Tag: humour

  • Cilibi Moise

    Cilibi Moise

    L’humour est un trait caractéristique de
    l’être humain, ayant été analysé par une pléthore de théoriciens de la
    littérature, philosophes, moralistes, psychologues, théologiens, sociologues, anthropologues
    et j’en passe. Tout en étant universel, l’humour est spécifique pour des
    groupes de gens plus ou moins nombreux, pour différents pays et nations de la
    planète. Selon les chercheurs qui l’ont analysé, l’humour est un trait culturel
    d’un certain espace.


    Dans l’espace roumain, il
    existe depuis aussi longtemps que les gens qui y habitent. Cependant,
    l’histoire écrite de l’humour roumain, dont les documents témoignent de
    l’esprit de chaque époque, apparaît au cours de la seconde moitié du XIXème
    siècle, étant liée à l’apparition des revues et des canards satiriques et
    humoristiques. L’histoire de l’humour roumain a également retenu des noms de
    gens qui ont fait rire leur semblables ou qui ont produit des expressions, des
    gestes ou des attitudes amusants. Un tel nom du XIXème siècle est celui du
    légendaire Cilibi Moise, retenu surtout par les souvenirs des concitoyens que
    les archives.

    Eugen Istodor, ancien journaliste de la rédaction de
    l’hebdomadaire satirique et humoristique « Academia Cațavencu », fondé
    en 1991, a consacré des articles et des recherches à Cilibi Moise, le héros de
    notre rubrique: « Comment comprendre l’humour? Comment
    le perçoit-on dans l’espace roumain? Me voilà devant Cilibi Moise, le plus
    humble de nos grands humoristes. Pourquoi humble? Que savons-nous sur Cilibi
    Moise? Très sincèrement, je vous dis que nous ne savons pratiquement rien sur
    lui. « L’homme n’a l’impression de compter que lorsqu’il a le sentiment de
    n’être rien » est une assertion qui exprime sa profession de foi, que je
    partage entièrement. Tout ce que nous reste de lui est une photo, quelques
    témoignages, quelques anecdotes littéraires, quelques découpages. Nous pouvons
    le placer plutôt dans une équation littéraire que dans une démarche de théorie
    littéraire, et encore moins de critique littéraire. »



    Cilibi Moise, né Moise Froim
    en 1812 à Focșani et mort en 1870 à Bucarest, à l’âge de 58 ans, était le fils
    d’une famille juive pauvre de la région de Vrancea, à l’est de la Roumanie.
    Selon les très peu nombreuses sources d’informations le concernant, il a dû
    travailler et s’occuper du commerce alors qu’il n’était qu’un enfant. Il paraît
    qu’il était connu de tous les marchands pour son esprit ludique, qui attirait
    la clientèle. On dit aussi que Moise ne savait ni lire ni écrire et qu’il
    dictait à un imprimeur les proverbes, aphorismes et maximes, qui lui sont
    attribués. Il paraît que le père du grand dramaturge roumain Ion Luca Caragiale
    était un ami de Moise, qui a dicté une partie de ses créations à Caragiale
    lui-même. Malgré leur différence d’âge, Cilibi a été très proche du rabbin,
    philologue, historien et journaliste Moses Gaster, qui l’appelle dans ses
    mémoires « cilibi », mot d’origine turque traduit par « l’amical »,
    mais aussi « esprit fin ». Le philologue et historien littéraire Ștefan
    Cazimir racontait que Moise s’était vu adouber de nombreux autres surnoms, tels
    « le facétieux », « le farceur », « le sage », « le
    philosophe », mais aussi « le distingué », « le noble »,
    « l’élégant ».

    Cilibi Moise a été un miroir de son temps, affirme Eugen
    Istodor: « Il se comporte de la même manière que
    la société roumaine. Il fait partie de l’histoire littéraire parce qu’il l’a
    voulu, mais ce fut quelque chose d’instinctif, d’animal social, plutôt que
    celui de commerçant. Moi, je le soupçonne d’avoir souhaité être commerçant, il
    aurait aimé être riche et profiter de la vie. Il est resté quelque part à la
    marge. Moise Froim Schwartz ne s’était pas beaucoup exprimé sur sa propre
    personne. Il a certes été un sujet d’auto-ironie, mais sans se mettre à nu. Il
    n’a pas dit qui ni comment il était en tant que personne. Cela en dit long de
    la composition des hiérarchies littéraire et sociales et de notre rapport à ces
    hiérarchies. À la différence de, disons, Caragiale, Macedonski, Ranetti et Geo
    Bogza, Moise n’a rien dit de lui-même. Il s’est glissé et a existé derrière des
    proverbes dans lesquels il s’est auto-ironisé. Cilibi Moise vit uniquement à
    travers sa reprise par les autres, par leur entrée dans une certaine rhétorique. »



