Tag: féminisme

  • Le Changement au féminin

    Le Changement au féminin

    L’Union européenne des femmes, UEF, dispose de représentants au sein de l’ONU à New York, Vienne et Genève, du Conseil européen ainsi que de l’UNESCO. Il s’agit d’une organisation fondée en 1953, qui œuvre à promouvoir les droits des femmes à l’égalité des chances et à l’éducation, et encourage leur émancipation au travail et dans la société. Elle participe aussi au processus de consultation de la Commission Européenne, dont les résolutions sont ensuite transmises aux parlements nationaux des états membres de l’UE. La Roumanie a été accréditée en tant que membre de cette organisation au niveau européen en octobre 2022, à l’occasion du 70ème anniversaire de l’UEF. Comme en plus, tous les deux ans, a lieu le Congrès international qui permet des discussions autour des problèmes politiques actuels, les représentantes de l’UEF se sont récemment réunies à Bucarest dans le cadre du groupe de travail « Women Creating Change ».

    Aphrodite Bletas, présidente de l’UEF internationale et représentante de la Grèce, nous raconte que « Au sein de cette organisation nous travaillons en commission thématique, par exemple « politique internationale », « santé et politique sociale » ou « éducation ». L’une d’entre elles s’intitule « l’Europe prend vie ». Il s’agit d’une commission de diplomatie culturelle, si je puis m’exprimer ainsi. Chaque année, nous organisons un évènement dans l’un de nos Etats membres, ce qui nous permet de découvrir chaque année un nouveau pays et d’en apprendre davantage sur son fonctionnement politique, social et économique. C’est aussi l’occasion de nous rencontrer et de nous faire connaître aussi. Nous ne cherchons pas à encourager le militantisme féministe, mais plutôt à offrir aux femmes les outils nécessaires à leur émancipation, afin qu’elles puissent jouer un rôle dans la société, dans les domaines de leur choix, qu’il s’agisse de la politique, des affaires, de l’éducation ou encore de la famille ».

    Parmi les participants se trouvait aussi Victor Nistor, directeur adjoint de la Direction de lutte contre le crime organisé de la police de Roumanie, qui s’est quant à lui exprimé sur la question de la prévention et de la lutte contre la consommation de drogues chez les jeunes. « Le message que nous voulons transmettre concerne l’éducation, et plus particulièrement la prévention autour de la consommation de drogues. Une démarche qui commence d’abord à la maison, chez soi, en famille, mais aussi au sein de son groupe d’amis, avant l’intervention des autorités compétentes en la matière. Quelle est la marche à suivre. En premier lieu, il est essentiel de prendre conscience des choses, d’apprendre de nos expériences passées et d’accepter que nous vivons dans une société mondialisée, dont les frontières ont disparu. Il n’existe plus de barrières et il nous faut accepter que les drogues sont accessibles et circulent sur ce grand marché. »

    A la question de savoir si les femmes pouvaient faire changer les choses, Victor Nistor a répondu :
    « Oui, les femmes sont toujours actrices du changement, car elles incarnent à la fois la beauté, si je puis dire, et la créativité, dans leur façon de participer au politique. Nous nous appuyons toujours sur elles et elles sont toujours à la hauteur de la tâche ».

    Oana Maria Rotariu est une des survivantes de l’incendie de Colectiv de Bucarest. Suite à cette tragédie dans laquelle une soixantaine de jeunes ont perdu la vie et quelque 200 ont été blessés, elle est devenue coach en body positivité. Elle nous fait part de son message: « Dans la vie, l’important est de ne pas être seul. Nous vivons en communauté et pourtant, on continue à souffrir de solitude. Du coup, mon message est de continuer à s’entourer des gens, à trouver des personnes prêtes à rester à nos côtés, quelles que soient les circonstances. Pour cette conférence, j’ai préparé une présentation sur la manière dont on peut vivre en Roumanie, tout en étant handicapé. Je voudrais expliquer aux gens comment faire pour vivre au sein d’une société qui affirme accepter les différences, mais qui en réalité, ne le fait pas. Nous avons d’une part, une belle propagande et de l’autre – la réalité. Et pour les personnes handicapées, notamment pour les femmes, il y a plein d’obstacles au quotidien contre lesquels il faut se battre. Oana nous a assurés que la vulnérabilité n’avait rien à voir avec la fragilité ou la faiblesse. Tout au contraire. Les femmes handicapées sont souvent autant de voix capables d’entrainer des changements dans ce monde.

    Sat Dharam Kaur est naturopathe et impliquée dans plusieurs programmes à succès censés soutenir les femmes à travers le monde. Elle plaide pour l’importance du soutien accordé aux femmes en situation vulnérable : enceintes, malades ou en situation de dépendance. « Par le passé, mon travail a constitué à appuyer les femmes remises après un cancer de sein. J’ai mis en place plusieurs programmes à l’intention des gens, victimes de la dépendance. Avec le psychothérapeute, Gabor Mate, nous avons mis en place le programme « Compassionate Inquiry » qui se construit autour de l’idée que la connexion est l’essence même de la sécurité. C’est une initiative censée apprendre aux gens comment aider les victimes des traumas à refaire surface ».

    Beaucoup de psychologues pensent que le trauma est alimenté par l’absence de la connexion humaine, de plus en plus fréquente dans une société qui reconnait de moins en moins la famille traditionnelle.L’équipe qui représente la Roumanie au sein des différentes commissions de l’UEF, (l’Union européenne des femmes), telles la Commission pour la Santé, pour la Culture, pour l’Education ou pour les Relations Internationales, se propose de profiter du soutien européen pour mettre en place différents projets sociaux. Les principes de l’UEF reposent sur le libéralisme social, sur la liberté individuelle et l’assistance sociale. Trois axes qui se proposent d’encourager la paix, la justice et la prospérité dans le monde, tout en contribuant à la préservation de la dignité et des libertés individuelles, du patrimoine et des traditions culturelles, du progrès social et économique et des droits de l’être humain.

  • La poétesse tunisienne Hanen Marouani

    La poétesse tunisienne Hanen Marouani

    Chercheuse et docteure en
    langue et littérature française, auteure de plusieurs recueils de poésies et de
    plusieurs articles, traductrice littéraire, féministe et très active dans
    le domaine de l’associatif, la poétesse tunisienne, HanenMarouani a reçu le
    prix Europoésie 2022 de la part de l’UNICEF. Dans les minutes suivantes,
    je vous invite madame, monsieur, de pénétrer dans son univers poétique et de
    connaître ses sources d’inspiration, tout comme les raisons qui la pousse à se
    batailler, ne serait-ce que par écrit, pour l’égalité des chances et les droits
    des femmes dans le monde.

  • Exposition de l’œuvre de Pia Massaci au Musée de la ville de Bucarest

    Exposition de l’œuvre de Pia Massaci au Musée de la ville de Bucarest

    Fin 2022, le Musée de la ville de
    Bucarest, situé dans le Palais Suţu, a accueilli une nouvelle exposition de
    peinture consacrée au féminisme dans l’art, plus précisément à Pia Massaci,
    l’une des femmes peintre de la Roumanie de l’entre-deux-guerres. Connue pour sa
    chromatique, ses portraits et ses paysages, Pia Massaci (1908-1992) incarne aux
    dires d’Elena Olariu, directrice adjointe du Musée, le prototype de l’artiste
    tombé dans l’oublie.


