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  • Le Festival international de théâtre pour le public jeune

    Le Festival international de théâtre pour le public jeune

    Cela fait déjà 11 ans que la ville de Iasi (nord-est) accueille le Festival international de théâtre pour le public jeune. Organisé par le Théâtre pour les enfants et les jeunes «Luceafarul», ce festival a un aspect particulier : il s’adresse non seulement aux jeunes, mais à toute personne qui a su conserver son âme jeune, quel que soit son âge. Bref, attirer toutes les catégories de public par un programme ambitieux, telle est la mission de cette manifestation culturelle. En quoi consiste plus exactement l’unicité du festival ? Réponse avec Mme Oltiţa Cîntec, directrice artistique du Théâtre « Luceafarul » de Iasi et sélectionneur du festival :

    « L’identité de notre festival, unique dans la région, pas seulement en Roumanie, c’est justement ça : le public jeune, défini non pas par son âge biologique, mais par son ouverture aux expériences culturelles inédites, inattendues… Nous visons le public qui a su conserver un esprit jeune, un aspect de sa personnalité qui doit être cultivé tout au long de la vie, quel que soit le nombre des années… » Tout type de public jeune a besoin de nouvelles propositions, de nouveaux défis. Pour répondre à cette demande, le thème de cette édition s’intitulait tout simplement « Autrement ». Oltiţa Cîntec explique que : « Chaque année nous mettons une nouvelle « casquette » sur les événements consacrés aux arts du spectacle et nous proposons des événements très divers, car le programme démarre à 9 heures du matin et finit tard en soirée… Les matins appartiennent aux enfants, le midi et l’après-midi – aux spécialistes, les soirées – au public. Nous proposons une multitude de types de spectacles – théâtre participatif, théâtre documentaire, spectacles – lecture, spectacles de rue… »

    Sans oublier le théâtre – performance. Par exemple, cette année on a retrouvé à l’affiche du festival la pièce « Nok ! Nok ! », une adaptation libre du livre «L’année de la pensée magique» écrit par Joan Didion. Le projet fait partie du Programme des arts performatifs du Musée national d’art contemporain, alors que le concept appartient à Nicoleta Lefter qui en signe la dramaturgie et la mise en scène. Nicoleta Lefter déclare que : « Aux côtés de l’actrice Flavia Giurgiu et de l’artiste visuelle Ioana Bodale et d’Alexandru Raptis qui s’occupe du son, nous avons imaginé un spectacle sur la peur de la solitude. Nous avons voulu montrer comment cette peur peut s’emparer d’une personne, à tel point que celle-ci est incapable de réagir. Nous nous sommes inspirés du cas décrit dans le livre, celui d’une écrivaine célèbre qui perd son mari pendant qu’elle prépare le dîner. Tout ce qui s’ensuit est une analyse de chaque réaction, de chaque geste, de chaque battement du cœur se trouvant derrière cette peur de la solitude ».

    « Je pense que l’époque où le spectateur restait contemplatif dans la salle de spectacle est révolue. Il faut que l’art théâtral le pousse à réagir », affirme la directrice du Théâtre Luceafarul de Iasi, Oltiţa Cîntec. C’est pourquoi, à l’affiche du Festival international de théâtre pour le public jeune ont figuré des spectacles fondés sur l’interaction avec les spectateurs. Parmi eux, la pièce « L’Auteur » de Tim Crouch, mise en scène par Bobi Pricop, une production du Théâtre national « Marin Sorescu » de Craiova, pour le moins… provocatrice. C’est le deuxième spectacle mis en scène par le jeune Bobi Pricop d’après un texte du dramaturge britannique, un dramaturge qui, à son avis « révolutionne la relation entre spectacle et spectateurs, entre créateur et spectacle ».

    Bobi Pricop explique pourquoi il a opté pour une création plutôt audacieuse :« A mon avis, c’est parce que j’ai une certaine manie du contrôle, alors ces essais et ces rencontres avec ce dramaturge, que je trouve fabuleux d’ailleurs, qui vous propose un risque si grand et une tournure inconnue tellement intense – tout cela est pour moi un exercice pour voir comment je fonctionne et comment je suis capable de gérer ce risque. Le spectacle « L’Auteur » n’a aucun décor, aucun espace pour le jeu : il n’y a que deux gradins pour le public, l’un en face de l’autre, sans aucun espace entre eux. Le spectacle commence par 10 minutes de silence au bout desquelles les spectateurs commencent à se demander l’un l’autre «mais qu’est-ce qui se passe ? », « pourquoi le spectacle ne commence pas ? » ; puis ils arrivent à reconnaître les acteurs se trouvant parmi eux. »

