Tag: minorité juive

  • La minorité juive dans la Grande Roumanie

    La minorité juive dans la Grande Roumanie

    La présence des Juifs
    dans l’espace roumain est attestée depuis le Moyen Âge, lorsque des communautés
    de loi mosaïque vivaient déjà des deux côtés des Carpates, en laissant des
    traces, notamment culturelles, tant dans les villes que dans les villages
    roumains. Au début du vingtième siècle, avant la Shoah, la présence des Juifs
    se fait principalement remarquer au sein des professions libérales, nombre de
    savants, médecins, avocats, entrepreneurs et personnalités culturelles
    roumaines de grande étendue provenant de cette communauté. Avec la naissance de
    l’État
    d’Israël en 1948, bon nombre des survivants de la Shoah choisiront la voie de l’Alya.






    Après la chute du communisme en décembre 1989, la communauté juive de
    Roumanie ne comptait plus que quelques milliers de personnes, à comparer avec
    les 756.930 membres recensés en 1930. La communauté vivante et dynamique du
    début des années 30 était surtout concentrée dans le nord de la Roumanie, soit dans
    le nord de la Transylvanie, dans le Maramureș, la Bucovine, ou encore en
    Bessarabie. En effet, après la Première Guerre mondiale, l’État roumain s’était
    résolument engagé à observer les droits de toutes les minorités ethniques. La
    liberté économique, la liberté des cultes, la liberté de la presse exercée dans
    les langues des minorités, l’accès à la nationalité roumaine, tout comme le
    droit de vote devenaient alors des droits gravés dans la loi. Les premières
    persécutions antisémites de 1938 trouveront une minorité juive pleinement
    intégrée dans la société roumaine, ainsi que l’attestent les interviews
    réalisées durant les années 1990 et 2000, et conservées par le Centre
    d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine.






    Voici le récit de Nicolae Catone, cheminot et ancien
    membre du parti national-paysan, originaire de Salva, une commune du
    département de Năsăud, situé dans le nord de la Roumanie, interviewé en l’an
    2000 : « Notre commune comptait un
    certain nombre de Juifs, dont un certain Aaron, un type plutôt aisé,
    propriétaire d’une pompe à essence et commerçant de céréales. Un jour, son
    dépôt de carburant avait pris feu, mais ce fut un accident. Nous, on
    s’entendait bien, il n’y avait rien qui nous oppose. Je me souviens aussi d’une
    voisine juive, qui venait chez nous chercher du lait pour ses 4 enfants. Nous
    avions deux vaches à lait à l’époque, elle s’amenait chercher son lait, elle
    trayait elle-même nos vaches. Il n’y avait pas de divergences, rien qui nous
    oppose, rien du tout. »






    Adela
    Feiden, originaire de la ville d’eaux de Vatra Dornei, se souvenait en 1998 des
    fêtes de la petite ville de son enfance, qui comptait pas moins de 3
    synagogues. Adela Feiden : « L’on
    observait les fêtes religieuses sans faute et le Temple nous attendait à chaque
    occasion. La troupe du théâtre juif est même venue jouer, en yiddish, au centre
    culturel local, mais aussi au Casino, où il y avait une salle de théâtre. Lors
    des grandes fêtes, de Hanoukka par exemple, même le grand rabbin s’y amenait.
    Il nous expliquait la signification religieuse de la célébration. La Pâque, la
    Pessa’h, y était aussi célébrée en grande pompe. Et souvent, les deux premiers
    jours de Pessa’h, on allait à la synagogue. »

    Ludovic Kahan, fils d’un petit négociant de bétail
    originaire de la ville de Baia Mare, témoigne, lui, de l’importance de la
    communauté juive de cette ville transylvaine. Ludovic Kahan : « C’était en 1885 qu’avait été fondée la synagogue
    de la ville, toujours en activité. On était une communauté de Juifs orthodoxes
    et le courant hassidique de Baia Mare a rayonné longtemps à travers le monde
    juif. Le sionisme était aussi très influent dans notre communauté. Selon les
    statistiques de l’époque, la ville de Baia Mare comptait, en 1890, 9.868 habitants,
    dont pas moins de 702 juifs. Mais en 1910, sur 12.877 habitants, 1402 étaient Juifs.
    En 1930, 2.030 Juifs sur 13.904 habitants. Enfin, en 1941, il y avait 3.623 Juifs
    sur 21.404 habitants. La part de la communauté juive était ainsi passée de 7 à
    16% de la population de Baia Mare. C’était une communauté importante. »







    Le rabbin Ernest Neumann,
    originaire de Timișoara, se souvenait, en 2002, des bonnes relations nouées
    entre la communauté juive et les ethniques roumains, tout cela avant la
    Deuxième Guerre mondiale : « Les gens originaires de Transylvanie,
    ceux qui avaient vécu dans l’empire d’Autriche-Hongrie avant la Grande Guerre,
    étaient plutôt tolérants à l’égard des Juifs. Les gens étaient habitués à
    côtoyer diverses autres communautés que la leur, des communautés avec
    lesquelles ils partageaient tout, en bonne entente. Pour ce qui est des
    Roumains, si on se plonge dans leur histoire, on peut difficilement dire qu’ils
    soient un peuple intolérant, ou qui manque de bienveillance par rapport aux
    autres. Moi, j’avais été élevé dans cet esprit, au milieu d’une communauté qui
    comprenait des ethniques roumains, magyars et juifs, et on s’était toujours
    très bien entendu entre nous. On ne faisait pas de différence. L’origine
    ethnique ou religieuse n’entrait pas en ligne de compte. Ces barrières sont
    depuis toujours montées en épingle de manière artificielle, en faisant fi de la
    nature commune de l’être humain, en faisant fi du sens commun et de la nature
    de l’homme. »






    Ces témoignages, recueillis au sujet de
    l’état d’esprit qui régissait les relations entre les diverses communautés de
    l’époque, ne laissaient en rien transparaître la tragédie qui allait se jouer
    peu de temps après, pour donner naissance au pire crime de masse de l’histoire
    de l’humanité : la Shoah. (Trad. Ionuţ Jugureanu)