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  • Danse contemporaine – Corps. Rêves. Défis.

    Danse contemporaine – Corps. Rêves. Défis.

    Nous sommes dans une salle de danse de Bucarest. Mais ce n’est pas une salle quelconque. Elle est devenue le 46e membre officiel du réseau européen de danse contemporaine appelé European Dancehouse Network. C’est un espace de création, ouvert à tous les amoureux de la danse. C’est un espace de liberté, qui invite les gens à se découvrir eux-mêmes par cet art. Cet espace appelle « Areal » et il appartient à 4 chorégraphes, dont notre invité, Cosmin Manolescu. Il nous fait une brève présentation du concept d’« Areal » : « Areal, c’est un espace de développement chorégraphique, un endroit de la rencontre, du dialogue et de la créativité, où tout tourne autour des rêves et de la danse contemporaine, bien évidemment. C’est un nouvel espace de danse à Bucarest, dirigé par quatre chorégraphes : Cristina Lilenfeld, Alexandra Bălăşoiu, Valentina De Pliante et moi-même. Nos ateliers sont plutôt atypiques. Par exemple, on aura bientôt une escapade de danse contemporaine dans les îles grecques de Gavdos et de Crète, puis, début août, on dansera au bord du lac de Techirghiol, au delta du Danube, et au bord de la mer Noire. »

    Début juin, Cosmin Manolescu a lancé un défi très intéressant aux Bucarestois : un atelier intitulé « Corps. Rêves. Défis. » : « Tout d’abord, les thèmes proposés par les participants sont un véritable défi. Je pense que nous avons besoin de bouger et d’expérimenter les émotions sous différentes formes, de sortir de cet état dans lequel la pandémie nous a fait plonger, un état d’immobilité, de solitude, d’écart par rapport aux gens et aux activités culturelles. Alors, cette rencontre avec les émotions, avec les traumas du corps, doublée par une méthode de travail personnalisée, qui tourne autour du corps émotionnel – tout cela crée des connexions entres les gens, cela ouvre l’âme et le corps. »

    Lors de ces ateliers, les participants ont parlé des traumas et des signes du corps, mais aussi de leurs rêves. Ils ont bougé, les yeux fermés, et ont dansé guidés par leur cœur jusqu’à l’aube, dans les rues de la ville, sous les regards surpris ou indignés des passants. Qui participe à ces ateliers hors du commun ? Qui accepte de relever de tels défis ? Cosmin Manolescu répond : « Ce sont des gens très divers, des journalistes culturels, mes anciens élèves ou bien des gens qui font à peine connaissance avec la danse contemporaine. Cela me plaît beaucoup de voir les gens découvrir un nouvel univers de créativité et de liberté. Bref, ce sont de beaux gens libres qui cherchent à se découvrir eux-mêmes. »

    Mais au fait, c’est quoi la danse contemporaine ? Voici la réponse du chorégraphe Cosmin Manolescu : « On se pose nous aussi la même question. Pour moi, la danse contemporaine est une forme de liberté, de courage. Le courage d’assumer des choses, de se rencontrer soi-même et de découvrir son corps et ses émotions. Le courage d’aller vers les gens et la ville ou bien vers la nature. Ce sont les éléments avec lesquels je travaille en général. Je pense que la danse contemporaine change notre vie d’une manière positive, elle nous rapproche des gens et nous rend meilleurs. »

    Ce n’est pas pour la première fois que le chorégraphe Cosmin Manolescu répond aux questions des journalistes. Mais il existe en fait des questions qu’ils ont oublié de lui poser, mais qui sont très importantes, à son avis : « Par exemple, pourquoi la danse contemporaine ne se développe pas ? Pour des raisons objectives d’une part et subjectives, de l’autre. D’abord, partout, la danse est considérée comme une cendrillon de l’art, bien qu’à mon avis ce soit un art qui développe tant l’âme que l’esprit et le corps. C’est un art complexe, qui se sert du corps avant toute chose. Je crois que si les gens dansaient plus dès leur enfance ou bien s’ils faisaient de la danse au lieu du sport, si la danse était une discipline optionnelle à l’école, ce serait un grand avantage pour nous tous. »

