Tag: Gètes

  • Les pièces de monnaie des Daces

    Les pièces de monnaie des Daces

    Sur ce qu’était la population qui occupait
    le territoire de la Roumanie actuelle avant l’arrivée des légions romaines de
    Trajan en 105 de notre ère, les sources historiographiques demeurent assez
    pauvres. Appelés Thraces, Daces ou Gètes, en fonction des auteurs et des
    sources, ce peuple, ou cette multitude de populations apparentées, laisse
    toutefois une trace certaine, qui survit plus de deux millénaires et jusqu’à nos
    jours. Il s’agit d’une pièce de monnaie en or : le koson.

    Se
    trouvant encore à l’extérieur du monde gréco-romain, ce dernier déjà caractérisé
    par une économie monétarisée, où les biens et les services trouvaient leur
    équivalent en argent, le monde des barbares, tel que les Romans appelaient les
    populations qui ne faisaient pas partie de la civilisation gréco-romaine agencée
    autour de la Méditerranée, essaye de reprendre à son compte le fonctionnement monétaire
    des leurs voisins Gréco-Romains. La première pièce de monnaie ainsi reprise par
    les Gètes est la drachme ancienne du roi Philippe II, au 4e siècle
    avant l’ère chrétienne. Ils s’en suivent d’autres pièces de monnaie, battues au
    temps d’Alexandre le Grand et du roi Philippe III. Avec l’arrivée des Romans au
    sud du Danube au 2e siècle avant notre ère, les Gètes se trouvent en
    contact direct avec leur civilisation et..leurs monnaies. Aussi apparaissent
    les premiers kosons.


    L’historien et
    numismate Mihai Dima, auteur et spécialiste des kosons, détaille l’origine de l’appellation
    de cette pièce de monnaie, du nom du leader dac homonyme, qui avait participé en
    l’an 44 avant notre ère au complot contre le roi dac Burebista, auquel il
    succéda. Mihai Dima :


    « Koson
    est à l’origine un nom propre, le nom d’un souverain originaire de Dacie ou de
    Thrace, repris ensuite par une pièce de monnaie en or. Plus tard apparaît une pièce
    en argent frappé du même nom : Koson. La pièce en or, d’un diamètre compris
    entre 18 et 22 millimètres, pèse environ 8,5 grammes. Sur l’avers l’on remarque
    un aigle s’appuyant avec sa griffe gauche sur un sceptre, tenant dans l’autre la
    couronne. Sur le revers de la pièce, l’on peut apercevoir trois personnages, un
    consul et deux licteurs, un monogramme et le nom de la pièce de monnaie, koson,
    en alphabète grec
    . »


    Les pièces qui sont
    parvenues jusqu’à nous ont souvent eu une histoire mouvementée. Mihai Dima :


    « La
    première mention que l’on fait de ces pièces appartient à Erasme de Rotterdam,
    où il en parle dans une lettre datée de 1520 et adressée à l’évêque de Breslau.
    Vu la date du courrier, la pièce de monnaie décrite par Erasme ne pouvait pas
    être originaire du célèbre trésor découvert dans la rivière Streï en 1543, donc
    à une date postérieure. Toujours avant cette découverte, l’on fait mention de
    quelques pièces de koson d’or qui ornait un vase à usage liturgique qui se
    trouvait jusqu’en 1557 dans l’église d’Alba Iulia avant d’arriver en Slovaquie,
    à Nitra. Ces pièces auraient pu provenir d’un trésor découvert en 1491, qui soit
    probablement la plus ancienne découverte de ce type, ces pièces étant les
    seules qui aient survécu de cette découverte.
    »


    Tracer l’histoire des
    découvertes, souvent accidentelles, des trésors recelant des kosons d’or n’est
    pas chose aisée. Mihai Dima :


    « La
    première découverte attestée officiellement d’un trésor comprenant des kosons d’or
    a été réalisée au début du 19e siècle, en 1803, dans les monts
    Godeanu, en Transylvanie par quelques habitants du village Vâlcelele Bune. Aussi,
    le trésor découvert à l’occasion comprenait 400 pièces de 3 types différents, un
    seul étant exempte de monogramme. Une année auparavant, en 1802, l’on avait
    fait la découverte d’un autre trésor dans la même région, ce trésor ne comprenant
    toutefois que de pièces d’or de typeLysimaque.
    Or, c’est bien cette première découverte qui a sans doute mené à la seconde, mettant
    la puce à l’oreille des habitants du coin, qui tentent leur chance en démarrant
    des fouilles à la sauvette. Il se puisse toutefois qu’il y ait eu d’autres
    découvertes qui n’aient pas été enregistrées, car les autorités autrichiennes
    avaient été interpellées par l’accroissement inexpliqué du commerce d’or dans
    la région, et elles avaient commencé à s’y intéresser de près
    ».