    « L’aile du musée de la ville de Bucarest consacrée aux Beaux arts a
    accueilli une exposition consacrée à Pia Massaci, une femme-peintre née à
    Constanţa, dans la famille d’un avocat. Elle a débuté en 1935, dans le cadre du
    Salon officiel de Bucarest, par une exposition comportant un autoportrait et
    des poupées italiennes, deux thèmes qui lui sont restés très chers, puisqu’ils
    reviennent aussi dans d’autres expositions, y compris dans celle dont il est
    question aujourd’hui. C’est une exposition qui réunit plusieurs autoportraits,
    des natures mortes, des paysages dont un, inspiré du marché Matache de Bucarest
    et dont c’est justement le titre. D’ailleurs, ce tableau a déjà été exposé en
    2021, au pavillon Art Safari, dans le cadre d’une grande exposition consacrée aux
    femmes-peintre de Roumanie, intitulée « Séduction et triomphe dans
    l’Art ». Suite à cet événement, les descendants de Pia Massaci nous ont
    contactés pour nous mettre à disposition des documents d’archive, des photos et
    une cinquantaine de tableaux issus de la collection familiale. Il s’agit, je
    vous le rappelle, d’une artiste tombée dans l’oubli pendant plusieurs années.
    Or, le Musée de la ville de Bucarest mène une politique spéciale de recherche
    afin de récupérer les artistes relégués aux oubliettes. Que s’est-il passé
    exactement, avec cette génération de l’entre-deux-guerres ? Voilà la question à
    laquelle nous tentons de répondre. Pour commencer, il convient de préciser que
    dans ces années-là, de nombreux artistes ont été victimes de la crise
    économique. Parmi eux, beaucoup ne jouissaient pas de l’attention des
    critiques. Cela peut s’expliquer par le nombre important de peintres que la
    Roumanie comptait à cette époque-là. Malheureusement, à l’issue de la Seconde
    Guerre mondiale, le pays s’est vu installer à sa tête la dictature communiste
    qui n’encourageait que les artistes proches du régime. Par conséquent, de nombreux
    peintres de l’entre-deux-guerres sont entrés dans un cône d’ombre et nous
    tentons de les faire redécouvrir au public.
    »


    Elena Olariu, directrice adjointe
    du Musée national de la ville de Bucarest se penche dans les minutes suivantes
    sur le parcours académique et la carrière artistique de Pia Massaci.


    « Pia Massaci a été l’élève de Jean Alexandru Steriadi et de Camil
    Ressu, deux figures emblématiques de
    l’art roumain. Elle a aussi été lauréate du Prix de l’Académie des Beaux Arts
    de Iaşi en 1942. Ses ouvrages ont été présents dans tous les salons officiels
    de l’époque. Durant la période communiste, elle a eu quelques vernissages
    personnels. Elle a travaillé aussi bien à Braşov qu’à Tulcea, Constanţa et
    Balcic, en Bulgarie. Plusieurs de ses tableaux se trouvent dans des collections
    privées en France, en Allemagne, en Pologne, en Israël ou au Canada. Sa famille
    détient une cinquantaine de tableaux dont plusieurs ont été exposés au Palais Suţu, dans le cadre de cette exposition gérée
    par la commissaire Angelica Iacob. Personnellement, ce qui m’attire
    particulièrement chez Pia Massaci est le fait de la voir choisir ses sujets en
    fonction de ses propres préférences. Elle peint en fonction de ses envies, sans
    renoncer à sa touche féminine. A la différence d’autres femmes peintres qui ont
    essayé de se rapprocher de l’art masculin afin de plaire à une certaine
    catégorie de public ou aux critiques,
    Pia Massaci a privilégié un art purement féminin, d’une grande valeur. Elle a
    peint selon ses envies.
    » a conclu Elena Olariu. (Trad : Ioana Stancescu)





  • Beata Umubyeyi Mairesse, présente à la 10e édition du Festival International FILIT, de Iasi

    Beata Umubyeyi Mairesse, présente à la 10e édition du Festival International FILIT, de Iasi

    Auteure franco-rwandaise,
    Beata Umubyeyi Mairesse a été invitée à Iaşi, à la dixième édition du Festival
    international de littérature et de traduction littéraire, FILIT où elle est
    venue parler de son premier roman, Tous
    tes enfants dispersés, traduit du français par Andrei Lazăr chez les
    éditions Casa Cărţii de Ştiinţă. Roman de l’exile, de la mémoire et de la
    transmission, ce titre a valu à son auteure le Prix des cinq continents de la
    Francophonie, en 2020. Je vous invite à l’écouter dans un entretien pour Radio Roumanie
    Internationale, réalisé en pleine effervescence festivalière, comme vous allez
    pouvoir entendre.

  • La peine des faunes, d’Annie Lulu

    La peine des faunes, d’Annie Lulu

    Deuxième roman d’Annie Lulu, écrivaine roumano-congolaise vivant à Paris, « La peine des fauves » est une histoire écologiste et féministe qui fait voyager ses lecteurs de la Tanzanie des années quatre-vingt à l’Écosse contemporaine. Véritable ode poétique à la fragilité de la condition humaine, le roman est, comme on le dit sur sa quatrième couverture, un urgent plaidoyer pour le vivant.

  • EXPO_02_GEN ou la représentation du genre dans la photographie

    EXPO_02_GEN ou la représentation du genre dans la photographie

    EXPO_02_GEN est la deuxième exposition, dans une série de
    trois, qui présente une sélection de la Collection d’images de Mihai Oroveanu.
    Historien de l’art, photographe, commissaire d’exposition et collectionneur,
    Mihai Oroveanu avait aussi une fine connaissance de la scène d’art
    internationale. Il a organisé et co-organisé de nombreuses expositions et a
    écrit plusieurs livres d’art, dont « Les ateliers d’artistes de
    Bucarest » et « La Roumanie Moderne. Documents photographiques
    1859-1949 ». Mais surtout, il a eu un rôle essentiel dans la création du
    Musée national d’art contemporain, dont il a été le directeur depuis
    l’ouverture en 2001 et jusqu’à sa mort en 2013.


    Le projet « L’image photographique entre passé et avenir »,
    dont fait partie l’exposition EXPO_02_GEN, cherche à explorer et à mettre en
    valeur la riche collection constituée par Mihai Oroveanu, une des plus
    importantes archives photographiques de Roumanie. Le projet, porté par la
    galerie bucarestoise Salonul de proiecte,
    en partenariat avec Fotogalleriet Oslo,
    a d’ailleurs été conçu pour palier à l’absence d’institutions dédiées à la
    photographie ou à l’étude de l’image en Roumanie. Les trois expositions prévues
    dans le projet peuvent être visitées dans les locaux de Salonul de proiecte, à l’intérieur du le Palais Universul à
    Bucarest, là où durant la première moitié du 20e siècle a fonctionné la
    typographie du journal du même nom.