    La plupart des participants à ces ateliers de danse sont des femmes. Quelle est la raison de l’absence de hommes ? Cosmin Manolescu : « C’est ce que je me demande moi aussi très souvent. Je pense que les hommes ne sont pas attirés par cette activité qui à trait à la fragilité, au côté émotionnel. En général, les hommes préfèrent le sport, car c’est le domaine qui leur permet de se perfectionner. C’est aussi une question d’éducation, je pense. Le système éducationnel roumain ne favorise pas l’accès des garçons et des jeunes hommes à cet art. La plupart y arrivent par hasard, poussés par leurs épouses ou leurs petites amies. Ils ne viennent pas à nos ateliers de leur propre initiative. S’il y avait davantage d’éducation en ce sens, si la danse était plus présente à la télé aussi, si l’on parlait davantage de la danse, alors, qui sait, à un moment donné, la danse contemporaine aurait du succès auprès des hommes aussi. J’avoue que je suis content que la danse de société commence à attirer plus de garçons, qu’il existe déjà une certaine ouverture vers certains styles. Ce n’est donc qu’une question de temps, d’investissement et de travail dans cette voie. Bientôt, nous aurons un nombre égal d’hommes et de femmes à nos ateliers de danse contemporaine, je l’espère bien ».

    Autant de pistes de réflexion lancées par notre invité au sujet de la danse contemporaine et de nos âmes. (Trad. Valentina Beleavski)

  • Le Festival LIKE CNDB 2018 – « A toi le contexte »

    Le Festival LIKE CNDB 2018 – « A toi le contexte »

    Du 15 au 27 avril, Bucarest a accueilli la cinquième édition du Festival LIKE CNDB, « You are the context ». Organisé par le Centre national de la danse de Bucarest, le CNDB, le festival se distingue cette année par certaines particularités. Tout d’abord, même s’il s’agissait de son édition la plus brève, le Festival a lancé cette année, et pour la première fois de son histoire, une section internationale. La chorégraphe Vava Ştefănescu, la patronne du CNDB, précise : « Lors de la première édition on est parti sur un mois. A l’époque on partait d’une situation extrêmement précaire, je me rappelle ce public qui revenait vers notre Centre après des années d’absence de notre institution du paysage culturel bucarestois. Mais son accueil a été formidable. Les gens sortaient du spectacle en exclamant : « La belle soirée que l’on a passée ! Cela faisait longtemps. »

    Et puis, pendant ce temps, nous avons grandi. On a commencé à se produire dans un nouvel espace. Puis, le festival d’hiver a été lancé. Conçu comme un festival à vocation locale, en principe. On a donc un festival de la danse à Bucarest qui s’étend sur un mois, un mois et demi. Mais cette année, le contexte nous a obligés de l’écourter. Alors, on a mis à profit le partenariat Aerowaves, qui constitue un réseau très étendu, une sorte de plate-forme de diffusion et de promotion de jeunes chorégraphes. On a donc profité de notre adhésion à ce réseau et on a pu programmer trois spectacles étrangers. Il s’agit de « Ohne Nix », une coproduction Autriche/Royaume-Uni et qui a été lancé lors de l’ouverture du festival, puis Homo Furens, une excellente production française et, enfin, le 21, « Dans, for Satan », du Danemark. » Le spectacle « Ohne Nix », créé et joué par Luke Baio et Dominik Grünbühel, utilise les techniques de l’art numérique et joue avec la projection du corps, emploie des trucs morphiques et, dans une grande mesure, l’humour.

    D’un tout autre style, le spectacle « Homo Furens », du chorégraphe français Filipe Lourenço, utilise les corps des cinq danseurs de façon à nous interpeller sur la manière dont on utilise le mouvement. En apparence, les artistes reproduisent sur la scène des exercices de type militaire, mais ce n’est qu’un prétexte pour interroger la conception du mouvement. Rémy Leblanc-Messager et Stéphane Couturas sont deux des danseurs évoluant dans le spectacle Homo Furens: Rémy : « Le spectacle parle de la solidarité, de combien loin peut aller une équipe d’un point de vue physique, dans quelle mesure on peut prendre en charge l’autre, comment peuvent se rapprocher nos corps dans un espace, comment créer quelque chose de sensé en partant de ces mouvements, en apparence, militaires, donc comment on réussit à performer en tant qu’équipe. On touche là à des notions telles que l’humanité, la fraternité ».

