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  • Architecture et histoires de famille

    Architecture et histoires de famille

    L’architecture moderniste fait son apparition à Bucarest
    dans les années ’20. La date exacte serait 1926, lorsque l’architecte Marcel
    Iancu / Marcel Janco dessine son premier bâtiment : l’immeuble Herman Iancu, situé
    dans l’ancien quartier juif de la capitale roumaine. Encore debout, malgré les
    démolitions massives qui ont eu lieu dans ce coin de Bucarest durant l’époque communiste,
    c’est un édifice de type blockhaus conçu pour le père de l’architecte. C’est le
    premier projet qui atteste l’intérêt de Marcel Janco pour le modernisme, ce qui
    est d’ailleurs peu surprenant pour un jeune qui, en 1916, fondait le mouvement
    Dada au Cabaret Voltaire de Zurich. Aux côtés des poètes Tristan Tzara et Hugo
    Ball et du peintre Hans Arp, il s’inscrit dans le mouvement esthétique de l’avant-garde
    du XXe siècle. Marcel Janco était allé étudier en Suisse, en 1914, avec son
    frère. Au départ, il s’est consacré aux mathématiques et à la chimie à
    l’Université de Zurich, pour qu’en 1915 il soit admis au cours d’architecture
    de l’Ecole polytechnique. Artiste pluridisciplinaire, c’est l’un des peintres
    du mouvement Dada, qui s’est aussi fait remarquer pour ses masques. Il fait
    nombre d’illustrations pour des publications avant-gardistes et s’exerce également
    à la sculpture. De retour à Bucarest dans les années 1920, il dessine plusieurs
    bâtiments modernistes pour la nouvelle bourgeoisie de l’entre-deux-guerres. Dans
    une capitale roumaine caractérisée alors par une architecture éclectique, ses
    projets marquent le renouveau de la ville.

    Marcel Janco a projeté en tout 26
    immeubles à Bucarest, dont 20 sont encore debout. Un d’entre eux se situe tout
    près de « La Tour de feu », un ancien château d’eau utilisé autrefois
    comme tour de guet par les pompiers de Bucarest. Cet immeuble de Janco a aussi
    vu le jour grâce à l’amitié avec le futur historien des religions Mircea
    Eliade, alors le chef de file de la nouvelle génération d’artistes et d’écrivains
    roumains. Marcel Janco a imaginé le bâtiment pour la sœur d’Eliade, Corina
    Alexandrescu, peu après le mariage de celle-ci. Aujourd’hui, la maison
    appartient au fils de l’ancienne propriétaire, Sorin Alexandrescu, sémiologue
    et professeur des universités: « Cette maison a
    appartenu à mes parents. Elle a un rez-de-chaussée et deux étages. C’est ici
    que je suis né. Un mur de séparation a été rajouté dans une des pièces, pour
    accueillir les locataires imposés par le régime communiste. A l’époque, on
    avait le droit à un espace de vie de 8m² par personne. Si quelqu’un avait plus
    d’espace à la maison, on lui imposait des locataires. Chez nous habitaient deux
    autres familles dont les membres devaient traverser ma chambre pour aller à la
    cuisine ou à la salle de bain. Quand je me suis marié, j’ai dû partir. Je ne
    pouvais pas vivre avec ma femme dans une pièce de passage. Peu après, mes
    parents sont partis aussi. »



    Dans les années ’70, Sorin Alexandrescu allait
    émigrer aux Pays-Bas, où il devient professeur au département de roumain de
    l’Université d’Amsterdam. Après la révolution de 1989, il revient en Roumanie et
    il réussit à récupérer sa propriété. La maison conçue par Marcel Janco avait
    été nationalisée durant le régime communiste. Sorin Alexandrescu : « Je n’ai rien
    su de cette maison avant la révolution, quand je suis rentré. J’ai appris que
    l’on pouvait récupérer sa propriété en faisant une requête argumentée. Le
    procès en justice a été très rapide et j’ai eu gain de cause. J’ai dit aux
    locataires qu’ils pouvaient y rester en continuant de payer le même loyer
    symbolique qu’ils payaient à l’Etat. Ils ont déménagé un à un, sans que je les
    oblige. Ensuite, j’ai fait rénover la maison et j’ai loué les étages. Quelques
    années plus tard, j’ai refait des réparations, je viens d’ailleurs d’en finir
    les derniers travaux. En ce moment, c’est l’Université de Bucarest qui occupe
    le rez-de-chaussée et l’entresol, c’est là où j’habitais avant. Je leur ai mis
    à disposition l’espace et c’est le Centre d’excellence dans l’étude de l’image (CESI)
    qui tient ses cours ici. Ils ont une pièce à la Faculté de lettres et puis cet
    espace. Je suis très content, pas seulement d’avoir récupéré cette propriété,
    mais aussi de pouvoir l’utiliser pour les étudiants. L’Université est toujours
    en manque d’espace depuis la hausse du nombre d’étudiants. »



    Malgré la valeur reconnue de l’immeuble projeté par
    Marcel Janco, il ne figure pas encore sur la liste des bâtiments de patrimoine,
    mais ça ne saura tarder, nous assure Sorin Alexandrescu : « Je n’ai pas
    encore tenté d’obtenir la certification car, tout simplement, il fallait
    d’abord finir les rénovations. J’espère qu’il n’y aura pas d’empêchement pour
    obtenir la reconnaissance du bâtiment en rapport avec l’héritage laissé par
    Marcel Janco. Ma mère a employé Janco pour construire cette maison car Mircea
    Eliade le lui avait recommandé. Ma mère était très jeune à l’époque et ne
    connaissait aucun architecte, alors son frère lui a parlé de son collègue de
    génération et ami très proche. Bientôt, nous allons aussi installer sur la
    façade une plaque au nom de Marcel Iancu. »



    Dans les années ’40, alors que la persécution des juifs
    s’accentue en Roumanie, Marcel Janco quitte le pays pour se réfugier à Tel-Aviv
    et passe le restant de ses jours en Israël. Il y devient un architecte célèbre
    et fonde le village d’artistes Ein Hod, au nord du pays. En 1967, il est
    distingué du prix Israël. Marcel Janco meurt en 1984, à l’âge de 88 ans. (Trad.
    Elena Diaconu)