Tag: filles

  • Les mariages forcés ne sont pas une tradition !

    Les mariages forcés ne sont pas une tradition !

    Les filles de la communauté rom, une des catégorie les plus vulnérables de la société roumaine

     

    Les femmes et les filles rom constituent l’un des groupes les plus vulnérables et négligés de Roumanie. Trop souvent, les préjugés des autorités et la non-reconnaissance des abus perpétrés par leur famille les laissent sans protection. Bien que la Roumanie reste le pays européen avec le nombre le plus élevé de mères mineures, l’Etat ne collecte pas de données sur les mariages forcés. « Comme il n’y a pas de données, le problème n’est pas à l’agenda politique, et comme il n’y a pas de données, les causes et les priorités demeurent inconnues. » a déclaré Măriuca-Oana Constantin, maitresse de conférence à l’Ecole nationale de sciences politiques et administratives dans le cadre de la campagne de conscientisation réalisée par E-Romnja, la seule association roumaine dédiée aux filles et aux femmes rom.

     

    Des violences contre les filles considérées comme des pratiques culturelles 

     

    Carmina, 10 ans, venait de terminer le primaire quand elle a été mariée avec un garçon de 14 ans, le mariage ayant été arrangé par leurs parents. Deux ans plus tard, Carmina accouche d’un enfant et les autorités s’autosaisissent du cas. Le dossier est cependant rapidement classé au motif que la victime a « entretenu des relations sexuelles consenties, et approuvées par les parents » ou encore que « la tradition rom encourage ce type de relation », sans qu’aucune recherche sur les parents soit effectuée.

     

    Démonter le mythe des mariages forcés

     

    L’histoire de Carmina est l’une des cinq présentées par E-Romnja dans le cadre de la campagne « Au nom de la tradition ? » qui vise à démonter le mythe selon lequel les mariages entre enfants sont uniquement un phénomène de la communauté rom, préjugé qui vient justifier la violence contre les personnes vulnérables. Comment sait-on que les mariages forcés ne sont pas le fait des seuls roms ? Parce que les données démographiques sur les naissances précoces le prouvent, affirme Cerasela Bănică, secrétaire d’Etat au sein du Conseil national pour la lutte contre les discriminations.

     

    Reste à savoir pourquoi le problème des mariages forcés n’intéresse pas l’Etat. Roxana Oprea, experte en égalité des chances chez E-Romnja nous explique cette situation.

     « C’est très simple et évident, c’est parce qu’il y a beaucoup de racisme au sein des institutions. Elles considèrent ce phénomène comme une pratique culturelle spécifique à la communauté rom, mais la réalité est différente. Ce n’est pas quelque chose que nous sommes les seuls à dire, nous l’association E-Romnja, d’autres institutions et organismes internationaux le disent aussi. C’est pour cette raison que ce problème n’est jamais devenu une priorité pour les institutions et les décideurs. A partir du moment où ce n’est pas quelque chose qui affecte la population générale, les autorités voient ça comme une pratique culturelle, et à cause de leurs préjugés, ils n’interviennent pas ».

     

    Mettre en avant les droits des enfants

     

    L’histoire de Carmina que nous venons de raconter n’est malheureusement qu’une histoire parmi des centaines qui resteront à jamais inconnues. Des histoires rendues possibles parce qu’encore trop souvent, nous considérons les enfants comme la propriété de leurs parents, que nous leur nions leur qualité d’individu ayant des droits et de besoins. Or, dans le cas des mariages forcés, l’erreur principale commise par les personnes qui veulent et doivent aider les enfants – comme les assistantes sociales, les enseignants etc. – est celle d’aller discuter avec les parents, en pensant que le problème peut et doit être résolu par la famille ou par la communauté, alors que ce sont le plus souvent les parents qui sont les abuseurs.

     

    Roxana Oprea : « C’est un problème de norme. A partir du moment où les institutions, les écoles, les services sociaux voient ce qui se passe et n’interviennent pas, quel message envoient-elles aux parents ? Que ce qu’ils font est normal. Donc, elles viennent valider les abus des adultes sur leurs propres enfants. C’est un cercle vicieux en fait. Si nous ne consolidons pas cette manière de mettre les droits des enfants au premier plan, au lieu de montrer du doigt la communauté rom, alors nous n’arriverons pas à nous aligner sur les normes internationales. Nous resterons sur la liste honteuse des pays qui permettent les mariages entre enfants ».

