Tag: Juifs

  • 135 ans depuis le Congrès sioniste de Focşani.

    135 ans depuis le Congrès sioniste de Focşani.

    Un des événements les plus importants de l’histoire des Juifs de Roumanie a été le Congrès de Focşani, qui a eu lieu les 30 et 31 décembre 1881. Connue aussi sous le nom de « Congrès sioniste de Focsani » ou de « Grand Congrès de Focsani », cette réunion des leaders des communautés juives a marqué l’apparition d’une alternative pour les minorités de rite mosaïque face à la politique antisémite croissante, à savoir le départ pour la Palestine pour y fonder des colonies.

    L’historien et politologue Liviu Rotman, de l’Ecole nationale d’Etudes Politiques et Administratives de Bucarest, hésite pourtant à utiliser le mot « sioniste » pour ce congrès d’il y a 135 ans : «Le terme que je propose et auquel je tiens est celui de congrès «pré-sioniste». Pour mieux comprendre de quoi il s’agit et pourquoi je ne parlerais pas d’un congrès sioniste, voici en bref le contexte historique du moment. Nous sommes à la fin de l’année 1881, une année marquée par le début d’une forte vague antisémite en Europe, et notamment en Europe Orientale. Une atmosphère « pogromiste » plane au-dessus de la Russie tsariste et plusieurs mesures à caractère antisémite sont prises en Roumanie aussi. Dans ce contexte, l’idée du retour en Palestine gagne de plus en plus de terrain parmi les Juifs. N’oublions pas que, dans la seconde moitié du 19e siècle, ce mouvement se développe, remplaçant les tendances intégrationnistes des Juifs dans les sociétés européennes. Le courant intégrationniste avait débuté au 18e siècle avec Moses Mendelsohn, mais son échec a renforcé le souhait des Juifs d’aller en Palestine. Surtout que l’Europe Orientale était considérée de plus en plus comme une solution temporaire à la situation grave de la population juive, au danger physique qu’elle courait dans cette partie de l’Europe, notamment en Russie. »

    L’apparition d’un courant soutenant l’idée de l’émigration parmi les Juifs de Roumanie a mené à la prolifération des organisations qui ont mis au point des plans pour mettre en pratique cette idée. Liviu Rotman explique: « Toute une série d’événements a été organisée, toute sorte d’organisations ont fait leur apparition, y compris en Roumanie et notamment en Moldavie, des organisations qui militaient pour le retour en Palestine et la constitution de collectivités agricoles. C’était quelque chose de nouveau, parce que le travail agricole n’était pas spécifique aux communautés juives. Des sociétés juives existaient aussi dans le sud du pays, notamment à Bucarest, ainsi que dans les villes portuaires telles Galati, qui est en Moldavie, Braila, Turnu Severin. Certes, les sociétés moldaves étaient les plus nombreuses. Les plus fortes étaient à Barlad et à Moinesti. C’est au sein de ces organisations juives appelées « steteluri » du mot hebreu « chtetl » (bourgade) qu’une solution était cherchée. L’intégration était un échec. D’ailleurs, dans la Constitution de 1866, les Juifs se sont vus refuser la nationalité roumaine. On ne peut parler d’un mouvement sioniste que pendant la dernière décennie du 19e siècle, suite au Congrès de Bâle et des textes de Theodor Herzl, dont le plus connu était celui du «pays ancien nouveau », concept dont il est l’auteur. Quelle était la différence entre les anciennes organisations et Herzl, puisqu’en fin de compte, ils militaient tous pour la même chose ? Herzl est le premier à promouvoir la solution politique, celle d’un Etat qu’il nomme « le foyer national juif ». Le congrès de Focsani, qui a été une réussite exceptionnelle de ces organisations, demandait une seule et unique chose : la venue des Juifs en Palestine et le travail agricole, sans mentionner d’autre structure politique. »

    De l’avis des historiens, la participation au congrès était assez importante. Les délégués représentaient 70 mille militants, en fait un tiers du total des Juifs roumains. Liviu Rotman explique aussi qu’après les discours, les participants au congrès sont passés à l’action. « Au sujet du congrès de Focsani, je dirais qu’il a réuni 56 délégués de 29 localités, soit une cinquantaine de sociétés qui demandaient l’émigration en Palestine. Concrètement, un départ a été organisé en 1882, quelques mois seulement après le congrès, à bord d’un bateau appelé « Tethis ». Il s’agissait de Juifs surtout de Moinesti, 228 au total. Une fois arrivés en Israël, ils ont fondé deux localités : Rosh Pina et Zihron Iacov, qui existent de nos jours encore. Et voilà que le congrès n’a pas été uniquement un débat théorique, il a été suivi par des actions concrètes. Il faut tenir compte du fait que la mise en pratique des décisions n’était pas simple à faire. Le chemin était difficile, les Juifs arrivaient dans un pays qui n’était pas l’accueillant Etat hébreu d’aujourd’hui, avec une économie performante. C’était uniquement un bout de désert. A cela venait s’ajouter le manque de ressources financières, puisque je dois souligner que la plupart de ces émigrants étaient en fait des gens très pauvres. » Quelle était l’orientation politique des participants au congrès ? Réponse avec le même Liviu Rotman : « Les plus nombreux étaient des gens de gauche qu’il serait exagéré d’appeler « socialistes », même si certains d’être eux se proclamaient ainsi. D’autres étaient d’orientation libérale, mais généralement c’étaient des personnes de gauche, ou de centre-gauche selon le langage actuel. Mais à l’époque, ils étaient moins préoccupés par le paysage politique des localités où ils allaient s’installer. Ils souhaitaient tout simplement partir, s’établir dans un endroit où ils allaient labourer la terre, en Palestine. Et c’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait. »

    Le grand congrès des Juifs de Roumanie, tenu à Focsani les 30 et 31 décembre 1881, a été un des premiers événements organisés en vue de la récupération de la patrie jadis perdue. Dans l’histoire du sionisme, les Juifs roumains figurent parmi les pionniers de l’Etat d’Israël d’aujourd’hui. (Steliu Lambru/Valentina, Alexandru)

  • Les débuts de la déportation des Juifs de Roumanie

    Les débuts de la déportation des Juifs de Roumanie

    Même sort, dans les camps nazis, pour 130.000 autres Juifs de la Transylvanie du nord, territoire entré dans la composition de la Hongrie en 1940.

