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  • Les échos de la déstalinisation en Roumanie

    Les échos de la déstalinisation en Roumanie

    En 1956, 3 ans après la mort de Joseph Vissarionovich Staline, le nouveau leader soviétique, Nikita Khrouchtchev, condamnait les excès de la politique menée par le premier et prônait une autre politique. Son discours, connu comme le rapport du XXe congrès du Parti communiste de l’URSS du mois de février, document resté secret, allait être considéré comme le début de la déstalinisation. Khrouchtchev y dénonçait les pratiques ayant permis des crimes atroces, parmi les victimes figurant aussi plusieurs membres dévoués du parti et dont la fidélité envers Staline n’avait jamais été mise en doute.

    Toutefois, le rapport de Khrouchtchev dénonçait les seuls crimes de Staline contre les activistes du parti et de l’Etat, passant sous silence les crimes de masse commis par le régime stalinien. Les pays du bloc socialiste ont réservé un accueil différent à ce rapport. Alors que certains d’entre eux tentaient timidement de petites réformes, d’autres maintenaient la ligne dure du socialisme qu’ils avaient adoptée après 1945. Les contestataires de la déstalinisation entamée par Khrouchtchev saisirent l’occasion de la révolte anticommuniste qui a éclaté à l’automne 1956 en Hongrie pour montrer les risques que l’on courait en cas de politique socialiste plus détendue.

    En Roumanie, les échos du discours de Khrouchtchev ont été contradictoires, en ce se sens que le dirigeant stalinien Gheorghe Gheorghiu-Dej a maintenu sa position, au détriment de ses opposants, Miron Constantinescu et Iosif Chişinevschi. En 2002, dans une interview pour le Centre d’Histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Ştefan Bârlea racontait qu’en 1957, en sa qualité d’activiste du parti, chargé de la Jeunesse, il avait participé à la réunion pendant laquelle on avait débattu des positions exprimées par Miron Constantinescu et Iosif Chişinevschi contre Dej. Aux réunions où l’on devait décider des mesures organisationnelles ne pouvaient participer que les membres du Bureau politique, précisait Ştefan Bârlea. : « A la deuxième réunion à laquelle j’ai participé, Gheorghiu-Dej s’est absenté. C’est Nicolae Ceauşescu qui a présidé les travaux. Y étaient présents aussi Constantin Pârvulescu et quatre autres membres importants, ainsi que Liouba Chişinevschi, la femme de Iosif Chişinevschi, elle aussi impliquée dans ce conflit. Les deux contestataires, Constantinescu et Chişinevschi, n’étaient pas là. Ceauşescu a présenté la situation, secondé par Pârvulescu. J’oubliais de mentionner Alexandru Moghioroş et surtout l’acteur principal, Petre Borilă. Gheorghiu-Dej, Miron Constantinescu, Iosif Chişinevschi et Petre Borilă avaient compté parmi les participants à la réunion tenue à Moscou pendant laquelle Khrouchtchev avait dénoncé le culte de la personnalité construit autour de Staline. De l’avis de Constantinescu et de Chişinevschi, le culte de la personnalité commençait à se manifester en Roumanie aussi. Ils ont même affirmé que même Gheorghiu-Dej n’y était pas étranger, propos mal digérés par Borilă, qui les a rejetés. »