    « Bien des spectacles auxquels j’ai assisté m’ont ennuyé. J’ai pu constater chez le public aussi cette même sensation de « théâtre muséal », avoue le jeune metteur en scène Cristian Ban. Invité au festival de Iasi, il y a participé avec la pièce « Connaissons – nous mieux », mise en scène à partir d’un scénario collectif et produite par le Théâtre classique Ioan Slavici d’Arad. « Avez-vous jamais volé? », « Vous avez quelle fortune ? » ou bien « Etes-vous heureux? »… Voilà les questions que les quatre comédiens figurant à l’affiche de ce spectacle lancent aux spectateurs, dans une démarche théâtrale inédite. On dirait un sondage d’opinion en live, mais qui ne dévoile pas les réponses.

    Ecoutons le metteur en scène Cristian Ban: « J’ai voulu monter un spectacle qui suscite la réflexion du public tout au long de la représentation, qui lui fasse oublier ce qui se passe sur scène. Une sorte de spectacle intérieur, que chacun vive à sa manière. Mon intention à moi c’était d’échanger sur des choses dont ne parle pas d’habitude ou que l’on n’ose aborder, peut-être, que dans les discussions entre amis très proches. Et là je me réfère à la vie intime, à l’argent, au bonheur. L’enjeu du spectacle a donc été de parler de ces choses-là, une heure durant, au théâtre. »

    Le Festival international de théâtre jeune public de Iasi a été accueilli cette année par 18 autres espaces conventionnels ou non conventionnels, en salle ou en plein air. Nous écoutons la directrice artistique Oltiţa Cîntec : « Bien sûr que l’épicentre, pour ainsi dire, reste le théâtre Luceafărul, avec ses deux salles, mais nous avons donné des spectacles très variés dans toute la ville. Par exemple, nous nous sommes rendus dans les hôpitaux, histoire d’offrir une goutte de bonheur aux malades. Comme tout festival authentique, le nôtre se veut une fête, il veut apporter la joie à tous. Et puis, nous avons joué dans la rue aussi, nous sommes allés à la rencontre de ce public qui, pour une raison ou une autre, ne peut pas aller au théâtre. Je suis convaincue que, grâce à ces spectacles non conventionnels, bon nombre de spectateurs ont découvert que le théâtre ne ressemble pas à un vêtement trop empesé qui vous gêne, mais que c’est tout le contraire. Le théâtre est un art vivant, extraordinaire, capable de créer des liens émotionnels avec les spectateurs. C’est là la chose la plus importante. » (Valentina Beleavski, Mariana Tudose)

  • Le Théâtre Regina Maria, Reine Marie, d’Oradea

    Le Théâtre Regina Maria, Reine Marie, d’Oradea

    Un couple de jeunes mariés, le cœur rempli de joie, – sous une comète. Tout autour, des invités joyeux et décontractés. A dix ans de son mariage, Elisabeth voudrait bien savoir si le bonheur peut rester sur place et elle décide donc de refaire la fête de son mariage. C’est la prémisse du spectacle La Comète” de Justine del Corte, mis en scène par Radu Alexandru Nica au Théâtre Regina Maria, Reine marie, d’Oradea. Justine del Corte figure parmi les dramaturges allemands les plus appréciés du moment et son texte écrit en 2012 a été mis en scène pour la première fois au théâtre Burgtheater de Vienne par Roland Schimmelpfennig, un des auteurs allemands les plus chevronnés de nos jours.



    Pourquoi le metteur en scène roumain, Radu Nica, a-t-il choisi ce texte? « Ce fut le côté philosophique du scénario qui m’a particulièrement touché. Je ne trouve rien de déplacé à ce qu’un spectacle propose au public un peu de philosophie. J’aime bien que les personnages se mettent à réfléchir sur la vie. Le texte renvoie aussi bien à Tchékhov qu’à Arthur Schnitzler et c’est justement ce mélange ciblé sur les problèmes du monde contemporain qui l’a rendu extrêmement séduisant tant pour moi, en tant que metteur en scène, que pour les comédiens. Tous les personnages ont des rôles très complexes. Il n’y a presque pas de personnages secondaires. Il y a une dizaine de personnages principaux qui jouent dans ce spectacle qui parle du bonheur et s’interroge sur les moyens d’en obtenir le plus possible. Un thème qui a vraiment suscité mon intérêt en tant qu’individu. Car, en tant que cinéaste, j’ai préféré privilégier le thème de la mise en abîme et présenter la fête du mariage comme un épisode quotidien repris sur une scène de théâtre. Du coup, au lieu d’une simple méditation sur le passage du temps, le spectacle a mis en évidence la façon dont le théâtre peut nous aider à nous soustraire au temps qui s’écoule. »



