Tag: Grecs

  • Bucarest, capitale valaque cosmopolite

    Bucarest, capitale valaque cosmopolite

    Dans l’histoire des principautés de Valachie et de Moldavie, le 18e siècle est connu sous le nom de « siècle phanariote ». C’est une période qui ne coïncide pas précisément avec le début et la fin des années 1700, mais qui débute en Moldavie en 1711 et en Valachie en 1714. Dans le cas des deux Etats, elle s’est achevée en 1821, par la Révolution dirigée par Tudor Vladimirescu, suite à laquelle les princes régnants autochtones sont réinstallés. A l’époque des Phanariotes, les Principautés roumaines étaient vassales de l’Empire ottoman, qui les contrôlait par le biais de fonctionnaires grecs issus du quartier Phanar d’Istanbul. Appelés « Phanariotes », ils étaient oints princes régnants de la Moldavie et de la Valachie pour des règnes assez limités. Cette époque a été toujours vue comme une période de recul et cette image est toujours présente. En fait, les Etats roumains avaient perdu leur autonomie, ils n’avaient plus leur propre monnaie, ni leur propre armée. Les deux principautés avaient été soumises à un processus accéléré d’adoption de la mode, de la culture et des mœurs de l’Orient. Dans la conscience collective, la principale caractéristique de cette période est la corruption, fléau importé d’Orient et toujours présent en Roumanie. Mais il y aussi d’autres facettes de l’époque phanariote, comme le constate l’historien Tudor Dinu : « C’est une époque particulièrement intéressante marquée à première vue par cette « orientalisation » de la société, puisqu’avant les Phanariotes, la culture orientale était assez méconnue dans l’espace roumain. Un seul exemple : à l’époque, tous les délices culinaires de l’Orient étaient à retrouver sur les marchés roumains. Mais en réalité, c’est de cette période que datent aussi les premiers signes de l’occidentalisation des deux Etats, puisque les Phanariotes ont également été un vecteur favorisant de l’arrivée de la culture italienne et ensuite française dans les principautés roumaines. Ma recherche a illustré entre autres le fait que l’occidentalisation de l’espace roumain n’a pas eu lieu après la révolution de 1821. Et les Phanariotes qui s’informaient sur la civilisation occidentale, au début à des fins d’espionnage pour la Sublime Porte, ont permis en fait l’accès de la culture occidentale en Roumanie. »

    Les habitudes et les modèles occidentaux sont arrivés timidement dans les Etats roumains, lorsque ceux-ci étaient des théâtres d’opérations durant les fréquents conflits entre l’Autriche, la Russie et la Turquie. L’occidentalisation intervient suite à la première occupation autrichienne, qui a commencé en 1789, et s’est intensifiée par l’arrivée des troupes russes déployées aussi à Bucarest. Ces soldats russes n’étaient pas les premiers étrangers à s’établir dans la capitale valaque, qui à commencer par l’époque phanariote est devenue une ville vraiment cosmopolite. Ces étrangers se sont peu à peu intégrés dans la société locale pour créer aussi ce mélange des cultures tellement spécifique à la ville de Bucarest. Par exemple, de plus en plus de Grecs se sont installés dans la capitale valaque durant l’époque phanariote, pour constituer une communauté qui comptait entre de 5 à 10 % de la population de la ville. Ces hommes de lettres, dignitaires, entrepreneurs, marchands et artisans se distinguaient pourtant du reste de la population, raconte l’historien Tudor Dinu.