    EXPO_02_GEN montre un large éventail de techniques qui
    mettent en lumière l’évolution du dispositif photographique. La sélection des
    images fait penser au montage vidéo, avec des juxtapositions inattendues qui
    bousculent le sens donné traditionnellement aux images, pour stimuler l’interprétation
    personnelle. C’est Magda Radu, commissaire d’exposition et historienne de l’art,
    qui nous parle des différences entre EXPO_02_GEN et la première exposition du
    projet : « C’est une exposition largement différente de la
    première, tant dans la configuration, que dans la scénographie et l’approche.
    Elle présente, aussi, beaucoup plus de pièces de l’archive de Mihai Oroveanu.
    La première exposition était dédiée à l’exploration de l’espace urbain de
    Bucarest, à la ville en transformation durant différentes époques. Cette
    fois-ci, le sujet est différent et il est très présent dans l’archive. C’est
    pourquoi nous avons proposé de regarder la représentation du genre dans
    l’immense panoplie d’images qu’offre la collection de Mihai Oroveanu. »




    Ouverte sans bénéficier d’un vrai vernissage, EXPO_02_GEN
    peut être visitée durant quatre mois, de début mars à début juillet. L’expo met
    en avant des figures féminines, porteuses d’une vision modernisatrice du pays.
    Magda Radu nous la détaille encore : « Il s’agit, pratiquement, d’une analyse des
    représentations du genre dans plusieurs types de photos – des photographies du
    19e siècle jusqu’à celles des dernières décennies de la période communiste.
    Vous pourrez y voir beaucoup de photos de studio, très répandues en Roumanie à
    la fin du 19e. Il y avait de nombreux studios photo dans le pays, comme le
    studio « Julieta » à Bucarest et autres. Ces studios avaient leurs propres
    accessoires, costumes et décors, divers et variés. Par ailleurs, il y a aussi
    des instantanés anonymes, et là on peut y voir beaucoup de scènes de fête.
    C’était l’époque où une photographie était un événement dans la vie de tout un
    chacun. »




    Pour voir tout cela, vous avez jusqu’à début juillet pour
    vous rendre au Palais Universul de Bucarest, dans la galerie Salonul de proiecte. Sinon, rendez-vous
    sur la page Facebook de la galerie, où vous pourrez voir une partie des images de la riche
    collection de Mihai Oroveanu. (Trad. Elena Diaconu)

  • L’autrice, traductrice et féministe Sofia Nădejde

    L’autrice, traductrice et féministe Sofia Nădejde

    A partir de la seconde moitié du 19e
    siècle, lorsque la société roumaine est entrée dans une phase de modernisation
    et d’occidentalisation soutenue, la presse de l’époque a commencé à parler des
    droits des femmes. C’étaient des associations féminines qui mettaient ce sujet
    à l’ordre du jour et qui militaient surtout pour le droit à l’éducation et pour
    le droit de vote. Les femmes ont ainsi commencé à remettre en question leur
    rôle traditionnel qui se limitait à la sphère privée et ont cherché à élargir
    leur influence à la sphère publique. Parmi les intellectuelles qui ont porté ce
    mouvement compte aussi la journaliste, traductrice et féministe Sofia Nădejde,
    née en 1856 à Botoșani (nord).

    La Maison d’édition Paralela 45 a récemment
    publié ses articles de presse dans un recueil intitulé « Sur le cerveau
    féminin et d’autres démons ». Le volume est paru sous la coordination
    d’Adina Mocanu et de Maria Cernat, et c’est cette dernière qui nous parle de
    Sofia Nădejde dans le contexte de son époque : « Elle
    a combattu sur plusieurs fronts. Sa famille nombreuse serait vue aujourd’hui
    comme un modèle de réussite – elle a eu quatre filles et deux garçons, ainsi
    qu’une autre fille morte pendant son jeune âge, et tous ses enfants ont eu des
    carrières remarquables. Mais en dehors de cela, Sofia Nădejde était une
    militante et elle n’aurait pas aimé être dépeinte comme une femme à succès dans
    les pages des magazines people. C’était une femme sérieuse, très appliquée dans
    ses observations et études, et très proche des gens simples ou pauvres. Elle
    aurait aimé que son émancipation ait lieu en même temps que celle de toutes les
    femmes de Roumanie et ne combattait pas particulièrement pour les droits des
    femmes privilégiées. Cela peut sembler bizarre, par exemple, qu’elle ne
    militait pas pour le droit de vote des femmes. Mais dans le contexte de
    l’époque, où le suffrage censitaire était en vigueur et seulement les gens les plus
    fortunés pouvaient voter, cela aurait donné le droit de vote à un nombre très
    limité de femmes. C’est pourquoi Sofia Nădejde affirmait sa volonté de lutter
    pour toutes les femmes, pas seulement pour les privilégiées. »


    Certaines militantes intellectuelles du
    19e affirmaient qu’il fallait que la femme préserve malgré tout son rôle
    traditionnel, mais qu’elle bénéficie, en plus, de certains droits. Sofia
    Nădejde, à l’opposé, souhaitait un changement radical de paradigme. Et elle
    avait bien d’autres points de différence avec la plupart des intellectuels de
    son époque. Elle et son mari, Ioan Nădejde, étaient adeptes du socialisme, une
    idéologie alors peu populaire en Roumanie. Maria Cernat détaille : « Elle
    a débuté dans des magazines socialistes qui aujourd’hui seraient caractérisés
    de féministes. Un qui s’appelait « La Femme roumaine ». Ensuite, elle
    a écrit longtemps pour la publication « Contemporanul ». C’était dans
    sa jeunesse, quand elle écrivait notamment des textes militants pour les droits
    des femmes. Par la suite, elle s’est orientée vers la littérature. Elle a fait,
    avec des moyens littéraires, de l’art engagé. Sofia et Ioan Nădejde assumaient
    très bien leurs positions militantes et leurs sympathies socialistes. Pour
    résumer, Sofia Nădejde s’est d’abord concentrée sur les droits des femmes, la
    place de la femme dans le christianisme, la prostitution, la famille, donc
    plutôt des questions de philosophie politique. Après, ses préoccupations
    littéraires ont pris le dessus, sans que son orientation idéologique socialiste
    soit perdue de vue. Elle soutenait le droit des femmes à l’éducation, dont le
    but allait au-delà de rendre les mères capables d’élever les fils de la nation.
    Elle militait aussi pour l’indépendance juridique et économique des femmes,
    pour leur droit de travailler et pour leur autonomie financière. »


    Mais il y avait d’autres idées et
    positions qui démarquaient Sofia Nădejde de ses contemporaines. Maria Cernat
    continue : « C’est
    drôle de voir que certains de ses articles font état de principes très
    conservateurs. Elle était, par exemple, contre la danse, une coutume primitive,
    selon elle, héritée des « sauvages ». Elle était aussi contre la
    coquetterie. Nous dirions, peut-être, aujourd’hui qu’elle était contre les
    standards de beauté, tous relatifs. Elle critiquait également les bals, où les
    gens allaient danser pour ensuite sortir transpirés dans l’air froid et
    attraper des pneumonies. Ces principes peuvent sembler aujourd’hui très
    conservateurs, mais elle y tenait. Pour elle, l’émancipation, ce n’était pas de
    se mettre à fumer des cigares, d’aller dans les bars pour se saouler ou avoir
    beaucoup d’amants. Autrement dit, ce n’était pas de se mettre à faire ce que
    faisaient les hommes. Ce n’était pas ça, la libération des femmes. Eduquer ses
    enfants très sérieusement était, en revanche, un exemple d’émancipation. »