     

    Un vide juridique

     

    Il existe en Roumanie un vide juridique dans le Code pénal concernant les mariages forcés, qui n’y sont pas vus comme un acte criminel en soi. Dans les rares occasions où un cas parvient jusqu’au tribunal, le mariage forcé est jugé en tant qu’infraction sexuelle. Pour E-Romnja, il y a un autre problème : l’utilisation par les autorités des termes « union consensuelle » pour désigner un mariage entre deux personnes dont au moins l’une d’entre elles a moins de 16 ans. Dans son « Guide d’intervention pour les mariages forcés et mariages entre enfants » publié début 2024, l’association explique que l’on ne peut pas demander à un mineur de moins de 16 ans de donner son consentement pour un mariage.

     

    Cerasela Bănică, du Conseil national pour la lutte contre les discriminations, explique que les poursuites pénales ne prennent jamais en considération cette absence de consentement, mais mettent en avant des justifications comme « les parents sont d’accord », « ils habitent ensemble depuis longtemps », « ils ont déjà eu des relations sexuelles » ou encore « c’est une habitude dans la communauté rom ». Ces justifications laissent la victime sans défense.

     

    L’Union européenne met la pression sur la Roumanie

     

    Roxana Oprea revient pour RRI sur la réception de cette campagne de conscientisation par les autorités.

    « La campagne suscite un certain intérêt, mais pourquoi ? Parce que la Roumanie est plus ou moins obligée d’évoluer juridiquement dans le sens d’une élimination de cette pratique, étant signataire de nombreuses conventions internationales pour la prévention et la lutte contre les violences de genre. La directive européenne 1358 contre la violence faite aux femmes et la violence domestique du 15 mai 2024 dispose que les Etats-membres ont trois ans pour transcrire ces dispositions en droit interne. Donc, il y a une pression au niveau européen pour que la Roumanie s’aligne sur les normes internationales. Il y a aussi le rapport Grevio, approuvé par le gouvernement roumain qui pousse l’Etat à prendre des mesures et à criminaliser cette pratique ».

     

    La violence, pas toujours un problème

     

    Pourtant pour Roxana Oprea un obstacle demeure. A son avis, ce problème n’est pas vu comme relevant des violences de genre et même dans les quelques cas où il est considéré comme tel, quand cette violence cible une femme rom, alors on ne considère pas qu’il s’agit d’un problème engageant toute la société :

     

    « Je pense que la violence est vraiment normalisée, si on parle de violence en général, elle est normalisée dans toutes les communautés. Il y a des rapports qui montrent que les Roumains ne considèrent pas comme problématiques les agressions verbales et sexuelles et que le viol est justifié si la femme a eu un comportement dit « provocant ». C’est cette tolérance que l’on retrouve chez les juges roumains quand ils disent qu’une fillette de 11 ou 12 ans a séduit un homme ou qu’elle a consenti à son viol ».

     

    La Roumanie a donc trois ans devant elle pour se mettre en conformité avec le droit européen en prenant des mesures contre les violences de genre en général et les mariages forcés en particulier. (trad. Clémence Lhuereux)

     

  • Sur l’égalité des genres

    Sur l’égalité des genres

    La recrudescence des cas d’agression sexuelle,
    d’intimidation ou encore des discours haineux à l’adresse des femmes et des
    filles nécessite une intervention rapide et ferme, affirment la Représentance
    de la Commission européenne en Roumanie et les représentants d’une vigtaine
    d’ambassades à Bucarest dans une déclaration commune signée le 8 mars, à
    l’occasion de la Journée internationale de la femme. On salue les succès et
    les progrès significatifs enregistrés dans la lutte pour l’égalité des genres
    et pour les droits des femmes et des filles du monde entier. Mais, il faut
    admettre que des pas nous restent encore à faire avant que les femmes et les
    filles ne puissent exercer pleinement leurs droits affirment les signataires
    du document. Et eux d’ajouter qu’il est essentiel que les sociétés assurent
    une participation égale, efficace et significative des femmes dans tous les
    domaines de la vie privée et publique, y compris à travers leur présence dans
    la vie politique et leur participation aux processus décisionnels à niveau.


