture. La balance du pouvoir régional allait enfin, et pour longtemps, pencher en faveur des Ottomans. La Valachie et la Moldavie entraient ainsi, pour quatre siècles, dans le giron ottoman. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • Le Danube et l’identité européenne

    Le Danube et l’identité européenne

    Présent dans les plus anciens écrits de l’Antiquité grecque et romaine, le Danube est un des rares repères géographiques reliant un si grand nombre de nations européennes. Allemands, Autrichiens, Slovaques, Hongrois, Croates, Serbes, Roumains, Bulgares et Ukrainiens se partagent le grand fleuve bleu. Dans les pays qu’il traverse, celui-ci porte des noms similaires, provenant tous du latin Danubius: Donau, en allemand, Duna en hongrois, Dunav en croate, serbe et bulgare, Dunaj en slovaque et ukrainien, Dunăre en roumain. Dans l’Antiquité grecque, le Danube inférieur était appelé Istros. Les Turcs l’ont baptisé Tuna et l’ont surnommé eau des ghazi”, en raison du fait que de nombreux guerriers ottomans (ghazi, en arabe) s’étaient noyés dans ses eaux après les défaites subies par l’armée de l’Empire.



    L’histoire des Roumains est étroitement liée au vieux Danube; les historiens de l’Antiquité en témoignent, dont Hérodote, Strabon, Diodore de Sicile, Dion Cassius, Jordanès. Afin de soumettre les Daces, qui étaient un peuple vaillant, l’empereur Trajan fit construire à Drobeta un pont sur le Danube pour que son armée puisse passer en Dacie, lors de la guerre de 105 -106 dont il sorti victorieux. Au Moyen-Age, le Danube a constitué une frontière naturelle difficile à franchir pour les peuples migrateurs venant d’Asie et qui s’avançaient vers le sud, vers Byzance. Dans leur expansion vers l’Europe, les Ottomans allaient passer, eux aussi, le Danube. Repoussés à Belgrade, sur le Danube, par les armées croisées de Iancu de Hunedoara en 1456, les Turcs allaient triompher en 1526, à Mohacs, sur la rive droite du Danube. Ils seront pourtant vaincus, en 1687, toujours à Mohacs, par l’armée autrichienne de l’empereur Léopold 1er, ce qui a marqué le début du déclin du contrôle que les Ottomans exerçaient sur le Danube inférieur.



    Près d’un tiers du fleuve longe le territoire roumain. L’économie des principautés roumaines de Valachie et de Moldavie — notamment le commerce et le transport — a été étroitement liée au Danube. Au Moyen-Age, l’empire byzantin disposait d’une flotte militaire fluviale et les Génois et les Vénitiens pratiquaient le commerce. Le delta du Danube et les embouchures du fleuve étaient des objectifs stratégiques, aussi, les Byzantins et les Génois construisirent-ils la cité de Enisala au bord du lac Razelm, non loin du Bras Sf. Gheorghe (Saint Georges) — un des trois bras du fleuve. Le Danube a été la principale route commerciale maritime des Roumains. Des navires chargés de blé, de poisson, de sel, de produits manufacturés et, plus tard, de produits pétroliers, quittaient les ports fluviaux roumains pour se diriger vers Budapest et Vienne.



    Le Danube a reçu le statut d’eau internationale vers la moitié du 19e siècle. Dès la moitié du 18e siècle, la Russie avait manifesté son intérêt géopolitique pour le Danube et les Balkans. L’intérêt des puissances occidentales — notamment de l’Angleterre – pour les céréales des Principautés Roumaines ont rendu très attractif le fleuve. Suite à la sécheresse qui a frappé l’Angleterre en 1847, la loi protectionniste — la fameuse « corn law » – fut abrogée, ouvrant la voie à l’importation de céréales. Les céréales des Principautés roumaines pouvaient arriver plus vite en l’Angleterre si elles étaient transportées par voie fluviale — à savoir par le Danube et le Rhin, seulement, le Danube se trouvait sous le contrôle des Russes et des Ottomans. Une commission européenne du Danube allait être créée suite à la guerre de Crimée, menée, entre 1853 et 1855, par la coalition formée par la France, l’Angleterre contre l’Empire Ottoman.