    Les
    découvertes ultérieures ont pris le chemin des musées, même s’il existe encore
    un certain nombre d’exemplaires de koson qui font la joie des maisons de ventes
    et des collections numismatiques privées. Quoi qu’il en soit, le koson demeure
    le témoin doré d’une société ancienne vivant en marge de la civilisation
    gréco-romaine mais qui tentait par mimétisme d’intégrer le fonctionnement de
    cette dernière. Il constitue aussi une parabole sur la complexité de la
    relation qui relie le centre à la périphérie.

  • « Le Trésor de Svechtari. L’or des Traces sud-danubiens »

    « Le Trésor de Svechtari. L’or des Traces sud-danubiens »

    Le Musée
    national d’histoire de la Roumanie accueille ces temps-ci une exposition
    exceptionnelle – « Tezaurul de la Sveștari. Din aurul tracilor
    sud-dunăreni/Le Trésor de Svechtari. L’or des Traces sud-danubiens » – qui
    renoue avec la tradition de la collaboration muséale en matière d’histoire et
    d’archéologie avec nos voisins bulgares. Le trésor de Svechtari (nord-est de la
    Bulgarie) a été découvert en novembre 2012 dans la nécropole tumulaire d’une
    ville fortifiée construite au IVème siècle avant J.-C. Le directeur du MNIR, Ernest Oberländer-Târnoveanu, a parlé de cette
    collaboration et des objets exposés:


    « Au bout de plus de 45 ans d’interruption, le Musée national d’histoire
    de la Roumanie et l’Institut national d’archéologie et musée de Sofia ont
    repris leur collaboration. En avril dernier, l’Institut de Sofia a accueilli
    une grande exposition consacrée aux armes des élites traces. Le musée de
    Bucarest et l’Institut d’études éco-muséales de Tulcea (Est de la Roumanie) y
    ont exposé plusieurs objets fastueux, découverts dans la tombe princière d’Agighiol
    (fin du IVème siècle av. J.-C.). En réponse à l’événement de la capitale
    bulgare, une exposition absolument magnifique a été inaugurée à Bucarest, avec
    des objets récupérés dans un des tombeaux royaux de Svechtari. Un événement associé
    à un thème plus large, car le Musée national d’histoire de la Roumanie
    accueille aussi l’exposition d’objets en or gètes du sud du Danube « Dacia,
    ultima frontieră a romanității/La Dacie, dernière frontière de la
    romanité ». Cette exposition, qui vient compléter le Trésor historique et
    la copie de la Colonne de Trajan, permet aux visiteurs de connaître des
    facettes particulières de l’art et de la civilisation des Gètes, qui, tout
    comme les Daces, faisaient partie du monde trace. Nous avons pensé que le
    Trésor était le meilleur endroit pour exposer ces magnifiques bijoux en or de
    Svechtari aux côtés de leurs cousins et cousines découverts sur le territoire
    de la Roumanie. »


    Pourquoi
    ce trésor est-il différent d’autres, découverts par les archéologues? Qu’est-ce
    qu’il y en a d’exceptionnel? Ernest Oberländer-Târnoveanu répond à ces
    questions:


    « Je commencerais avec le site fortifié,
    un des grands centres au sud du Danube. Les archéologues et les historiens
    bulgares ainsi que bon nombre de nos confrères roumains considèrent qu’il
    s’agit de Helis, la capitale de Dromichaetes. Ce serait donc là qu’auraient eu
    lieu les événements racontés par Diodore de Sicile, la rencontre de Dromichaetes
    avec le roi Lysimaque et ses fils, vaincus sur le champ de bataille. Tout
    autour du site, situé d’ailleurs au milieu d’un paysage exceptionnel, les
    fouilles ont déterré une nécropole avec des tumuli de grandes dimensions.
    L’archéologue bulgare Diana Gheorghieva en a étudié un et elle a eu la chance
    extraordinaire de tomber sur une situation rare dans son domaine d’activité: relique
    naturelle, un chêne géant antique était encastré dans la paroi extérieure du
    tumulus. Chez les indo-européens, le chêne est un arbre sacré, consacré à Zeus,
    père des dieux. Attachée aux branches, une cassette en bois était remplie de
    bijoux féminins et de pièces de harnais. Le tombeau avait une structure en
    pierre, avec une chambre centrale voûtée, innovation technologique importante
    du IVème siècle et du début du IIème siècle av. J.-C. Deux personnages y ont
    été enterrés et les archéologues ont pu documenter, pour la première fois, un
    tombeau royal érigé autour d’un arbre sacré. Le lieu devenait lui aussi sacré
    et les personnages enterrés étaient placés sous la plus haute protection
    possible, celle du père des dieux. Le trésor est composé de tiares et bracelets
    féminins ornés de représentations d’animaux mythologiques ou fantastiques-
    griffons ou têtes de lion – et de pièces de harnais. Il s’agit donc d’une
    offrande féminine et d’une autre, masculine. Toutes les découvertes
    archéologiques de tombeaux princiers – que ce soit aux bouches du Danube à
    Agighiol, ou dans la Plaine de Munténie à Peretu (au sud de la Roumanie), ou
    bien ailleurs – nous font croire que les élites traces considéraient que la vie
    après la mort continuait avec les mêmes éléments de leur vie sur Terre. Durant
    leur existence terrestre, ils étaient des chefs militaires, dont le cheval
    faisait partie de la présence royale. Alors, ce roi inconnu y avait déposé des
    pièces en or, des ornements du harnais de son cheval préféré, tandis que son
    épouse y avait mis de ses bijoux. Car il était hors de question de se présenter
    devant les dieux sans se parer d’or, d’objets indiquant leur position sociale.
    »