    La « chasse » aux Juifs commence en 1937, lorsque le gouvernement de l’époque adopta la loi raciale. Le 21 janvier 1938, le Décret 169 révise la nationalité roumaine et 225.222 personnes, c’est-à-dire 36,5% des Juifs roumains, la perdent. La persécution des Juifs continue à l’époque du gouvernement germanophile dirigé par Ion Gigurtu à partir de l’été 1940. Le 8 août 1940, suite à une proposition du premier ministre Gigurtu, le roi Carol II signe le Décret – loi portant sur l’état juridique des habitants juifs de la Roumanie. Le document introduit des mesures discriminatoires pour les Juifs roumains, dont l’inégalité devant la loi, les obligations fiscales ou le travail physique, l’interdiction d’acquérir des propriétés, leur élimination de l’appareil administratif, la ségrégation dans l’enseignement ou encore l’interdiction de porter des noms roumains. Un second décret interdit de manière explicite les mariages mixtes, sous peine de prison ferme de 2 à 5 ans.

    Le 23 août 1939, l’Allemagne nazie et l’Union Soviétique signent le célèbre pacte Ribbentrop-Molotov et se partagent les territoires des pays de l’Europe de l’Est. Par la suite, les 26 et 27 juin 1940, l’Union Soviétique adresse deux ultimatums à la Roumanie, lui demandant de lui céder la Bessarabie et la Bucovine du Nord. Au cours du retrait de l’armée et de l’administration roumaines et l’entrée des Soviétiques, une partie de la population juive des villes de Bessarabie a hué et attaqué l’armée roumaine et applaudi les troupes soviétiques. C’est une raison de plus de poursuivre les persécutions des Juifs sur l’ensemble du territoire roumain.

    Au moment où la Roumanie reprend le contrôle sur la Bessarabie et la Bucovine du Nord, à l’été 1941, les politiques antisémites deviennent plus systématiques. Le calvaire des Juifs roumains commence le 9 octobre 1941.

    L’historien Andrei Oişteanu explique pourquoi le 9 octobre est devenu la Journée de l’Holocauste en Roumanie: «Par la décision du Parlement de la Roumanie, le 9 octobre, est devenu la journée nationale de la commémoration de l’Holocauste en Roumanie. C’est une date importante non seulement pour les Juifs, mais pour tous les habitants de ce pays. J’ai fait moi-même partie du conseil qui a décidé de cette journée pour marquer le chapitre roumain sur l’Holocauste. Nous n’avons pas voulu que ce soit en janvier, lorsque l’on marque la Journée mondiale de l’Holocauste. Et pour cause. En Roumanie ce n’est pas l’Holocauste européen qui est nié, minimisé ou traité de trivial, mais le chapitre roumain. Par conséquent, nous avons préféré mettre en évidence le 9 octobre, une date qui figure dans les documents. Voici un fragment de l’ordre du préfet de Bucovine qui témoigne du fait que la déportation des Juifs de Bucovine et puis de Bessarabie dans les camps de Transnistrie a démarré le 9 octobre 1941 : «Ce 9 octobre 1941 part en train la population juive des communes de Iţcani et Burdujeni, ainsi que celle de la ville de Suceva». »

    La route vers la Transnistrie est une route vers la mort. Mais les trains de la mort commencent à quitter les gares roumaines depuis déjà le mois de juin 1941, lorsque les autorités militaires et civiles roumaines ont organisé et dirigé le pogrom de Iaşi, chef-lieu de la province de Moldavie. Une action qui cause la mort de 13.000 Juifs. Sur les plaques commémoratives se trouvant dans les gares et les synagogues des villes de Rădăuţi, Vatra Dornei, Câmpulung Moldovenesc, Gura Humorului et Suceava on peut lire que l’automne 1941, 91.845 Juifs ont été déportés de Bucovine suite à l’ordre d’Ion Antonescu, le premier ministre de l’époque. De même, pendant ces déportations de Bucovine, le maire de la ville de Cernauti, Traian Popovici, se fait remarquer en sauvant de la déportation quelque 19.000 personnes.

    L’historien Andrei Oişteanu évoque les débuts du génocide juif d’il y a 75 ans: «Ils sont partis de la gare de Burdujeni, dans des wagons de marchandises. Ceux qui boitaient ont été fusillés et laissés au bord de la route. C’est pourquoi Goebbels avait noté dans son journal que les Roumains ne savaient pas bien organiser un génocide, laissant les morts derrière, ce qui donnait naissance aux infections et aux maladies. Bien sûr, les Juifs ont été pillés, toute leur fortune a été prise, ils ont même dû remettre les clefs de leurs maisons, tout leur argent et leurs bijoux. D’ailleurs, ce même ordre disait que ceux qui cachaient les biens de valeur seraient fusillés. En fin de compte, les Juifs qui ne sont pas morts en route sont arrivés dans les camps où ils n’ont pas été envoyés dans des chambres à gaz, mais ils ont été fusillés ou ils sont morts à cause des maladies et de la famine qui régnaient dans les camps de concentration.»

    Les Juifs de Bessarabie connaissent les mêmes persécutions. En octobre 1941 des ghettos et des camps de travaux forcés sont créés dans plus de 150 localités. Entre octobre 1941 et août 1942, 150.000 Juifs du nord de la Roumanie y sont déportés. Environ 50.000 survivent. Les Juifs de Bessarabie sont assignés aux travaux forcés, notamment à la construction de routes. C’est la situation des enfants qui est la plus impressionnante, la plupart perdant leurs parents et leurs proches. 22% des déportés sont des enfants. Environ 20.000 enfants perdent la vie à cause de la faim, du froid et des maladies. Le 9 octobre 1941, c’est le commencement de la fin pour les quelque 700.000 personnes de la minorité juive de la Grande Roumanie. (Trad. Valentina Beleavski)

  • Elie Wiesel et la mémoire de la Shoah

    Elie Wiesel et la mémoire de la Shoah

    Celui qui nous a quittés le 2 juillet 2016, à New York, était venu au monde 88 années plus tôt, le 30 septembre 1928, à Sighetu Marmaţiei, la ville la plus septentrionale de la Roumanie actuelle. Cest de là que lui et sa famille furent embarqués dans les trains qui allaient transporter des millions de personnes vers les camps de la mort. Quelque 6 millions de Juifs, dont 400 mille originaires de Roumanie ou des territoires administrés par la Roumanie entre 1941 et 1944, ont trouvé leur fin dans cette campagne dextermination de masse. En mai 1944, les autorités de la Transylvanie du nord, annexée par la Hongrie suite au Diktat de Vienne du 30 août 1940, font déporter Elie Wiesel, alors âgé de 15 ans, de même que ses deux parents et ses trois sœurs. Ils sont tous emmenés à Auschwitz doù seul le garçon et ses deux sœurs aînées sortiront en mai 1944.



