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  • L’écrivain Radu Tudoran

    L’écrivain Radu Tudoran

    Le 8 mars
    1910, voyait le jour dans la commune de Blejoi, dans le département de Prahova,
    l’écrivain Radu Tudoran, l’auteur de « Toate pânzele sus »
    (« Larguez les amarres ! »), le roman d’aventures le plus aimé
    et le plus lu de la littérature roumaine. Un succès tel, qu’il a poussé dans
    l’ombre toutes les autres créations de Radu Tudoran, malgré leur valeur incontestable.
    En même temps, l’écrivain s’est toujours tenu à l’écart des tentations de
    propagande de la littérature contrôlée par le communisme, menant une existence modeste
    qui contraste avec la notoriété de son roman. Chose surprenante, le livre,
    dépourvu de toute référence idéologique, a été publié à l’époque où le
    socialisme réaliste régnait sans partage sur la culture roumaine.

    Son auteur
    s’est frayé un chemin neutre, à l’écart de toute influence, y compris celle de
    son frère Geo Bogza, un poète remarqué de l’avant-garde et auteur de reportages
    littéraires, qui s’est retrouvé, à un moment donné, parmi les bénéficiaires du
    système communiste. Le critique et historien littéraire Paul Cernat ajoute
    d’autres détails biographiques de Radu Tudoran. Il est né dans la
    famille d’un marin, d’un entrepreneur maritime. Il a été le benjamin de la
    famille. Radu Tudoran, de son vrai nom Nicolae Bogza, a choisi une profession
    en lien avec celle de son père : il a été officier de marine. Du point de
    vue de l’affiliation politique, il ne s’est rapproché ni de la gauche radicale,
    qui avait séduit son frère Geo Bogza, ni de la droite radicale, préférée
    pendant un certain temps par ses autres frères, Alexandru et Ovidiu Bogza, eux
    aussi auteurs de livres. Sa sœur, Elena, a également écrit de la littérature. C’était
    une famille d’auteurs littéraires.



    La
    passion d’écrire et celle de voyager, notamment en mer, n’ont jamais quitté
    Radu Tudoran, dont le début littéraire remonte à 1939, l’année du déclenchement
    de la deuxième guerre mondiale. Paul Cernat raconte : Son premier livre a été
    un recueil de reportages sur l’Allemagne nazie, qui a réussi à s’attirer les
    critiques de toutes les couleurs politiques, étant jugé trop neutre. Dans les
    années de guerre qui ont suivi, il a collaboré en tant qu’officier avec la
    presse officielle et il a même été correspondant de guerre, pendant un certain temps, dans la
    région de Bugeac, dans le sud de la Bessarabie. C’est là qu’il a trouvé le
    sujet de son roman « Un port la răsărit/Un port à l’est », un des
    meilleurs de Radu Tudoran, un livre superbe, qui se lit facilement encore
    aujourd’hui. Il avait déjà publié à l’époque un volume de nouvelles sous le
    titre « Orașul cu fete sărace/La ville des filles pauvres . (…) En
    1943, il sort un autre volume très intéressant, « Anotimpuri/Saisons »,
    qui le consacre en tant qu’auteur néoromantique et d’inspiration sentimentale
    dans le meilleur sens du mot. En 1945, Radu Tudoran publie un roman social,
    « Flăcări/Flammes », inspiré par le monde de l’industrie pétrolière,
    que l’écrivain connaissait bien, puisqu’il est né dans la zone des raffineries
    près de la ville de Ploiești.



    Cependant,
    Radu Tudoran n’a pas pu accepter l’installation du communisme en Roumanie et il
    a essayé de fuir le pays à bord d’une goélette improvisée, au début des années
    1950. Sa tentative a bien-sûr échoué et la plupart des membres de l’équipage ont
    été arrêtés par les autorités, à l’exception de Radu Tudoran, grâce à
    l’intervention de son frère Geo Bogza, politiquement bien placé. Mais
    l’aventure avortée ne sera pas sans suites littéraires, puisque le roman
    « Toate pânzele sus/Larguez les amarres », mettant en scène une
    goélette et son équipage composé d’aventuriers, sort en 1954. L’action se
    déroule à travers le monde, depuis le port danubien cosmopolite de Sulina, de
    la fin du XIXe siècle, aux bouches du Danube, jusqu’en Amérique du Sud. Le
    critique littéraire Paul Cernat explique comment ce livre a réussi à éviter la
    censure draconienne de ces temps-là. J’ai deux explications. La
    première est celle de l’aide offerte par son frère, Geo Bogza. La seconde est
    celle du retrait dans une zone plus épargnée par l’idéologie, même si là aussi
    il y a avait une forte ingérence. Il était pourtant plus facile d’écrire un
    livre d’aventures dont l’action se déroulait au XIXe siècle que de se pencher
    sur des époques plus récentes. Ce refuge, donc, dans l’histoire et dans la
    fiction d’aventures pour les enfants et les jeunes a effectivement sauvé Radu
    Tudoran. Après la période stalinienne, quand il a payé au régime communiste un
    tribut bien plus modeste que d’autres écrivains, en publiant par exemple le roman
    à portée plus sociale « Dunărea revărsată/Le Danube qui déborde », Radu
    Tudoran a beaucoup voyagé. Il a aussi écrit des livres inspirés de ses voyages.
    Il aimait voyager, c’était quelqu’un de très agréable, un séducteur même. Après
    1961, année de la publication de « Dunărea revărsată », il a écrit
    pas mal de littérature jeunesse, mélange de littérature fantastique et de
    voyage, d’une très bonne qualité. Durant les deux dernières décennies de sa
    vie, il a également travaillé sur un projet épique très fourni, malheureusement
    trop peu commenté. Il s’agit du cycle de sept romans « Sfârșit de mileniu/Fin
    de millénaire », parus entre 1978 et 1994 et dont le dernier était posthume ;
    une fresque historique du XXe siècle
    .


    Une
    fresque historique et sociale que Radu Tudoran a eu la chance de voir complétée
    par la chute du régime communiste, car l’écrivain s’est éteint en 1992. Aujourd’hui,
    « Toate pânzele sus/Larguez les amarres » connait une nouvelle
    édition, en attendant que ses autres romans soient eux-aussi republiés, car ils
    méritent d’être découverts par les générations de lecteurs actuelles. (Trad.
    Ileana Ţăroi)