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  • La Roumanie face à la révolution d’Octobre

    La Roumanie face à la révolution d’Octobre

    Par le jeu des alliances, la Roumanie se voyait entrer, le 16 août 1916, dans la Grande Guerre, aux côtés de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie. L’aide que la Russie était censée apporter à l’armée roumaine s’était pourtant laissé attendre. Défaite sur le champ de bataille dans un premier temps, la Roumanie se voyait obligée d’évacuer sa capitale, Bucarest, les autorités décidant de se retirer dans la partie encore libre du territoire national, en Moldavie, pour continuer le combat. L’aide militaire de la Russie ne viendra qu’au début de 1917, lorsqu’un million de militaires russes vont gagner le front roumain. Avec la France pour garant, la coopération militaire entre la Roumanie et la Russie commence alors à porter ses fruits, l’alliance arrivant à stabiliser le front contre la poussée des armées conjointes des Empires centraux. Pourtant, les auspices favorables sous lesquelles débuta l’année 1917 vont tourner court très vite. La série de révolutions, qui secouaient la Russie, arrivera à mettre à mal le moral des soldats russes et en danger la chaîne de commandement de leur armée. La nouvelle tournure que les événements prenaient dans le camp allié menaçait alors non seulement la sécurité du front roumain, mais encore, par la contagion potentielle engendrée par les idées révolutionnaires, la stabilité de la société roumaine tout entière.

    Lorsque Lénine et ses comparses arrivent à s’emparer du pouvoir, la Roumanie se sent plus que jamais en danger de mort. En effet, très vite, les soldats russes, gagnés par les soviets, se muent, du jour au lendemain, d’alliés en ennemis. La Roumanie se trouvait ainsi prise en tenaille entre, d’une part, l’armée allemande et, de l’autre, ses anciens alliés, transformés en bandes armées hostiles. Et ce ne sera qu’avec grande peine que l’armée roumaine finira au par mettre l’armée russe hors d’état de nuire.L’historien Șerban Pavelescu de l’Institut d’Etudes politiques sur la Défense et l’histoire militaire, et auteur de l’ouvrage intitulé « L’allié ennemi », reprend les mémoires rédigés par deux généraux russes, Nikolai A. Monkevitz et Aleksandre N. Vinogradski, présents à l’époque sur le front roumain.

    De leurs écrits, l’on apprend la manière dont la Roumanie était arrivée à se défaire de l’emprise bolchévique. Șerban Pavelescu: « Une grande partie des troupes russes se trouvait à l’époque à l’arrière du front, avec une concentration des troupes dans la zone de Nicolina, au nord de la ville de Iasi. Dès le mois d’octobre 1917, des agitateurs bolchéviques s’étaient mis à constituer leurs comités révolutionnaires, menaçant directement de la sorte les structures étatiques et administratives roumaines et la stabilité de l’État. À partir de là, le risque d’empoignade devenait évident. Enfin, les troupes roumaines interviendront durant l’hiver 1917/1918, pour tenter de déloger et de repousser les troupes soviétiques hors des frontières nationales. C’est ainsi que, début 1918, de véritables batailles rangées se dérouleront entre les troupes roumaines et les troupes russes, devenues soviétiques. Les premières essayeront non seulement de déloger leurs anciens alliés, mais aussi de les empêcher d’emporter dans leur retraite le matériel militaire, l’armement et les munitions destinés au front. Il faut dire que ces troupes étaient très vite devenues de véritables bandes armées, constituées de hors-la-loi et occupées à piller et à mettre à sac tout ce qui les entourait. »

    La violence des agissements de ces bandes armées avait profondément marqué la mémoire des habitants de la région, et cela est encore plus vrai pour ce qui est des habitants des provinces de Bessarabie et de Bucovine. Șerban Pavelescu:« Défaites et évacuées de force par l’armée roumaine, ces bandes vont traverser la rivière Prut et se déchaineront avec une violence inouïe dans ces provinces. À la suite de cela, au mois de mars 1918, l’armée roumaine intervenait en Bessarabie, dans sa tentative de pacifier la région. Il faut dire qu’à la suite du délitement du pouvoir moscovite, la province avait choisi sa propre voie, avait organisé des élections et fait élire ses représentants. Àla suite de l’intervention de l’armée roumaine, l’ordre a pu être rétabli en Bessarabie, cela mettant du coup un terme aux ambitions hégémoniques du pouvoir soviétique sur la province. »