    Une expérience terrifiante, racontée par Elie Wiesel dans son volume de mémoires, « La Nuit », traduit dans une trentaine de langues. Ses écrits, ainsi que toute son activité contre loubli, contre leffacement de la barbarie que fut la Shoah, de même que son combat de décennies contre les politiques et les régimes génocidaires du monde entier, ont valu à Elie Wiesel le Nobel de la Paix, en 1986. Elie Wiesel a parlé au monde entier de ses propres souffrances et des celles du peuple juif à lépoque de la Seconde guerre mondiale afin que jamais elles ne puissent se répéter pour dautres gens, pour dautres peuples, pour dautres pays. Son héritage est, avant tout, celui du civisme et des idéaux de respect et de tolérance pour la diversité.



    Alexandru Florian est le directeur de lInstitut roumain pour létude de lHolocauste, qui porte justement le nom dElie Wiesel. La disparition de ce dernier est une immense perte symbolique pour lhumanité, dit Alexandru Florian : « Si en 1986, lorsquil se voyait attribuer le Nobel de la Paix, Elie Wiesel était surnommé le messager de lhumanité, je pense quil nest nullement excessif daffirmer que sa mort laisse un vide. Après ce qui lui est arrivé à Auschwitz, Elie Wiesel a consacré toute sa vie à la mémoire de la Shoah ainsi quà lactivisme pour les droits et les libertés des habitants de cette planète, où quils se trouvent. Il a mené un combat équilibré, constant et assidu pour que chacun de nous comprenne que ce qui sest passé avec les Juifs lors de la Seconde guerre mondiale a été une tragédie criminelle qui ne doit plus se répéter. De ce fait, il sest activement impliqué dans la condamnation des grands génocides du 20e siècle, tel celui du Rwanda. Alors, effectivement, pour les militants en faveur des droits humains, pour chacun dentre nous, la mort dElie Wiesel est une grande perte. »



    Quelle est, dans ces conditions, la force symbolique de lhéritage dElie Wiesel ? Alexandru Florian : « Pour tous ceux qui préparent ou participent à des actions dextermination ou des crimes contre lhumanité, je pense que la vie dElie Wiesel ne peut être quune entrave, un frein pour leurs actions criminelles. Pour de telles personnes que je ne saurais appeler des êtres humains, Elie Wiesel na pas existé et ils ne veulent pas que des gens tels Elie Wiesel existent. En Roumanie aussi, certains ont mis en cause la qualité de survivant de la Shoah dElie Wiesel et ont propagé toute sorte de mythes négationnistes afin de minimiser son rôle et damoindrir les actions dans lesquelles il sinvestissait. »



    Tous ceux qui ont porté le fardeau de la souffrance, tous ceux qui chérissent la tolérance et la paix souhaitent que lhumanité apprenne de son passé, quelle tire des leçons de lhistoire. En fin de compte, la Shoah est-elle vraiment irrépétable, vu tout ce qui se passe actuellement dans le monde ? Alexandru Florian, directeur de lInstitut roumain pour létude de lHolocauste : « Vous savez quen politique, il nest pas souhaitable dutiliser le vocable jamais ou de décréter que telle chose est impossible. Je ne mavancerais pas à dire quune telle tragédie ne peut plus se reproduire, je ne pourrais laffirmer de manière catégorique. Selon moi, toutefois, il serait très difficile, aujourdhui, au 21e siècle, de détruire à nouveau un groupe de populations par des politiques denvergure comme celles mises en œuvre lors de la Deuxième guerre mondiale. Justement, je pense que lactivité civique dElie Wiesel a beaucoup contribué à cet état de fait. Il a été épaulé, en ce sens, par les politiciens éclairés ayant régi lEurope après la deuxième conflagration mondiale et qui ont fait valoir la raison, lhumanité et la retenue en situation de crise. Je pense que des désastres tels la Seconde guerre mondiale ne sont pas impossibles, de nos jours, mais le risque quils se produisent est moindre. Noublions pas que nous avons plus de 70 années de paix en Europe, même si certains pays de la région ont connu des conflits ou des guerres civiles ».



    En 2004, Alexandru Florian rencontrait Elie Wiesel, pour un court dialogue qui a marqué directeur de lInstitut roumain pour létude de lHolocauste : « Nous nous sommes rencontrés lors dune réunion de la Commission internationale pour létude de la Shoah en Roumanie, dont il était le président et moi jétais un des membres. Cet organisme avait alors conclu ses travaux et remettait ses conclusions au président roumain de lépoque, Ion Iliescu. Ce fut un privilège de mentretenir avec M. Wiesel en privé et jai été profondément marqué par léquilibre, la chaleur et lhumanité que cet homme et ses paroles émanaient. Dans le même temps, moi-même et nous tous nous avons été motivés par la détermination avec laquelle il agissait en faveur de la mémoire de la Shoah ainsi que pour barrer laccès au rênes du pouvoir de tout Etat, quel quil soit, de politiciens criminels tels ceux qui ont orchestré la Seconde guerre mondiale. »



    Le monde actuel saura-t-il éviter les pièges des erreurs du passé ? Elie Wiesel nous a quittés, mais rien ne garantit que lhumanité saura se conduire sans plus avoir besoin de personnalités ou dexpériences comme les siennes. (trad. Andrei Popov)


  • La composante antisémite de la révolte paysanne de 1907

    La composante antisémite de la révolte paysanne de 1907

    Considérée comme la dernière rébellion d’envergure en Europe, la révolte paysanne de 1907 à éclaté dans le nord-est de la Roumanie, dans les conditions où, au début du 19e siècle, le servage avait été réintroduit en Roumanie, l’agriculture pastorale ayant été transformée en une agriculture destinée aux exportations. Cette dépendance des paysans vis-à-vis des propriétaires des terres qu’ils habitaient a été de nouveau abolie suite à la réforme agraire de 1864, qui transformait définitivement ces terres en propriété privée. Près de 60% de la superficie totale des terres arables se trouvant en possession des grands propriétaires fonciers étaient affermés. Le métayer payait une somme fixe pour les terres qu’ils administrait et essayait d’obtenir un profit aussi grand que possible en exploitant les paysans. C’était là une des causes du mécontentement général au sein de la population rurale.