    La lutte pour le pouvoir menée au sommet du parti était certes acerbe, mais elle n’allait plus jusqu’à la liquidation physique, comme cela était arrivé du temps de Staline. Ceci étant, l’intellectuel Miron Constantinescu et son camarade Iosif Chişinevschi n’eurent à subir que le blâme et la démission des hautes fonctions qu’ils détenaient. Ştefan Bârlea: « A l’insu de Gheorghiu-Dej, les deux sont allés faire du prosélytisme au sein du Bureau politique. Ils ont cherché à gagner à leur cause Constantin Pârvulescu et Moghioroş, sans pour autant y parvenir. La situation n’a pas tardé à être mise en débat au sein du Bureau politique. Gheorghiu-Dej avait l’air d’être mis devant le fait accompli. Pârvulescu et Moghioroş ayant pris leurs distances, Miron Constantinescu et Iosif Chişinevschi se retrouvèrent isolés. Comme Miron Constantinescu s’était exprimé de manière irrévérencieuse à l’égard de Gheorghiu-Dej même devant Staline, lorsqu’il avait été question de l’évincement d’Ana Pauker, Dej a assez violemment réagi. Il a donc décidé de soumettre ce problème au plénum du Comité central. Nous avons appris du jeune Ceauşescu qu’il avait été décidé que Miron Constantinescu et Iosif Chişinevschi informent la réunion plénière de la manière dont ils avaient conçu le rapport destiné au Bureau politique. Autrement dit, on les poussait à se démasquer eux-mêmes. Il fut décidé de les écarter du Comité central et des fonctions qu’ils occupaient. Miron Constantinescu avait été un proche collaborateur de Gheorghiu-Dej et détenu des fonctions importantes au sein du parti. Miron Constantinescu et Iosif Chişinevschi ont donc échoué dans leur lutte pour le pouvoir, Gheorghiu-Dej s’étant avéré plus habile. »

    Pour conclure, disons que la déstalinisation n’a pas eu de très grands échos en Roumanie. Le fait que Gheorghe Gheorghiu-Dej ait maintenu intacte sa position de leader suprême en dit long. L’effet le plus important de la déstalinisation reste le retrait des troupes soviétiques, en 1958, événement qui n’a pas pour autant marqué un tournant dans l’évolution ultérieure de la Roumanie.

  • La Crimée – et après?

    La Crimée – et après?

    Remarquable à la fois par son efficacité et son cynisme, le rattachement de la péninsule ukrainienne de Crimée par la Fédération de Russie, a été, d’après les experts en géopolitique, un véritable chef-d’œuvre du genre. L’opération, qui a duré moins de trois semaines, n’a presque pas fait de victimes. L’invasion militaire s’est accompagnée d’un discours dans lequel Moscou a fait usage d’un tas d’arguments, apparemment sensés.



    Historiquement parlant, la Crimée avait appartenu à la Russie jusqu’en 1954, lorsque le leader soviétique de l’époque, l’Ukrainien Nikita Khrouchtchev, l’avait transférée sous l’autorité de Kiev. D’un point de vue démographique, ce ne sont ni les Ukrainiens ni les Tatares qui forment la communauté la plus forte de la péninsule, mais les ethniques russes, dont nombreux sont titulaires de passeports de la Fédération Russe. Ces derniers ayant voté, quasi unanimement, par référendum, en faveur du retour à la Russie, Moscou se doit de défendre ses citoyens contre la menace du nationalisme ukrainien. Enfin, en termes de droit international, il faut mentionner le précédent de la province serbe de Kosovo, laquelle, sous protection internationale, est sortie de sous le contrôle de Belgrade pour devenir Etat indépendant.



    A la différence de l’épisode de Crimée, les corrections appliquées auparavant par la Russie post-soviétique à ses ex – colonies avaient été bien plus brutales et inhabiles. Il a fallu mener des combats, soldés par des centaines de morts, pour que, sous la protection des troupes russes, la Transnistrie parvienne, en 1992, à se séparer, de facto, de la République de Moldova, pays à population majoritairement roumanophone. Plus tard, en 2008, lorsque les blindés de l’ancienne Armée rouge s’étaient approchés de Tbilissi, l’Abkhazie et l’Ossétie du sud allaient être découpées de la carte de la Géorgie.