    Stéphane: « Pour décrire brièvement ce spectacle, je dirais que l’on essaie d’atteindre nos limites psychologiques par l’intermédiaire de nos limites physiques. A vrai dire, les techniques comptent peu. Le chorégraphe a choisi d’imiter les mouvements militaires, mais il aurait pu aussi bien choisir d’autres types de mouvement. L’idée c’est qu’on a cinq personnes qui ne se connaissaient pas, et puis on exige d’eux qu’ils fassent des mouvements physiques très durs, on les pousse à bout. Ils atteignent ainsi rapidement leurs limites physiques, et tout de suite après leurs limites psychologiques. Alors, à ce moment, la solidarité et toutes les choses dont Remy parlait tout à l’heure, peuvent faire leur apparition. C’est l’idée de base du spectacle ».

    Mais la composante la plus importante du festival LIKE CNDB demeure celle qui met en valeur la danse roumaine. Vava Ştefănescu « La production roumaine s’étale sur les trois jours du Focus LIKE CNDB 2018. On a un système qui vise à les mettre en valeur. On a parfois programmé trois spectacles par jour. C’est parce que dans la perspective de la Saison culturelle France – Roumanie, nous aurons des invités de marque, des directeurs de festival, des directeurs de troupes de danse contemporaine, des résidences d’artistes, des gens qui seront là pour voir les productions roumaines les plus significatives. Et ces spectacles créent le contexte, génèrent des idées auxquelles on ne pense pas de suite. Ces idées sont abordées sous un angle qui invite à la réflexion, des idées qui sont bien structurées dans la composition du spectacle. Il n’y a pas que l’idée qui compte, mais aussi la manière dont ces idées sont agencées ».

    L’un de ces spectacles importants s’appelle « 37 Minutes of Make Believe » ou, en français, « Les 37 minutes qui te font croire». Un spectacle créé et produit par Andreea Novac: « Nous sommes partis de l’une de mes obsessions : la rencontre entre moi, l’artiste, et le public. Seulement voilà, cette fois la rencontre ne se fait qu’au niveau de l’imaginaire. Alors ce spectacle « 37 minutes… » se fraye un chemin à travers mon imagination, à travers l’imagination du spectateur, à travers cette rencontre entre les deux imaginations. Il y a de l’humour, et c’est aussi une modalité de montrer que ce que je fais sur la scène rencontre ce que le spectateur imagine que je fais sur la scène, et qu’il s’agit d’un échange. Pour ce faire, j’utilise trois éléments de base. Tout d’abord, la parole, qui peut ouvrir ou fermer le champ du possible. Puis, je travaille avec l’idée de mouvement, qui peut traduire de façon exacte ce que je veux représenter ou, au contraire, recouvrir toutes les significations imaginables. Enfin, ces éléments inconnus sont réorganisés, repositionnés, de sorte que de nouvelles formes d’expression surgissent, et j’ai dans ce spectacle des moments où je travaille directement avec le public ».

    La cinquième édition du Festival LIKE CNDB « A toi le contexte » a lieu simultanément avec le déménagement du CNDB dans un nouvel espace, dans le théâtre « Omnia ». L’inauguration est attendue pour 2020. C’est la raison pour laquelle le CNDB lance auprès des artistes, de la communauté locale, du public et des autorités le défi d’esquisser des réponses, leurs réponses, à la question « Que serait le CNDB, version 2020 ». Alors, lors du festival, on devrait compter avec cet événement « Réponses performatives », pour essayer d’y répondre justement. Vava Ştefănescu: « Tous les soirs nous aurons des interventions autour du sujet. Dan Perjovschi fera, par exemple, un direct depuis le théâtre Omnia, avec l’une de ses représentations. Il paraît que l’on va pouvoir compter sur la présence de Ada et d’Alexandru Solomon, les célèbres directeurs de film qui figurent parmi les fondateurs de la nouvelle vague du cinéma roumain. Je pense qu’il est important de s’adonner à ce type d’exercice de l’imagination et de la projection parce que, lorsque l’on vit sur des sables mouvants, il faut savoir s’approprier l’espace. La danse contemporaine, avec tout ce qu’elle peut représenter, depuis la rencontre avec les autres arts, avec les autres domaines de la culture, et pas nécessairement du domaine de l’artistique, cela a toujours été l’image de marque du CNDB. C’est un exercice à faire pour s’approprier le CNDB. Et lorsque je dis nous, je parle aussi bien du public, que des artistes, de tous ceux qui s’y investissent », conclut Vava Ştefănescu. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Initiative unioniste de plusieurs maires moldaves