    Cette commission siégeant à Galati, port roumain sur le Danube, fut le premier organisme paneuropéen qui décida que le Danube devienne une voie fluviale libre et une eau internationale. Suite aux décisions de la Commission, le Danube allait être dragué périodiquement, sa profondeur minimale devait être augmentée — de 3,66 mètres à 5,48 mètres. Le port roumain de Sulina devient bientôt une ville très cosmopolite. Le Danube commençait son aventure européenne. Sur la rive roumaine du Danube se trouvent des éléments significatifs pour l’histoire de la culture et de la civilisation européenne. Certains d’entre eux se sont perdus, hélas — et c’est le cas de l’île Ada Kaleh. D’autres sont toujours là : un pied du pont de Drobeta, construit sous le règne de l’empereur romain Trajan, la centrale hydraulique des Portes de Fer, les ponts de Calafat-Vidin et Giurgiu-Ruse, les ruines des cités de Turnu, Giurgiu et Braila, sous l’administration turque, le pont et la centrale nucléaire de Cernavoda, le Canal reliant le Danube à la Mer Noire ont leur histoire plus ou moins connue. (Trad. : Dominique)

  • 1.Les relations roumano – polonaises à la fin du 14e siècle 2. La rébellion de la Garde de fer

    1.Les relations roumano – polonaises à la fin du 14e siècle 2. La rébellion de la Garde de fer


    Les chroniques de la seconde moitié du 14e siècle annonçaient déjà la présence dans l’Europe orientale du futur Empire Ottoman, celui qui allait devenir la plus grande puissance en cette partie du monde entre 1500 et 1900. Les nations chrétiennes des Balkans ont tenté à maintes reprises de tenir tête à l’armée ottomane, mais elles n’y sont parvenues que pour un bref laps de temps. Au moment où la frontière de l’empire islamique eut atteint le Danube à la fin du XIVe siècle, le prince valaque Mircea le Vieux (1386- 1418) chercha à faire alliance avec ses voisins pour arrêter l’expansion ottomane. Et puisque les rapports avec la Hongrie de Sigismond de Luxembourg (1387-1437) n’étaient pas des meilleures, Mircea se tourna vers la Pologne dirigée à l’époque par le roi Ladislas II Jagellon.



    Suite à la défaite de l’armée serbe à Kossovopolje en 1389, Mircea le Vieux se retrouva dans une position encore plus vulnérable. Grâce à Petru Muşat, prince de la Moldavie entre 1375 et 1391 et vassal du roi de Pologne, il demanda au roi polonais d’unir leurs forces pour lutter ensemble contre le roi de Hongrie et contre d’autres ennemis. Un document allait être conclu en ce sens le 20 décembre 1390, à Lublin, entre le roi polonais et les représentants du prince valaque. Malheureusement, les chroniques du temps préservées jusqu’à nos jours, telles la lettre adressée par Mircea le Vieux au roi polonais pour parachever l’entente – n’offrent pas trop de détails sur le document en question. Pourtant, on sait que la signature du traité de Lublin fut suivie d’une nouvelle alliance, cette fois-ci à trois, entre Mircea le Vieux, Ladislas II Jagellon et le roi hongrois, Sigismond de Luxembourg. Au terme de cet accord conclu le 17 mars 1930, les deux rois et le prince roumain s’engageaient à s’appuyer réciproquement dans leurs efforts de lutter contre les Ottomans.



    La décision du souverain hongrois de rejoindre l’alliance fut saluée par Mircea le Vieux qui savait que grâce à sa position, la Hongrie allait s’impliquer plus que la Pologne dans l’organisation des campagnes militaires anti-ottomanes. Et pourtant, cela n’a pas empêché le prince valaque de renouveler son alliance avec la Pologne en 1404, 1410 et 1411 pour mettre sa principauté à l’abri de l’expansion magyare. Cette alliance a d’ailleurs porté ses fruits durant la bataille de Grunwald le 15 juillet 1410, quand un contingent valaque et un autre moldave ont contribué à la victoire des Polono- Lituaniens contre la force teutonique.