    Les pages laissées par les deux généraux de l’armée du Tsar abondent en détails sur la vie quotidienne des gens pendant la guerre, sans oublier de retracer la perception qu’ils avaient des événements qui ne tarderaient pas à bouleverser leurs vies. Șerban Pavelescu : « Une foule de détails ressortent de ces mémoires. Sur la manière dont l’armée russe se délitait à ce moment, par exemple. L’on assiste ainsi à la mise sous bonne garde du général Tcherbatchev, dernier commandant des troupes russes sur le front roumain, par un peloton roumain, mandaté lui assurer la sécurité personnelle. L’on assiste à la mise en place de stratégies censées déterminer les troupes russes à continuer la lutte. En effet, le gouvernement provisoire, formé à Petrograd à la suite de la révolution de février 1917, avait le plus grand mal à mobiliser ses propres troupes pour poursuivre le combat, alors même qu’il s’y était engagé devant ses alliés occidentaux. Quant aux bolcheviks, ces derniers allaient se montrer prêts à tout moment à pactiser avec l’ennemi, pourvu que cela leur permette de conserver le pouvoir. Et leur attitude défaitiste ne tardera pas à faire le plus grand mal au front roumain. »

    Malgré tout et en dépit de l’ampleur des exactions commises par les troupes bolchévisées, Șerban Pavelescu met en avant l’apaisement bénéfique que le contact de ces dernières avec les troupes et la population roumaines arrivait parfois à produire. En effet, certains soldats russes, gagnés d’abord par les idées bolchéviques, semblaient revenir à de meilleurs sentiments. Șerban Pavelescu : « Notez un élément : le degré de contamination au bolchévisme des troupes russes présentes sur le front roumain a été parmi les moins significatifs de tout le front de l’Est. C’est sans doute que leur contact avec les troupes roumaines, qui ne semblaient pas prêtes à se laisser embarquer dans l’aventure, a joué pour quelque chose. D’ailleurs, beaucoup de ces soldats russes iront par la suite rejoindre les Blancs, dans la guerre civile qui les a opposés aux Rouges. Et je ne parle pas que des officiers, des sous-officiers et des cadets, mais bien d’unités entières, qui vont embrasser la cause des Blancs. » Pendant ces années de la Grande Guerre, la Roumanie a dû affronter vaillamment les coups de butoir de l’ennemi du front et de son ancien allié, tapi derrière ses lignes. La révolution bolchévique avait, pour un instant, au pire moment, failli faire vaciller la résistance roumaine. Heureusement, sans y parvenir. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • La présence russe sur le territoire roumain durant la Grande Guerre

    La présence russe sur le territoire roumain durant la Grande Guerre


    La première
    guerre mondiale a vu la Roumanie rejoindre le camp des Alliés à
    l’été 1916. Défaite vers la fin de la même année par les
    Puissances Centrales, l’armée roumaine se voyait obligée
    d’abandonner la partie sud du territoire national, soit l’ancienne
    province historique de Valachie, avec la capitale, Bucarest, pour se
    retirer vers l’Est, en Moldavie, où elle comptait poursuivre le
    combat, aux côtés du million de militaires russes, mobilisés pour
    l’occasion. L’année suivante pourtant, en 1917, la Russie était
    frappée par des troubles internes qui allaient déboucher sur la
    Révolution bolchévique du mois d’octobre. L’armée russe,
    secouée à son tour par ces bouleversements, était dans un état de
    déliquescence.


