Tag: espèces protégées

  • Les esturgeons du Danube et de la mer Noire

    Les esturgeons du Danube et de la mer Noire

    Plus des 120 professionnels, originaires de 22 pays, et représentant 59 institutions diverses, ont participé dans la ville roumaine de Galati, située au bord du delta du Danube, à une conférence internationale, intitulée « La conservation des esturgeons du Danube : défi ou opportunité ». Ce fut un évènement d’exception dédié au sort des esturgeons et l’occasion rêvée pour décider de la mise en route d’une stratégie commune visant la conservation et l’avenir de la population de l’esturgeon sauvage. C’est que pendant longtemps, l’esturgeon a représenté une ressource naturelle importante pour les économies roumaine et bulgare, la pêche à l’esturgeon favorisant tout particulièrement le développement des communautés locales.

    De nombreux documents témoignent de l’importance de la pêche à l’esturgeon pour les communautés danubiennes, rappelle Tudor Ionescu, directeur au Centre de recherches et de développement de l’esturgeon, des habitats aquatiques et de la biodiversité de la ville de Galati. Ecoutons-le :« Un historien turc, Evliya Celebi, qui voyageait à Silistra, ville située de nos jours en Bulgarie, informait que la prise quotidienne moyenne était de 80 grands exemplaires d’esturgeon européen, qui prenaient la route de Constantinople le jour même. Le moine italien Nicol Barsi, qui se rendait à Galati entre 1630 et 1640, mentionne la beauté de la ville à l’époque, mais surtout la richesse des captures d’esturgeons réalisées. Des bateaux originaires de Constantinople débarquaient leur cargaison de soie, pour reprendre ensuite la route, chargés de caviar. Les témoignages abondent en ce sens. A la fin du 19e siècle, le roi Carol Ier nomma le célèbre explorateur et scientifique Grigore Antipa à la tête des pêcheries d’Etat. C’est lui qui fera passer, en 1896, la première loi de la pêche, une loi qui prévoyait d’interdire la pêche à l’esturgeon durant la période de reproduction de l’espèce. Grigore Antipa s’inquiétait même dans l’un de ses écrits de la baisse significative de la population d’esturgeon, dont il avait déjà été témoin à l’époque. C’était il y a 120 ans déjà. Pourtant, en 1903/1904, dans la zone du village de Sfântu Gheorghe, l’on faisait état d’une capture de 10.570 exemplaires d’esturgeons du Danube. Cent ans plus tard, en 2003/2004, seuls 28 exemplaires ont été capturés dans toute la Roumanie. C’est dire. Et l’on peut constater la même évolution de la population de bélouga. L’on comptait ainsi la capture de 4.250 exemplaires en 1903/1904, contre 153 exemplaires un siècle plus tard. Y’a pas photo ».

    Déjà à l’époque des Daces, avant l’arrivée des Romains sur le territoire actuel de la Roumanie, l’on érigeait des sortes de clôtures immergées, confectionnées en bois, pour attraper l’esturgeon. Les pêcheurs emploient depuis toujours des techniques spécifiques pour la pêche à l’esturgeon, prétendant même que cette espèce ne se laisse attraper que lors des tempêtes. Et, en effet, l’esturgeon nage sur le fond du Danube, atteignant jusqu’à 70 km/h. Pour l’attraper, les pêcheurs installaient des hameçons raccordés à des troncs d’arbres, immergés à plusieurs mètres de profondeur. L’exemplaire d’esturgeon champion toutes catégories confondues a été attrapé en 1890, sur le bras du Danube qui s’appelle Sfântu Gheorghe. Il pesait 886 kilos et l’on avait récolté 127 kilos de caviar. Dans la période de l’entre-deux-guerres, la Roumanie et la Bulgarie détenaient la palme de l’export du caviar en provenance de l’esturgeon sauvage dans tout le bassin de la mer Noire. Tudor Ionescu :« A l’époque qui a suivi l’apparition de la première loi de la pêche en Roumanie, la principale méthode utilisée pour attraper l’esturgeon employait les clôtures immergées. Ils se faisaient attraper lorsqu’ils remontaient le cours du Danube pour se reproduire, quelque part aux environs de la zone des Portes de Fer. Dans l’entre-deux-guerres déjà, les méthodes de pêche avaient évolué, de même que l’organisation de l’activité. La ville de Galaţi accueille le premier réfrigérateur du pays et le premier marché aux poissons. Les prises faites dans les zones de Sulina, de Chilia et au long du Danube étaient commercialisées à Galaţi, là où Antipa avait fondé la première bourse du poisson. Les captures totalisaient 40 tonnes d’esturgeon et environ 17 tonnes de caviar. Une étude rapporte l’équivalence entre le prix de l’or et celui du caviar. Au début du 20e siècle, 1 kilo de caviar valait 2 à 3 grammes d’or. Cent ans plus tard, 1 kilo de caviar valait 97 grammes d’or. Tout est dit ».