    Les analystes et les chancelleries occidentales ne cachent pas leur inquiétude à l’égard du fait que l’appétit ne vienne en mangeant pour le leader du Kremlin aussi et qu’une fois revenu cet appétit, l’engouement de Moscou pour d’autres territoires ne prétende à de nouvelles offrandes. D’ailleurs, comme Poutine l’affirme lui-même, «les événements de Crimée ont représenté un examen » pour l’armée russe. Le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, a reconnu craindre que les provinces russophones et russophiles de l’est de l’Ukraine ne deviennent les futures cibles



    En ce qui le concerne, le président de la Roumanie, Traian Băsescu, partage les angoisses des communautés européenne et euro-atlantique : « Nous ne pouvons plus considérer comme incidents isolés les événements de 2008, lorsque la Fédération de Russie avait occupé l’Abkhazie et l’Ossétie du sud. Maintenant, nous avons les événements d’Ukraine et tout homme politique, tout stratège doit se demander à quoi ou à qui ce sera le tour. Serait-ce la Transnistrie, la République de Moldavie ? Ces questions, n’importe qui peut se les poser. La nature imprédictible de la Fédération de Russie nous oblige à examiner les différentes variantes et possibilités de réaction. »



    Le premier ministre de la République de Moldavie, Iurie Leancă, a, lui, réaffirmé sa préoccupation quant aux possibles répercussions sur son pays du précédent créé en Ukraine. Malheureusement, le régime sécessionniste transnistrien peut engendrer de telles situations, par le biais des décisions unilatérales” — a-t-il mis en garde.



    Ces ressemblances entre l’Ukraine et la République de Moldavie ne semblent pas convaincre l’analyste militaire Cornel Codiţă, général de réserve de l’armée roumaine : « Ces deux Etats sont très différents du point de vue politique, historique, juridique et légal. Bien des gens ont certainement pensé qu’après la Crimée ce serait le tour de la Transnistrie. A mon avis, ce mouvement de la Russie engendre suffisamment de problèmes pour que des épisodes comme celui-ci ne se reproduisent plus, du moins pour un certain temps. Par ailleurs, l’Ukraine est un objectif stratégique pour la Russie, alors que la Transnistrie ou la République de Moldova ne sont que des éléments secondaires d’une politique que Moscou va de toute façon mettre en place. »



    Serait-il possible que Chişinău se mette à l’abri, sous l’ombrelle de l’UE et de l’OTAN ? D’une part, les accords d’association et de libre-échange avec l’UE, paraphés à l’automne dernier, pourraient être signés sous peu ; de l’autre, la Constitution moldave exclut l’appartenance de la République de Moldavie à une alliance militaire. Toutefois, après l’épisode de Crimée, d’aucuns ont affirmé que tabou est synonyme de désuet.



    Cornel Codiţă : «L’UE a réagi en accélérant le processus d’association. Il est fort probable qu’un éventuel parcours en direction de l’OTAN reste un problème interne, essentiellement politique, de la République de Moldavie. Ce n’est qu’après avoir reçu une position claire et nette de la part de Chisinau que l’on pourra dire si, oui ou non, ce parcours est crédible, s’il se réalisera vite, lentement ou pas du tout. »



    Pour l’instant, le grand défi qui se pose devant Poutine c’est la Crimée elle-même, vu les retombées de nature financière de son rattachement, affirment les experts du centre d’analyse Early Warning de Bucarest. Les coûts de l’invasion militaire proprement-dite pourraient atteindre les 9 milliards de dollars. Les pensions de retraite et les salaires des fonctionnaires de Crimée, désormais employés de l’Etat russe, dépassent les 15 milliards, dans le contexte où les dépenses annuelles du gouvernement fédéral de Moscou avoisinent les 400 milliards de dollars. Poutine, qui nous a démontré que le prestige l’emporte sur les coûts, est prêt à prendre ce risque au nom de la grandeur, note encore Early Warning. Quoi qu’il en soit, les Russes se félicitent de la décision de leurs leaders au sujet de la Crimée, mais, tôt ou tard, l’inflation finira par leur faire changer d’attitude. Les analystes concluent, à ce que l’addition pour la Crimée risque d’être salée. (trad. Mariana Tudose)