    Plusieurs des « mots
    d’esprit » créés par Cilibi Moise nous parlent encore aujourd’hui, car
    porteurs d’un message universel. En voici un exemple sur la pauvreté: « Un
    jour, Cilibi Moise a vécu une grande honte, des cambrioleurs se sont infiltrés
    dans sa maison, mais ils n’y ont rien trouvé. »
    La politique et la
    richesse peuvent être comprises même de nos jours, sachant que les choses
    étaient différentes jadis. Et Moise faisait lui aussi des commentaires
    politiques: « cela fait 30 ans que la pauvreté ne me quitte d’une semelle
    et 14 ans depuis que je fais de même avec la politique. Moi, j’en ai marre de
    la politique, mais la pauvreté n’en a pas marre de moi. »
    Voilà juste deux
    exemples extraits du trésor de 15 volumes d’aphorismes, proverbes, réflexions,
    anecdotes et conseils que Cilibi Moise nous a laissés en héritage. (Trad.
    Ileana Ţăroi)

  • “Les Services compétents” d’Iegor Gran

    “Les Services compétents” d’Iegor Gran

    Ancré dans l’histoire de la Russie post stalienienne des années 1950-1960, Les Services compétents d’Iegor Gran plonge le lecteur dans une aventure drôle et absurde comme le quotidien des Russes dans ces années là. Inspiré des faits réels, ce livre se lit d’un trait et déborde d’humour. Un titre à ne pas rater, comme nous le dit Mathieu Fabre, libraire chez Kyralina.

  • Humour littéraire roumain

    Humour littéraire roumain

    A travers leur histoire, ils s’en sont pris, par exemple, à des villes ou des régions, devenues la cible de moqueries nationalement connues. Au cours de la seconde moitié du 19e siècle et pendant une grande partie du 20e, les blagueurs ont jeté leur dévolu sur la petite ville de Mizil, dans le département de Prahova, sise presque à mi-chemin entre les villes plus importantes de Ploieşti et de Buzău du sud-est de la Romanie. Le pays vivait à l’époque sous le signe d’une modernisation accélérée, mais aussi compliquée par endroits. Or, dans l’imaginaire populaire, la ville de Mizil s’est vite convertie en un symbole de cette ambition de modernisation précipitée et, dans certains cas, inachevée. La ville « tête de Turc » est citée aussi dans des œuvres littéraires, tels les volumes d’aphorismes de Cilibi Moise.

    Commerçant juif bucarestois, dont l’éventaire rempli d’un bric-à-brac de marchandises se trouvait dans la zone marchande de la rue Lipscani, dans le centre-ville de la Capitale, Cilibi Moise ne savait ni lire ni écrire. Il dictait tout simplement ses blagues à un travailleur de la typographie qui les a d’ailleurs publiées jusqu’en 1870, l’année de sa mort. Le journaliste chroniqueur Eugen Istodor a fait quelques recherches sur les références littéraires et humoristiques de la ville de Mizil et il a découvert des choses intéressantes sur le commerçant juif : « Ce personnage, Cilibi Moise, était non seulement un conteur très doué, mais il avait compris que ses histoires drôles pouvaient être imprimées. Il s’y est donc trouvé un typographe qui lui a imprimé, sans relâche, les propos blagueurs dans des brochures, jusque vers 1870. De ses propos rieurs et mordants à la fois, inspirés par la ville de Mizil, il y en a un qui est resté célèbre et qui dit « Mizil, pont grandiose, eau absente ». Une phrase qui est toujours d’actualité, je vous le confirme. Puisque, étant récemment de passage dans cette ville, j’ai vu, de mes propres yeux, un pont qui enjambe un ruisselet de rien du tout, trop anémique pour justifier les dimensions dudit pont. On peut, donc, conclure, que notre personnage avait fait une blague. »