    Inévitablement, ses idées ont fait
    entrer Sofia Nădejde dans différentes polémiques, dont une, célèbre, avec Titu
    Maiorescu. Ministre, parlementaire conservateur, philosophe et critique
    littéraire, il était et il est toujours une autorité absolue de la culture
    roumaine. Maria Cernat : « Une
    histoire intéressante est celle où Sofia Nădejde contredit Titu Maiorescu
    concernant le poids du cerveau des femmes. Il n’adhérait pas à l’idée que le
    sort des peuples soit laissé dans la responsabilité d’êtres avec un cerveau 10%
    plus léger que celui des hommes. Un cerveau plus petit indique, de toute
    évidence, que les femmes sont moins dotées intellectuellement que les hommes.
    Par conséquent, selon Maiorescu, il fallait adopter le principe de la
    séparation des sphères : la sphère domestique pour les femmes et celle
    publique pour les hommes. Sofia Nădejde a alors souligné le sophisme de
    Maiorescu : si le poids est équivalent de l’intelligence, on pourrait
    alors conclure que la baleine est l’être le plus intelligent de la planète, car
    elle a le cerveau le plus grand et le plus lourd. »


    Sofia Nădejde a reçu en 1903 le prix du
    journal Universul – une importante récompense pour les romanciers – qui prenait
    également en compte le succès auprès du public. Sofia Nădejde est décédée en
    1946 et beaucoup de ses idées sont toujours d’actualité. (Trad. Elena Diaconu)

  • Naissance de la citoyenneté démocratique. Les femmes et le pouvoir dans la Roumanie moderne

    Naissance de la citoyenneté démocratique. Les femmes et le pouvoir dans la Roumanie moderne

    Un nouveau volume consacré au féminisme en Roumanie a été lancé en mars dernier, aux librairies Humanitas-Cismigiu. Il s’agit de « Naissance de la citoyenneté démocratique. Les femmes et leur pouvoir dans la Roumanie moderne » de Maria Bucur et Mihaela Miroiu, un ouvrage qui se penche sur la perception à l’égard de la femme à travers l’Europe postcommuniste. Maria Bucur, professeure d’histoire à l’Université de l’Indiana, des Etats-Unis, salue l’opportunité de réaliser un tel travail.« Dès le départ, ce projet s’est déroulé sous le signe de l’amitié que je porte à Mihaela Miroiu avec laquelle j’ai beaucoup discuté là-dessus. C’est un volume lancé au bout de dix ans de travail pendant lesquels j’ai énormément appris. Moi, je n’avais pas l’habitude d’énoncer des jugements comme j’ai fini par le faire, et ça, c’est un gain. Mon niveau d’interdisciplinarité a augmenté, et cela aussi, c’est extraordinaire. Et le fait de connaître toutes ces femmes que Mihaela connaissait déjà m’est apparu comme une chance unique dans la vie ».

    La recherche menée sur le terrain a débouché sur la mise en page d’une histoire de la femme roumaine après 1990. L’actuel ouvrage signé Maria Bucur et Mihaela Miroiu constitue aussi une démarche singulière dans la littérature roumaine : « Le chapitre consacré à l’histoire, plus précisément au contexte historique, n’était pas prévu dans un premier temps. Nous avions commencé par entamer une enquête sur le terrain que l’on souhaitait présenter en détails par la suite. Sauf que voilà, on a fini par se rendre compte qu’il n’y avait aucun ouvrage en roumain qui parle de l’histoire des femmes, qui explique comment faire pour mieux comprendre leurs voix, pourquoi ces voix étaient celles que l’on entendait, quelles étaient les structures et les normes légales, éducationnelles ou encore politiques de l’époque ».

    Mihaela Miroiu est professeure de Sciences politiques à l’Ecole nationale d’études politiques et administratives de Bucarest. Son nom se rattache principalement à la mise en place du premier master d’études féministes de Roumanie. Cosignataire de l’ouvrage récemment lancé aux librairies Humanitas-Cismigiu, elle avoue que ce projet est issu d’une démarche personnelle. « Dans un premier temps, je souhaitais revenir sur les femmes primordiales. A toutes ces femmes qui m’ont élevée, à la génération des femmes qui sont mes contemporaines, et ensuite aux femmes issues des générations suivantes. Il s’agit, si vous voulez, des trois générations : grand-mères, mères et filles. Cette démarche n’a pas été préméditée, ce fut la façon dont cet ouvrage a fini par se construire. Personnellement, j’aime beaucoup les trois entretiens très longs dont chacun a duré en moyenne 5 à 6 heures. »

    Tout au long de l’histoire moderne, les femmes ont bataillé pour la reconnaissance de leurs droits moraux, intellectuels, civiques ou encore politiques. Et, surprise, les Roumaines, même les plus âgées, ont apparemment un sens civique inné. Mihaela Miroiu :« La culture politique de toutes ces femmes est méritoire. Sans être trop sophistiquées, elles ont des intérêts à solutionner politiquement. Par exemple, il est évident que de leur point de vue, une démocratie ou encore une gouvernance dont on a supprimé la moralité n’a rien à voir avec le bien collectif. Toutes ces femmes dont on parle mériteraient vivre dans des pays à démocratie renforcée, comme par exemple les pays nordiques. Leurs valeurs, leur façon de considérer la politique, tout cela nous fait penser au modèle scandinave. »

    Le travail d’enquête sur le terrain mené dans le village transylvain de Sâncrai a offert à Maria Bucur et à Mihaela Miroiu la chance d’entendre des histoires de toute une pléiade de femmes simples et extraordinaires à la fois.
    « Ces histoires nous ont permis de voir l’évolution de la femme, quel que fût son destin. On a parlé aussi bien avec des femmes de 80 ans, presqu’illettrées, de Sâncrai, qu’avec des villageoises travaillant comme médecins, professeurs, ingénieurs, bref hautement qualifiées. Eh bien, ces femmes se ressemblent beaucoup dans leurs aspirations et dans leurs contraintes et aucune ne supporte la séparation entre moralité et politique. Une idée que notre ouvrage encourage ».