    Mais qui étaient les autres étrangers établis à Bucarest ? « Il s’agissait d’abord de Juifs, une population très dynamique, harcelée par la population chrétienne – qui était à son tour instiguée par le clergé – mais protégée par les princes phanariotes. Ils contribuent de manière fondamentale au développement économique de la ville de Bucarest, notamment dans le domaine vestimentaire, la reliure de livres et la transformation des métaux. Ils sont joaillers, mais aussi marchands. Les Arméniens sont également une présence dynamique. Ils étaient appelés péjorativement des « Juifs chrétiens », puisqu’ils avaient des habitudes similaires et une manière similaire de faire du commerce. Les Roms, appelés à l’époque « Tziganes », étaient extrêmement nombreux. Leur contribution était essentielle dans les travaux trop difficiles pour les Roumains, tels la transformation des métaux, mais aussi l’exploitation de l’or dans les eaux de la rivière Dâmboviţa. Ils étaient aussi les rois des spectacles de rue de l’époque. Habillés de costumes d’ours, ils dansaient sur une musique qui enchantait le public dans les troquets. J’ai également étudié la communauté des Turcs, qui étaient pourtant moins nombreux, puisque les privilèges accordés à la Valachie ne permettaient la présence sur le territoire du pays que d’un secrétaire turc du prince et de son équipe. Il s’appelait « Divan Efendi ». S’y ajoutait une fanfare princière constituée de musiciens turcs, un corps de police ottomane, les « beșlii » et quelques marchands. Les Balkaniques étaient beaucoup plus nombreux. Pour les chrétiens, Bucarest était un véritable Eldorado. Pénétrer l’espace roumain était particulièrement difficile. Il fallait se munir de papiers spéciaux, d’un visa, qui s’appelait « teșcherea » qui permettait l’accès à la terre promise. Les étrangers originaux des Balkans étaient appelés « Serbes », même si des Albanais comptaient aussi parmi eux. Les « Serbes », c’est-à-dire les peuples du sud du Danube, d’origine slave, s’occupaient surtout de la culture des légumes et de la transformation des peaux d’animaux. C’est sur les rues de l’actuel centre historique, Lipscani et Gabroveni, que de nombreux commerçants bulgares déroulaient leur activité. »

    Et ce fut également durant la période phanariote que des Allemands, autres que les Saxons transylvains, commencent à s’installer à Bucarest pour y apporter leur savoir-faire technique. Ils furent suivis par les Français, notamment des enseignants qui donnaient des cours privés aux fils des boyards roumains. En effet, cette époque a eu de multiples facettes et l’entrée des Etats roumains dans la sphère d’influence de l’Orient a en fait mené à leur occidentalisation.

  • La Dobroudja multiculturelle

    La Dobroudja multiculturelle

    Nous commençons notre voyage sur les ondes par une halte à Constanța, la plus importante ville de la Dobroudja et le plus grand port roumain à la mer Noire. Dans le passé, chaque communauté y avait sa banlieue.

    Diana Slav, guide touristique de la ville, nous présente l’ancienne banlieue grecque : « La communauté grecque a été et continue d’être très impliquée dans la vie culturelle de Constanța. C’est aux Grecs que nous devons la première école publique de la ville, construite autour de 1865, et le premier théâtre, bâti en 1898. Ce théâtre s’appelle Elpis, qui, en grec, signifie « espérance ». Le grand musicien roumain George Enescu y a donné deux concerts et l’historien Nicolae Iorga, dont la mère était d’origine grecque, y a prononcé une allocution. C’est toujours là que se trouve la première église chrétienne de Constanța, l’église grecque Metamorhposis, la Transfiguration. Elle a été achevée en 1868. A l’intérieur on peut voir encore les candélabres originaux en verre de Murano, apportés en 1862, de Murano et offerts à l’église par un marchand d’origine grecque. Pendant une dizaine d’année, ce fut d’ailleurs la seule église chrétienne de Constanța, aussi, catholiques, orthodoxes et Arméniens ont tenu leurs services religieux ensemble dans le même espace. Pourquoi a-t-elle été la seule église chrétienne ? Parce qu’elle a été construite durant la période de la domination ottomane. Les Grecs ont réussi à négocier avec les Turcs pour pouvoir ériger leur église – chrétienne, donc. La principale condition imposée par les Turcs fut que l’église ne soit pas plus haute que la mosquée située tout près. Pour respecter cette exigence, on conçut une toiture plate, sans croix et sans clocher. L’appel à la prière n’était permis qu’aux musulmans. L’actuel clocher date de 1947 et il est fonctionnel et apprécié par la communauté de tous les orthodoxes. »

    Le roi Carol Ier et le futur tsar de Russie, le tsarévitch Alexandre, ont monté les marches de cette église en 1878, lors de la première visite du roi en Dobroudja. Selon Mihnea Hagiu, vice-président de la communauté grecque de Constanța, la ville compte actuellement quelque 2.500 Grecs. Depuis 1947, une rue importante pour eux porte le nom d’Aristide Karatzali.

