La collection de livres anciens du Musée national
de l’Union d’Alba Iulia, dans le centre-ouest de la Roumanie, s’est enrichie
d’une pièce d’une très grande valeur. Il s’agit du volume « Rudimentorum
cosmographicorum Ioan Honteri Coronensis libri » écrit par l’érudit transylvain
Johannes Honterus, figure centrale de l’humanisme et de la Réforme luthérienne
de Transylvanie au 16e siècle. Le volume a été publié pour la
première fois en 1546 et a été republié de nombreuses fois.
Johannes Honterus est né en 1498 à Kronstadt, soit
l’ancien nom saxon de la ville de Braşov, dans le centre de la Roumanie,
et s’est éteint en 1549, à 51 ans. Il a eu une activité intellectuelle et
éditoriale intense, outre son activité didactique. Honterus a obtenu le titre
de magister artium, soit maitre des arts, en 1522 à l’Université de Vienne, et
en 1530 il commence à enseigner à l’Université de Cracovie, où il allait d’ailleurs
publier ses premiers textes : une description du monde et une grammaire du
latin. Il déménage ensuite à Bâle pour apprendre la gravure en bois et
l’imprimerie. En Suisse il fait imprimer le célèbre atlas de la Transylvanie « Chorographia
Transylvaniae Sybembürgen. En 1533, Honterus rentre dans sa ville natale
où il est élu au conseil municipal. A Braşov, il est le fondateur d’une des
premières imprimeries transylvaines, qui publie « Le Petit livre de la Réforme pour Braşov et le Pays de
Bârsa », « L’Apologie » et « Le Règlement des églises de
tous les Allemands de Transylvanie ». Ces trois volumes réunissaient
les principales thèses de la Réforme évangélique de l’église des Saxons de
Transylvanie sous l’influence du luthéranisme. Ce fut également suite à ses
efforts que la première fabrique de papier de la région a été fondée à Braşov en
1546.
L’aventure du volume « Rudimentorum
cosmographicorum Ioan Honteri Coronensis libri » entre un antiquaire de la
capitale de la Nouvelle Zélande et Alba Iulia nous est expliquée par Florin
Bogdan, muséographe et spécialiste en livre ancien et rare.
Florin Bogdan: « Ce
livre est en fait un atlas de poche. La géographie comptait, entre autres, parmi
les préoccupations de Honterus. La première édition est parue à Cracovie en
1530. C’est une variante du livre qui a été sensiblement améliorée par Honterus
qui lui a ajouté plusieurs plans à travers le temps. En fait, nous avons un
livre de 30 pages non numérotées, ce qui signifie en fait 60 pages, qui
présentent le texte de l’ouvrage. Honterus décrit le monde, tel que celui-ci
était connu à l’époque, en vers. La dernière partie de l’ouvrage contient 14
pages avec des cartes. Le point de départ, c’est la présentation de la Terre
telle qu’elle était connue par les cartographes et les géographes au milieu du
16e siècle, et puis il y a différentes régions, notamment d’Europe,
puisque c’était la partie du globe la mieux connue à l’époque. »
« Rudimentorum cosmographicorum » est un
livre publié en plusieurs éditions et pour ce qui est des conséquences de cette
situation, c’est Florin Bogdan qui explique : « Etant donné qu’il existe un grand nombre d’éditions après celle
de Cracovie, de 1530, nous pouvons estimer que les tirages ont été assez
limités parce que le livre est sorti en de nombreuses éditions et rééditions.
Il fut imprimé aussi à Bâle, à Zurich, à Braşov, à Bratislava et cela prouve en
fait qu’il était très recherché. Personne n’aurait imprimé un livre tous les 2
ans si celui-ci n’était pas recherché. Un seul exemple : à Zurich, le lieu
où l’exemplaire acheté par le Musée national de l’Union d’Alba Iulia a été imprimé
de 1546 à 1564, pas moins de 7 éditions ont été publiées. Pour ce qui est de
cette édition de 1564, la bibliographie hongroise spécialisée affirme qu’il
existe à présent seulement une quinzaine d’exemplaires. Il en va de même pour
l’édition critique, disons, de l’ouvrage, parue en 2017 d’après l’édition de
Braşov de 1542, qui répertorie en fait toutes les éditions du Rudimentorum
cosmographicorum. »
Par son volume, Honterus a voyagé jusqu’en Nouvelle
Zélande, exploit que cet accro à la géographie aurait sans aucun doute voulu réaliser
lui-même. De là, le volume est rentré en Roumanie, jusqu’à la région natale de
l’auteur.
Florin Bogdan raconte : « Le livre a été acheté chez un antiquaire de
Wellington. Nous avons identifié le livre dans une base de données des
antiquaires du monde et une correspondance intense avec cette boutique s’est
mise en place. Comment ce livre a voyagé jusqu’en Nouvelle Zélande, c’est
difficile à expliquer, mais nous pouvons émettre plusieurs hypothèses en vertu
de plusieurs notes préservées sur les pages du livre. Vers le 18e
siècle probablement, le livre appartenait à une personne qui parlait le grec et
qui a laissé une marque de propriété. Malheureusement, cette marque n’est pas
complète, parce que la dernière partie du nom de cette personne était trop près
de la tranche du livre. Lorsque le volume fut relié une deuxième fois, deux lettres
de ce nom se sont perdues. Nous pouvons faire des spéculations aussi en raison
du fait qu’une autre note évoque la découverte de l’Amérique par Christophe
Colomb. C’est une note en anglais et cela nous suggère clairement que le volume
s’est retrouvé dans un milieu anglophone. On peut supposer seulement que ce
volume sera passé par l’Angleterre, par les Etats-Unis et pourquoi pas par
l’Australie ? »
L’état du livre est assez bon, selon Florin Bogdan,
qui souligne qu’aucune intervention de restauration n’est nécessaire.
L’exemplaire sera mis en valeur aussi via la numérisation et non seulement par
son exposition ; ainsi, son état de conservation ne sera pas affecté à
long terme.