    L’historien
    Șerban Pavelescu, chercheur à l’Institut d’études politiques
    de Défense et d’Histoire militaire, et auteur du volume intitulé
    « L’allié ennemi », vient d’éditer les mémoires
    inédits des deux généraux russes, Nikolai A. Monkevitz și
    Aleksandr N. Vinogradski, participants au front roumain durant les
    années 1917- 1918. A travers la plume de ces généraux se dessine
    l’atmosphère qui régnait pendant ces années-là, et c’est
    l’occasion d’apprendre beaucoup de choses sur la nature des
    relations humaines qui avaient cours en cette période, ou encore sur
    les nouvelles du front. Șerban Pavelescu explique la délicate
    position tenue par la Roumanie, prise en tenaille entre deux géants,
    l’ennemi allemand et l’allié russe : « La
    Roumanie s’était montrée d’emblée réticente à s’allier à
    la Russie. Il y avait un certain passif, issu de l’histoire de
    cette relation compliquée. La Roumanie s’était d’abord liée
    par un pacte secret à l’Autriche-Hongrie et à l’Allemagne en
    1883, l’objectif en étant de contrer justement le poids de ce
    voisinage menaçant que représentait le colosse russe. D’un autre
    côté, une fois la Première guerre mondiale éclatée, nous
    voulions nous allier à la France et à la Grande-Bretagne et, à
    partir de là, par le jeu des alliances, la Roumanie s’est vu
    obligée à s’allier aussi avec la Russie. »


    L’aventure
    d’une alliance pas comme les autres, qui évoluait sur la corde
    raide, parfois sous respiration artificielle, maintenue en vie grâce
    aux pressions de la France, qui avait besoin de cette alliance sur le
    front de l’Est. Șerban Pavelescu : « Les
    relations entre les deux commandements militaires, roumain et russe,
    ont été correctes au départ, même si elles n’ont pas été
    dépourvues d’aléas. Mais l’alliance militaire avait plutôt
    bien fonctionné, sans défection majeure, et cela jusqu’à la
    révolution russe du mois de février 1917. Certes, la présence et
    les démarches entreprises en ce sens par la Mission militaire
    française, dirigée par le général Henri Mathias Berthelot, ont
    compté pour beaucoup. Car la Mission française avait, d’une part,
    entrepris de former les contingents de l’armée roumaine, mais elle
    faisait beaucoup aussi en matière de bonnes offices, pour faire
    fonctionner au mieux l’alliance roumano-russe. La Mission française
    surveillait le transport des équipements, des munitions et des
    fournitures militaires, qui devaient nourrir le front, en arrivant
    par une route détournée, qui traversait la Russie, depuis la
    ville-port de Mourmansk.
    Et
    des membres de la Mission françaiseétaient
    présents tout au long de cette route, à chaque nœud ferroviaire,
    s’inquiétant de ce que le matériel arrive au complet à
    destination. »

    Malgré
    tout, les suspicions roumaines et l’arrogance russe, qui
    entichaient cette alliance de raison, n’avaient pas disparu comme
    par enchantement pour autant. Șerban Pavelescu :« Lorsqu’ils
    étaient entrés en guerre, les Russes l’avait dit haut et fort aux
    Français : pour eux, le front roumain était un non-sens, car
    indéfendable. La demande roumaine et l’engagement pris par les
    Alliés de maintenir en vie le front sud leur semblaient carrément
    intenables. Les Russes avait d’ailleurs fixé leur ligne de front
    idéale le long de la rivière Siret, excluant du coup le territoire
    roumain. Ensuite, il est clair que l’armée russe avait réagi avec
    beaucoup de lenteur, au moment où l’armée roumaine était aux
    prises avec les armées ennemies dans les Carpates, ensuite pour
    tenir le front sur les rivières Jiu et Olt. Qui plus est, les Russes
    montrèrent tardivement le bout de leur nez lors de la bataille de
    Bucarest, alors que pour la défense de la Dobroudja ils n’avaient
    envoyé que quelques unités de sacrifice, parmi lesquelles s’était
    notamment distinguée l’héroïque division serbe, qui a perdu la
    moitié de ses effectifs, sans pour autant arrêter l’avancée de
    l’ennemi. »