    L’historien Alin Ciupală explique : « La révolte de 1907 a provoqué un véritable choc dans la société roumaine, non seulement par son ampleur, mais aussi parce qu’elle mettait en évidence de manière violente les échec de la société et du processus de modernisation qu’elle traversait à l’époque. Il ne faut pas oublier que moins d’un an avant le déclenchement de la révolte, une exposition avait été ouverte dans le parc Carol de Bucarest, pour montrer aux Roumains et à l’Europe les réalisations obtenues par la société roumaine pendant le règne de Carol Ier, entre 1866-1906. Ces deux événements – l’exposition de 1906 et la révolte de 1907 – montrent aussi bien les réussites, les réalisations de la société roumaine, que ses inadvertances, ses contradictions et ses échecs. »

    La révolte sanglante des paysans a éclaté le 21 février 1907, dans la localité de Flămânzi, du comté de Botoşani, pour toucher par la suite l’ensemble du pays. La révolte fut étouffée par le gouvernement de l’époque, qui eut recours à la répression armée. Cette révolte paysanne réprimée violemment a acquis une teinte antisémite, certains étant d’avis que les métayers juifs étaient responsables de l’exploitation des paysans roumains. De l’avis de Alin Ciupală, c’est là une façon simpliste de voir les choses : « Si l’on considère cet événement d’un point de vue plus général, on constate qu’en fait ses causes sont beaucoup plus complexes, plus nuancées et l’on ne saurait faire des excès des métayers juifs la principale cause de la révolte. D’ailleurs, si l’on analyse les chiffres statistiques dont on dispose, on constate que ce n’étaient pas les Juifs qui dominaient le système d’affermage de Roumanie. On trouvera un nombre tout aussi grand de Roumains et quelques Occidentaux venus s’enrichir, car dans les conditions où l’économie de la société roumaine était essentiellement agraire, l’affermage représentait un moyen profitable d’exploitation de la terre.»

    La révolte de 1907 est importante aussi parce qu’elle rend compte de l’ampleur de l’antisémitisme au sein de la société roumaine. Alin Ciupală : « C’est, on dirait, une sorte d’affaire Dreyfus. Quelques dizaines d’années auparavant, l’affaire Dreyfus avait mis en évidence l’antisémitisme de la société de l’époque en France, et il en fut de même pour la révolte paysanne de 1907 en Roumanie. La révolte de 1907 est un élément important pour comprendre non seulement l’ampleur du problème agraire en Roumanie – peut-être le plus grave de la société roumaine – mais aussi l’antisémitisme roumain. »

    Il y a eu des voix qui ont mis en doute le caractère exclusivement paysan de la révolte de 1907. Alin Ciupală explique pourquoi : « C’est une interprétation véhiculée notamment pendant le régime communiste, qui souhaitait présenter cet événement comme une protestation générale des exploités contre les exploiteurs. Pas du tout ! Ce fut un soulèvement essentiellement paysan. Il est également très important de remarquer que ce ne sont pas les couches les plus pauvres des villages qui se sont révoltées, mais les couches moyennes de la paysannerie, qui possédaient des terres, plus ou moins. Ce qui prouve que la révolte n’a pas eu pour origine les rapports de propriété, ce n’est donc pas le fait que les paysans n’avaient pas de terre qui en a été la principale cause. »

    Entre le 21 février et le 29 mars 1907, le nombre de soldats mobilisés pour réprimer la révolte s’est chiffré à 140 mille. Selon des sources de l’historiographie occidentale, 11 personnes ont été tuées. Il paraît que le chiffre réel n’a pas été si élevé. Selon Alin Ciupală, ce n’est pas tellement le bilan exact des victimes qui est important, mais plutôt la réaction inadéquate des autorités, dans un conflit du XXe siècle, réaction qui rappelle le monde médiéval : « Les paysans, d’un côté et les autorités de l’autre ont été les principaux acteurs de cet événement. La position du gouvernement, notamment durant les premières semaines, a été très dure, en raison de la panique déclenchée par la rébellion. La révolte avait éclaté soudainement, prenant la société roumaine au dépourvu. Elle a touché notamment la Moldavie. Ce fut la panique générale, la société était en proie à une véritable psychose, ce qui explique les excès dont les autorités se sont rendues coupables. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Ionel Brătianu, allait tâcher de diminuer ces excès, il allait nommer de nouveaux préfets dans les comptés touchés par la révolte, dont Constantin Stere, qui a joué un rôle important en Moldavie pour calmer les esprits et mettre un terme à l’intervention armée. »

    La principale cause de la révolte de 1907 reste donc le fonctionnement défectueux du système d’administration locale pour différentes raisons, dont la corruption. Les enquêtes demandées par le gouvernement libéral de l’époque ont prouvé que ce n’étaient pas les abus des métayers juifs qui se trouvaient à l’origine de cette révolte paysanne, assez importante pour susciter un écho dans la presse européenne de l’époque.
    (Trad. : Dominique)

  • La première école des métiers de Bucarest

    La première école des métiers de Bucarest

    Le développement de la capitale et l’apparition des fabriques à travers le pays ont mis en évidence la nécessité de la formation aux métiers de l’artisanat. D’où la création de maintes écoles spécialisées, dont l’école des métiers baptisée ‘Le Marteau’.

    Plusieurs premières en matière de programme scolaire sont liées à celle-ci, affirme notre interlocutrice Anca Tudorancea, historienne au Centre pour la recherche sur l’histoire des Juifs de Roumanie: « L’école des métiers Le Marteau a été la première en son genre de Roumanie. L’initiative de sa création remonte à 1897. Elle a également compté parmi les premiers établissements scolaires du pays à dispenser les cours en anglais. A l’instar des autres écoles juives, primaires ou commerciales qui voient le jour dans le Bucarest du début du XX e siècle, celle-ci est née d’une nécessité. Vers la fin du siècle précédent, avaient été votées deux lois qui excluaient les élèves juifs de l’enseignement public roumain. Cette école des métiers devait donc répondre au besoin de la communauté juive d’intégrer ses membres dans la société. Le programme de cette école était tout à fait révolutionnaire pour ces temps-là. Tout d’abord parce qu’il mettait l’accent sur la pratique dans les ateliers et sur les différentes conférences de vulgarisation des savoirs. Il n’était pas rare que les apprentis ferblantiers, serruriers ou menuisier assistent à des conférences données par les meilleurs spécialistes du monde juif dans des domaines tel la musique. A un moment donné, on a même créé une fanfare de l’école. Comme les élèves bénéficiaient d’internat depuis 1909, ils avaient plus de temps à leur disposition pour cultiver d’autres habiletés aussi. Vers 1915, on leur parlait même du cinéma ou de l’histoire universelle, ce qui ne se passait pas dans les écoles de l’enseignement public.