    Dans la même lettre, il est précisé que les
    femmes et les filles ont droit de mener une vie à l’abri de la violence et de
    la discrimination. N’empêche, les agressions contre les femmes et les filles
    figurent en tête des principales violations des droits de l’être humain. Une
    femme sur trois est tombée victime d’une agression physique ou sexuelle au
    moins une fois dans sa vie et cela depuis plus d’une décennie. Il est
    nécessaire de faciliter l’accès à la justice et aux services complets de
    support accordés aux victimes et aux survivantes de la violence sexuelle et du
    genre lit-on dans la déclaration. La représentativité des femmes au sein des
    Parlements et des Gouvernements n’est pas significative et cette réalité, que
    l’on trouve en Roumanie aussi, nuit à la démocratie, a affirmé la commissaire
    européenne à l’Egalité, la Maltaise, Helena Dalli. Celle-ci a visité Bucarest
    en début de semaine pour participer à la conférence Des femmes plus fortes
    pour la Roumanie. Toutes les femmes devraient jouir de l’indépendance économique
    et financière. Il faut reconnaître leur travail et le valoriser, tout en
    mettant à leur disposition les instruments nécessaires à leur permettre de
    dresser un équilibre entre la vie personnelle et professionnelle, a encore
    ajouté la responsable européenne.

    A ses dires, le pourcentage des femmes qui
    s’occupent des enfants, des personnes âgées ou handicapées est presque deux
    fois plus grand que celui des hommes, 46% versus 25%. Un partage égal des
    responsabilités permettrait aux hommes et aux femmes d’avoir des chances égales
    de travailler sans sacrifier pour cela leur vie de famille a précisé Helena
    Dalli. Et elle de rappeler qu’à l’heure où l’on parle, les femmes touchent pour
    une heure de travail de 30% de moins que les hommes. Durant sa visite à Bucarest,
    la commissaire européenne a dénoncé le nombre élevé de grossesses dans les
    rangs des adolescentes de Roumanie, ce qui contribue à propager la pauvreté et
    la discrimination des personnes d’origine rome. Mme Dalli a qualifié de
    scandaleuse et d’inacceptable la façon dont les communautés tsiganes vivent à
    travers l’UE et elle a dénoncé la violation des droits des personnes issues de
    la communauté LGBTQ. Les fonds européens ne doivent pas être versés aux autorités
    locales qui excluent ces individus de la société, a-t-elle martelé.





  • Ukraine – dernières évolutions

    Ukraine – dernières évolutions

    Les Etats-Unis ont imposé de nouvelles sanctions à l’adresse de la Russie. Il s’agit de plusieurs compagnies et de 18 personnes, dont les filles du président Vladimir Poutine, mais aussi du vice-président du Conseil de sécurité de la Russie, Dmitri Medvedev. Deux institutions financières russes majeures sont visées, entre autres : SberBank et Alpha Bank. La nouvelle série de sanctions comprend aussi l’interdiction de faire de nouveaux investissements dans ce pays. Moscou doit être tenue pour responsable pour les crimes de guerre commis par ses forces en Ukraine, a affirmé le leader de Kiev, Volodymyr Zelensky, lors d’une intervention au Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Kremlin a rejeté à nouveau les accusations. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, se rendra à Kiev cette semaine, et sera accompagnée par le chef de la diplomatie, Josep Borrell. Le Pape François a condamné, mercredi, « le massacre de Boutcha » et a embrassé le drapeau de l’Ukraine envoyé par la ville ukrainienne où, suite au retrait des troupes russes, des personnes ont été trouvées abattues en pleine rue, les mains attachées, mais aussi des fosses communes. Sur le terrain, l’Ukraine se prépare pour une nouvelle offensive des forces russes dans l’est du pays et tente d’évacuer les civils, avant que les forces russes ne coupent les voies de retrait. Les bombardements russes se poursuivent tant là que dans d’autres parties du pays. Médecins sans frontières a lancé un appel que les hôpitaux, les patients et le personnel médical ne fassent plus l’objet d’attaques. Selon la BBC, trois hôpitaux de Mikolaïv, ville sous l’assaut des forces russes, ont été bombardés en l’espace de deux jours. Antérieurement, d’autres centres médicaux d’Ukraine avaient fait l’objet de bombardements russes.