    Au début du 20e siècle, plusieurs écrivains revisitent les blagues qui circulaient sur le compte de la ville de Mizil. En 1900, le grand dramaturge Ion Luca Caragiale – né, lui aussi, dans le département de Prahova – publie son très connu récit « O zi solemnă/Une journée solennelle », où il était question non seulement de la bourgade, mais aussi du maire de l’époque, Leonida Condeescu de son nom, en fait une connaissance de Caragiale. Le journaliste Eugen Istodor parle de la parution dudit récit. « Peut-on dire Thermopile sans dire Léonidas ? Bien sûr que non. Eh bien, de la même manière, qui dit Léonidas dit Mizil. On ne peut pas imaginer Mizil autrement et Léonidas non plus. Il est impossible de détailler dans un cadre tellement étroit ce que Léonidas a fait pour son bourg. Par conséquent, je me contente de noter seulement quelques-uns de ses faits les plus importants, dont le mobile a toujours été le désir ardent d’affirmer l’importance de Mizil, d’accélérer l’e développement de Mizil, de réaliser l’essor de Mizil », écrit Caragiale. Voici la liste des faits. Le problème semble avoir été l’ambition démesurée de Léonidas qui s’était mis en tête de résoudra le problème historique de la distance entre les villes de Ploiești et de Buzău, et surtout de statut et d’identité de la bourgade de Mizil. Il fait de son mieux, il va même à la Cour où il dit au roi : Sire, tout a été fait pour les autres villes et rien pour Mizil ! Nous ne sommes pas chef-lieu du département, nous n’avons pas de tribunal, pas d’évêché, pas de 32e régiment, pas de lycée, pas de faculté de médecine, pas de théâtre national, pas de pont sur le Danube – nous n’avons rien, absolument rien, Sire!… Nous prions Votre Majesté de nous donner aussi un petit bout de tout cela. » Et il finit par résoudre quelque chose. Une ligne de train express est créée, de Bucarest à Berlin, via Breslau. Léonidas regarde l’itinéraire officiel et remarque un oubli : le train ne s’arrête pas à Mizil. Au bout d’un an d’insistances et de supplications, le maire finit par obtenir quelque chose. Le 1er mai 1900, le train n° 5 Bucarest-Berlin et le train n° 6 Berlin-Bucarest marquent un arrêt dans la gare de Mizil. »

    C’est un happy-end qui a confirmé la renommée humoristique de la ville de Mizil, mais qui a aussi mis à l’épreuve l’amitié de Caragiale et du maire Leonida Condeescu. Les blagues sur Mizil se sont multipliées dans la presse de l’époque. L’écrivain avant-gardiste et journaliste très apprécié Geo Bogza lui consacre son reportage intitulé « 175 minutes à Mizil », résultat d’une escale faite par l’auteur, qui le publie en 1938. Eugen Istodor : « Geo Bogza nous suggère qu’il s’ennuie à mourir dans la bourgade de Mizil. Et il se met à rédiger une liste de ce qu’il a vu et fait là-bas. 20e minute: « Je retourne à pied sur la place. Une clôture en lattes. » 23e minute: « J’arrive au milieu de la place. Je ne bouge plus. » On pourrait même apercevoir Geo Bogza se tenir immobile pendant une minute, on aimerait le chronométrer. 24e minute : « Mizil! » 26e minute : « Un chien passe dans la rue. » 27e minute: « Je suis à Mizil. » A la 31e minute, le chien qu’il avait aperçu à la 26e minute revient, avec un air plutôt ennuyé. »

    Les blagues dont Mizil fait l’objet se moquent en fait d’un bourg de province trop ambitieux, qui ne prend pas la vraie mesure de sa réalité. Depuis le temps, dans l’imaginaire populaire et dans les œuvres littéraires, Mizil a laissé la place à d’autres bourgades telles Caracal, Vaslui ou Focşani. (Trad. : Ileana Ţăroi)

  • Le Salon francophone de l’humour à Bucarest

    Le Salon francophone de l’humour à Bucarest

    Célébrer la Francophonie à travers
    l’humour, en voilà une belle idée mise à profit par le GADIF (le Groupe
    des ambassades, délégations et institutions francophones de Roumanie), pour
    fêter la francophonie en Roumanie. Un Salon de l’humour francophone, inauguré
    au Théâtre national de Bucarest, le mardi 19 mars 2019, présente une sélection
    inédite de caricatures, affiches, BDs et fragments d’enregistrements vidéo
    d’artistes originaires de différentes régions du monde. Petit tour
    de l’exposition, guidé par la présidente du GADIF, l’ambassadrice du Liban en
    Roumanie, Son Excellence Rana Mokkadem, au micro d’Ileana Ţăroi.



