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  • Les petites boutiques de Bucarest

    Les petites boutiques de Bucarest

    Au cours de l’histoire, une architecture commerciale spécifique a apparu dans la zone, toujours visible dans le cas de certains bâtiments qui ont perduré. L’historienne de l’art Oana Marinache présente quelques-unes des particularités de ces petites boutiques. Ecoutons-la : « Il y a des caves très profondes dont certaines datent des XVIIème et XVIIIème siècles, au dessus desquelles des constructions successives se sont superposées au fil du temps. Pas une d’entre-elles n’existe comme telle depuis le XIXeme siècle ou depuis la seconde moitié du XVIIIeme siècle. Les bâtiments gardent dans leurs profondeurs les traces de plusieurs étapes de construction qui datent, peut-être, de différentes époques. Au début, ils n’avaient probablement qu’une cave et un rez-de-chaussée où l’on commercialisait des produits divers. Toutefois, les générations suivantes, des familles entières de commerçants qui y ont vécu depuis le XIXème siècle jusqu’au XXème siècle, ont considéré qu’il fallait s’étendre à la verticale et ont ajouté un étage ou deux. Les espaces situés à l’étage étaient destinés plutôt à l’habitation, servant soit à la famille du marchand, soit aux éventuels locataires. Cela était le cas aussi lorsque des bureaux ou des comptoirs étaient aménagés à l’étage ou étaient loués par des personnes qui y déroulaient leurs activités commerciales. »



    Avec le temps, surtout grâce à l’accélération du processus de modernisation qui a débuté pendant la seconde moitié du XIXème siècle, l’activité commerciale de la ville s’est intensifiée elle aussi. Plusieurs magasins ont apparu et soit car l’espace était très étroit, soit à cause du fait que le terrain était divisé en parcelles pour chacun des héritiers, les bâtiments ont commencé à être très étroits et à se développer surtout à l’horizontale. C’était la situation au centre de la ville, car à la périphérie, où l’on vivait plus près de l’espace rural, les petites boutiques avaient le même aspect de l’architecture vernaculaire spécifique au village. Elles ne différaient pas du tout des maisons de type cabane, des maisons souterraines ou des celles qui avaient une cave.



    Dans les faubourgs, les maisons des marchands avaient parfois, comme dans les villages, un porche et une entrée étroite à l’extérieur de la maison appelée « gârlici », menant à la cave. Pourtant, dans le centre de la ville, il y avait d’autres influences. Oana Marinache nous explique.: « Pratiquement, tout ce que l’on voit aujourd’hui dans la zone date des années d’après le Grand Incendie de 1847. Entre temps, beaucoup d’interventions ont eu lieu, surtout pendant la seconde moitié du XIXème siècle. Le contact avec l’extérieur et notamment avec les centres commerciaux où l’on parlait l’allemand (les foires de Braşov, de Sibiu et même de Vienne), va changer radicalement l’aspect esthétique des bâtiments. Progressivement, certains commerçants, surtout ceux appartenant à la classe moyenne ou à celle aisée, dont beaucoup d’origine juive, ont pu se permettre de se faire construire des magasins universels. Ces derniers étaient, en quelque sorte, les correspondants des magasins de Vienne ou de Paris, avec une grande variété de produits. Un des magasins de luxe, fréquenté plutôt par les femmes de Bucarest, s’appelait « Au bon goût ». La plupart des magasins portaient des noms empruntés à l’espace français, des noms de marques très appréciées à l’étranger. Ce magasin, « Au bon goût », appartenait à des commerçants juifs. Parmi les actes de propriétés de l’époque, on en a trouvé un, portant le nom d’un certain monsieur Ascher. En tenant le pas avec l’architecture des édifices à destination commerciale de l’époque, celui-ci a employé l’architecte Filip Xenopol pour la construction d’un des immeubles les plus grands du Vieux Centre, situé entre les rues de Lipscani et de Stavropoleos. C’est là que se trouvait autrefois le siège de la banque de la famille Chrisovelloni, et qui abrite de nos jours la Banque Nationale. Pratiquement, l’immeuble a perduré jusqu’aux années 1924-1925, et le magasin est resté un des plus grands de l’époque. »