  • Nouari Nagmouchi (Algérie) – En Roumanie, plus de filles que de garçons?

    Nouari Nagmouchi (Algérie) – En Roumanie, plus de filles que de garçons?

    En 2018, la Roumanie comptait 3.245.000 personnes entre 0 et 14 ans, alors que la population de plus de 65 ans excédait ce chiffre de 500.000. Dans le segment de population de 0 à 18 ans, la proportion des garçons a été supérieure à celle des filles du même âge, soit 51,4%, et le rapport de masculinité, de 1057 garçons pour 1000 filles. Selon toutes les statistiques officielles, 2019 a été l’année où seulement 178.000 enfants sont nés en Roumanie. C’est un record négatif, soit le chiffre le plus bas des naissances depuis 1966. Pourquoi 1966 ? Parce qu’elle évoque pour les Roumains une date-butoir : cette année-là, le dictateur Ceausescu, qui souhaitait voir naître beaucoup de Roumains, mais le pays vivait des temps assez difficiles, avait décidé d’interdire l’IVG et les méthodes contraceptives. 2019 est la deuxième année consécutive de record négatif en matière de natalité.



    De l’avis des spécialistes, à défaut d’une politique censée stimuler les familles à avoir des enfants, la Roumanie ne pourra pas arrêter le déclin démographique. Bien entendu, cet état de choses pourra bientôt mener à des problèmes sociaux. C’est dire que l’année dernière, le nombre des naissances n’a plus dépassé celui des décès. Même en 2011, lorsque des coupes salariales ont été pratiquées, lorsque les taxes ont augmenté et l’indemnité pour élever l’enfant en bas âge, déjà très basse, a été plafonnée, le nombre des naissances a quand même été plus élevé. En fait, la migration est une des principales causes. L’Eurostat estime que 3,4 à 4 millions de Roumains vivent à l’extérieur des frontières du pays, notamment dans l’Union européenne. Selon une récente étude de l’UNESCO, plus le niveau d’éducation des gens est élevé, et plus ils sont disposés à partir pour fructifier leur qualification là où ils trouvent des emplois plus rémunérateurs. Parce que ceux qui quittent le pays sont des personnes actives et d’âge fertile. S’ils ont des enfants, ils les ont à l’étranger.



    D’un autre côté, les femmes mettent la carrière au premier plan, ce qui veut dire qu’elles font d’abord des études, après elles commencent à travailler, et font des enfants entre 30 et 38 ans notamment. Elles ne font plus d’enfant à 20 ans, comme avant 1989. Le vieillissement de la population est une caractéristique de l’ensemble du continent, pas seulement de la Roumanie. Dans ce pays, nous avons neuf naissances par millier d’habitants. Il existe un congé payé pour élever l’enfant jusqu’à 2 ans — c’est le seul élément de politique démographique. La France est le seul pays qui a réussi, par une politique conséquente, à avoir une natalité de 17 par mille. Nous ne disposons pas de statistiques sur le nombre de naissances de filles et de garçons en Roumanie. L’Eurostat estime que jusqu’en 2060, la population de la Roumanie perdra 5,8 millions d’habitants, et se chiffrera, de 19,5 millions en 2018 à 13,7 millions.

  • La Caravane des Insoumises

    La Caravane des Insoumises

    Fini l’époque où les
    femmes étaient ouvertement discriminées, en leur attribuant à tort comme seules
    qualités la beauté, la douceur, la sagesse et surtout la soumission. De nos
    jours, les sociétés modernes font de plus en plus d’efforts pour placer la
    femme sur pied d’égalité avec l’homme. Pourtant, il suffit de regarder tout
    autour pour voir que le pari n’est pas encore gagné, même si la bataille se
    livre déjà sur plusieurs plans et à plusieurs niveaux. Bien que les responsables
    politiques du monde entier examinent souvent la condition des femmes et les
    iniquités auxquelles elles se confrontent, c’est aux sociétés elles mêmes de
    faire des efforts pour éradiquer la discrimination. Une solution, non pas la
    seule, mais certainement, une des plus importantes, serait l’éducation des
    masses et notamment des enfants. Aujourd’hui, on parlera justement d’un
    projet inédit et courageux comme son nom l’indique: la Caravane des Insoumises.
    A mes côtés, dans le studio, Clara Traistaru, manager de projet et Victoria Patrascu,
    écrivaine et l’une des 5 Insoumises qui a participé directement à ce projet
    déroulé dans plusieurs villages de la Roumanie profonde.

