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  • Étienne le Grand et la bataille de Codrii Cosminului

    Étienne le Grand et la bataille de Codrii Cosminului

    L’historien roumain Liviu Câmpeanu découvrait à
    Berlin, en 2012, dans les Archives d’État secrètes de l’héritage culturel
    prussien, le journal manuscrit de Liborius Nacker, secrétaire général de
    l’Ordre Teutonique. Datant de la fin du XVème siècle, ce document – dont les
    historiens étaient déjà au courant de son existence – se réfère à la
    contribution des chevaliers Teutoniques, proches du roi polonais Jean Ier
    Albert Jagellon, à la campagne militaire menée par celui-ci contre le prince de
    Moldavie, Étienne le Grand.

    Les documents, mis au jour par Liviu Câmpeanu,
    apportent des nouvelles nuances à la campagne soldée par la célèbre défaite des
    Polonais lors de la bataille de Codrii Cosminului (la forêt de Cosmin). Ils
    furent aussi une source d’inspiration pour l’historien qui s’en est servi pour
    écrire l’ouvrage « Cruciada contra
    lui Ștefan cel Mare. Codrii Cosminului
    1497/La Croisade contre Étienne le Grand. La forêt de Cosmin 1497 »,
    paru aux éditions Humanitas. Le livre rend aussi une image plus complexe et
    plus minutieuse du voïvode moldave. Sujet d’une intense mythification dans
    l’historiographie communiste, canonisé déjà par l’Église orthodoxe roumaine sous le nom d’Étienne le Grand et
    le Saint, le prince moldave et son très long
    règne (1457 – 1504) font l’objet d’une analyse plus complète et plus objective
    dans le livre de Liviu Câmpeanu, qui ne met pas en question ses réalisations
    remarquables.

    Un exemple en serait l’attitude d’Étienne le Grand envers la Sublime
    Porte, le voïvode étant généralement considéré comme un ennemi irréductible et
    de longue date des Ottomans. Liviu Câmpeanu ajoute d’autres nuances à cette
    image: Pour les historiens, ce ne sont pas des choses nouvelles, mais le grand
    public, habitué à l’image de croisé d’Étienne le Grand, construite
    systématiquement depuis une trentaine d’années, est probablement choqué
    d’apprendre que le prince avait été en fait un allié du sultan. Sur ses 47 années
    de règne, Étienne le Grand avait fait la guerre contre les Turcs pendant 13 ans,
    dont seulement trois avaient été ponctuées par des campagnes militaires massives ou
    des invasions ottomanes massives, déroulées deux mois par an en moyenne. Tout
    compte fait, il s’était réellement et ouvertement battu contre l’empire Ottoman
    pendant 6 mois, tandis que l’état de guerre avait durée environ 13 ans. Durant les autres années jusqu’à 47, Étienne le Grand avait été un allié du sultan.



    L’alliance avec l’empire Ottoman, ainsi que l’état
    de belligérance dépendaient beaucoup de conjonctures bien précises et du besoin
    d’entraide de tous les États médiévaux de l’époque. La paix extrêmement
    volatile et l’atmosphère guerrière quasi permanente modifiaient les rapports de
    vassalité en fonction des intérêts et des dangers immédiats. Or la Moldavie
    d’Étienne le Grand ne faisait pas exception à cette règle en Europe Orientale
    et Centrale. Liviu Câmpeanu précise : J’essaie de présenter au public un
    résultat que j’ai obtenu grâce aux documents découverts en 2012 dans les
    archives de l’Ordre Teutonique, gardées actuellement à Berlin : la principauté de Moldavie avait commencé à payer un tribut à l’empire
    Ottoman une vingtaine d’années avant la date généralement acceptée. Donc,
    l’historiographie avait retenu 1455 ou 1456 comme année de début de ce payement.
    Les documents, que j’ai découverts, en indiquent l’année 1432. Donc Étienne le
    Grand avait respecté cette tradition, en payant pratiquement le tribut durant
    trois décennies de son glorieux règne. Peu de monde sait que même les Habsbourg
    avaient payé un tribut à l’empire Ottoman au XVIème siècle et que dans la
    seconde moitié du XVIème siècle, le roi François II de France avait été l’allié
    du sultan Soliman le Magnifique. Donc, de tels traités de paix et d’aide
    mutuelle étaient parfaitement normaux à l’époque et le voïvode moldave n’y a
    pas fait exception. Le tribut lui assurait la paix avec la Sublime Porte et
    l’aide de celle-ci dans les campagnes militaires et confrontations armées avec
    ses voisins : la Hongrie du roi Mathias Corvin, la Pologne de Casimir IV, ou
    la Valachie, déchirée par la guerre intestine que se livraient les boyards
    Drăculești et Dănești, dans la seconde moitié
    du XV siècle. Dans ce conflit intérieur, Étienne le Grand est intervenu
    plusieurs fois, parfois aussi avec le soutien ottoman.