    2. Dans les minutes suivantes, nous allons nous pencher sur ce que l’histoire roumaine retient dans ses chroniques comme « la rébellion de la Garde de Fer », nom pris par le parti fasciste de Roumanie. Du 21 au 23 janvier 1941, Bucarest fut le théâtre de la lutte pour le pouvoir entre le général Ion Antonescu et la Garde de Fer. Installé à la tête de l’Etat le 6 septembre 1940 suite à la crise du régime autoritaire du roi Carol II, le général Antonescu allait instaurer une véritable dictature d’inspiration hitlérienne. Elle allait continuer la politique raciste instaurée entre 1937 et 1938 par le règne de Carol et décida de la mise en place d’une commission dite de la « roumanisation » afin de pouvoir interdire aux Juifs de participer à l’économie du pays et confisquer le patrimoine des grands industriels, banquiers et commerçants juifs. Finalement, le durcissement des lois racistes et antisémites a fini par toucher toute la minorité juive de Roumanie. Le 4 décembre 1940, la Roumanie conclut un accord économique roumano-allemand sur dix ans qui allait renforcer le pacte pétrole-armement signé le 27 mai 1940 à l’époque du gouvernement de Gheorghe Tătărăscu.



    Pendant les 4 mois et demie de cohabitation, le général Antonescu et la Garde de Fer ont cherché à se tolérer réciproquement, en essayant de renforcer leurs positions au sein de l’Etat. Antonescu fait entrer dans son gouvernement plusieurs membres de la Garde auxquels il permet de s’infiltrer au sein des institutions ou même de créer leurs propres institutions, tandis que lui, il s’est réservé le droit de s’emparer des ministères clé du gouvernement et de contrôler les services de renseignements.





    En plus, le général Antonescu a accordé aux membres de la Garde de Fer la permission de se venger contre les dignitaires qui les avaient persécutés dans les années 1930. 64 d’entre eux allaient trouver la mort dans la prison de Jilava, dans la nuit du 26 au 27 novembre 1940. Pourtant, les divergences entre Antonescu et les légionnaires, membres de la Garde de Fer, n’allaient pas tarder à se faire jour. Appuyé par le roi Michel Ier et par l’armée, Antonescu allait gagner aussi le soutien d’Hitler qu’il rencontre en Allemagne le 14 janvier 1941.



    Lors de cette rencontre, Antonescu promet à Hitler la coopération de la Roumanie dans un futur conflit avec lUnion soviétique, et obtient laccord tacite dHitler pour éliminer ses opposants dans le mouvement légionnaire. Finalement, le général passe à l’attaque et décide de restreindre les actions de la Garde de Fer, en chassant plusieurs de ces responsables dont le ministre des Affaires Intérieures, Constantin Petrovicescu. Ce fut là une des décisions qui serviront détincelle pour déclencher le coup dEtat organisé par la Garde de fer.



    Les légionnaires refusent de se soumettre au général Antonescu qu’ils tentent d’arrêter pour s’installer à la tête de l’Etat. Du 21 au 23 janvier 1941, la capitale roumaine, Bucarest, fut le théâtre de combats entre l’armée et les membres de la Garde de Fer. Larmée roumaine va se défendre pendant deux jours, et essaye dassiéger les places fortes des légionnaires, mais ne lance aucune attaque leur laissant même parfois les mains libres.



    Pour légitimer leur rébellion, les légionnaires lui attachent un caractère antisémite. 125 Juifs allaient être torturés et assassinés pendant le pogrom de Bucarest. Quand Antonescu pense que le moment est le plus approprié, il ordonne de mater la rébellion. Larmée la réprime en quelques heures, sans grande difficulté. Quelque 8000 membres de la Garde de Fer ont été arrêtés, jugés et condamnés et leur mouvement a été chassé du pouvoir. Les leaders des légionnaires qui y ont échappé se sont réfugiés en Allemagne qui a profité de leur présence pour menacer le général Antonescu… (trad.: Ioana Stancescu)