    Le fondateur de l’école des métiers « Le Marteau » a été Adolf Solomon, propriétaire d’une fabrique de meubles en métal, de Bucarest. Son but était non seulement de former ses futures ouvriers, mais aussi et surtout d’offrir une chance aux enfants juifs habitant à proximité de l’école, à savoir dans les quartiers pauvres de Dudeşti et de Văcăreşti. Dans les années 1930, l’école accueillait aussi des enfants issus de familles chrétiennes ou musulmanes. Puisque bien de ces enfants provenaient des milieux défavorisés, l’école leur accordait des bourses. Certains recevaient même des vêtements, des fournitures scolaires et de la nourriture. L’argent nécessaire au fonctionnement de l’école avait pour source la vente des objets sortis des mains de ces élèves. Une partie de ces objets se retrouvait aussi dans les synagogues. Il s’agissait de clôtures métalliques, de candélabres, des menoras ou d’autres objets de culte spécifiques. Pourtant, bien des ornements en fer fabriqués dans les ateliers de cette école décoraient les bâtiments laïcs aussi.

    L’école fondée par Adolf Solomon se préoccupait constamment de rechercher des sources de financement, précise Anca Tudorancea : Adolf Solomon est l’initiateur de cette école, celui qui maintes fois dépensé son propre argent pour la soutenir. Certains rapports d’activité de l’école mentionnent l’existence d’une véritable communion entre les contremaîtres et les élèves. Si au début l’école comptait seulement 30 élèves, leur nombre s’est accru au fil du temps, jusqu’à atteindre une moyenne annuelle de 60 à 80. Il y eut même des années où ils étaient 150. Les difficultés n’ont pas manqué, mais en dehors de son appui financier, Adolf Solomon, rédigeait aussi des rapports et des demandes de subvention, adressées aux différentes institutions internationales, dont The Jewish Colonization Associationqui couvrait un quart des besoins financiers. L’école parvenait donc à dérouler tant bien que mal son activité. Malheureusement, dans l’intervalle 1906 – 1909, l’école a dû fermer ses portes en raison du manque de fonds, malgré ses bons résultats et le fait que les artisans qu’elle avait formés étaient arrivés à travailler même à Los Angeles et à New York.

    L’école a traversé d’autres moments difficiles aussi, comme ceux de l’occupation de 1917, lorsqu’une partie des ses locaux ont été transformés en écuries pour la cavalerie allemande. Ses anciens élèves ont toujours trouvé de l’emploi dans le pays et à l’étranger. Certains d’entre eux ont raconté combien apprécié était leur savoir-faire dans les Etats-Unis, ajoute Anca Tudorancea: Frank Silberstein écrivait en 1906 depuis Los Angeles: J’ai suivi des cours de ferblanterie à de l’Ecole « Le Marteau ». Le sort a voulu que j’arrive en Amérique. Dès mon premier jour ici j’ai senti que mon métier était mon bracelet d’or. J’y ai rencontré d’anciens camarades d’école primaire. Ils n’ont pas réussi à trouver un emploi, même s’ils parlent bien l’anglais, alors que moi, qui ne maîtrise pas la langue, j’en ai trouvé le jour même de mon arrivée. Vous imaginez combien grande est ma reconnaissance envers nos professeurs et notre chère école.

    Nationalisée en 1948, l’école des métiers « Le Marteau » de Bucarest a heureusement continué à fonctionner durant les années du communisme et même jusqu’il y a peu.

  • « Itinéraires juifs dans l’espace, le temps et l’esprit. »

    « Itinéraires juifs dans l’espace, le temps et l’esprit. »

    Bonjour à toutes et à tous! C’est l’actualité qui occupe
    cette édition. A Cluj, au centre-nord de la Roumanie, l’histoire de la
    communauté juive de cette ville fait l’objet d’un colloque international, placé
    sous le générique « Itinéraires juifs dans l’espace, le temps et
    l’esprit. » Et ce sera une page francophone que nous allons regarder de
    près. Nous nous arrêterons ensuite sur l’actualité tout court, dans la mise en
    page proposée par la presse en ligne. Tout cela dans RRI Spécial, sur Radio
    Roumanie Internationale, la voix de la diversité.



  • Témoignages de survivants d’Auschwitz

    Témoignages de survivants d’Auschwitz

    Pour les Juifs européens, le camp d’Auschwitz-Birkenau a signifié leur extermination systématique à travers un programme imaginé par lidéologie nazie. Le nombre des prisonniers tuées dans cette « fabrique de la mort » est estimé à 1 million — 1 million et demi de personnes. A commencer par le printemps 1944, les autorités hongroises ont envoyé à Auschwitz 150.000 Juifs de la Transylvanie du Nord. Pour marquer les 70 ans écoulés depuis la libération du camp, le 27 janvier 1945, nous avons puisé dans les archives de la Radio roumaine quelques témoignages de survivants de cet enfer.



    Eva Berger de Cluj a été internée avec sa mère dans une dizaine de camps de travaux forcés. Elle est restée à Auschwitz 3 jours seulement, mais cela lui a suffi pour comprendre ce qui s’y passait. L’enregistrement date de 1966.