    Mihnea Hagiu : « Aristide Karatzali a été le premier socialiste de la Dobroudja. Il a habité cette rue. L’étincelle de la révolution bolchévique s’est allumée à bord du vaisseau Potemkine. Celui-ci s’est rendu aux autorités roumaines en 1905. Tous les officiers ont été débarqués à Constanța. Une partie d’entre eux y sont restés, d’autres ont émigré en Argentine et plusieurs sont retourné en Russie, où ils ont été exécutés par l’empire tsariste. Aristide Karatzali a abrité les officiers russes. Le théâtre de marionnettes Elpis se trouve rue Aristide Karatzali. Un peu plus loin a habité Nikola Papadopol, déclaré le premier citoyen roumain par le roi Carol I, en 1877, après la guerre d’indépendance de la Roumanie, en raison du fait qu’avant l’arrivée des autorités roumaines, il était maire de Constanța. C’est lui qui collectait les taxes et les remettait aux autorités ottomanes. Le prochain maire de la ville fut toujours un Grec, Anton Alexandidri. La communauté grecque a soutenu dès le début le développement de la ville de Constanța. Avant que la Dobroudja ne réintègre la patrie mère, la Roumanie, les habitants grecs de Constanța, ont adressé une déclaration aux autorités roumaines, demandant d’être dirigés par les autorités roumaines et non pas bulgares, la Dobroudja étant revendiquée, à l’époque, par la Bulgarie aussi. »

    Les Russes lipovènes se distinguent par leur riche histoire, leurs traditions et surtout leur cuisine délicieuse. Nous allons les rejoindre aujourd’hui à Ghindărești, localité qui a été, au fil du temps, tantôt commune, tantôt village. La communauté se réunit à l’église de la Résurrection, dont la construction a commencé en 1906 et qui mesure 45 m de haut.

    Anfisa Demid, professeur de roumain et de russe à l’école de Ghindărești, nous présente la communauté des Russes lipovènes, dont elle est la présidente : « Nos ancêtres sont des chrétiens orthodoxes de rite ancien, qui n’ont pas voulu renoncer à leur foi, telle qu’ils la comprenaient. Parmi les Russes, c’est seulement nous, qui vivons en territoire roumain, que l’on appelle « lipovènes ». Selon une des explications de cette appellation, le premier habitat des Russes arrivés en terre roumaine se serait trouvé à proximité d’une forêt de tilleuls. Le mot russe pour tilleul est « lipa », d’où le nom de lipovènes. Il paraît que la première attestation documentaire de la communauté remonte à une chronique valaque, qui mentionne qu’en Dobroudja se trouvait une population russe établie dans une localité appelée Ghindărești, en Turquie – car la Dobroudja avait, à l’époque, le statut de pachalik turc. Nous habitons dans la région depuis près de 300 ans. Les Russes lipovènes se sont établis en général au bord des eaux, pour pouvoir pêcher, car ils sont originaires de la zone du Don et la pêche est leur principale occupation. Nous avons gardé nos icônes anciennes, nos livres religieux, nos costumes traditionnels et nos coutumes » .

    A Ghindărești, on peut écouter la chorale féminine Novole Donseolki et vous régaler de spécialités traditionnelles, entre autres des crêpes au fromage, des brioches au fromage et petits fours au fromage. Le bortch de poisson et le maquereau grillé, accompagné d’un verre de vin du terroir restent les spécialités vedettes.