    Initiative unioniste de plusieurs maires moldaves

    Dans plus de 120 communes et villes de République de Moldova (pays voisin de la Roumanie à population roumanophone majoritaire), les maires et les conseils locaux ont adopté des déclarations symboliques d’union avec la Roumanie. Tout cela, une semaine avant le 27 mars, date à laquelle, en 1918, la Bessarabie, province à population majoritaire roumanophone de l’empire des tsars, s’est unie avec la Roumanie à la fin de la Première Guerre mondiale.

    L’Union soviétique l’a annexée à nouveau en 1940, suite à un ultimatum, ayant créé l’actuelle République de Moldova sur une partie du territoire annexé. Samedi, les édiles locaux moldaves favorables à l’union entre les deux pays ont été les invités d’honneur du maire social-démocrate de Buzau (ville dans l’est de la Roumanie), Constantin Toma, qui a déclaré : « Nous avons une histoire vivante et une histoire commune et nous espérons que tout ira bien. Le si beau geste de ces gens audacieux de Moldova sera continué ici, dans l’espoir de créer cette vague que personne ne pourra arrêter. »

    Une initiative d’autant plus applaudie qu’elle est soutenue par les habitants du village de Sadova, où est né l’actuel président pro-russe de la République de Moldova, Igor Dodon. Le maire de Sadova, Vladimir Susarenco, a expliqué : « Avant tout, j’ai consulté mon village. Et quand j’ai constaté que les habitants avaient réuni 600 signatures, je me suis dit : oui, le village de Dodon est celui qui a signé la déclaration d’union. Bien qu’elle soit symbolique, cette déclaration appartient au peuple, à mes concitoyens. Et je me félicite du fait qu’aujourd’hui on peut écrire l’histoire de bas en haut et qu’en fin de compte c’est la justice qui triomphera, car la justice est la vérité qui fait surface à chaque fois. Rentrer chez nous, cela fait du bien. »

    Dimanche, les élus locaux ont rencontré les leaders de l’opposition de droite du Parlement de Bucarest. Le président du PNL, Ludovic Orban, affirme que l’Union des deux Etats roumains aura lieu lorsque la majorité des citoyens de la République de Moldova voisine le désirera. Ludovic Orban : « La Roumanie est prête à faire cette union, j’en suis convaincu. Nous encourageons constamment les élus locaux du PNL à avoir des relations de jumelage, de coopération, d’élaboration de programmes communs avec les maires et les conseils locaux des villages de la République de Moldova, de Bessarabie. »

    Le président de l’Union Sauvez la Roumanie, Dan Barna, a souligné que les deux Etats pourront se rapprocher davantage à l’intérieur de l’UE. Dan Barna : « Le point de vue que j’ai transmis à nos collègues et frères qui se sont rendus aujourd’hui à Bucarest est que nous constatons et que toute la Roumanie voit ce rapprochement dans le contexte européen. Nous pensons que la place de la Roumanie et de la République de Moldova sont au sein de l’UE, une UE moderne et dans un contexte démocratique auquel nous tenons tous. Cet aspect est très important en République de Moldova, puisque ce pays est déficitaire en matière de démocratie. »

    Dimanche, tous les adeptes de la réunification sont attendus à Chisinau, au grand rassemblement populaire qui marquera le Centenaire de l’Union. Initié par des organisations civiques des deux Etats et de la diaspora roumaine, le rassemblement est censé réaffirmer leur conviction que l’Union est l’unique solution pour rétablir la vérité historique, en vue de l’admission à l’UE et à l’OTAN, pour assurer la prospérité et la liberté aux habitants de la République de Moldova.

  • Le francophone roumain – enthousiaste ou essoufflé?

    Le francophone roumain – enthousiaste ou essoufflé?

    Elle est à lhonneur pendant tout un mois, en Roumanie. Plusieurs semaines durant, la francophonie se discute, sexamine, se chante, sinterroge, se dit en poèmes ou sur scène. Toutefois, que se passe-t-il avec elle une fois passée la période de festivités ? La francophonie où en est-elle, en Roumanie – en progression, en phase de plateau ou en recul plus ou moins contrôlé ? Nous vous proposons de revenir aujourdhui sur le mois de la francophonie dans le pays et sur le rôle des principaux acteurs qui font vivre ce mouvement. Je suis francophone – je mépanouis ou je résiste ?