    Et
    s’il était évident que l’alliance roumano-russe n’était pas
    toujours au beau fixe, les volumes de mémoires des deux généraux
    montrent la bonne préparation des militaires russes engagés sur ce
    front, une armée qui disposait, paraît-il, de nourriture,
    d’armement et de munitions, et qui avait été préservée des
    conséquences des pandémies de grippe espagnole et de typhus ayant
    sévi à l’époque. Mais la révolution du mois de février 1917
    allait tout bouleverser. La propagande bolchévique avait commencé à
    faire son lit parmi les soldats russes, conduisant à la
    désorganisation des unités et de la chaîne de commande, sur fond
    de délitement de la discipline militaire. Et c’est ainsi que
    l’offensive lancée par les armées allemande et austro-hongroise à
    l’été 1917 sera arrêtée finalement par les efforts surhumains
    déployés par la seule armée roumaine, alors que dans le Nord, en
    Ukraine, des unités entières de l’armée russe désertaient et
    rendaient leurs armes face à l’ennemi. Șerban Pavelescu décrit
    l’impact de la révolution russe sur les relations entre les deux
    alliés, devenus très vite ennemis :« L’armée
    russe devient du jour au lendemain un allié très peu fiable et peu
    sûr pour les Roumains. Pas plus tard qu’à l’automne 1917,
    l’armée russe arrive à être carrément perçue comme armée
    ennemie par les autorités roumaines. En effet, une grande partie des
    troupes russes se trouve derrière le front, concentrée près de la
    ville de Iaşi, dans la zone de Nicolina. Et là, les agissements des
    bolcheviques, des comités révolutionnaires qu’ils avaient montés
    suite à la révolution d’octobre 1917, menaçaient directement les
    structures politiques et l’administration roumaine, refugiés dans
    la ville de Iasi, après l’occupation de Bucarest par les troupes
    des Puissances centrales, fin 1916. L’hiver 1917/1918 verra les
    troupes roumaines obligées de réagir à l’encontre de son ancien
    allié, pour le forcer à quitter le territoire national, et
    l’empêcher d’emporter les armes et les munitions destinées au
    front. Et c’est ainsi qu’en 1918, l’armée roumaine mènera
    plusieurs opérations de guerre contre des bandes de soldats russes,
    devenues entre temps des milices révolutionnaires, occupées à
    mettre à feu et à sang les zones qu’elles occupaient. »


    La
    fin de la guerre trouvera la Roumanie et la Russie, anciennement
    alliées, épuisés. Mais elle les retrouvera surtout engagées dans
    des voies de société différentes. L’une s’engagera sur la voie
    de la dictature communiste, l’autre sur celle de la démocratie
    libérale. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • Le centenaire de la révolution bolchevique

    Le centenaire de la révolution bolchevique

    Comme par prémonition, le journaliste américain bolchevique John Reed a intitulé son livre sur la révolution menée par Lénine Dix jours qui ébranlèrent le monde. Un titre qui allait devenir réalité cruelle. Malheureusement, après 1945 la Roumanie allait expérimenter elle aussi les idées du communisme, lequel avait ébranlé le monde comme rien d’autre ne l’avait fait jusque là.

    L’historien et politologue Ioan Stanomir nous a parlé de l’importance de la Première Guerre Mondiale, celle qui a enclenché les grands changements du siècle dernier : C’est en effet l’événement le pus important, car c’est lui qui en a entraîné d’autres, qui a provoqué des tragédies sans précédent à l’époque moderne. C’est dans la Grande Guerre que trouve sa source la révolution bolchevique, laquelle, à son tour, favorisera l’émergence du nazisme. Il s’agit donc d’une chaîne d’évènements liés à la Première Guerre Mondiale. Cette conflagration a marqué un tournant dans l’histoire de tous les pays impliqués, vainqueurs ou vaincus. La situation est paradoxale pour la Russie, care elle ne se retrouve dans aucun des deux camps. Elle reste, pratiquement, en dehors du système international. D’où le sentiment de connivence avec l’Allemagne en matière d’adversité. Cette Allemagne qui ira du traité de Rapallo au pacte germano-soviétique.

    Le communisme n’aurait pas été possible en l’absence d’une idéologie, précise Ioan Stanomir : Le communisme s’est fondé sur l’idéologie marxiste-léniniste, en fait la variante radicalisée de la pensée de Marx, greffée sur le tronc léniniste du parti révolutionnaire. A cela s’ajoutaient les variations locales telles le maoïsme, le castrisme, le polpotisme. Le marxisme-léninisme reposait sur deux axiomes: la lutte de classe et la politique comme art de la violence, de l’extermination de l’adversaire. Ces deux-là vont de paire. Marx a envisagé une superstructure d’idées: égalité sociale, justice, fraternité, calme, béatitude. Pourtant, l’approche qui sous-tendait cette superstructure excluait le compromis, considérait l’adversaire comme un ennemi et supposait la poursuite de buts utopiques, prométhéens. Les exploits prométhéens, reposant sur l’idée d’eugénisme racial ou social, produisent uniquement des catastrophes, car ils partent de la thèse selon laquelle l’humanité devant être parfaite, il faudrait en ôter tout segment imparfait. Le communisme considérait la gent ouvrière comme incarnant justement cette humanité parfaite, alors que tout opposant était un ennemi de la classe, l’exposant de l’humanité imparfaite qu’il fallait éliminer. Autant dire que la propension à la violence était intrinsèque à cette idéologie. C’est ce qui explique le fait que tous les partis se réclamant du marxisme-léninisme ont eu un caractère totalitaire.