    Nous nous rapprochons maintenant de la côte de la mer Noire et nous nous arrêtons à Mangalia. Situés à proximité du port touristique, dans la partie ancienne de la ville, la mosquée Esmahan Sultan et son cimetière occupent une superficie d’environ 5.000 m². De l’avis des spécialistes, c’est l’un des plus beaux monuments d’architecture de la région, en raison du mélange des styles grec et turc, teinté d’influences maures. La véranda, les piliers et les balustrades en bois confèrent un aspect tout à fait à part à cet édifice, déclaré monument historique en 2004.

    Halil Ismet, l’imam de la mosquée Esmahan Sultan, de Mangalia, nous en parle : « La mosquée Esmahan Sultan de Mangalia est une des plus anciennes de la Dobroudja. Elle a été construite par la princesse dont elle porte le nom, fille du sultan Selim II et épouse de Sokollu Mehmed Pacha. La mosquée Esmahan Sultan est ouverte aux fidèles toute la journée. L’office est célébré en arabe et les sermons sont prononcés en turc. La communauté musulmane de Mangalia compte plus de 900 familles. En été, la mosquée est visitée par de nombreux touristes roumains et étrangers, dont certains n’ont jamais vu un tel établissement religieux et ils sont toujours impressionnés. »

    A l’entrée de la mosquée se trouve un beau jardin fleuri et une terrasse où vous pouvez vous arrêter pour savourer un café turc, préparé dans du sable chaud, ou un thé parfumé.

    Voilà pour cette édition de notre rubrique Radio Tour, réalisée avec le concours du Département pour les relations interethniques du gouvernement roumain. A bientôt pour un nouveau voyage sur les ondes de RRI. (Trad. : Dominique)

  • A la Une de la presse roumaine 24.07.2015

    A la Une de la presse roumaine 24.07.2015

    La presse bucarestoise s’intéresse aujourd’hui aux changements apportés dans la vie interne du Parti social-démocrate par l’élection du nouveau président par intérim, au Plan général de transport du pays accepté par la Commission européenne ou encore à ces Grecs qui cherchent un emploi en Roumanie


  • Les Grecs de Bucarest

    Les Grecs de Bucarest

    Les Grecs figurent parmi les premiers à s’être installés dans le sud de la Roumanie où ils ont fondé les colonies de Histria, Tomis et Callatis au bord de la mer Noire. La province roumaine de Dobroudja a été considérée longtemps comme un véritable berceau de la communauté grecque dans la région dont les traces restent toujours visibles. Notons à titre d’exemple la localité dite des Grecs dans le nord de la Dobroudja ou encore le sommet homonyme situé à 467 mètres d’altitude dans les monts de Dobroudja. Et n’oublions pas les vestiges de la célèbre cité d’Enisala, ancienne forteresse des colons grecs byzantins et génois datant de la fin du 13è siècle.



    Ce fut vers la deuxième moitié du 15e siècle, après la chute de Constantinople le 29 mai 1453, lors de la prise de la ville par les troupes ottomanes conduites par Mehmed II que les Grecs commencèrent à fixer du regard les territoires au nord du Danube. Aux dires de l’historien Georgeta Penelea-Filiti, ce fut là une véritable tentative des colons grecs de faire renaître leur monde en terre roumaine: « A la disparition de l’Empire byzantin, les Grecs se tournent vers les Principautés roumaines pour essayer d’en faire un refuge. Je crois qu’on pourrait parler d’une heureuse coïncidence car Byzance disparaît en 1453 et six ans plus tard, en 1459, les documents attestent pour la première fois l’existence d’un petit bourg en terre roumaine qui 200 ans plus tard allait devenir sa capitale. Qu’est ce qui s’est donc passé en 1453? A l’époque, l’humanité assiste à la disparition de tout un univers plein de vie, marqué par le développement urbain, politique, juridique et institutionnel phénoménal réalisé par les Grecs. Or, au moment de la prise de la ville par les Ottomans, beaucoup de Grecs se sont vu forcer de quitter Byzance. Parmi eux, les Cantacuzène, l’une des familles les plus importantes de la ville conquise par les Turcs. De souche impériale, aisée et entreprenante, elle a fini par s’installer en terre roumaine et s’impliquer activement dans la vie politique du pays en devenant vers le 17e siècle le fer de lance du patriotisme. C’est là un exemple qui prouve que la roumanisation des Grecs était devenue une réalité ».