    Ce fut justement à l’occasion du spectacle La comète” que le metteur en scène Radu Nica a découvert la troupe Iosif Vulcan du Théâtre Regina Maria d’Oradea. Au total: quinze comédiens de moins de 40 ans. Radu Nica: « J’ai fait la connaissance d’une troupe assoiffée de jouer un théâtre différent de ce que l’on a fait dernièrement à Oradea. Puisque cette institution a privilégie le côté plutôt commercial, les variétés ce qui n’est pas mal du tout, vu que la salle est de nouveau prise d’assaut par le public . Mais, je crois que le moment est venu d’offrir aux spectateurs des textes dans un registre différent. Or, ce texte, bien que difficile et d’un humour pas du tout facile, n’est pas du tout indigeste. »



    L’édifice du Théâtre d’Oradea, qui accueille aussi bien le Théâtre Reine Marie, que le Théâtre Szigligeti, en langue hongroise, est un des plus importants du patrimoine architectural de la ville. Il a été bâti d’après les plans de la société d’architectes Fellner et Helmer de Vienne. Les travaux de construction ont duré seulement 15 mois, de juillet 1899 en octobre 1900. A l’extérieur, le bâtiment combine harmonieusement le style néoclassique, dominant sur la façade, avec des éléments de néo-Renaissance et néobaroque, tandis que les finitions et les ornements intérieurs relèvent du rococo.



    Cinq ans durant, jusqu’en 2011, l’édifice a subi des travaux de rénovation. La troupe du Théâtre Reine Marie a inauguré l’espace fraîchement remis à neuf par le célèbre musical “Violoneur sur le toit”, deux fois nominé aux prix de l’Union Théâtrale de Roumanie, dans les catégories meilleure scénographie et meilleure actrice dans un rôle secondaire.



    Au micro, Daniel Vulcu, directeur de ce théâtre. « Nous envisageons d’aborder ce genre peu exploité par les autres théâtres de Roumanie, à savoir le théâtre musical. Bien sûr que ce ne sera pas notre unique option, mais nous souhaitons promouvoir ce genre de spectacle et pensons avoir la force de le faire comme il faut. Aux termes de notre stratégie de management, tous les deux ans nous mettons en scène un musical d’envergure. Je crois que nous avons fait la preuve de notre performance en ce qui concerne le musical. Nous n’allons pas pour autant oublier le fait que nous sommes un théâtre dramatique et par conséquent les autres types de pièces ne manqueront pas de notre répertoire. Nous nous sommes proposés de travailler avec des metteurs en scène réputés. La collaboration avec Radu Nica a été de bon augure. Il y a eu aussi d’autres collaborations importantes, comme celle avec Mihai Măniuţiu. C’est lui qui nous a lancé la proposition de transformer un texte classique, celui de Leonce et Lena en un spectacle de théâtre musical ”.



    Comme la ville d’Oradea compte environ 200 mille habitants, les salles du Théâtre Reine Marie sont combles à chacune des 10 à 15 représentations qu’il donne par mois. Daniel Vulcu « Nous avons en tout une quinzaine de spectacles et beaucoup de demandes. A l’approche du Festival de la pièce courte, nous travaillons encore plus. L’année dernière, nous avons monté une cinquantaine de spectacles qui ont été très bien accueillis. Nous avons notre public, qui aime le théâtre. J’oserais même dire que nous sommes créateurs d’une mode en matière de théâtre. Dans les salons de coiffure, dans les banques ou les hôpitaux, partout on parle théâtre, on se demande si l’on a vu tel ou tel spectacle. Lors de la précédente édition du Festival de la pièce courte nous avons présenté deux de nos propres spectacles, accueillis par la Grande Salle. Des troupes de Bucarest y ont également été invitées»



    Parvenu à sa XXe édition et organisé par le Théâtre Reine Marie d’Oradea, le Festival de la pièce courte est le seul événement consacré à la pièce en un seul acte et un des plus longévifs en Roumanie, puisqu’il existe depuis 1976. (trad. : Ioana Stancescu, Mariana Tudose)


  • Ils sont célèbres, ils sont Roumains – Andrei Serban

    Ils sont célèbres, ils sont Roumains – Andrei Serban

    « <>. (Le monde entier est un théâtre / Et tous, hommes et femmes, ny sont que des acteurs.) Shakespeare nous rappelle que nous sommes des acteurs ; c’est une invitation à nous demander, en toute modestie, qui nous sommes. Si nous ne le savions pas ou si nous l’avons oublié, nous découvrons que nous ne sommes pas le centre de l’univers. Nous sommes de simples acteurs sur une scène. Aussi, le théâtre ne concerne-t-il pas uniquement les comédiens qui font ce métier, il fait partie de la vie de chacun de nous et de nous tous. Qu’on le veuille ou non, on joue sans cesse des rôles. »



    C’est ainsi qu’Andrei Şerban, un des metteurs en scène roumains les plus connus à l’étranger commençait, il y a deux ans, sa conférence sur ce que c’est que de jouer un rôle.



