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  • La périphérie bucarestoise à travers le temps

    La périphérie bucarestoise à travers le temps

    Au fait, entourée d’un réseau de faubourgs, coagulés sur des terrains ayant appartenu à d’anciens villages, seule la zone centrale était devenue presqu’entièrement urbaine après la Grande Guerre. Cela explique pourquoi un style de vie rural a partiellement résisté dans ces « mahalale » jusqu’au début des années 1960, quand le régime communiste a lancé la systématisation de la ville justement dans ces zones. Les habitations vernaculaires et les immeubles de commerçants, avec la boutique au rez-de-chaussée et le logement à l’étage, ont été démolis pour laisser la place à des barres d’immeubles à plusieurs étages, la périphérie étant ainsi entièrement engloutie par des quartiers-dortoirs. Un film documentaire récemment découvert dans les archives du Musée municipal Bucarest – c’est en fait un enregistrement brut – nous montre la vie des Bucarestois le long des artères allant de la barrière de Vergu à la Place de la Victoire, c’est-à-dire entre la limite Est de la capitale et le début du boulevard bucarestois le plus important et le plus moderne, la  Calea Victoriei (l’avenue de la Victoire). Le film a retenu la vie quotidienne des gens qui habitaient à proximité des boulevards appelés de nos jours « Mihai Bravu », « Ștefan cel Mare » et « Iancu de Hunedoara ». Dans les années 1960, ces noms n’existaient pas, tandis que l’existence des habitants était inchangée depuis des dizaines d’années.

     

    Les « mahalale »

     

    Quel était le visage de ces « mahalale » (faubourgs) au XIXème siècle et comment vivaient les habitants de l’unité administrative appelée « sectorul de galben » (un des arrondissements de la capitale) ou littéralement « le secteur de jaune » ? C’est l’historien Adrian Majuru, directeur du Musée municipal Bucarest, qui répond à ces questions : « En 1838, ce secteur de jaune comptait 11.555 habitants et 2.449 habitations, il n’était donc pas trop peuplé. Et il y avait aussi des animaux de compagnie, pour ainsi dire, à savoir: 1063 chevaux, 444 bœufs, 245 vaches, 73 buffles, 193 cochons et 1542 chiens. Les volailles ne sont pas mentionnées dans les documents de l’époque, les chats non plus. Mais nous remarquons la présence d’animaux de trait: chevaux, bœufs, buffles. En ces temps-là, les cochons étaient bien différents de ceux que les paysans et les fermiers élèvent à présent. Ces cochons, représentés dans des lithographies du début du XIXème siècle, notamment des années 1830 – 1850, se déplaçaient librement et portaient des marques spécifiques. Par exemple, un licol triangulaire qui les empêchait de se glisser dans d’autres fermes, à travers les palissades. Vous voyez, donc, un monde rural qui changeait lentement. Ou pas du tout, du côté de la Chaussée Mihai Bravu. Toutefois, à un moment donné, une classe moyenne inférieure fait son apparition ; elle se compose de maîtres-artisans qui vivent des résultats de leur travail. Si vous avez votre atelier de cordonnier ou de fourreur ou de photographe, ou autre, du côté de la Chaussée (avenue) Ștefan cel Mare, où vous vendez ce que vous fabriquez, vous êtes quelqu’un de chanceux. Votre affaire pourrait s’étaler aussi dans les rues adjacentes, mais les gens n’y vont pas, car ces rues sont trop insalubres et relativement peu sûres à l’époque. L’atmosphère et le monde changent quand on change de mahala. Les immeubles sont différents. Il y existe aussi, bien-sûr, des zones industrielles, par exemple une fabrique de pain au nord et une autre au sud. (…) Le monde cosmopolite commençait Place de la Victoire ; derrière et autour d’elle, il y avait le monde rural. »

     

    Le quotidien des habitants des faubourgs bucarestois

     