    Paru fin 2018 aux Etats-Unis, à la Maison d’édition Indiana University Press, le livre a été traduit en roumain et publié par les Editions Humanitas dans la collection d’Histoire contemporaine. La traduction porte la signature de Magda Dragu et de la même Mihaela Miroiu. « Bien évidemment, nous avons été tenues de reprendre les entretiens tels qu’ils ont été réalisés initialement, pour éviter leur retraduction en roumain depuis l’anglais afin de ne pas perdre de leur charme. La langue est vivante et très intéressante et on n’a pas voulu la bloquer dans un registre trop formel. Nous, on a mené les recherches à Sâncrai à une époque où toutes ces mamies retraitées se donnaient la peine d’aider leurs petits-enfants qui avaient du mal à trouver un emploi. Ce n’était pas encore la période de l’exode vers l’Occident. Le livre présente donc une histoire vivante telle qu’elle est perçue par ces femmes selon lesquelles la notion de citoyenneté s’accompagne en égale mesure de droits et de soucis. En fait, le concept de soucis fait partie de leur quotidien et marque leur façon de réfléchir. »

    Pour tous ceux intéressés par l’histoire de l’Europe postcommuniste, l’ouvrage « Naissance de la citoyenneté démocratique. Les femmes et leur pouvoir dans la Roumanie moderne » de Maria Bucur et Mihaela Miroiu constitue un repère. Disons enfin que le livre dresse également une comparaison entre l’histoire roumaine et celle de deux autres pays de l’ancien bloc soviétique, la Pologne et la Hongrie. (trad. Ioana Stancescu)

  • Le rôle des femmes dans la société européenne actuelle

    Le rôle des femmes dans la société européenne actuelle

    Cette année, la Journée internationale des femmes a été aussi marquée par une conférence européenne consacrée aux droits et au rôle des femmes dans la société en 2020. Ramona Strugariu, députée européenne du groupe Renew Europe (élue en Roumanie sur la liste de l’Alliance USR PLUS), a été l’organisatrice de cet événement à Bucarest : « Nous n’avons pas progressé aussi loin que nous l’avons souhaité en matière d’égalité de genre et de son application dans la représentation politique. Plus encore, cette Europe, que la commissaire européenne Vera Jourova décrivait comme le meilleur endroit du monde d’aujourd’hui pour les femmes et leurs droits – ce qui est d’ailleurs vrai – c’est une Europe où une femme sur trois subit quotidiennement une agression physique ou d’une autre nature. C’est aussi une Europe où 55% des femmes sont harcelées sexuellement. »

    Ramona Strugariu a présenté les problèmes des femmes de Roumanie, insistant sur le cadre légal auquel les victimes de la violence peuvent faire appel partout en Europe. La députée européenne a souligné la nécessité de voir ces efforts se poursuivre aussi au niveau national : « Dans notre pays, 63% de la population considère que la violence contre les femmes et la violence en famille ne sont pas de vrais problèmes, qu’ils n’existent pas en réalité et ne constituent pas un problème social. Il faudrait donc réfléchir à ce qu’il faut faire, dans ce contexte. Qu’est-ce que l’on peut faire concrètement, au plan européen ? Que peut-on faire au plan national, concernant la législation, les mesures à prendre et le respect des dispositions légales ? Que peut-on faire aussi en termes de mentalité et d’éducation ? »

    Irina von Wiese, ancienne députée européenne avant le Brexit et membre du Parti libéral démocrate du Royaume-Uni, a été présente à la conférence « La Roumanie et l’Europe au féminin », où elle a souligné l’importance de l’élimination des stéréotypes de genre : « Ce n’est pas dû au manque de chance. C’est dû, en partie, au fait que, depuis des années, notre système d’éducation a traité la technologie, les mathématiques, l’ingénierie comme des domaines dédiés aux hommes. Il faut former une nouvelle génération pour réussir à identifier les opportunités pour les femmes sur le marché de l’emploi. Nous avons besoins de sortir des règles et des stéréotypes concernant les professions ouvertes aux femmes. Nous devrions encourager nos filles, en leur disant « en effet, ça c’est une occupation que tu peux assumer ». Les opportunités existent et elles sont extraordinaires pour les femmes actuelles. »

    Entrée en politique dans un contexte qui l’a propulsée en tant que représentante de la société civile britannique, Irina von Wiese a aussi parlé des mauvaises expériences liées au statut de personnalité publique : « Je dois avouer que, si on n’y est pas préparé, il faut faire preuve de beaucoup d’endurance. Notamment dans l’environnement en ligne. Il est bien connu, nous devons avoir aussi une présence en ligne, et mon attaché de communication a déposé de très nombreuses plaintes concernant des réponses abusives. C’est arrivé sur Twitter, mais aussi sur les autres médias et réseaux. La plupart des messages avaient une nuance misogyne, allant jusqu’au harcèlement sexuel ou bien aux menaces. Il y a eu aussi des commentaires contre moi, en tant que femme politique. J’ai dû construire seule ma capacité de résilience. »

    Cachés derrière une identité peu transparente, favorisée par l’environnement virtuel, les abus peuvent avoir un impact fort sur les victimes. Bien qu’occupant des postes importants, les femmes confrontées à de telles situations peuvent éprouver de graves traumatismes émotionnels et choisir de d’abandonner leurs carrières publiques, explique Irina von Wiese : « L’abus proprement-dit n’est pas le seul problème. Il y a aussi son effet psychologique sur les jeunes femmes politiques. A chaque fois que je fais face à un abus, je me dis: « Bien sûr, je veux que mon implication compte pour quelque chose, que je prenne part à la vie politique, mais est-ce que je veux vraiment connaître cette expérience, cette haine, cette agression constante au niveau du discours politique actuel ? Comment y faire face d’un point de vue émotionnel ? »

    Irina von Wiese est sûre que la Roumanie et les autres Etats membres de l’Union européenne sont capables de prévenir les abus et de contrôler leurs effets, tant qu’il existe des groupes de soutien : «Je crois que nous avons le cadre nécessaire et, dans de nombreux cas, de programmes spécifiques pour promouvoir les femmes. Mais ça ne suffit pas. Pour attirer tout leur talent politique, il faut leur offrir un réseau, un filet de sauvetage pour les acteurs politiques, pour tous ceux qui sont actifs dans un domaine public. Le besoin s’en fait sentir afin de leur offrir la possibilité de s’entraîner pour résister, une solution de réserve, si quelque chose va mal. Nous avons besoin d’un réseau accessible de mentors et de défenseurs pour ces femmes. Ce serait, à mon avis, un catalyseur pour que les femmes fassent un pas en avant et s’expriment. C’est ce qu’il nous faut. »

    Les femmes représentent plus de 52% de la population de la Roumanie. Pourtant, malgré une tendance à la hausse, la présence des femmes à des fonctions publiques reste faible. A l’heure qu’il est, elles occupent seulement 5% des fauteuils de maire des villes et communes et 20% des sièges au Parlement de Bucarest. La situation n’est pas différente dans le milieu d’affaires, où l’actionnariat est féminin à un peu plus de 35%. Par ailleurs, les violences faites aux femmes et les préjugés concernant les professions qu’elles devraient exercer perdurent en Roumanie.