    Les quelques auberges bucarestoises d’antan, aussi célèbres que les magasins, qui ont survécu jusqu’à nos jours, ont une architecture assez différente de celle originelle, affirme l’historienne de l’art Oana Marinache: « Sans doute, beaucoup de personnes ont visité le Centre Culturel ARCUB, où se trouvait autrefois l’auberge de Hagi Tudorache, ou bien ont pu boire des rafraîchissements à Hanul cu Tei, « L’auberge aux tilleuls ». Autant d’exemples d’architecture commerciale remontant au début du XIXeme siècle, même si à travers le temps ces auberges ont subi plusieurs interventions, surtout au XXème siècle. Et on ne saurait oublier de mentionner Hanul lui Manuc, « L’auberge de Manuc », peut-être le lieu le plus visité du Vieux Centre, dont la restauration a gardé l’esprit de l’architecture du début du XIXème siècle. » (trad. Nadine Vladescu)

  • La communauté séfarade de Bucarest

    La communauté séfarade de Bucarest

    Ville marchande à ses origines, Bucarest a été durant une grande partie de son histoire une ville multiculturelle. Marchands grecs et arméniens habitaient et travaillaient aux côtés d’une importante communauté juive. Ces derniers étaient basés surtout près de l’actuelle Place Unirii, c’est-à-dire relativement près du centre historique de Bucarest dont le noyau est la rue commerçante de Lipscani.

    D’ailleurs, c’est dans cette zone centrale, pleine de négoces, auberges et différents ateliers que se trouvaient de nombreux magasins juifs qui vendaient notamment des tissus. Ceux-ci appartenaient à une communauté à part, celle séfarade. Les premiers séfarades apparaissent dans l’espace roumain en provenance de l’espace ottoman où ils s’étaient réfugiés depuis l’Espagne après 1492. Ils étaient considérés toujours une sorte d’élite des communautés juives parce qu’ils étaient spécialistes des grandes finances, fonctionnaires ou bien intellectuels. Par ailleurs, ils étaient aussi moins nombreux que les Juifs de rite ashkenazi.

    Emil Nicolae, président des communautés juives de Piatra Neamt, nous raconte l’histoire d’un demi-siècle de cette communauté dans l’espace roumain.

    Emil Nicolae : « Ils ont toujours compté pour 10% du total de la population juive de chez nous. En Roumanie, ils se sont établis surtout dans le sud, à partir du sud-ouest, de Timisoara vers Craiova et Bucarest. Vu qu’ils étaient commerçants, ils se sont établis dans les villes portuaires de Braila et de Galati, dans le sud de la Moldavie, mais pas plus à l’est que ces deux villes. »

    L’histoire des séfarades de Bucarest a été suivie de près et décrite dans le volume « Personnages et histoires du Bucarest séfarade », dont Anca Tudorancea a été co-auteur. Elle raconte quels étaient les quartiers qu’habitaient les séfarades de Bucarest.

    Anca Tudorancea : « Il s’agit de la zone commerciale traditionnelle de Bucarest, délimitée par la Place Unirii d’aujourd’hui, du quartier appelé faubourg Popescu, qui est également le plus ancien quartier juif de la capitale. Ce fut ici qu’en 1818, le prince Caragea a permis aux Juifs séfarades de construire quelques-unes des plus importantes synagogues, comme la Grande Synagogue. Malheureusement elle n’existe plus de nos jours. Son existence a été longue, mais elle a été brûlée pendant la rébellion de l’extrême droite roumaine en janvier 1941. C’est un quartier ancien habité par des Juifs, où il y a de nombreuses synagogues appartenant à différentes communautés. Nombre de ces lieux de culte avaient été érigés par différentes associations professionnelles comme celle des tailleurs da la Rue Mamulari. Le monde juif était donc très divers et il n’était pas retranché sur soi-même, il n’était pas compact. »

    Hormis les activités commerciales, les Juifs séfarades se sont également fait remarquer par des activités caritatives et culturelles. L’éducation surtout était extrêmement importante pour eux et les familles les plus aisées aidaient les jeunes moins fortunés à continuer leurs études. C’est pourquoi certains séfarades ont fait des performances notables dans les arts et les sciences.

    Emil Nicolae : « Ils ont eu des représentants dans le commerce et le secteur bancaire. Mais du point de vue culturel, il faut nommer Simon Benvenisti, éditeur et libraire, Leon Alcalay, propriétaire de la maison d’éditions Alcalay où est apparue pour la première fois la collection « La Bibliothèque pour tous », que d’autres maisons d’édition ont continué après la guerre. Les familles séfarades ont donné à l’Humanité également des personnalités culturelles et scientifiques. Je mentionnerais le compositeur Dan Mizrachi et le savant Nicolae Cajal, qui a également été Président des communautés juives de Roumanie, mais aussi virologue. Mentionnons aussi le poète George Almosnino, l’époux de la célèbre écrivaine roumaine Nora Iuga. »