    La situation change en 1961, année de la réalisation du film préservé au Musée municipal Bucarest et qui documentait justement ce changement. Mais quel était le quotidien des gens qui vivaient près de la barrière de Vergu (Piața Muncii ou Place du Travail d’aujourd’hui), aux confins de l’Est de la ville? Adrian Majuru nous donne des détails.  « Il y avait une expression à l’époque, qui disait: « Ma chère, s’il y avait aussi du gaz à acheter, ce serait comme pendant la guerre ». On achetait le pain avec des tickets de rationalisation, les confections valaient un ticket, attribué en fonction du niveau professionnel et de l’origine sociale saine, comme on disait à l’époque. La situation s’était quelque peu améliorée dans les années 1960, lorsque Gheorghiu-Dej était toujours le chef de l’Etat et du parti communiste et la dépendance de l’Union soviétique était encore forte. Pourtant, dans l’esprit des gens, le monde d’avant n’avait pas disparu. Des difficultés, il y en avait, mais ils vivaient dans les mêmes maisons, certains avaient même pu ouvrir de petits ateliers autorisés par le régime. Les choses commencent à changer en 1961, (…) et la population ne comprend pas ce qu’il se passe. Les adultes éprouvaient une grande tristesse, à cause de ce nouveau monde auquel ils ne savaient pas comment se rapporter. Ils quittaient des logements qui leur étaient familiers pour emménager dans d’autres, sur les boulevards Mihai Bravu ou Iancu de Hunedoara, ou ailleurs. »

     

    Un paysage humain transformé

     

    Bien évidemment, les démolitions et les nouvelles constructions transforment aussi le paysage humain. Des gens des campagnes viennent travailler en ville, des villageois viennent occuper les nouvelles barres d’immeubles et deviennent des citadins du jour au lendemain raconte Adrian Majuru.  « La réalité des années 1960 a un impact sur la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui, car elle marque le début de travaux de systématisation et d’une industrialisation de la périphérie de la ville, dont l’effet sera l’arrivée d’un très grand nombre de gens du monde rural et des petites villes. Leur contact avec l’urbain se réduisait à ça et ils n’en voulaient pas plus. Or, au moment où la masse critique d’intellectuels et de’ pratiquants de professions libérales diminue, la périphérie commence à se manifester aussi dans les zones centrales. Les démographies se mélangent et ce mixage se retrouve également à l’intérieur d’un immeuble, où habitent deux ou trois intellectuels et puis des ouvriers de l’usine Semănătoarea ou de petits fonctionnaires de l’Etat. L’homogénéité professionnelle fondatrice des quartiers et des grands boulevards de la ville n’était plus souhaitée. »

     

    Aujourd’hui, la zone comprise entre les repères historiques des barrières de Vergul et de Mogoșoaia (l’endroit où commençait la Calea Victoriei ou Calea Mogoșoaiei) a quasiment gardé le visage issu des transformations imposées par le régime communiste. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Ferentari

    Ferentari

    Considéré aujourd’hui comme un quartier
    économiquement et socialement difficile, une sorte de ghetto au sud-ouest de
    Bucarest, le faubourg de Ferentari n’a pas toujours été une zone frappée de
    problèmes. Son histoire fait l’objet d’un ouvrage paru récemment -
    « Ferentari incomplet », coordonné par Andrei Răzvan Voinea, Dana
    Dolghin et Gergely Pulay.


    Le quartier commence à se développer à
    l’entre-deux-guerres, lorsqu’il n’est qu’une simple zone interstitielle de la
    périphérie de Bucarest. L’historien Andrei Răzvan Voinea raconte : Dès le début, le quartier de Ferentari a dû faire avec un handicap de
    développement, puisque l’avenue du même nom – Calea Ferentari – par exemple, ne
    menait nulle part, en ce sens qu’elle s’arrêtait pratiquement dans un champ.
    Ici, à Ferentari, il y a toujours eu un vignoble appartenant à la métropolie orthodoxe
    et à plusieurs autres monastères. Petit à petit, ces vignobles ont été vendus,
    des lotissements et des constructions ont fait leur apparition, ce qui l’a
    transformé en une zone résidentielle plus ou moins officielle. Les loyers très
    bas ont attiré de nombreux ouvriers, notamment ceux qui travaillaient dans les
    entreprises industrielles sises sur la colline de Filaret, la première zone
    véritablement industrielle de Bucarest. Ce fut le point de départ d’un
    développement très, très lent. Avant 1940, le quartier était connu comme le
    Champ de la Joie, car il était parsemé de nombreuses caves à vin, issues des
    anciens vignobles, qui se sont transformées lentement mais surement en autant
    de tavernes. À un moment donné, elles en étaient une centaine et la rue la plus
    importante de l’époque s’appelait la Rue de la Joie. Il n’y avait même pas de
    quartier. C’était tout simplement le Champ de la Joie, sous-développé avant
    1940, ignoré par les autorités centrales, sans égouts, sans eau potable ni
    électricité, et avec très peu d’interventions.




