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  • L’autrice, traductrice et féministe Sofia Nădejde

    L’autrice, traductrice et féministe Sofia Nădejde

    A partir de la seconde moitié du 19e
    siècle, lorsque la société roumaine est entrée dans une phase de modernisation
    et d’occidentalisation soutenue, la presse de l’époque a commencé à parler des
    droits des femmes. C’étaient des associations féminines qui mettaient ce sujet
    à l’ordre du jour et qui militaient surtout pour le droit à l’éducation et pour
    le droit de vote. Les femmes ont ainsi commencé à remettre en question leur
    rôle traditionnel qui se limitait à la sphère privée et ont cherché à élargir
    leur influence à la sphère publique. Parmi les intellectuelles qui ont porté ce
    mouvement compte aussi la journaliste, traductrice et féministe Sofia Nădejde,
    née en 1856 à Botoșani (nord).

    La Maison d’édition Paralela 45 a récemment
    publié ses articles de presse dans un recueil intitulé « Sur le cerveau
    féminin et d’autres démons ». Le volume est paru sous la coordination
    d’Adina Mocanu et de Maria Cernat, et c’est cette dernière qui nous parle de
    Sofia Nădejde dans le contexte de son époque : « Elle
    a combattu sur plusieurs fronts. Sa famille nombreuse serait vue aujourd’hui
    comme un modèle de réussite – elle a eu quatre filles et deux garçons, ainsi
    qu’une autre fille morte pendant son jeune âge, et tous ses enfants ont eu des
    carrières remarquables. Mais en dehors de cela, Sofia Nădejde était une
    militante et elle n’aurait pas aimé être dépeinte comme une femme à succès dans
    les pages des magazines people. C’était une femme sérieuse, très appliquée dans
    ses observations et études, et très proche des gens simples ou pauvres. Elle
    aurait aimé que son émancipation ait lieu en même temps que celle de toutes les
    femmes de Roumanie et ne combattait pas particulièrement pour les droits des
    femmes privilégiées. Cela peut sembler bizarre, par exemple, qu’elle ne
    militait pas pour le droit de vote des femmes. Mais dans le contexte de
    l’époque, où le suffrage censitaire était en vigueur et seulement les gens les plus
    fortunés pouvaient voter, cela aurait donné le droit de vote à un nombre très
    limité de femmes. C’est pourquoi Sofia Nădejde affirmait sa volonté de lutter
    pour toutes les femmes, pas seulement pour les privilégiées. »


    Certaines militantes intellectuelles du
    19e affirmaient qu’il fallait que la femme préserve malgré tout son rôle
    traditionnel, mais qu’elle bénéficie, en plus, de certains droits. Sofia
    Nădejde, à l’opposé, souhaitait un changement radical de paradigme. Et elle
    avait bien d’autres points de différence avec la plupart des intellectuels de
    son époque. Elle et son mari, Ioan Nădejde, étaient adeptes du socialisme, une
    idéologie alors peu populaire en Roumanie. Maria Cernat détaille : « Elle
    a débuté dans des magazines socialistes qui aujourd’hui seraient caractérisés
    de féministes. Un qui s’appelait « La Femme roumaine ». Ensuite, elle
    a écrit longtemps pour la publication « Contemporanul ». C’était dans
    sa jeunesse, quand elle écrivait notamment des textes militants pour les droits
    des femmes. Par la suite, elle s’est orientée vers la littérature. Elle a fait,
    avec des moyens littéraires, de l’art engagé. Sofia et Ioan Nădejde assumaient
    très bien leurs positions militantes et leurs sympathies socialistes. Pour
    résumer, Sofia Nădejde s’est d’abord concentrée sur les droits des femmes, la
    place de la femme dans le christianisme, la prostitution, la famille, donc
    plutôt des questions de philosophie politique. Après, ses préoccupations
    littéraires ont pris le dessus, sans que son orientation idéologique socialiste
    soit perdue de vue. Elle soutenait le droit des femmes à l’éducation, dont le
    but allait au-delà de rendre les mères capables d’élever les fils de la nation.
    Elle militait aussi pour l’indépendance juridique et économique des femmes,
    pour leur droit de travailler et pour leur autonomie financière. »


    Mais il y avait d’autres idées et
    positions qui démarquaient Sofia Nădejde de ses contemporaines. Maria Cernat
    continue : « C’est
    drôle de voir que certains de ses articles font état de principes très
    conservateurs. Elle était, par exemple, contre la danse, une coutume primitive,
    selon elle, héritée des « sauvages ». Elle était aussi contre la
    coquetterie. Nous dirions, peut-être, aujourd’hui qu’elle était contre les
    standards de beauté, tous relatifs. Elle critiquait également les bals, où les
    gens allaient danser pour ensuite sortir transpirés dans l’air froid et
    attraper des pneumonies. Ces principes peuvent sembler aujourd’hui très
    conservateurs, mais elle y tenait. Pour elle, l’émancipation, ce n’était pas de
    se mettre à fumer des cigares, d’aller dans les bars pour se saouler ou avoir
    beaucoup d’amants. Autrement dit, ce n’était pas de se mettre à faire ce que
    faisaient les hommes. Ce n’était pas ça, la libération des femmes. Eduquer ses
    enfants très sérieusement était, en revanche, un exemple d’émancipation. »


    Inévitablement, ses idées ont fait
    entrer Sofia Nădejde dans différentes polémiques, dont une, célèbre, avec Titu
    Maiorescu. Ministre, parlementaire conservateur, philosophe et critique
    littéraire, il était et il est toujours une autorité absolue de la culture
    roumaine. Maria Cernat : « Une
    histoire intéressante est celle où Sofia Nădejde contredit Titu Maiorescu
    concernant le poids du cerveau des femmes. Il n’adhérait pas à l’idée que le
    sort des peuples soit laissé dans la responsabilité d’êtres avec un cerveau 10%
    plus léger que celui des hommes. Un cerveau plus petit indique, de toute
    évidence, que les femmes sont moins dotées intellectuellement que les hommes.
    Par conséquent, selon Maiorescu, il fallait adopter le principe de la
    séparation des sphères : la sphère domestique pour les femmes et celle
    publique pour les hommes. Sofia Nădejde a alors souligné le sophisme de
    Maiorescu : si le poids est équivalent de l’intelligence, on pourrait
    alors conclure que la baleine est l’être le plus intelligent de la planète, car
    elle a le cerveau le plus grand et le plus lourd. »


    Sofia Nădejde a reçu en 1903 le prix du
    journal Universul – une importante récompense pour les romanciers – qui prenait
    également en compte le succès auprès du public. Sofia Nădejde est décédée en
    1946 et beaucoup de ses idées sont toujours d’actualité. (Trad. Elena Diaconu)