    On a dit que le régime soviétique n’a été qu’une mauvaise application des idées lumineuses du communisme. Ioan Stanomir explique. Le marxisme pur ne peut mener qu’à une société oppressive, étant donné qu’il est l’idéologie du conflit, ce qu’on voit déjà dans le Manifeste du Parti communiste. Par contre, le marxisme révisionniste part de la possibilité de concilier les intérêts non pas par la révolution mais par le vote. Et cela débouche sur la social-démocratie. L’autre voie conduit chez Staline, via Lénine. Ce n’est pas par hasard que le marxisme-léninisme, en tant qu’unité praxiologique, a forcément mené au stalinisme. Staline a été un révolutionnaire et les historiens révisionnistes ont eu du mal à distinguer entre Staline le bon et Staline le mauvais. Or on ne saurait faire un tel raisonnement. Il n’existe qu’un seul Lénine, le père du régime totalitaire, comme il n’y a qu’un seul Staline, le léniniste. Si l’on accepte ces raisonnements, on aura une meilleure compréhension des légalités, pour utiliser le syntagme marxiste.

    La Roumanie a eu la malchance d’expérimenter le communisme 45 ans durant. Ioan Stanomir explique les particularités du communisme roumain : La conséquence directe de l’an 1917 a été la scission du mouvement socialiste en 1921. Le Komintern s’est avéré extrêmement actif en Roumanie. Profitant des inhabiletés du régime en place, il a réussi à mobiliser une petite partie des minorités nationales. Je pense qu’un des mythes qu’il faut démystifier est celui du judéo – bolchevisme. Ce mythe fondateur des mouvements de droite est toujours présent dans la mémoire de certains Roumains qui affirment que ce sont les Juifs qui amené et imposé le communisme, ce qui est tout à fait faux. Le communisme roumain a été une expérience à cheval entre répression et collaboration, à mi-chemin entre la répression des 15 ou 20 premières années et du pacte social conclu entre le régime et la société roumaine dirigée par Nicolae Ceauşescu. Vladimir Tismăneanu allait désigner cette réalité par le terme de stalinisme national. Il repose sur l’idée perverse que j’ai pu entendre à la mort du général Iulian Vlad, selon laquelle il y aurait eu deux types de police politique: celle qui avait fonctionné à l’époque de Dej, assujettie aux étrangers – entendez par là les Juifs – et celle patriotique, qui se serait donné pour mission de défendre le pays. En réalité, il n’y a eu qu’une seule police politique, la Securitate, mise au service d’un régime illégitime et criminel.

    100 ans après la naissance du communisme en tant que régime politique, l’attitude des différentes générations qui se sont succédé est plus confuse que jamais. Elle oscille entre nostalgie, anarchie, autoritarisme, lutte contre les nouvelles formes du capitalisme. Cette attitude a pourtant gardé intacte sa fascination pour un monde meilleur.

  • L’apparition du socialisme scientifique en Roumanie

    L’apparition du socialisme scientifique en Roumanie

    Malgré la brutalité qui était une de ses caractéristiques, le régime communiste a dû se forger une image humaniste, créative et pacifique. La violence de son installation devait être soutenue par des arguments qui justifient les sacrifices demandés par la marche vers le socialisme. C’est ainsi qu’est né « le socialisme scientifique », une théorie qui expliquait le bien-fondé et le caractère inévitable du socialisme, auquel toutes les sociétés allaient adhérer, tôt ou tard. Cristina Petrescu, professeur des universités à la Faculté de Sciences politiques et de l’administration de l’Université de Bucarest, fait partie de l’équipe qui a sorti « L’encyclopédie du régime communiste ».