    Eva Berger: « La droite c’était la vie, la gauche c’était la mort ! J’y fus envoyée avec ma mère, mais ils ne nous ont pas attachées par les mains, bien que nous nous ressemblions. Peut-être qu’ils ne se sont pas rendu compte que nous étions mère et fille et nous ont placées du côté droit. Nous ne savions pas ce que cela signifiait. Les autres membres de notre famille ont été envoyés du côté gauche — car nous avions des tantes, des cousins avec des enfants en bas âge, des personnes qui ne pouvaient pas servir à quelque chose et quil fallait donc exterminer. Je me suis aperçue — et je l’ai même dit à ma mère — que l’on n’y entendait aucun oiseau chanter. Il y avait là une espèce de forêt. C’était en mai-juin, pourtant il n’y avait aucun oiseau. Qu’est-ce que c’était que cette forêt où les oiseaux ne chantaient pas ? Je me suis rendu compte, plus tard, que les chambres à gaz se trouvaient là et que probablement le vent y amenait du gaz et de la fumée et les animaux et les oiseaux ne pouvaient pas y vivre. Un peu plus tard, j’ai vu aussi mon père, qu’ils ont placé du côté gauche, c’est-à-dire avec ceux qui allaient être gazés. Les Allemands ne cessaient de nous répéter : « Allez-y tranquillement. Les vieux et les enfants seront séparés des autres, c’est mieux ainsi. » Nous avons franchi ce portail sur lequel il était écrit « Arbeit macht frei » – Le travail rend libre — et je me suis dit que cela devait être une bonne chose. Nous travaillions et donc, si nous travaillions, nous allions être libres. On nous a fait entrer dans une dans baraque où on nous a coupé les cheveux ; après, je n’ai plus reconnu ma mère. Elle était tout près de moi, mais je la reconnaissais uniquement au son de sa voix car, sans cheveux, elle ressemblait à un homme. Nous nous sommes tenues par la main pour ne pas être séparées lune de lautre. J’ai eu la chance de ne rester que 3 jours à Auschwitz, au bout desquels j’ai échappé à la misère, à la famine et à toute cette horreur que je ne saurais décrire. »



    En mai 1944, Mauriţiu Sabovici de Sighetu Marmaţiei a été envoyé au ghetto de Vişeu, suite à l’occupation de la Transylvanie du Nord par l’armée de la Hongrie de Horty. En 1997, il racontait son quotidien à Auschwitz. Jeune serrurier qualifié, il avait travaillé dans une fabrique à l’extérieur du camp.



    Mauriţiu Sabovici: “La journée dans le camp de concentration commençait vers 5 heures du matin quand le gong du réveil se faisait entendre. Très vite, on passait aux lavabos et on allait prendre un petit déjeuner composé de 100 grammes de pain, dun peu de margarine et du thé ou du café. A six heures, c’était le départ pour Gleiwitz, car la fabrique se trouvait au bout d’un kilomètre ou deux de marche. On avançait par groupes et on tentait de trouver une place au milieu pour éviter à encaisser les coups des gardiens. Une fois arrivés à la fabrique, les officiers SS restaient dehors pour nous empêcher de nous enfuir et c’était aux Kapos de nous rouer de coups. Ceux-ci étaient des prisonniers allemands communistes auxquels les officiers nazis faisaient confiance et qu’ils chargeaient de nous surveiller. Parmi les Kapos, il y avait aussi des Juifs polonais qui nous traitaient très mal. Peu importait qu’on était des Juifs comme eux; ils nous en voulaient pour être arrivés dans le camp en ‘44 et non pas en ‘39, comme eux. Ils nous reprochaient d’être venus trop tard, quand le front s’écroulait déjà. Ils préféraient nous rendre la vie amère au lieu de nous aider un peu. On travaillait toute la journée pour échapper à leurs coups.”



    L’électricien Otto Sharudi de Baia Mare nous racontait en 1997 des histoires similaires à celles vécues par d’autres rescapés. C’était en juin 1944 que les Juifs de Baia Mare ont été ramassés dans un ghetto avant d’être embarqués dans des trains à destination d’Auschwitz.



    Otto Sharudi: “Le train nous a déposés à Birkenau où se trouvait le camp d’extermination. Là, il y avait aussi pas mal de Tziganes et je me rappelle que même nos commandants étaient Tziganes. Nous, on était presque un millier de personnes enfermées dans des granges, obligées à sortir le plus vite possible par une porte minuscule pour l’appel du matin. On nous faisait avancer à coups de bâton. C’est dans cette grange qu’on a passé une semaine ou deux avant que les officiers SS débarquent sur place pour chercher parmi nous des maçons, des mécaniciens et des électriciens. On s’est vu attribuer un numéro, le mien était 13034, avant de nous conduire six kilomètres plus loin, dans le camp d’Auschwitz. On était 16 électriciens au total et on a été emmené dans un atelier. C’était un grand atelier avec des piliers sur lesquels on devait grimper pour tirer les câbles électriques. Quant à moi, je me souviens davoir été obligé à vérifier la clôture électrique.”



    Très peu didéologies ont réussi à mettre dans un seul mot a substance même du crime comme l’a fait le nazisme. Même de nous jours, le mot Auschwitz donne des frissons dans le dos à tout être humain rationnel. (Aut.: Steliu Lambru; Trad.: Ioana Stăncescu, Dominique)

  • 70 ans depuis la déportation des Juifs du nord de la Transylvanie

    70 ans depuis la déportation des Juifs du nord de la Transylvanie

    Le 19 mars 1944, Hitler ordonnait à l’armée nazie d’occuper la Hongrie et faisait installer à grands renforts un nouveau gouvernement porté par le Parti des Croix fléchées, de la mouvance fasciste et antisémite. De son nom de code « Margaret », cette opération avait été conçue par le Reich afin d’éviter une éventuelle sortie précipitée de la Hongrie de la conflagration, comme cela avait été le cas pour l’Italie en 1943. Un plan similaire d’occupation de la Roumanie devait également être mis en œuvre — l’ambassadeur hitlérien à Bucarest, Manfred von Killinger, avait déjà sur son bureau l’opération « Margaret II »…



    L’arrivée au pouvoir des Croix fléchées dirigées par Ferenc Szálasi a provoqué une vague massive de persécutions antisémites dans le nord de la Transylvanie, occupée alors par la Hongrie en vertu de l’arbitrage de Vienne du 30 août 1940. Selon les sources, en seulement quatre mois, de mai à octobre 1944, 150 à 200 mille Juifs ont péri dans les camps de concentration nazis. Une quinzaine de milliers d’entre eux avaient déjà été déportés entre 1941 et 1944. Au cœur de la Hongrie, des centaines de Juifs ne sont même pas arrivés dans les camps d’extermination, étant sommairement exécutés et jetés dans le Danube.