  • Les filles mères et l’éducation à la santé

    Les filles mères et l’éducation à la santé

    Devenir parent est pour sûr un moment particulier dans la vie de tout un chacun. Qui plus est, cela devrait être, plus que tout, un moment de joie véritable. Mais devenir parent ne s’improvise pas, du moins en règle générale. Ce n’est pas le cas pour les mamans adolescentes de Roumanie, pays qui se hisse en tête des statistiques de l’UE en matière de grossesses précoces. En 2016, selon Eurostat, 14% du total des nouveaux nés issus des mères qui donnent la vie pour la première fois ont des mamans de moins de 20 ans. Aussi, en 2015, selon les mêmes statistiques européennes, la Roumanie comptait plus de 350 mères dont l’âge était situé dans une fourchette entre 10 et 14 ans, alors que 12.800 autres s’inscrivaient dans l’intervalle située entre 15 et 19 ans.

    Derrière les chiffres froids, l’on retrouve des destins arrêtés, brisés, marqués à jamais, parfois par l’opprobe même de leur entourage. L’inquiétante situation des enfants qui mettent au monde des enfants n’a pas manqué de faire réagir la directrice de spectacles Ozana Nicolau qui, puisant dans sa propre expérience, s’est lancée dans l’écriture et la mise en scène d’une pièce de théâtre bouleversante, intitulée Foreplay.

    Ozana Nicolau : « Le thème du spectacle me touche de près. Il s’agit de mon enfance, passée dans les années 90 dans un quartier de la périphérie bucarestoise, où j’ai côtoyé plein des mamans adolesecentes. C’étaient mes copines, mes camarades de classe, des voisines ou des amies. Les choses se passaient toujours ainsi : les filles tombaient enceintes, et elles n’avaient pas le courage d’en parler à leurs parents. Il n’y avait que certains amis et collègues triés sur le volet qui l’apprenaient. Je parle là des filles de 12, 13, 14 ans, vous savez. C’était les années 96/98. Et puis, au moment où la grossesse devenait trop apparente pour pouvoir la cacher, elles disparaissaient. On ne les voyait plus, ni au parc de jeu, ni à l’école. Je suppose que la stratégie était de les écarter, de les envoyer peut-être à la campagne ou dans une petite ville de province. Le ciel leur tombait sur la tête, la honte était insupportable. Il n’était pas imaginable de tomber enceinte à 13 ou à 14 ans, et de poursuivre ensuite l’école, comme si de rien n’était. C’était inacceptable ».

    Au-delà de l’abandon scolaire qui bloque l’accès des jeunes mères à un travail décent plus tard, les mères adolescentes portent tout le poids du stigmate social. Pour construire son spectacle, Ozana Nicolau a échangé avec plus de 30 filles mères. Certaines lui ont raconté combien l’entourage les avait mises dos au mur. Le sentiment d’avoir commis une faute grave en ayant cette relation a déteint sur l’existence de l’enfant. L’enfant devient ainsi non seulement le résultat d’une erreur, mais l’erreur vivante.

    Ozana Nicolau : « Au lieu de profiter de cette expérience de la maternité, la maternité est perçue comme un fardeau. Devenir parent est de toute manière une expérience difficile, un défi. Et lorsque cela arrive à 14 ou à 15 ans, lorsque ta personnalité n’est pas encore définie et que tu dois être en mesure de porter toute la responsabilité pour quelqu’un d’autre, pour une autre existence, alors que tu ne te sens pas capable de prendre soin de toi-même, vous imaginez. On se trouve au beau milieu d’un conflit interne, et puis la société n’intervient que pour te pointer du doigt et t’accuser d’avoir commis l’irréparable ».

    Un fait étonnant que les créateurs du spectacle Foreplay ont appris lors de la phase exploratoire est que le phénomène des filles-mères n’existe pas seulement dans les couches défavorisées, l’incidence du phénomène étant pour ainsi dire équitablement répandue dans toutes les classes sociales.