    Et même si les espèces d’esturgeon sont protégées par la Convention relative au commerce international des espèces sauvages en voie de disparition, la survie de l’esturgeon est toujours menacée. En effet, le déclin accentué de l’espèce a commencé surtout après 1972, lorsque, selon les spécialistes, la construction du barrage hydroélectrique des Portes de Fer a empêché la poursuite de la migration des poissons sur le Danube. Tudor Ionescu estime que les efforts concédés dernièrement pour repeupler l’espèce se heurtent à l’impossibilité de reconstruire son habitat initial. « Dans les années 1700, le bélouga remontait le Danube depuis la mer Noire, pour se reproduire en Bavière. Il s’agit d’un parcours long de 2.300 km. Ils parcouraient cette distance. Or, entre 1965 et 1972, nous avons érigé le barrage des Portes de Fer, qui a mis un coup d’arrêt net à la migration de l’esturgeon le long du Danube. Leur migration s’est dès lors réduite à 856 km du cours du Danube. Ils ont donc été privés de 60% de leur habitat, ce qui a gravement affecté leur capacité de reproduction. Qui plus est, ce barrage a été érigé dans la zone qu’ils favorisaient par-dessus tout pour se reproduire. »

    Suite à la baisse dramatique de la population d’esturgeon, les spécialistes issus des pays riverains de la mer Noire, et même d’ailleurs, ont arrêté une stratégie commune visant la conservation et le redressement de la population d’esturgeon sauvage du Danube. Les participants à la conférence de Galati ont adopté la Déclaration de Galati, censée mettre en route un mécanisme qui vise la sauvegarde de la population d’esturgeon en Europe du Sud-Est, seul endroit au monde où six espèces d’esturgeon vivent encore à l’état sauvage. Le document prévoit la création de fermes d’esturgeon, le suivi de l’évolution de la population, mais également la poursuite du moratoire sur la pêche à l’esturgeon au-delà de 2020.
    (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Pour et contre la chasse des espèces protégées des Carpates roumaines

    Pour et contre la chasse des espèces protégées des Carpates roumaines

    Le Sénat roumain a récemment adopté une proposition législative visant à modifier la Loi de la chasse afin de permettre la chasse de plusieurs espèces protégées. Il s’agit plus précisément des ours bruns, des cormorans et des chamois. Jusqu’ici une espèce strictement protégée, l’ours figurera pendant 5 ans parmi les animaux sauvages dont la chasse est autorisée au cours de certaines périodes de l’année. Une décision qui a été tout de suite contestée par les ONGs écologistes, mais aussi par la société civile. Une pétition a d’ailleurs été signée par 30.000 personnes en 4 jours seulement.

    Précisions avec Cristian Remus Pop, spécialiste des grands carnivores, des corridors écologiques et de la gestion des aires protégées chez le Fonds mondial pour la nature (WWF) Roumanie : « Normalement, pour prendre une telle décision, il faut avoir des données solides et connaître entre autres les tendances de la population d’ours, ainsi que de nombreux autres paramètres. En l’absence de tels arguments, cette décision du Sénat n’est pas correcte. D’autres amendements ont également été adoptés, mais ils sont moins dangereux. Par exemple, toute activité de capture à des fins scientifiques serait assimilée à la chasse, ce qui n’est pas normal. Par conséquent, on tente d’alléger la législation et d’affaiblir les activités et les efforts que nous déployons pour la protection des animaux. En même temps, on ne dispose pas d’assez de données pour avancer de telles propositions. Nous avons demandé à plusieurs reprises qu’une statistique aussi précise que possible de la distribution des ours soit faite pour pouvoir prendre les meilleures décisions de gestion. Si la législation devient moins sévère, la conservation de l’ours brun sera en danger ; surtout que l’ours est une espèce strictement protégée, il figure sur toutes les listes importantes de la Directive Habitats de l’UE. Normalement, il faudrait créer des aires protégées spécialement pour conserver cette espèce et pour lui garantir un statut favorable. Si la Chambre des députés valide à son tour cette décision, il y aura aussi des conséquences économiques. »

    Bien que le chamois soit une espèce emblématique des Carpates et qu’elle ne représente pas de danger pour l’homme, la nouvelle Loi permet la chasse de 609 chamois au cours de la saison de chasse 2019-2020. Une fois de plus, les contestations fusent. Les écologistes mettent en garde contre le fait que la seule raison réelle de chasser des chamois, c’est d’obtenir des trophées. Et pour cause : ils ont une très grande valeur ; un tel trophée vaut entre 880 et 3000 euros.

    Enfin, à cause du danger qu’ils représentent pour la pisciculture, les cormorans ont été placés eux aussi sur la liste des espèces que l’on pourra chasser.

    Pour leur part, le Fonds mondial pour la nature (WWF) Roumanie et 20 autres organisations environnementales ou qui luttent pour la protection des animaux ont transmis à la Chambre des députés leur position commune, lui demandant de rejeter les amendements proposés pour la Loi de la chasse, principalement en ce qui concerne l’ours brun. (Trad. Valentina Beleavski)