    L’époque où Étienne le Grand affrontait l’empire
    Ottoman sur les champs de bataille a retenu une de ses victoires les plus
    remarquées, celle de janvier 1475, lorsqu’il a battu Soliman Pacha à Vaslui. Cette
    victoire lui a valu le surnom de « Champion du Christ », qu’il doit
    au Pape Sixte IV. Ultérieurement, entre 1486 et 1504, année de sa mort, le
    prince de Moldavie a suivi la politique de la Sublime Porte. Plus encore,
    l’empire Ottoman a été son allié dans le conflit qui l’a opposé au roi polonais
    Jean Ier Albert Jagellon. L’armée moldave est sortie victorieuse de la bataille
    de Codrii Cosminului (la forêt de Cosmin) en septembre 1497. Deux grands
    systèmes d’alliance s’y sont affrontés: l’Union Polono-Lituanienne et ses
    vassaux – le duché de Mazovie et l’ordre Teutonique – d’une part, la
    principauté de Moldavie et ses alliés – le royaume de Hongrie, l’empire Ottoman
    et le khanat de Crimée – de l’autre. Comment ce conflit est-il né, malgré le
    traité de Colomée, signé par Étienne le Grand en 1485, qui acceptait ainsi le
    statut de vassal de la Pologne ? Liviu Câmpeanu décrit le contexte historique: Le conflit est né justement de cette vassalité et des obligations
    assumées par Étienne le Grand et le roi polonais Casimir IV à Colomée, en 1485.
    Au fait, en 1484, le prince moldave avait perdu les forteresses de Chilia et de Cetatea
    Albă, passées entre les mains des Turcs. Il a ensuite essayé de les récupérer
    tout seul, mais il lui a été impossible. Alors il s’est tourné vers le roi de
    Pologne, qui a accepté de l’aider à condition de devenir son suzerain. La
    prestation de serment de vassalité a eu lieu en septembre 1485. Mais l’aide
    militaire fournie par Casimir IV a été insuffisante et largement inférieure aux
    attentes d’Étienne le Grand. Ensuite, en 1487, le pape a lancé une croisade
    contre les Ottomans, la Pologne étant le point de rassemblement des croisées.
    Pourtant, cette armée n’est pas partie aider Étienne le Grand, comme le
    stipulait le traité de Colomée ; le prince, à l’époque, Jean Albert, commandant suprême
    des croisés, a détourné la croisade vers la Podolie. C’est le point de rupture
    entre le voïvode moldave et les rois polonais. Après une série de conflits
    mineurs d’un côté ou de l’autre de la frontière commune, un conflit majeur a éclaté en 1497.



    La fin indécise de la campagne
    militaire du roi Jean Ier Albert Jagellon contre Étienne le Grand, les
    alliances compliquées entre les Etats de l’époque, les victoires militaires
    obtenues par le prince moldave et ses relations avec les autres monarques font
    d’Etienne le Grand un des acteurs politiques le plus importants de son temps en Europe Centrale et Orientale. (Trad. Ileana Ţăroi)