    Ozana Nicolau : « C’est plus en lien avec notre passé. La Roumanie porte encore ce fardeau, ce tabou de la sexualité. On a encore du mal à en parler. L’éducation sexuelle n’a pas droit de cité. Ni à l’école, ni dans les foyers. C’est bien cela le problème».

    Pourtant, en 2004, un cours optionnel voyait le jour, dans le système d’enseignement public. Il s’agissait de l’«Education à la santé». Mais les programmes, étalés de la première année de primaire jusqu’à la fin du lycée sont gérés par les professeurs de Biologie ou encore par les maîtresses, qui ont tout juste une brève formation à ce sujet. Parmi ceux qui ont assuré ce genre de formation, on compte une association, « Tineri pentru tineri », en français « Les jeunes aux jeunes ». La formation part des notions d’hygiène et de protection de l’environnement, pour arriver aux questions relevant de la santé reproductive et de celle ayant trait à la famille. Ce sont des concepts construits en lien avec l’âge des enfants et avec leur capacité d’intégrer ces notions. Au cours de l’année scolaire 2014/2015, pas plus de 6% des élèves ont bénéficié de cette discipline optionnelle.

    Adina Manea, la directrice de la fondation « Tineri pentru tineri » dresse le bilan : « Pour l’année scolaire 2017/2018, des données fournies par le ministère de l’Education nationale, il semblerait que 300 écoles ont mis en place ce cours optionnel. Cela ne va pas toucher plus de 6 à 7% de la population scolaire inscrite dans l’enseignement pré-universitaire. Pour un cours facultatif, c’est beaucoup. Mais dans l’absolu, et prenant en considération les besoins de cette classe d’âges, c’est vraiment dérisoire. »

    La société civile milite en faveur de l’accès plus facile à ce type d’éducation. Pas toujours et pas nécessairement à travers l’école, que les filles qui tombent enceintes vont souvent arrêter de fréquenter. Et là on se heurte à une autre problématique, celle du taux d’abandon scolaire, qui atteint des sommets en Roumanie.

    Malgré tout, il va sans dire qu’un accès universel aux informations ayant trait à l’éducation sexuelle devrait pouvoir être garanti, soutient Adina Manea : « Il s’agit de 10% de la population féminine. C’est énorme. C’est énorme parce que la grossesse déteint sur d’autres risques qui menacent la santé de la mère et de l’enfant. Au cours d’une année scolaire, il n’y a en moyenne que deux jeunes mamans par école qui mènent leur grossesse à terme. Les mentalités changent toutefois, et cela est évident. L’école aide l’élève enceinte à achever son parcours scolaire, si elle le désire. Le stigmate tend à s’effacer mais, en même temps, le sujet reste tabou. Pour ce qui est du groupe de pairs, c’est au cas par cas. Nous, dans les cas que l’on a rencontrés dans notre association, les enfants étaient gardés et élevés par la famille. Mais c’est parce que nous travaillons beaucoup dans les lycées, et là l’on rencontre des ados qui disposent des moyens pour arriver là, et bénéficient aussi d’un soutien familial parfois conséquent ».

    Le soutien familial demeure irremplaçable, comme l’a constaté la régisseur Ozana Nicolau : « Si ces filles ont la chance d’avoir une famille qui les soutient, une famille équilibrée émotionnellement qui comprend l’épreuve qu’elle traverse et qui accepte de la soutenir, les choses s’arrangent. Cela prend du temps, deux, trois ans, mais cela s’arrange. J’ai rencontré une telle situation dans le département de Vaslui, une fille mère qui a réussi à achever ses études, à décrocher son Bac, avec une moyenne qui avait de quoi surprendre. Elle est allée à la fac et bénéficie d’une bourse, donc cela existe. Mais si la fille est épaulée, soutenue, si son partenaire demeure à ses côtés ».

    La pièce Foreplay a reçu un accueil plein d’enthousiasme et d’émotion de la part du public. Les parents sont venus d’abord seuls au spectacle. Puis, ils en ont parlé à d’autres parents qui sont venus y assister, accompagnés de leurs enfants cette fois. Des adolescents, des préadolescents. Et il est prévu que le spectacle soit joué aussi dans les lycées de Bucarest, et dans d’autres écoles, aux alentours de grandes villes. (Trad. Ionut Jugureanu)