    Également à
    l’entre-deux-guerres, le quartier de Ferentari accueillait, en plus des
    ouvriers de condition modeste, quelques entrepreneurs et leurs affaires.
    Certains des plus aisés se sont fait construire des maisons d’une meilleure
    qualité, même des villas dans les styles architecturaux les plus prisés à
    l’époque, mais ces immeubles sont peu nombreux. L’historien Andrei Răzvan
    Voinea en a documenté une partie:
    Il y avait quelques petites affaires,
    dont celles d’un entrepreneur juif, Littman, qui demande, en 1935, à
    l’architecte Paul Rossini de lui dessiner cette magnifique maison dans un style
    international très moderniste, en phase avec la mode européenne du moment. De
    tels exemples ne sont pas nombreux. Il y aussi un autre immeuble, appelé Vila
    Coca, au 43 rue Veseliei (de la Joie) ; là aussi, l’architecture est très
    gracieuse, très équilibrée. Malheureusement, l’homme d’affaires Littman fut un
    des Juifs tombés victimes de la rébellion légionnaire de la Garde de Fer de 1941,
    qui avait aussi secoué le quartier de Ferentari.




    La vraie
    systématisation de cette zone a pourtant débuté après l’installation du régime
    communiste, dans le but d’offrir aux travailleurs des conditions de vie
    décentes, un objectif réalisé dans un premier temps. Des immeubles à étages, en
    briques, appelés encore aujourd’hui « blocurie roșii/les immeubles
    rouges », se sont dressés sur une sorte de terrain vague. De tels projets
    ont été imaginés dès 1946, explique Andrei Răzvan Voinea: Ce terrain
    vague a été racheté par un Institut des fonctionnaires publics pour y
    construire des logements destinés aux fonctionnaires publics. En 1948, le
    terrain passe à la mairie et change constamment de commanditaire. Mais un
    projet très fonctionnaliste est mis en œuvre, ce qui se traduit par le lancement
    de la construction de 20 immeubles à étages. L’architecte en est Gheorghe Popov
    et les communistes inventent pratiquement l’habitation en commun. C’est un
    espace imaginé entièrement en rupture avec le modèle de lotissements – maisons
    et jardins individuels – à l’horizontale. Là, nous parlons d’un développement à
    la verticale. Tous les immeubles ont quatre étages, sont séparés par des
    parterres de végétation et dotés de nombreux services sociaux. Nous parlons de 20
    tels immeubles, chacun habité par une trentaine de familles, donc environ 600
    familles au total. Les immeubles avaient leur propre système de chauffage, une
    école maternelle et une salle de cinéma se trouvaient à proximité. Lorsque les
    immeubles ont été finis, l’on y a aussi ajouté une piscine publique, qui a
    fonctionné jusqu’après 1990. Au début de l’avenue Ferentari, des commerces en
    tout genre, l’échoppe d’un coiffeur-barbier se partageaient les clients.
    C’était pratiquement une petite ville qui s’autogérait en quelque sorte.




    La situation
    a commencé à se dégrader vers le milieu des années 1960 et ça continue
    aujourd’hui encore. L’historien Andrei Răzvan Voinea propose une explication: Que s’est-il passé après 1966? Après avoir érigé les immeubles rouges,
    les communistes ne font plus grand-chose. Ils construisent encore une école
    quelque part, dans Prelungirea Ferentari, un canal collecteur et l’éclairage
    public attaché à ce morceau de canalisation. Mais ce ne sont pas des
    interventions majeures, justes normales. En 1966, le plan de systématisation de
    l’ensemble de cette zone voit le jour à l’Institut Proiect de Bucarest. C’est
    un plan très sérieux, qui prévoit la construction d’immeubles à étages. Pour
    cela, il fallait abattre le fonds d’habitations pavillonnaires, pour tout
    remplace par de tels logements. Les communistes ont prêté beaucoup d’attention
    à un début de renouveau urbanistique sur les terrains vagues. Malgré un
    projet de démolition tous azimuts et de construction d’immeubles à étages tout
    le long de l’avenue de la Victoire, le projet initial envisageait de construire
    des immeubles le long de l’avenue Ferentari, mais cela se fait par îlots sans
    lien direct avec l’avenue. Un autre projet était axé sur la construction de
    studios et d’appartements d’un confort moindre, sinon carrément basique. En
    fait, la caractéristique de faubourg de la périphérie était maintenue, les habitations
    étant destinées à des gens venus à Bucarest pour trouver un emploi, qui louent
    un studio à court terme, fondent une famille et déménagent ailleurs. On
    constate encore une fois que Ferentari restait une zone interstitielle, de
    transit, mais ce projet est finalement abandonné. L’on a construit au total
    plus de 150 immeubles de studios et d’apparts deux pièces, habités par un tas
    d’ouvriers des Usines Vulcan. Après 1973, la législation nationale change
    elle-aussi. C’était de la folie.