    70 ans sont passés depuis les premières persécutions antisémites du nord de la Transylvanie. La population magyare et roumaine des lieux tentait tant bien que mal d’aider, voire de cacher, ces opprimés. En 1941, Gheorghe Moldovan était élève à Brasov, région administrée toujours par Bucarest. En 1997, il a raconté au Centre d’histoire orale de la Radio roumaine comment une organisation de défense des Juifs avait vu le jour : « Après que la Transylvanie du nord est passée à la Hongrie, la maison du prêtre Macavei de Blaj a accueilli plusieurs réfugiés de Gherla, dont le professeur Mihali Semproniu et son épouse Natalia. Nous habitions tous le même immeuble, au centre de Brasov. C’était des gens extraordinaires, de bons patriotes qui avaient créé une association. Ils aidaient les Juifs de la Transylvanie devenue hongroise et de Roumanie. C’est le professeur Semproniu qui dirigeait cette association et je m’y investissais aussi. J’étais celui qui se rendait chez des familles juives pour les convoquer aux réunions, organisées régulièrement. Je visitais les Veiss, Grun, Holtzinger et Menden. D’autres personnes allaient informer les autres familles car il y en avait un certain nombre. Les gens se réunissaient notamment chez le professeur Semproniu, et parfois ailleurs ».



    Les organisateurs passaient la frontière pour rester en contact avec ceux qui avaient besoin d’aide. Parmi les petits succès de l’organisation, il convient de mentionner la protection des Juifs de Roumanie, victimes des persécutions raciales. Gheorghe Moldovan. « Le prêtre Macavei était, à l’époque, le représentant de notre pays à Budapest, car nous n’y avions pas d’ambassade. Il dirigeait un groupe de prêtres, qui recueillait des informations relatives à la situation des Roumains et des Juifs de la Transylvanie occupée. Un Juif du nord de la Transylvanie, dont j’ignorais le nom, venait à Blaj. Il passait clandestinement la frontière pour rejoindre le professeur Mihali et les autres. Ils aidaient les Juifs venant de Hongrie à entrer en Roumanie, d’où ils partaient ensuite pour Israël ou ailleurs, en quête de liberté. Ce groupe a fonctionné de 1940 à 1948. Les Juifs de Blaj étaient assez nombreux. Ils avaient aussi une synagogue. Comme ils étaient protégés par cette association, rien de mal ne leur est jamais arrivé. Ils ont pu travailler tranquillement, sans être déportés ni envoyés dans les camps de travaux forcés. Le professeur Mihali surtout était très actif. Il venait en aide à quiconque en avait besoin. Aux cotés du prêtre Macavei, il intervenait auprès de toutes les autorités, à Blaj ou dans les localités avoisinantes. C’est ainsi qu’il est parvenu à épargner à ces gens tout malheur, toute forme d’oppression. Son activité fut très intense. Madame Mihali se rendait dans le nord de la Transylvanie. Elle avait échangé la maison qu’elle possédait à Gherla contre une propriété à Bucarest. Chaque fois qu’elle venait à Sângeorgiu de Pădure, pour des cures, elle prenait contact avec les Juifs du nord de la Transylvanie et les aidait, si besoin était. »



    Gheorghe Moldovan a eu la chance de rencontrer un personnage légendaire, à savoir le diplomate suédois Raoul Wallenberg, le sauveur de milliers de Juifs de Hongrie qu’il a fait entrer en Roumanie. « Il les a tout d’abord sauvés de la déportation. Les Juifs des autres coins du pays étaient envoyés derrière le front, dans les camps de concentration, pas dans des camps d’extermination. Pour ceux du nord de la Transylvanie, l’enjeu consistait à leur éviter les camps d’extermination d’Auschwitz ou d’ailleurs. On organisait donc des passages clandestins de la frontière. J’ai moi-même fait la connaissance de cet homme, qui nous a maintes fois rendu visite et qui m’a remercié personnellement. A en juger d’après les descriptions que j’ai pu lire, c’était bien lui, Wallenberg. Un homme de haute taille, extraordinaire et très courageux. »



    Le calvaire des Juifs du nord de la Transylvanie allait prendre fin le 25 octobre 1944, lorsqu’elle fut libérée par les armées soviétique et roumaine. C’était le début d’un long chemin de retour à la dignité de l’être humain. (Trad. : Andrei Popov, Mariana Tudose)


  • Quartiers juifs de Bucarest

    Quartiers juifs de Bucarest

    Ville de commerçants et dartisans par excellence, Bucarest a grandi grâce aussi à la contribution des différents communautés ethniques qui sy sont installées. Les Juifs en sont un exemple, leur présence à Bucarest ayant été mentionnée en 1550, une centaine dannées après la première attestation documentaire de la ville. Felicia Waldman et Anca Tudorancea se sont appliquées à reconstituer lhistoire de la communauté juive de la capitale roumaine dans un livre intitulé « Histoires et images du Bucarest juif », paru aux Editions Noi Media Print.



    Felicia Waldman : « La communauté juive est mentionnée à Bucarest dès 1550, elle a donc un âge impressionnant. Une présence juive existait aussi avant cette date, mais depuis cette année-là, cest une communauté stable, même si les autorités reconnaissent les guildes juives plus tard. Les commerçants juifs sy installent au 16e siècle, en dépit de labsence dune protection venue de la part de lEtat. La plupart des Juifs de Bucarest venaient de lEmpire Byzantin et après 1550, de lEmpire Ottoman. Après leur expulsion dEspagne, nombreux sont les Séfarades qui sétablissent dans lEmpire Ottoman et qui se mettent au commerce avec lEurope Orientale et Occidentale ».



    Les Juifs introduisent à Bucarest des métiers nouveaux, inconnus de la population de la ville et qui témoignent de la diversité professionnelle au sein de la communauté. Felicia Waldman : « Cette communauté contribue aussi au développement économique de la ville, en aidant aux échanges commerciaux entre lEst et lOuest de lEurope ; ceci est très important car Bucarest trouve ainsi sa place sur la carte du continent. La présence des Juifs apporte des métiers que les habitants de la ville ne connaissaient pas. Cest le cas, par exemple, de la verrerie et de la ferblanterie, introduites par les Juifs. A la fin du 19e siècle, lorsque les toits en tôle et en tuiles commencent à remplacer ceux en échandoles, les premiers à les fabriquer étaient les Juifs. Ils étaient les seuls courageux à vouloir monter sur le toit. Et puis, cest pour la même raison quils réalisent, autour de 1897, les peintures murales dun grand nombre déglises de Bucarest ».