    Qu’est-ce
    qui rend uniques les pièces du trésor découvert en Bulgarie ? Réponse du
    directeur du Musée national d’histoire de la Roumanie, Ernest
    Oberländer-Târnoveanu:


    « Ce sont des objets issus d’ateliers
    grecs de la meilleure tradition classique, car au IVème siècle les Gètes maintenaient
    un contact serré avec les Grecs, ayant adopté des éléments importants de leur
    civilisation. Ils aimaient donc le vin et probablement le poisson, les bijoux
    raffinés. Ce que nous voyons ici ce sont des bijoux royaux, peu accessibles aux
    gens ordinaires. Or, ça n’arrivent pas souvent qu’un musée tel le nôtre
    accueille une telle découverte. Le trésor de Svechtari n’a pas beaucoup voyagé
    au-delà des frontières bulgares. L’exposition est ouverte au public roumain et
    aux touristes étrangers jusqu’au mois de juin 2023, tandis que la grande
    exposition « La Dacie, dernière frontière de la romanité », qui
    inclut ce sujet aussi, reste ouverte jusqu’en mai, car en juin elle voyagera en
    Italie, au Musée national romain. »,
    a conclu le directeur du
    Musée national d’histoire de la Roumanie, Ernest Oberländer-Târnoveanu. (Trad.
    Ileana Ţăroi)

  • Michel Beine (Belgique) – Sarmizegetusa Regia

    Michel Beine (Belgique) – Sarmizegetusa Regia

    Les Daces sont les ancêtres des Roumains. Peu de choses sont connues sur l’histoire des Daces, qui faisaient partie des peuples thraces, aussi appelés Gètes selon les différentes sources historiques. Il nous reste aujourd’hui six cités daciques dans les Monts Orăştiei, dans les comtés d’Alba et de Hunedoara, inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.



    Sarmizegetusa Regia, la plus intéressante, est autrement célèbre, par les scandales liés aux artefacts volés dans ce site : les fameux bracelets daciques en or et les kosons, ces pièces de monnaie qui ont connu le même sort. Au fil des années, la Roumanie a réussi à récupérer une bonne partie de ces artefacts.



    Mais venons-en à Sarmizegetusa Regia, cette forteresse mystérieuse construite à 1200 m d’altitude. On peut y accéder à partir d’Orăştie, maintenant la route est indiquée. Une partie est goudronnée et une autre, c’est un joli chemin de terre tout à fait praticable en voiture, longeant une rivière, à travers la forêt. Les historiens s’accordent pour dire que toute cette montagne était habitée, mais l’argent pour des fouilles plus approfondies a fait défaut.



    Sur la signification du nom, il n’y a pas d’opinion unitaire. Elle a été la capitale mythique du roi dace Decebal. Les Romains ont combattu les Daces pour faire main basse sur leur or et leurs gisements de sel. En 101-102, l’empereur Trajan arrive à s’emparer de Sarmizegetusa Regia. Les Romains détruisent une partie de la cité, et emportent des pierres des monuments pour construire la capitale de la Dacie romaine à Ulpia Traiana Sarmizegetusa, à une quarantaine de km de là. Pendant ce temps, vous poursuivez votre route.



    Une fois arrivés en haut, vous accédez au site sur un sentier à travers la forêt verdoyante, par ce qui était une des portes de la cité. On voit encore une partie des remparts qui l’entouraient, et qui avaient 3 m d’épaisseur. Vous verrez d’abord la route pavée, dont une partie est originale et une autre — reconstruite à l’identique. La partie visitable du site s’étend sur 1 ha environ.



    Sarmizegetusa Regia ne ressemble à aucun autre site, elle est unique. Cette cité avait une fonction militaire, spirituelle et politique. On y décèle plusieurs zones sacrées, avec sept temples, dont deux de forme ronde. Seules les fondations sont encore visibles, ainsi qu’un autel monumental en andésite. La forteresse bénéficiait d’une adduction d’eau et aussi d’une forme de distribution. Sur la montagne, des habitations avec un riche inventaire ont été décelées, avec des objets en fer et en céramique peinte. C’est un lieu fascinant et qui garde tous ses mystères. Merci, M Beine, pour cette question et cette incursion dans le monde des Daces.