    Né le 21 juin 1943 en Roumanie, Andrei Şerban a quitté le pays vers la fin des années ’60, grâce à une bourse offerte par Ellen Stewart en personne, directrice du théâtre « La MaMa » de New York, devenu une des plus importantes scènes du monde. Parmi les rencontres fatidiques de sa carrière compte celle avec l’actrice Meryl Streep, qui a joué, aux côtés d’Irene Worth et Raul Julia dans la pièce « La cerisaie », monté par Andrei Şerban en 1977 au Lincoln Center de New York.



    Le metteur en scène et réalisateur Peter Brook a également marqué l’évolution du jeune metteur en scène roumain, qui a passé une année à Paris, dans le centre de ce grand novateur de l’art du théâtre et du film. Andrei Şerban a aussi connu Jerzy Grotowski, qu’il a rencontré lors des tournées qu’il a faites à Zagreb et Wroclaw au début de sa carrière. Grotowski est un des plus grands metteurs en scène et théoriciens du XXe siècle, dont la pensée a apporté un souffle nouveau dans le monde du théâtre.



    En 2007, le metteur en scène Andrei Şerban démarrait, aux côtés de Corina Şuteu, la directrice, à l’époque, de l’Institut culturel roumain de New York, une série d’ateliers de création théâtrale, destinés notamment aux jeunes. Cette série d’événements s’intitulait « Académie itinérante ». Les ateliers étaient ouverts non seulement aux comédiens, metteurs en scène, scénographes et musiciens, mais aussi aux « jeunes d’esprit et aux autres professions ». Le livre sorti chez Nemira reconstruit l’image « mystérieuse » de l’Académie d’Andrei Şerban.



    Voici les propos du metteur en scène Andrei Şerban au sujet de l’essence de l’Académie itinérante : «Qu’est-ce qui nous manque? De quoi avons-nous besoin? C’est ce genre de questions qui s’est trouvé à l’origine de ces activités. Nous travaillons des matières et allons vers des directions différentes — certains vers le théâtre, d’autres dans d’autres domaines -, mais il manque quelque chose à chacun de nous. Nos besoins ne sont pas les mêmes. Par ailleurs, nous nous retrouvons tous dans ce désir de recherche.



    Ces ateliers peuvent aider la jeunesse — et là je pense à la jeunesse d’esprit — à grimper d’une marche. Ils ouvrent la voie vers une nouvelle éducation, dont nous autres, nous n’avons pas bénéficié. Les ateliers sont comme des cloches qui sonnent le réveil. Matisse affirmait que l’art ressemble à un fauteuil confortable. Ou à une drogue, ajouterions-nous. C’est dire qu’il a toutes les chances de nous endormir, de nous rendre passifs. Malheureusement, le théâtre est, aujourd’hui encore, un sédatif qui finit, à quelques exceptions près, par nous endormir. Il est grand temps de s’évader! ».



    Andrei Şerban a également révolutionné le monde de l’opéra par des idées de mise en scène novatrices. Sa carrière dans le domaine du théâtre lyrique l’a amené en contact avec de grand chanteurs — dont le ténor Placido Domingo — à l’Opéra de Vienne ou au Covent Garden de Londres.



    De nombreuses distinctions ont récompensé son activité au fil des années. Ainsi, en 1975, Andrei Şerban se voyait décerner le prix Obie pour la « Trilogie antique ». « La Cerisaie » qu’il a montée en 1977 a été nominalisée pour les Prix Tony. En 1999, l’Association des critiques de théâtre de Boston lui accordaient le prix Elliot Norton. La même année, la Société des metteurs en scène et chorégraphes lui décernait le prestigieux prix George Abbott, récompensant les artistes qui ont exercé une grande influence sur le théâtre du XXe siècle.



    Andrei Şerban s’est vu attribuer 3 titres de Docteur Honoris Causa. En décembre 2008, on lui décernait l’Ordre national « L’étoile de la Roumanie », la plus haute décoration roumaine. (trad. : Dominique)