    Pour Cristina Petrescu, c’est la volonté du parti communiste qui a fait du socialisme scientifique une discipline académique : « L’évolution de cette discipline en Roumanie a d’une part reflété la politique d’émancipation du Parti ouvrier roumain, devenu ultérieurement le Parti communiste roumain, de sous la tutelle de l’Union Soviétique à commencer de la fin des années 1950 ; d’autre part, elle a eu pour résultat la remise en page de l’histoire du parti, à travers une réévaluation des soi-disant traditions locales du mouvement ouvrier. Dans le même temps, au cours de ces décennies, ce domaine, créé et pratiqué par le biais d’un mélange d’histoire, sociologie, philosophie et économie politique, a été frappé d’une dé-professionnalisation graduelle à cause du contrôle serré du parti, seul dépositaire légitime du savoir. Le parti contrôlait tous les domaines, notamment les sciences humaines et les sciences sociales, mais le contenu du socialisme scientifique était créé par le parti. »



    La carrière du socialisme scientifique commence pourtant bien avant, Engels le transformant en symbole du marxisme qui s’arroge la découverte du noyau du monde qui nous entoure.



    Cristina Petrescu : «Ce terme puise ses origines dans l’œuvre de Proudhon, le premier à avoir formulé ce concept dans son ouvrage . C’est un concept que Marx n’a pas utilisé dans son œuvre, mais que Friedrich Engels a rendu très populaire par son ouvrage intitulé . Le premier et le troisième chapitre ont été publiés en français avec le sous-titre . La version en allemand paraît un peu plus tard, sous un titre partiellement modifié et de ce fait moins frappant, du >. »



    Le socialisme scientifique a inventé deux types de lois. Les lois de l’évolution de l’humanité tenaient du matérialisme historique, tandis que les lois des contradictions capitalistes se retrouvaient dans la loi de la plus-value. Lénine s’est appuyé sur les idées d’Engels pour inventer le marxisme-léninisme, science de l’humanité dont le parti était le seul à détenir la vérité. Parti révolutionnaire et avant-garde de la pensée, il avait pour mission de montrer ce qu’il fallait faire à une société moins préparée à comprendre les lois. Cristina Petrescu a montré que les germes de son apparition en Roumanie datent de la fin de l’époque de Gheorghe Gheorghiu-Dej, premier leader communiste de la Roumanie entre 1947 et 1964.



    Cristina Petrescu : «A l’époque de Gheorghiu-Dej, le syntagme ‘socialisme scientifique’ n’apparaît pas dans les documents officiels, mais cette discipline prend ses racines à cette époque-là. Un slogan du 3e Congrès du PMR, en 1960, dit que le moment était venu d’élaborer nos propres manuels de sciences sociales, qui doivent mettre ensemble < les idées du marxisme-léninisme et l’expérience de notre peuple>. La déclaration d’avril 1964 inclut les idées bien connues de Khrouchtchev, selon lequel chaque parti est libre de suivre son propre chemin vers le communisme. Par conséquent, le socialisme scientifique a des lois généralement valables, mais d’autre part, dans chaque pays il existe des conditions historiques concrètes qui doivent être étudiées en tant que telles. »



    Au début des années 1970, le socialisme scientifique était défini et la nouvelle direction de développement de la société roumaine vers le communisme était tracée.



    Cristina Petrescu détaille : « Le de 1973 propose une définition du socialisme scientifique qui reprend l’idée léniniste des 3 parties composantes du marxisme-léninisme. Elle parle d’une vérité généralement valable et de lois valables, ainsi que de conditions spécifiques de chaque pays qu’il faut étudier en tant que telles. Les directives de la période de Ceausescu soutiennent le développement de cette discipline. Ceauşescu continue d’appuyer la production de manuels nationaux de socialisme scientifique, en y ajoutant l’idée de la mise en valeur des traditions locales. »



    Le socialisme scientifique, transformé en dogme officiel, a envahi tous les autres domaines de l’éducation. Il a été, de loin, le cours universitaire le plus détesté, malgré le fait qu’il était appelé à révéler aux gens la vérité sur le monde, telle qu’elle était perçue par la névrose marxiste. trad. Ileana Taroi)