    Un autre chapitre de l’histoire des Grecs de Bucarest commence à compter de 1453, au nord du Danube. Les Grecs s’établissent en Valachie, notamment à Bucarest, mais l’évolution de leur communauté est inégale, guidée selon des raisons économiques et politiques et des options personnelles. Georgeta Penelea-Filiti: « Les Grecs n’arrivent pas dans l’espace bucarestois uniquement en tant que princes. Un d’entre eux fut même appelé «fabriquant de princes», car il s’était subordonné tous les compétiteurs au trône de Valachie. Les Grecs qui s’établissent dans cette région sont attirés par ses nombreuses opportunités, notamment financières, par la possibilité de valoriser leurs biens, par la qualité de la vie. Ce sont des gens appartenant à différentes classes sociales. Sans avoir fait de statistique, mais après avoir parcouru les documents, je dirais que la plupart des Grecs de Valachie travaillent dans le commerce, dans la finance ou dans la culture. C’est ici qu’intervient un élément qui va marquer l’histoire de la Roumanie pendant des centaines d’années, après 1453. Les Roumains étaient bienveillants, tolérants, gentils, mais plutôt passifs. Par conséquent la société avait besoin d’un élément dynamique, actif, de quelqu’un capable de mener à bonne fin une activité. Les Grecs arrivent avec leurs bons et leurs mauvais côtés. Sans doute que la plupart des Grecs qui se dirigent en force vers la Valachie font partie de l’entourage des princes. Et c’est sûr qu’une personne qui collecte les impôts n’est pas quelqu’un de très agréable. Mais ils sont aussi enseignants, docteurs, juristes et ils contribuent tous à la formation de la société urbaine roumaine, ils la rendent plus dynamique et développent sa culture ».



    Le 18e siècle est, sans conteste, lapogée de la présence grecque dans les territoires roumains, une période appelée des “phanariotes”. Cest alors que sinstallent dans les principautés les princes issus de familles grecques, habitant le Phanar, un quartier huppé du Constantinople de lépoque. Ces nobles allaient non seulement parfaitement sintégrer dans la société roumaine mais avoir également une contribution décisive à lessor culturel de ces territoires. Georgeta Penelea-Filiti: «On ne saurait ignorer ces Grecs qui arrivent ici en très grand nombre, qui travaillent, senrichissent et qui assument une activité dont ils sont des maîtres jusquà nos jours – la stratégie matrimoniale. Pour mieux sintégrer, se fondre dans la population, ils étaient autorisés à prendre des Roumaines pour épouses… Cest ainsi que la plupart des Grecs ne quittent plus la Valachie, ce qui amène lun dentre eux à affirmer en 1719: ” Constantinople? Cest une ville qui ne mintéresse plus – ici jai tout ce quil me faut”. Un autre Grec sémeut et senthousiasme à la fois – “si le paradis existe, il devrait être à limage de la Valachie”. Lafflux de Grecs dans la capitale roumaine pousse même les historiens et les voyageurs à appeler Bucarest une ville grecque ».



    Nombre de personnalités roumaines marquantes ont des origines grecques – cest le cas des écrivains Panaït Istrati ou Ion Luca Caragiale, de la soprano Hariclea Darclée, de lindustriel Nicolae Malaxa ou encore du banquier Zanni Chrissoveloni. Une communauté très spéciale qui a changé le visage de Bucarest depuis la vie économique et culturelle à larchitecture…(trad.: Ioana Stancescu, Valentina Beleavski, Andrei Popov)

  • Les Grecs de Bucarest

    Les Grecs de Bucarest

    Evénement crucial dans l’histoire universelle, la prise de Constantinople par l’armée ottomane en 1453 a eu un impact sur la vie dans les principautés roumaines. A l’époque, beaucoup de Grecs ont quitté leurs lieux d’origine pour sauver leur vie et leurs biens, et une partie d’entre eux ont trouvé refuge dans les pays roumains, notamment dans la petite bourgade qu’était Bucarest. Ils ont contribué au développement de cette cité en tant que centre commercial mais aussi culturel.