    Un plan complexe
    de développement de cette zone est imaginé suite au terrible tremblement de
    terre de 1977, mais rien n’est malheureusement mis en œuvre jusqu’à la chute du
    régime en 1989. Vient ensuite la dégringolade de la transition des années 1990
    et les pouvoirs publics se sont désintéressés du quartier où les problèmes
    sociaux se sont graduellement amplifiés. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le faubourg  Flămânda – (l’Affamée) du Bucarest d’antan

    Le faubourg Flămânda – (l’Affamée) du Bucarest d’antan

    Les mahala ont représenté une étape historique dans le développement de plusieurs villes roumaines. Bucarest ny fait pas exception, ayant été dès le début constitué de nombreux quartiers de ce type, soit de petites communautés plus rurales quurbaines.



    Une de ces mahala, connue sous le nom de Flămânda, lAffamée, était située au centre historique de la ville, près de la colline sur laquelle se dressait autrefois lEglise métropolitaine, devenue, de nos jours, siège du Patriarcat et qui, à un moment donné, avait même abrité le premier Parlement du pays.



    Lapparition de ce faubourg nest pas sans rapport avec le rôle de léglise dans la vie de la communauté, affirme Edmond Niculuşcă, président de lAssociation roumaine pour la Culture, lEducation et la Normalité (ARCEN). « Le faubourg Flămânda, lAffamée, également connu sous le nom de Săraca, la Misérable, est étroitement lié à la colline de lEglise patriarcale. A linstar de la plupart des quartiers pauvres, elle prend naissance autour dune église, en loccurrence lEglise Flămânda, lAffamée, laquelle existe aujourdhui encore. Démarrés en 1766, les travaux de construction de cette église de petites dimensions allaient durer longtemps en raison du manque dargent. En 1782, lédifice est refait, cette fois-ci, en pierre, les travaux étant achevés vers 1800 avec laide de la guilde des couturiers bucarestois, qui sinstallent du côté est de cette banlieue. A regarder la carte du Bucarest de lan 1770, on constate quà lest de cette colline il ny avait que des vignobles et des jardins. Propriété de lEglise métropolitaine, ces terres assez étendues étaient habitées par des esclaves tsiganes, qui accomplissaient certaines besognes auprès de ce lieu de culte. Ce quartier pauvre ne figurait donc pas sur la première carte de Bucarest. Il ny apparaît en tant que zone habitée quaux alentours de lan 1800, date à laquelle les chroniques consignent quelque 59 habitations dans les parages.



    Qui habitait là ? Sagissait-il dindigents, ce qui expliquerait lappellation du quartier? Détails avec Edmond Niculuşcă: « Daprès certains historiens, le faubourg Flămânda et son église étaient très pauvres. On ne dénombrait quune cinquantaine de maisons et peu de familles. Certains autres affirment que les mendiants et les malades chroniques venaient demander laumône devant lEglise métropolitaine. Ces malheureux, on les envoyait à la petite église au pied de la colline, pour y recevoir nourriture, abri et parfois même quelques sous. Il faut savoir aussi quune véritable hiérarchie régissait la vie dans le faubourg Flămânda. Par exemple, la rue principale, celle dans laquelle on retrouvait léglise et la buvette, était habitée par lélite du quartier, pour ainsi dire. Entendez par élite le prêtre et son épouse – la seule femme que lon appelait « madame »- le policier ou bien des petits fonctionnaires. Le reste cétaient des gens qui traînaient autour de la maison ou chez les voisins ».



    La structure sociale du faubourg Flămânda va changer au fil du temps, au point quaprès 1920 elle nest même plus désignée par le terme de mahala, quartier pauvre. Edmond Niculuşcă. « Cette zone se joint au centre ville vers le milieu du XIXe siècle, lors de lextension de Bucarest. De très belles maisons y apparaissent. On peut encore admirer certaines dentre elles aujourdhui. Cest aussi le cas de la demeure de larchitecte du Château de Peleş. Sur le lopin de terre quil avait reçu, il a fait bâtir un édifice impressionnant, utilisant même des matériaux amenés du chantier de Peleş. La maison et le quartier tout entier dailleurs ont été sauvés comme par miracle des démolitions pratiquées sous le régime communiste pour faire de la place aux grands boulevards et aux nouvelles bâtisses. Lancienne banlieue Flămânda se retrouve de nos jours au cœur dune zone qui garde intacte lâme du Bucarest dantan. » (trad. : Mariana Tudose)