    De létat de la francophonie roumaine aujourdhui, un débat avec Mme Rana Mokaddem, ambassadeur du Liban à Bucarest et président en exercice du GADIF, le groupe des ambassades, des délégations et des institutions francophones de Roumanie, et M. Christophe Gigaudaut, Conseiller daction et de coopération culturelle à lambassade de France et directeur de lInstitut français de Roumanie.




  • Jean-Marie Monplot (France) – le mouvement hippie en Roumanie

    Jean-Marie Monplot (France) – le mouvement hippie en Roumanie

    Bien que j’aie beaucoup écouté la musique de Janis Joplin, Jimi Hendrix Emerson, Lake & Palmer ou encore Joan Baez, pour n’en donner que quelques exemples, j’ai préféré invité à mes côtés un expert de ce phénomène. Il s’agit de M. Florin Silviu Ursulescu, peut-être le journaliste roumain le plus passionné de rock, véritable encyclopédie quand il s’agit de parler de ce genre musical et du courant hippie. Sans plus tarder, je lui cède le micro, car il aura plein de choses à vous raconter.



    Florin Silviu Ursulescu : « Le mouvement hippie est un courant apparu sur la côte ouest des Etats-Unis, à San Francisco, et sa véritable période de gloire s’étend sur six années seulement, de 1965-1971. C’est un courant qui se propose de dénoncer le conformisme sur tous les plans, qu’il s’agisse de sexualité, de drogues, de du corps tenue ou de vêtements, un mouvement apparu après l’explosion démographique des années ’40-’50 connu sous le nom de babyboom.



    Quand on parle de ce phénomène, il faut préciser dès le début qu’il n’a pas vraiment existé en Roumanie. Et cela, en raison d’une dictature cruelle, plus terrible que celles instaurées en Hongrie, Pologne ou Tchécoslovaquie qui ont pourtant permis la création de certains groupes hippies. Chez nous, cela ne fut pas possible. Bien sûr, il y avait aussi de jeunes Roumains non conformistes, mais sans qu’ils puissent vraiment créer de véritables communautés hippies capables de se déplacer librement à travers le pays. Or, n’oublions pas que sous les communistes roumains, il fallait se munir d’un permis pour habiter dans une autre ville que celle natale. Une fois installé dans un immeuble, on avait une quinzaine de jours à sa disposition pour déclarer son adresse de domicile à la police. Comme vous voyez, impossible de jouer les nomades et les esprits libres à l’époque du communisme en Roumanie !



    Fidèle au principe du non-conformisme, le mouvement hippie rejetait totalement l’idée de se faire embaucher et d’avoir un emploi stable. En Roumanie, n’oublions pas que le chômage n’existait pas. Tout citoyen était contraint par la loi d’avoir un domicile et un emploi, ce qui faisait que les professions libérales n’existaient pas. Donc, pas de véritables communautés hippies chez nous. Par contre, on a eu des groupuscules qu’on pourrait lier aux valeurs hippies, notamment à la musique. Et je mentionnerais en tout premier lieu les gars de Phoenix, absolument impressionnants à l’époque avec leurs longues chevelures et leurs manteaux de fourrure, qui se déplaçaient à travers la Roumanie pour des concerts en plein air, une première à l’époque. »



    Le journaliste Florin Silviu Ursulescu passe en revue les protagonistes du mouvement hippie en Roumanie : « Après Phoenix, il y avait un groupuscule créé autour du musicien Mircea Florian qui réunissait plusieurs figures intéressantes de l’époque, telles Gabriel Caciula, grand spécialiste de la culture japonaise vivant actuellement aux Pays-Bas et qui visite souvent la Roumanie pour y organiser des conférences sur l’art du thé. Ou encore Sorin Chifiriuc, musicien et compositeur important, qui depuis deux ans s’est retiré dans un monastère et s’apprête à entrer dans les ordres. Il y avait aussi Mihai Diaconescu, réalisateur de film et auteur de plusieurs volumes de poésies, qui a malheureusement quitté ce monde.