  • L’égalité femmes-hommes dans la Roumanie actuelle : défis et perspectives

    L’égalité femmes-hommes dans la Roumanie actuelle : défis et perspectives

    Un nouveau 8 mars, Journée internationale des femmes (ou des droits des femmes), est passée, dans l’ambiance connue des années précédentes, de réunions thématiques, interviews et articles de presse, rappelant les problèmes persistants auxquels se confrontent les femmes sur notre planète. Dans un contexte mondial de crises économiques, politiques, idéologiques, et aujourd’hui également de santé publique, nous sommes amenés à nous interroger sur l’évolution de l’égalité femmes-hommes et des droits fondamentaux des femmes et des filles.Le Centre pour les Politiques de l’égalité des chances de l’Université de Bucarest a proposé une nouvelle édition d’une table ronde qui a permis des témoignages et des échanges autour de ces thèmes. Pour en parler, j’accueille Ionela Băluță, professeure des universités et doyenne de la FSP-UNIBUC, directrice du CPES et enseignante du master « Les politiques de l’égalité des chances en Roumanie et UE ».



  • Alexandrina Cantacuzène et les débuts du féminisme roumain

    Alexandrina Cantacuzène et les débuts du féminisme roumain

    Caractérisé, à ses débuts, durant la seconde moitié du 19e siècle, par la présence de plusieurs associations plutôt caritatives et féminines que féministes, le mouvement démancipation des femmes a pris de lampleur en Roumanie au début du 20e siècle. Alexandrina Cantacuzène demeure une des figures emblématiques de ce mouvement. Personnalité controversée et pittoresque en même temps, pleine dénergie et dinitiative, elle appartenait à la classe des boyards, mais elle a compris quelle devait soutenir surtout léducation des filles pauvres et leur formation professionnelle. Monica Negru, directrice adjointe des Archives nationales de la Roumanie, résume en quelques mots la vie dAlexandrina Cantacuzène.



    « Elle est née en septembre 1876. Son père était le lieutenant Theodor Pallady, participant à la guerre dIndépendance, alors que sa mère, Alexandrina Kretzulescu, appartenait une grande famille de boyards. Alexandrina Kretzulescu a épousé un homme politique conservateur, Grégoire G. Cantacuzène. Ministre et sénateur à plusieurs reprises, celui-ci descendait de lillustre famille des Cantacuzène. Ils ont eu 3 fils. Cette alliance avec les Cantacuzène non seulement lui a valu un haut statut social, mais lui a aussi fourni des moyens financiers pour accomplir ses rêves. Elle a soutenu le mouvement démancipation des femmes roumaines, finançant, par exemple, par ses propres moyens, 33 écoles et envoyant 5.000 livres en Bessarabie. En mai 1910, elle a accordé son soutien à un groupe de militantes pour les droits des femmes et a fondé par la suite la Société orthodoxe nationale des femmes roumaines (SONFR), à la tête de laquelle elle sest trouvée à partir de 1918. Cette société a contribué à la création dassociations culturelles, décoles et de logements sociaux à Bucarest et dans dautres villes du pays. Pendant lentre-deux-guerres, Alexandrina Cantacuzène a fondé et coordonné plusieurs organisations féminines. »



    Durant les années de la Première Guerre mondiale, Alexandrina Cantacuzène a choisi de rester à Bucarest pendant loccupation allemande. Présidente de la Croix rouge roumaine, elle a veillé au bon fonctionnement dun hôpital, offrant assistance aux blessés et aux prisonniers de guerre. Même après la fin de la guerre, Alexandrina Cantacuzène est restée attachée aux victimes de la conflagration. Alina Pavelescu explique:



    « Alexandrina Cantacuzène et les membres de la Société orthodoxe des femmes de Roumanie ont été les principales promotrices de la collecte de fonds nécessaires à la construction du Mausolée de Mărășești, un monument dédié aux héros de la première guerre mondiale. Au musée du Mausolée on peut voir une photo dAlexandrina Cantacuzène entourée des responsables présents à linauguration du monument. Et ce nest pas tout. Le terrain sur lequel le Mausolée a été construit avait appartenu à la famille Negropontes et il a été offert en donation en vertu des relations damitié quAlexandrina Cantacuzène entretenait avec cette famille. Durant la Première Guerre mondiale, les femmes de Roumanie ont dailleurs prouvé leur engagement civique et leur capacité à répondre aux besoins dune société en pleine crise. »



    Cest là une des caractéristiques du mouvement féministe roumain, qui est un peu différent des mouvements similaires de lépoque en Occident. Les militantes féministes de Roumanie ne protestaient pas dans la rue, comme les suffragettes britanniques, habillées de pantalons et exigeant bruyamment le droit de vote. Selon Alina Pavelescu, la personnalité dAlexandrina Cantacuzène a marqué de son sceau le mouvement féministe de Roumanie.



    « Le mouvement féministe de Roumanie na pas suivi le modèle occidental. Il ressemble plutôt à la biographie et à la personnalité dAlexandrina Cantacuzène qui la dailleurs parrainé longtemps, sous différentes formes. Elle a fait beaucoup de choses dans sa vie et elle a également été un personnage controversé, comme on dirait de nos jours. En 1929 elle a créé un groupe de femmes considéré être et accusé à lépoque dêtre le premier parti politique féministe de Roumanie. En même temps, elle se prononçait pour un rôle traditionnaliste de la femme dans la société. Elle a créé plusieurs écoles pour la formation professionnelle des jeunes filles, mais elle soulignait toujours lidée que la femme doit apprendre à être bonne ménagère, à bien cuisiner et à devenir le soutien moral de la famille en préservant la tradition religieuse. Alexandrina était très attachée à cette tradition religieuse et elle était en général plutôt élitiste dans ses manifestations féministes. Ses options politiques nont pas été non plus très libérales et démocratiques, son nationalisme layant même conduite, à la fin des années 30, à un rapprochement de la Légion de larchange Michel. Un de ses fils a même été tué dans un camp de travaux forcés, avec dautres jeunes adeptes de la Garde de fer, sur lordre du roi Carol II. Ce qui, durant la dernière période de sa vie, la déterminée à promouvoir des idées tout à fait condamnables sur leugénie et le racisme. Heureusement pour elle, elle est morte en 1944, ce qui lui a évité de connaître les prisons communistes, à lâge de la vieillesse. A travers elle, on découvre le mouvement féministe de Roumanie, un mouvement tout à fait original, un mélange de féminisme occidental où se retrouve le militantisme des suffragettes et de traditionalisme quand il sagit du rôle de la femme dans la société. »



    Une anthologie rédigée par Monica Negru et publiée aux Editions « Cetatea de Scaun » sous le titre: « Alexandrina Cantacuzène et le mouvement féministe dans lentre-deux-guerres » jette une nouvelle lumière sur la vie et lactivité de cette femme remarquable. (Trad. : Dominique)




  • Féminisme et présences féminines dans l’art roumain actuel

    Féminisme et présences féminines dans l’art roumain actuel

    Aujourd’hui nous parlons du féminisme et des présences féminines dans le domaine de l’art, en prenant comme point de départ le débat « Histoires et récits. Le féminisme en Roumanie » qui a réuni des artistes et des spécialistes en architecture, arts visuels et danse contemporaine. Le débat a été organisé par l’Association 4Culture, en collaboration avec la filiale de Bucarest de l’Ordre des architectes de Roumanie, qui a accueilli la rencontre.