    Avec le temps, des faubourgs de la ville sont habités majoritairement par des Juifs, dautres sont des zones de choix pour la pratique de leurs métiers. Les faubourgs de Văcăreşti et de Dudeşti et leurs habitants pauvres sont restés dans lhistoire, tout comme le faubourg Popescului, situé quelque part, du côté de lactuelle Place Unirii, où se trouvait la synagogue la plus importante de la communauté.



    Anca Tudorancea dessine la carte des communautés juives du Vieux Bucarest : « Toutes ces occupations artisanales se plient, en fait, sur la structure sociale et professionnelle de Bucarest. On peut, pratiquement, reconstituer la présence des Juifs par faubourgs: dans la partie centrale de la ville, du côté de lavenue Victoriei (où se trouvait lélite commerciale), dans le Vieux Centre et dans la rue Lipscani, où était concentré le commerce des étoffes. Celui-ci était lié au commerce des broderies de la rue Bărăţiei ; celle-ci se prolonge imperceptiblement vers la rue Lazăr, où tout un chacun pouvait sacheter des vêtements doccasion. En continuant, on arrive petit à petit à la périphérie de la ville, du côté des avenues Dudeşti et Calea Văcăreşti, où laccès est plus difficile, où les gens plus aisés nallaient pas faire le tour des échoppes ».



    A lexception du Vieux Centre, les faubourgs historiques de la ville ne gardent plus leur ancien visage. Ils ont subi les transformations apportées par les actions de systématisation et durbanisme menées par le régime communiste. Les anciens faubourgs juifs nexistent plus que dans des photos dépoque. (Trad. : Ileana Taroi)

  • 25.05.2014

    25.05.2014

    PE — L’alliance de centre gauche regroupant le Parti social-démocrate, l’Union nationale pour le progrès de la Roumanie et le Parti conservateur, au pouvoir à Bucarest, a décroché le plus grand nombre de voix lors des élections européennes en Roumanie, avec de 41 à 43% des suffrages, selon les sondages sortie des urnes. La coalition est suivie de loin par le Parti national libéral (13 à 16%), le Parti démocrate-libéral (11 à 12%), le Parti du Mouvement populaire (6 à 8%) et l’Union démocratique des Magyars de Roumanie (6 à 7%). Le candidat indépendant, Mircea Diaconu, ancien comédien, a décroché lui aussi de 4 à 5%.


    Les réactions n’ont pas tardé. Le PSD a obtenu « un résultat exceptionnel », a estimé le premier ministre et leader de cette formation, Victor Ponta. Il a fait savoir qu’il allait proposer aux libéraux de refaire l’Union sociale-libérale, l’alliance ayant remporté les élections législatives de 2012 et dissoute suite aux querelles intestines entre les deux principaux partenaires.


    Pour sa part, le chef du PNL, Crin Antonescu, a remercié tous les Roumains ayant exprimé leurs choix lors de ce scrutin européen, et précisé que sa formation restera fidèle à ses principes, quel que soit le résultat des élections. Crin Antonescu a laissé entendre que son parti n’accepterait pas de refaire l’alliance avec les sociaux-démocrates.


    Le président du PDL, Vasile Blaga, a, lui, mis en exergue le travail des membres et des militants de sa formation, « un parti ayant subi des coups de l’intérieur et de l’extérieur » et contraint de « lutter sur plusieurs fronts, a-t-il dit.


    Notons que la présence aux urnes a été de 32,16%. Plus de 18 millions de Roumains avaient été attendus dimanche aux urnes pour désigner leurs 32 représentants au Parlement européen.




    Elections — Dans quelques circonscriptions, les Roumains ont été invités à désigner aussi cinq députés et trois sénateurs au Parlement de Bucarest, les postes concernés restant vacants pour différentes raisons. De même des élections municipales partielles se déroulent dans 19 départements du pays.



    Attaque — Le chef de la diplomatie roumaine, Titus Corlatean, a condamné en des termes catégoriques l’attaque perpétrée samedi au Musée juif de Bruxelles, qui a fait quatre morts, après le décès d’un blessé grave. La Roumanie rejette « fermement et sans équivoque » toute forme d’antisémitisme pouvant mener à de tels gestes criminels, apprend-on du ministère roumain des Affaires étrangères. A son tour, la Fédération des communautés juives de Roumanie a témoigné de sa consternation à l’égard de cet attentat, « une manifestation d’antisémitisme violent », selon elle.



    Motion — Les sénateurs et les députés roumains doivent débattre et voter lundi une motion de censure élaborée par le Parti national libéral, d’opposition. La formation politique met en cause le gouvernement dirigé par le social-démocrate Victor Ponta pour ne pas avoir éliminé l’impôt sur le profit réinvesti et pour ne pas avoir diminué de 5% les contributions pour la sécurité sociale. Cette motion de censure a été signée par 214 sénateurs et députés, tandis que le vote favorable de 287 élus est exigé pour que le document soit adopté, soit la majorité absolue des parlementaires roumaines.



    Cannes — Le film turc “Winter sleep” a remporté samedi soir la Palme dor du 67e Festival de Cannes, un prix que son réalisateur Nuri Bilge Ceylan a dédié à la jeunesse de son pays, dans le contexte des manifestations anti-gouvernementales violentes que connaît son pays, selon lAFP. Le Grand Prix du festival est revenu à “Le meraviglie” de la jeune italienne Alice Rohrwacher, 32 ans. Dans son film joue aussi une adolescente roumaine, Maria Alexandra Lungu, qui s’est glissée dans le rôle d’une des quatre filles dun couple dapiculteurs dont la vie est bouleversée par lirruption dun jeune délinquant et dune émission télévisée. Notons qu’auparavant, le court métrage roumain indépendant « Ca passe aussi à travers le mur » réalisé par Radu Jude, avait décroché la Mention spéciale du jury de la Quinzaine des réalisateurs.



    Crue — Sur le secteur roumain du Danube, la crue intervenue après les pluies diluviennes tombées en Serbie se dirige à présent vers la mer Noire, tandis que le débit du fleuve est en baisse à l’entrée dans le pays. La plupart des départements riverains sont en vigilance orange pour les crues. A certains endroits, le Danube a d’ailleurs débordé inondant des terrains cultivés, des pâturages ou des forêts, sans endommager pourtant des logements. Le temps sera pourtant chaud mais instable, selon les prévisionnistes. Il pleuvra sur tout le territoire roumain, à l’exception du sud du pays, les quantités d’eau evant dépasser les 20 à 25 litres par mètre carré. Les maximales de l’air iront de 23 à 31 degrés