  • Radio Erevan

    Radio Erevan

    En effet, ce genre d’humour a circulé dans tous les pays de l’ancien bloc communiste, avec bien sûr des variations locales. Les plus savoureuses provenaient de l’Union soviétique et avaient pour but de détendre l’atmosphère, de faire oublier aux gens la grisaille quotidienne. Elles reposaient sur le comique absurde et avaient pour protagonistes des gens simples, les institutions répressives de l’Etat, les dirigeants de l’époque ou encore des événements ponctuels. Le héros des blagues politiques roumaines d’avant 1989 était le citoyen prénommé Bulă, un paronyme du mot grossier désignant l’organe génital masculin. Faible d’esprit, Bulă, qui ne comprenait rien à la réalité, se contentait de l’interpréter à sa façon.

    Un autre personnage tout aussi populaire que Bulă a été Radio Erevan, réputée pour l’humour caractéristique avec lequel elle répondait aux questions insinuantes posées par ses auditeurs. Brèves et percutantes, ces blagues ne manquaient pas de provoquer le rire. Une des anecdotes les plus fréquentes dans les anciens pays socialistes était la suivante: « Question adressée à Radio Erevan: Est-il vrai que le capitalisme est au bord du gouffre ? Réponse : Oui, ça l’aide à nous dévisager. »

    Nous avons demandé à l’historien Eduard Antonian comment s’explique la notoriété en Roumanie de cette radio arménienne : « Radio Erevan a représenté un for de dissidence même dans l’ex-URSS. La plupart des blagues avaient une portée politique évidente. En voici une des plus connues : le zèbre est en fait un âne portant l’habit rayé des détenus pour avoir raconté des blagues à teinte politique. Je me rappelle que dans les années 1990, lorsque l’Arménie avait recouvré son indépendance, le directeur de Radio Erevan, qui s’est rendu à Bucarest, ignorait à quel point la radio qu’il dirigeait était célèbre en Roumanie. D’où sa grande surprise de voir les douaniers roumains éclater de rire quand il avait déclaré ses fonctions. Un ami à moi m’a également raconté qu’à l’arrivée à la tête de l’institution, l’actuel directeur de Radio Erevan aurait posté sur sa page Facebook le commentaire suivant « C’est moi le nouveau directeur. Faites gaffe, toute blague avec Radio Erevan, je la prendrai désormais comme un affront personnel. »

    Dans l’ex-URSS, comme d’ailleurs dans n’importe quel autre pays, circulaient des stéréotypes à l’égard de chaque peuple, tout comme à l’intérieur de chaque pays on a habitude à fabriquer des clichés sur telle ou telle région.

    De l’avis d’Eduard Antonian, le choix de Radio Erevan en tant que personnage des blagues politiques s’explique par l’esprit aigu des Arméniens: « Chacun des peuples composant cet amalgame qu’était l’URSS avait sa propre étiquette. Les Tadjiks et les Ouzbeks, par exemple, étaient perçus comme des lourdauds, alors que les Russes et les Ukrainiens étaient considérés incarnant l’esprit slave. Enfin, si les Lituaniens, les Lettons et les Estoniens étaient vus comme plus proches de l’esprit occidental, les Arméniens, eux, avaient la réputation d’être les plus intelligents et les plus débrouillards de tous. Ce n’est donc pas par hasard que les plus grands humoristes de l’URSS étaient Arméniens. En plus, le régime communiste n’a pas été trop oppressif en Arménie. »

    Il y a eu aussi des versions locales de l’esprit caustique de Radio Erevan. C’est le cas de la blague roumaine sur le verbiage de Nicolae Ceauşescu. « Question à Radio Erevan: Peut-on mourir du cancer de la gorge? Réponse: Oui, mais sachez qu’il n’en souffre pas. »

    Avec le temps, l’humour s’est dépolitisé, le rire étant devenu donc moins subversif, explique l’historien Eduard Antonian: « Si, au début, la plupart des blagues avaient une visée politique, elles ont petit à petit changé de cible. Certaines d’entre elles ont subi des adaptations locales, comme dans l’exemple suivant: en 1968, à Prague, un reporter de Radio Erevan, saisi de peur, fuyait les chars soviétiques. Quelque part, un chauffeur de taxi, visiblement ennuyé, se tenait debout, appuyé contre son auto. Et l’Arménien de lui demander : « Vous êtes libre? Non, répond-il, car je suis Tchèque. Je n’ai pas connaissance de l’existence d’une collection de blagues avec Radio Erevan, mais Internet en regorge. Pourtant, si quelqu’un voulait les faire publier, il devrait régler la question des droits d’auteur. »

    Avant 1989, en Europe de l’Est, les blagues de Radio Erevan ont fait les délices de plusieurs générations. Leur saveur reste intacte, malgré le passage du temps. (Trad. Mariana Tudose)