    A parler des adeptes du mouvement hippie, on ne peut pas oublier le rôle qui revenait au club des Etudiants en architecture, appelé Le Club A, lieu de rencontre privilégié des jeunes libres d’esprit de Bucarest qui s’y rendaient pour écouter poèmes et chansons interdits par les communistes. C’était une ambiance culturelle et musicale qui nous donnait en quelque sorte l’illusion d’appartenir au phénomène hippie tel qu’il existait en Occident.



    Et à propos de ça, je vous signale qu’en Roumanie, les cheveux longs des gars posaient un énorme problème. Les forces de l’ordre ne les acceptaient pas et on risquait de se voir emmener à la section de police pour se faire couper les cheveux. Voilà pourquoi, nous, les hippies aux cheveux longs, on a trouvé une solution inédite : on essayait d’obtenir soit une attestation auprès du Centre national de la cinématographie par laquelle on affirmait faire de la figuration dans des films historiques, soit un certificat de musicien, vu que les musiciens étaient considérés comme extravagants et donc, le régime les acceptait tels quels. Les vêtements ne posaient pas trop de problèmes, la police n’était pas trop dure de ce point de vue : on pouvait donc porter nos chemises imprimées et nos pantalons évasés. »



    Comment le phénomène hippie s’est-il tout de même développé en Roumanie ? Notre invité Florin Silviu Ursulescu, journaliste et spécialiste de la musique rock, explique : « Je voudrais mentionner quelques figures emblématiques du mouvement hippie de Roumanie. Et je commencerais par une figure féminine, Lidia Creanga, la batteuse du groupe féminin Catena. Elle ne voulait pas se faire embaucher, elle portait des jupes fleuries et un nœud tricolore dans ses cheveux. Une autre personnalité était Andrei Oisteanu, actuellement directeur de l’Institut d’histoire de la religion de Roumanie.



    En Roumanie, après la chute du communisme en 1989, on a vu naître à Bucarest un phénomène resté dans l’histoire sous le nom de « la Place de l’Université » et qui était une sorte de réaction au conformisme imposé par les communistes des dizaines d’années durant. Les personnes rassemblées Place de l’Université en réaction à la descente des mineurs sur la capitale et à la politique menée par le président de l’époque, Ion Iliescu, ont eu l’occasion d’écouter sur une scène improvisée des chanteurs dont la musique n’avait jamais été diffusée à la télé ou à la radio : Cristi Paturca, Horia Stoicanu ou encore Nicu Vladimir, un véritable hippie tout comme un autre, Dorin Liviu Zaharia, un poète extraordinaire disparu prématurément. Celui-ci s’intéressait à l’étude des religions et civilisations indiennes et orientales, il a signé la musique de plusieurs chefs-d’œuvre de la cinématographie roumaine et il a notamment composé deux chansons devenues par la suite de véritables hits du groupe Pasarea Colibri, dont le célèbre ‘Vinovatii fara vina’, ‘Coupables sans raison’. »



    Quelles conséquences le mouvement hippie a-t-il eu, en Roumanie et aillurs ? Florin Silviu Ursulescu: « Le mouvement hippie a eu des retombées importantes au niveau mondial. Par exemple : les hippies ont encouragé un rapprochement avec des valeurs orientales, de la philosophie de l’Orient. Ensuite, n’oublions pas que ce sont les Hippies qui ont milité pour un retour à la nature ; l’alimentation végétarienne, bio, c’est aux Hippies qu’on la doit. Très important, les Hippies sont les précurseurs de la mondialisation actuelle. Les multiples voyages et mouvements de groupes hippie ont montré que le voyage était quelque chose daccessible à tout le monde. Le voyage de masse va se développer. Adeptes du mysticisme, on a pu observer au fil des années une prolifération des sectes orientales et extrême-orientales. La génération hippie a changé la musique, lart en général, étant à l’origine dune véritable révolution culturelle.



    Toutes ces transformations sont aujourdhui totalement intégrées dans les sociétés occidentales. C’est au phénomène hippie que l’Occident doit son non conformisme et sa liberté de penser. Pourtant, la Roumanie, elle, est restée bloquée dans ses traditions ce qui fait que même aujourd’hui, une tenue plus extravagante est susceptible d’entraîner une vague de critiques de la part des personnes plus âgées. Pour conclure, je dirais que le mouvement hippie militait avant tout pour la liberté de l’individu et du coup, les idées hippies sont pour la plupart toujours d’actualité. »