    AndreeaCăpitănescu, chorégraphe de danse contemporaine et manager culturel, directrice artistique de l’association 4Culture, fait le point sur la présence des femmes dans les arts performatifs actuels en Roumanie : « Je pense que, du moins pour ce qui est de la danse contemporaine, les chorégraphes hommes ont toujours été plus présents et plus visibles, bien que le nombre de femmes qui font des études de chorégraphie soit beaucoup plus grand. Une des raisons en serait, à mon avis, le fait que dans ce domaine, les personnes qui occupent des postes décisionnels dans les théâtres, dans les principales institutions culturelles ou lors d’événements importants, sont pour la plupart des hommes. Par ailleurs, il est tout aussi vraiqu’en tant que femme, il est plus difficile de faire entendre sa voix et d’affirmer sa présence dans le domaine artistique. On y est confronté à beaucoup de sensibilités, beaucoup d’orgueil et les représentantes de cet art ne sont pas toujours préparées pour livrer un tel combat. Les présences masculines sont le plus souvent intimidantes et plutôt agressives. Je pense surtout au fait que — du moins dans le domaine de la danse — on travaille beaucoup avec son corps et la relation entre les artistes y est physique. »



    Pourtant, des noms importants dans le domaine artistique — toujours de femmes, bien sûr — réussissent à faire bouger les chosesdans le monde desarts. Andreea Căpitănescu : « Il y a des femmes artistes et commissaires d’exposition qui essaient de promouvoir les femmes. Valentina Iancu a été présente au débat que nous avons organisé. Conservatrice du Musée d’art de la Roumanie pendant un certain temps, elle a essayé de faire connaître des femmes artistes que tout le monde ignorait, même dans le milieu artistique ; des femmes artistes qui avaient été laissées de côté, étant injustement associées à certaines démarches politiques du début du 20e siècle. Ce fut une tentative isolée, mais au moins elle a réussi à faire sortir de l’oubli plusieurs noms. Valentina Iancu a réalisé un album, elle a organisé des expositions… Et elle n’est pas la seule. Depuis plusieurs années déjà, je collabore avec Olivia Niţiş, une féministe convaincue, qui s’efforce, à son tour, de promouvoir les femmes artistes. Il y a aussi des femmes qui parlent beaucoup de l’importance d’éduquer les femmes et de leur assurer l’accès à l’éducation, notamment dans les zones marginalisées, des femmes qui luttent pour les droits de la femme et contre la violence. Il y a des artistes comme Marilena Preda-Sânc, par exemple, qui tâchent de former d’autres êtres et d’attirer l’attention de l’opinion publique sur des aspects que l’on ignore le plus souvent. »



    Valentina Iancu est spécialiste des arts visuels. Elle est active dans les médias culturels et se déclare féministe. Mais, il y a féminisme et féminisme, chacun s’approchant de ce courant avec ses propres principes et sa propre idéologie : « C’est plutôt le féminisme néolibéral qui prédomine actuellement en Roumanie, un féminisme que les chercheurs américains appellent « féminisme blanc » et qui s’occupe surtout des problèmes auxquels sont confrontées les femmes majoritaires, tout en ignorant les autres genres d’expériences. Dans le monde artistique, ce type de féminisme se reflète aussi dans les créations de la plupart de nos femmes artistes. Récemment, les jeunes artistes ont réussi à se réunir autour d’une initiative plus radicale et sortir une revue qui doit être lancée ces jours-ci. Cette revue tente d’apporter pour la première fois en Roumanie les principes du féminisme intersectionnel, un féminisme qui se rend compte qu’une femme est confrontée à des problèmes différents en fonction de la communauté ethnique ou sexuelle à laquelle elle appartient, qu’elle définit son identité en fonction de critèresqui vont au-delà dugenre. »



    Quant à la présence féminine dans les arts visuels, la situation est semblable à celle que l’on rencontre dans le domaine de la mise en scène. Les universités d’art comptent un grand nombre d’étudiantes, mais à la fin de leurs études, les femmes ont beaucoup plus de difficultés à commencer une carrière, car, selon Valentina Iancu, « au-dessus de leur tête plane toujours la suspicion qu’elles choisiront la famille et quitteront l’art» : « On peut avoir l’impression qu’il y a beaucoup de femmes artistes, mais, en fait, on ne les retrouve pas dans les structures où l’argent est géré, où il y a le pouvoir. On les voit à la périphérie, en train de se débattre pour survivre dans leur métier. Ce problème est plus grave pour la catégorie des artistes consacrés, car, âgés de 60 ou 70 ans, ils ont eu le temps de progresser dans leur carrière. Or, les femmes qui ont débuté en même temps que les hommes, qui ont travaillé avec autant d’intensité et de constance, ne reçoivent pas la même reconnaissance. »



    Participante, elle aussi, au débat sur le féminisme en Roumanie, RalucaVişinescu a fait des études en Roumanie et en Allemagne. Architecte très appréciée, elle a été primée en 2018 lors de l’exposition Annuelle d’architecture de Bucarest. A quoi ressemble la présence féminine dans cet art, vue par Raluca Vişinescu? « La présence féminine dans le domaine de l’architecture diminue sensiblement à la fin des études et surtout sur les chantiers. Il reste des présences féminines d’une grande valeur notamment dans le milieu académique, théorique ou au sein de différentes organisations. Les initiatrices des cours censés introduire l’architecture dans les établissements scolaires font un excellent travail et leur activité est très importante. En fin de compte, architecture ne signifie pas exclusivement construction. Il y a là de la théorie, il y a de la gestion, il y a des choses à raconter au monde. »



    Selon RalucaVişinescu, il n’y a pas beaucoup de démarches féministes dans le domaine de l’architecture, car, au moment où l’on arrive à pratiquer cette profession, on ne ressent plus les différences de genre. Nous ne pouvons donc pas arriver, en find’émission à une conclusion générale. Pourtant, pour citer AndreeaCăpitănescu,« notre société n’est pas trop ouverte à de tels débats. En général, les hommes qui travaillent dans le domaine culturel, accueillent avec un léger sourire les événements consacrés à des sujets comme le féminisme, qui leur apparaissent comme un petit peu frivoles. » (Trad. : Dominique)

  • Mars, le mois des droits citoyens des femmes du monde entier

    Mars, le mois des droits citoyens des femmes du monde entier

    Le mois de mars est, à
    l’échelle mondiale, le mois de la femme, avec comme point d’orgue la date du 8
    mars – la Journée mondiale. Certes, les deux sont ignorés dans un grand nombre
    de pays ; dans d’autres, ce sont plutôt des versions élargies de la
    Journée des mères, avec bouquets de fleurs, chocolats et autres cadeaux à
    l’appui ; mais, au-delà des hommages et des sourires, ce sont les droits
    citoyens des femmes du monde entier que nous rappelle le premier mois du
    printemps. Droit à l’éducation, droit au travail, droit à l’indépendance
    économique et juridique, droit à disposer de son propre corps, droit à
    l’égalité et bien d’autres droits et libertés fondamentales que la moitié de
    l’humanité a dût conquérir au prix fort à travers le temps ; droits et
    libertés qui sont toujours refusés à de nombreuses femmes de tous les
    continents. Comment la législation roumaine traite les droits des femmes ?
    Quelle est la pratique dans le monde de
    l’entreprise ? Quelle est l’approche générale de la société
    roumaine ? Nous verrons tout cela, tout de suite, dans ce RRI Spécial sur
    Radio Roumanie Internationale, la voix de la diversité. Nous accueillons aujourd’hui dans le studio, deux femmes de carrière : Dana Gruia-Dufaut, avocate aux Barreaux de Paris et de Bucarest, conseillère consulaire Roumanie – Moldavie et administratrice de la CCIFER et Monica Jiman,PDG de Pentalog Software Factory et, membre du Conseil d’Administration,
    du Comité de Présidence et coordonnateur du Comité de Direction du Groupe
    Pentalog.