    Georgeta Filitti, auteure du livre « Le Bucarest grec » nous présente les Grecs qui s’y sont réfugiés après 1453 : « Qui sont ces Grecs qui commencent à arriver par groupes plus ou moins grands ? Ils ont déjà tous un métier ou une profession : médecins, professeurs, spécialistes des finances, diplomates — dans le sens du terme utilisé pendant le Moyen-Age et la Renaissance, car à l’époque, bien souvent, un diplomate faisait aussi de l’espionnage. Nombre d’entre eux étaient des membres du clergé. Il faut dire qu’il y a eu une tradition dans l’histoire roumaine, qui commence au XVIe siècle et se prolonge jusqu’au XIXe : la consécration de certains établissements religieux aux lieux saints du Mont Athos, du Mont Sinaï, d’Alexandrie, d’Antioche et au Saint-Sépulcre. Ce lien, placé sous le signe de l’orthodoxie, entre nous et l’espace grec, a favorisé la circulation des moines. »



    Avec le temps, pour mieux s’adapter à leur nouvelle patrie, ces Grecs prennent des Roumaines pour épouses. Ils forment ainsi des familles mixtes et acquièrent des terrains en ville. Ils apportent de Grèce des éléments de civilisation urbaine — peu développée à Bucarest — et contribuent au développement de l’enseignement. Georgeta Filitti : « L’urbanisme, dans le sens plus moderne du terme, allait se faire sentir sous l’égide des Grecs un peu plus tard, vers de XVIIIe siècle. C’est qu’au début du XVIIIe siècle, les Turcs ont instauré les règnes phanariotes — forme d’administration des pays roumains qui a emmené officiellement les Grecs sur le territoire roumain. Les princes phanariotes provenaient de riches familles vivant dans le quartier du Phanar à Constantinople et exerçaient des fonctions importantes dans ladministration ottomane. Au siècle phanariote, l’influence des Grecs fut absolument, officielle : le prince étant grec, sa cour était constituée, elle aussi, de nobles grecs. La population roumaine se trouvant sous leur domination emprunte certains éléments. Il faut dire que cette influence n’a pas été imposée. Nombre de phanariotes ont été des princes éclairés, des personnes qui comprenaient très bien que s’ils voulaient obtenir le plus possible de leurs sujets, ils devaient trouver des éléments de communion, de cohésion. Or, un de ces éléments a été l’éducation. Aussi, organisent-ils un système d’éducation où il introduisent les premiers éléments d’un enseignement en roumain. »



    Une statistique datant de 1838 — une sorte de recensement de la population de la ville de Bucarest, qui comptait à l’époque quelque 60.000 familles — apporte des informations sur la vie quotidienne à Bucarest, devenu capitale de la Valachie : « On constate que le nombre des Grecs n’est pas significatif. Il y avait des marchands aussi bien grecs qu’arméniens, juifs ainsi que roumains, serbes et bulgares. Cet amalgame était très pittoresque et les marchands de Bucarest, quelle que fut leur origine — et il faut dire qu’ils provenaient pour la plupart du sud-est de l’Europe — tous les marchands donc étaient liés par une sorte de solidarité. C’est vers la seconde moitié du XIXe siècle que commencent à se constituer les communautés grecques. Avant, il y avait des Grecs — des médecins, des professeurs, des princes régnants — mais on ne pouvait pas parler d’une communauté ethnique. Or, une communauté signifiait que tous ceux qui avaient le sentiment d’appartenance à l’espace grec bénéficiaient de leur propre église, de leur école, de leur imprimerie. Ils menaient une vie solidaire, respectaient leurs fêtes, se réunissaient à différentes occasions… Et la religion y a été pour beaucoup.



    La présence des Grecs a laissé des traces. En témoignent les églises qu’ils ont élevées ainsi que certains noms de famille que les Roumains portent souvent sans savoir qu’ils sont d’origine grecque. (trad.: Dominique)