    Malheureusement, après la nationalisation de 1948, nombre de Juifs séfarades ont perdu le droit de propriété sur leurs affaires. Après la création de l’Etat d’Israël, la vaste majorité de cette minorité y ont émigré. Mais la mémoire des quartiers juifs de Bucarest est toujours vivante. En témoigne une exposition de photographie déroulée en marge des Journées de la culture séfarade tenues ce printemps dans la Capitale roumaine. (Trad. Alex Diaconescu)

  • Brève histoire des vieilles auberges de Bucarest

    Brève histoire des vieilles auberges de Bucarest

    Pendant les premières décennies du 18e siècle, Bucarest avait déjà une vie économique dynamique. Les environs de la Cour Royale – lieu de rencontre des marchands itinérants — sont rapidement devenus un important centre économique. En même temps les boutiques et les auberges, où les marchands faisaient halte pour manger et pour dormir, se sont développées.



    Il existe encore à Bucarest des auberges que nous allons «visiter» aujourd’hui en compagnie de l’historien Dan Falcan : «Les auberges ont accompagné le développement urbanistique et commercial de la ville. Elles sont apparues au 17e siècle. A un moment donné il y existait plus d’une centaine d’auberges à Bucarest. Le terme roumain «han» est d’origine turque et désigne l’établissement où les voyageurs et les commerçants surtout pouvaient faire une halte et présenter leurs marchandises. Les auberges leur servaient également de magasin, car elles disposaient de suffisamment de pièces pour accueillir des dizaines de boutiques.»



    Il y avait 3 catégories d’auberges : les unes étaient construites par les voïvodes — les auberges royales, les autres se trouvaient à l’intérieur des monastères, d’autres encore appartenaient aux nobles. Au début de la vie commerciale bucarestoise, les auberges avaient la forme de petites forteresses, de petits établissements fortifiés entourés par des murs sans fenêtres. Des portes massives en chêne permettaient l’accès à l’extérieur et se refermaient en cas d’attaque.



    Mais comment se passait la vie à l’intérieur des auberges ? Notre guide, Dan Falcan, raconte : «Les commerçants apportaient leurs marchandises dans des chariots qu’ils laissaient dans la cour intérieure de l’auberge et les produits étaient déposés au sous-sol, dans les caves. Chaque commerçant déposait ses produits dans un endroit à lui, au-dessous des boutiques du rez-de-chaussée où il les vendait, et ils vivaient au premier étage. L’auberge avait, donc plusieurs fonctions : dépôt, magasin et logement. Les marchands étaient Roumains pour la plupart, mais il y avait aussi de nombreux commerçants balkaniques. Les Bulgares faisaient halte à l’Auberge de Gabroveni (nom provenant d’une ville bulgare Gabrovo au sud du Danube), les Turcs avaient leur propre auberge, les Juifs, les Allemands avaient leur propre rue. Et il ne faut pas oublier que la célèbre rue Lipscani tire son nom des marchands qui faisaient commerce avec la ville de Leipzig.»



    L’auberge de Manuc est représentative de la capitale roumaine. Elle garde aujourd’hui encore sa fonction fondamentale — hébergement et restaurant. Construite en 1808 par le commerçant arménien Manuc Bei, l’auberge fut restaurée pendant les années ’70. Mais on peut trouver à Bucarest d’autres auberges aussi datant du début du 19e siècle. Dan Falcan nous en parle : «A part l’Auberge de Manuc il existe encore l’Auberge Gabroveni, qui se trouve toutefois dans un état déplorable. L’Auberge aux Tilleuls a résisté elle aussi au passage du temps, c’est la célèbre auberge qui relie les rues Lipscani et Blanari (dans le centre historique de la capitale). C’est un établissement tout à fait spécial, qui fut reconstruit d’après son modèle initial d’il y a deux siècles. Il convient aussi de mentionner l’Auberge Solacolu, située sur une des principales rues de la capitale, mais qui est presque en ruines. Il faudrait faire quelque chose pour y remédier, parce que certaines auberges sont de vrais joyaux d’architecture. Il faudrait les restaurer et leur trouver une fonction. Comme l’Auberge aux Tilleuls, par exemple, qui accueille maintenant plusieurs magasins d’art.»



    Le début du 19e siècle a marqué l’époque de gloire des auberges bucarestoises. Mais leur apogée a coïncidé avec leur déclin. La société roumaine avait commencé à s’occidentaliser et les auberges ont perdu leur fonction défensive, car les dangers avaient disparu. A leur place sont apparus les hôtels et les auberges sont restées dans l’histoire.