  • Rencontre avec Fawzia Zouari

    Rencontre avec Fawzia Zouari

    Cette maison des lettres françaises et francophones, tellement chaleureuse et accueillante, qu’est la librairie Kyralina, de Bucarest, nous est à nouveau ouverte au Son des mots. Les invitées d’Ileana Taroi et de Valentine Gigaudaut sont l’écrivaine Fawzia Zouari et Youma Fall, Directrice de la langue française, culture et diversités de l’OIF.



  • Présence féminines dans la révolution de 1848

    Présence féminines dans la révolution de 1848

    Dans l’histoire moderne, les révolutions ont toujours été des moments exceptionnels. Parmi eux, la révolution de 1848 fut une étape décisive dans le destin du vieux continent. Inspirées par la Révolution française de 1789, les révolutions modernes du XIXème siècle se sont caractérisées pour la plupart, par un seul mot « émancipation ». En ce siècle marqué par la fondation de l’Etat national, l’Europe commence à se moderniser. Les Principautés roumaines n’y font pas exception.

    Tributaires depuis presque 400 ans à l’Empire ottoman, elles ont un premier moment de rébellion en 1821 quand elles espèrent échapper à ce joug. Une vingtaine d’années plus tard, en 1848, on assiste sans surprise au déclenchement de la révolution, à l’initiative des fils européanisés des élites roumaines. En cette année-là, l’histoire a propulsé sur le devant de la scène politique roumaine quelques figures féminines qui ont contribué généreusement à la modernisation du pays et à la formation de la conscience nationale. Parmi elles – Ana Ipatescu, figure légendaire de l’histoire roumaine.

    L’historienne Georgeta Penelea-Filitti présente son rôle dans la révolution roumaine de 1848 : « Ana Ipatescu fut une des femmes qui décidèrent de descendre dans la rue pour exhorter la population à agir. La révolution roumaine a eu des hauts et des bas. N’oublions pas qu’à un moment donné, le gouvernement provisoire fut arrêté sur ordre de quelques colonels qui ont fini à leur tour en prison. Or, face à tous ces événements assez compliqués, la population avait besoin d’un leader qui lui expliquât ce qui se passait. Ana Ipatescu, épouse de Grigore Ipatescu, fut justement une telle figure.»

    Pourtant, plus qu’Ana Ipatescu, ce fut Mary Grant la femme qui marqua vraiment l’esprit révolutionnaire roumain. Originaire d’Ecosse, celle-ci allait épouser l’homme politique et le journaliste, Constantin A. Rosetti. Mais comment se sont connus les deux et pourquoi Mary Grant est-elle venue en Roumanie ? Georgeta Penelea-Filitti : « Maria Rosetti vient à Bucarest pour travailler comme gouvernante dans la famille Odobescu, avant d’épouser C.A Rosetti. Il faut dire que les deux époux étaient adeptes du courant de pensée issu des idées politiques de l’homme politique et philosophe italien Giuseppe Mazzini. Leur correspondance est charmante. Au delà des mots pleins de tendresse, on y trouve pas mal de questions d’ordre politique. Ils s’adressaient l’un à l’autre par l’appellatif « camarade ». Ils voyageaient beaucoup à l’étranger au point où l’un de leurs enfants fut baptisé à Nice en présence d’un cordonnier qu’ils avaient pris pour témoin. L’enfant s’est vu donner un prénom d’origine roumaine, Mircea, et un deuxième français. Et comme le cordonnier s’appelait Charlemagne, l’enfant portera ce prénom aussi. »

    L’effervescence de l’esprit public européen avait gagné les Principautés roumaines aussi, la libération étant ardemment désirée par toutes les classes sociales. A l’instar d’autres résidents étrangers, Maria Rosetti soutient fermement les idées des quarante-huitards et, en dépit de la défaite de la révolution, elle ne renonce pas à ses convictions. Elle devient le symbole de la révolution roumaine, du pays même. Le peintre Constantin Daniel Rosenthal signe deux toiles très connues ayant Maria Rosetti pour modèle: « Allégorie de la Roumanie révolutionnaire » et « La Roumanie brise ses chaînes sur le champ de la Liberté ».

    Georgeta Penelea-Filitti: « Ce n’est pas la seule expatriée qui, une fois arrivée dans les Principautés roumaines, s’identifie avec les idéaux du peuple qu’elle défend auprès de ses relations à l’étranger, par le biais des plaidoyers ou en aidant effectivement les révolutionnaires. Petit à petit, Maria Rosetti est devenue un véritable symbole de la révolution. Constantin Daniel Rosenthal, son ami, a réalisé un tableau où elle représente la Roumanie tenant entre ses mains le drapeau tricolore, symbole de la liberté et de la révolution roumaine. »

    Maria Rosetti se met au service des idées modernisatrices, car l’émancipation nationale avait grand besoin de son énergie. Georgeta Penelea-Filitti: « Elle a continué ses activités même après la révolution. Les révolutionnaires exilés en Europe ont mené une campagne d’information sur les réalités roumaines, unique dans l’histoire des Roumains. Son mari, C. A. Rosetti, allait lui aussi vivre en exil jusqu’en 1858. Pendant tout ce temps, Maria Rosetti n’est pas restée les bras croisés. En plus, lorsque son mari regagne le pays, elle l’aide à fonder le journal intitulé « Românul », « Le Roumain », une des publications les plus importantes pour l’esprit public roumain. Elle sort aussi son propre journal, baptisé La mère et l’enfant. Un demi-siècle durant, cette femme a fait de l’éducation. Elle a donné des conseils aux mères liés à l’éducation des enfants, à l’hygiène, aux rapports parents-enfants. Elle leur conseillait, par exemple, de ne jamais se disputer avec leurs maris en présence des enfants, d’être tendres avec les petits, de répondre patiemment à toutes leurs questions. Les conseils en matière d’hygiène passaient très bien en milieu urbain. Par contre, à la campagne, la situation n’était pas du tout bonne, à cause de la pauvreté, de l’ignorance et des superstitions. Maria Rosetti a également sillonné le pays pour parler de ces idées, persuadée de leur rôle clé dans l’édification de la société future. A ses détracteurs, qui pourraient affirmer que les fruits de ses efforts n’avaient pas été très visibles, on peut très bien rétorquer que si Maria Rosetti n’avait pas existé, les choses auraient été encore pires. Certes, elle n’a pas été la seule femme à s’être fait remarquer en ces temps-là. »

    Des femmes comme Maria Rosetti se sont montrées à la hauteur de leur époque. (trad. Ioana Stancescu/ Mariana Tudose)