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  • Rapport sur les enfants institutionnalisés de Roumanie

    Rapport sur les enfants institutionnalisés de Roumanie

    La manière dont une société gère le problème des enfants témoigne de son degré de civilisation. Les siècles passés, abandonner ses enfants c’était un phénomène courant. La société moderne tente, elle, d’y trouver une solution au niveau des institutions de l’Etat. Mais cette solution n’est pas suffisante en elle-même.

    Le philosophe Gabriel Liiceanu explique : « C’est un progrès de la civilisation mondiale, le fait que les enfants abandonnés arrivent dans des centres spécialisés. A regarder de l’extérieur, c’est sans doute un pas en avant, un progrès. Mais par rapport à quoi ? A la fin du 18e siècle, un des hommes de culture d’Europe, idole de la spiritualité occidentale, Jean-Jacques Rousseau de son nom, était un personnage qui abandonnait ses propres enfants sur les marches de l’église, alors qu’il passait pour un des grands pédagogues du monde et qu’il écrivait des traités solides sur comment il fallait élever sa progéniture. C’était la manière de la société de cette époque-là de résoudre le problème des enfants non désirés.»

    Qu’en est-il dans la Roumanie d’aujourd’hui? Pour répondre à cette question, le parlementaire Vlad Alexandrescu a fait plusieurs déplacements pour se mettre au courant notamment de la situation médicale des enfants abandonnés. Ses conclusions sont à retrouver dans le livre intitulé « Les enfants d’Hérode. Rapport moral sur les enfants laissés à la charge de l’Etat», récemment paru aux éditions Humanitas.

    Lors du lancement du livre, Vlad Alexandrescu a expliqué : « En tant que parlementaire, j’ai pu faire plusieurs démarches: m’adresser directement aux institutions compétentes, leur demander des réponses à des questions très précises sur le nombre d’enfants abusés, sur les types d’abus enregistrés par la police, sur leurs traitements médicaux et psychiatriques qu’ils reçoivent. De même, je me suis intéressé à la traite de personnes à l’étranger, dont de nombreuses victimes sont des enfants ou des jeunes. Le résultat de toutes ce démarches, vous l’avez aujourd’hui devant vous, publié pour la première fois sous forme de livre, grâce à la générosité de la maison d’éditions Humanitas.»

    La pauvreté extrême est la principale cause de l’abandon des nouveau-nés ou des enfants en très bas âge, constate le rapport de Vlad Alexandrescu. L’expérience traumatisante que ces petits vivent laisse des traces profondes et a des conséquences négatives sur leur développement psychique et émotionnel.

    Vlad Alexandrescu précise : « C’est le cas d’environ 65% des enfants se trouvant à la charge de l’Etat. Ils proviennent de familles qui vivent dans une pauvreté extrême. D’ailleurs, l’institutionnalisation est un des effets de la pauvreté extrême en Roumanie. Mais une bonne partie de ces enfants ont été abandonnés dès la naissance ou tout de suite après. Certains passent d’un hôpital à l’autre avant d’entrer dans le système de protection de l’Etat. Or, l’hôpital n’est pas un endroit où ils puissent grandir. Par conséquent, dès un très jeune âge, ils vivent le trauma de l’abandon, qui devient, peu à peu, une souffrance psychique permanente. »

    L’époque communiste a perturbé l’équilibre social du pays par l’interdiction de l’avortement. Résultat : toute une génération d’enfants non désirés, surnommée « les enfants du décret ». Et pour cause. Par le Décret du 1er octobre 1966, le dictateur Nicolae Ceausescu interdisait les IVG et les moyens de contraception. Quelques exceptions d’ordre éthique étaient permises seulement. Après la chute du régime, en 1990, le New York Times consacrait un article aux enfants abandonnés de Roumanie. La situation était plus que dramatique : les orphelinats roumains étaient surpeuplées et la plupart des enfants avaient de graves troubles psychiques. Une image de la Roumanie qui a fait le tour du monde et par laquelle notre pays a été identifié pendant de longues années.

    De nos jours, bien que la loi ne permette plus que de tels drames se produisent, certains enfants abandonnés arrivent toujours dans les sections de psychiatrie des hôpitaux.

    Vlad Alexandrescu explique : « Il existe une idée reçue dans la psychiatrie roumaine. Les médecins psychiatres considèrent en quelque sorte qu’il est normal qu’un enfant institutionnalisé franchisse le seuil de l’hôpital. Certes, après l’hospitalisation psychiatrique, après l’administration d’un traitement aux médicaments neuroleptiques, le psychiatre doit recommander la réévaluation périodique de l’enfant et l’introduction graduelle d’une psychothérapie. Ce qui n’arrive pourtant jamais. »

    Pour sa part, le philosophe Gabriel Liiceanu estime que l’absence de fonds et la bureaucratie excessive ne sont pas les seuls aspects qui rendent difficiles la création de centres de placement en accord avec l’époque où nous vivons. Malgré les contrôles et les sonnettes d’alarme tirées par les médias, on a souvent l’impression d’avoir perdu la lutte contre cette institution gigantesque. Dans ce contexte, la solidarité et l’implication de l’ensemble de la société pourraient alléger la souffrance des enfants abandonnés.

    Gabriel Liiceanu : « Par ailleurs, si nous avions tout l’argent du monde pour investir dans de tels centres, écrit l’auteur du livre, le problème ne serait tout de même pas résolu, parce qu’il est comblé par une bureaucratie affreuse, impossible à déstructurer. Que peut-on faire au moment où en on devient conscient ? Seuls, rien. On peut se plaindre par-ci, par-là, se sentir très mal, ne plus dormir la nuit, avoir des pensées sombres sur l’humanité. Mais ensemble, nous pouvons réussir. Car l’indignation est la source de vie d’une société, qui l’aide à trouver des solutions. Tant qu’on est indigné on est vivant. On n’est plus indigné ? Alors on est mort et le monde autour de nous s’effondre. »

    Avant de terminer notons que le livre intitulé « Les enfants d’Hérode. Rapport moral sur les enfants laissés à la charge de l’Etat » de Vlad Alexandrescu sera bientôt lancé sous forme numérique, de eBook, par les mêmes éditions Humanitas. (Trad. Valentina Beleavski)

  • Les enfants institutionnalisés de Roumanie

    Les enfants institutionnalisés de Roumanie


    La Roumanie dénombre actuellement plus de 200 établissements de protection de lenfance. Ils accueillent plusieurs milliers denfants, adolescents et jeunes qui nont plus de famille. Chaque année, lEtat dépense des millions deuros pour le financement de tels centres. Quant à ladoption des enfants, elle peut sétendre sur plusieurs années, mais ces atermoiements ne sont guère en faveur des petits. Bon nombre de ces enfants ont échoué à lassistance publique en raison de la politique démographique menée pendant le régime communiste, dautres ont tout simplement été abandonnés dans les maternités ou pire – dans la rue.



    Une chose est sûre cependant: pour beaucoup dentre eux, la sortie de ces centres de placement signifie le début de la dégringolade, car ils nont aucune idée du chemin à prendre dans la vie. Dautres sont allés encore plus loin, en lançant un défi pas comme les autres. Ils ont jeté les bases de lAssociation des adultes des centres de protection de lenfance, baptisée « Federeii », par laquelle ils réclament linvestigation des abus commis ces cinq dernières années, dans les anciens orphelinats. Le président de cette association, Daniel Rucăreanu, 37 ans, titulaire dun diplômé détudes supérieures et ancien pensionnaire de deux centres de placement, souhaite venir en aide aux enfants laissés pour compte.



    Daniel Rucăreanu : « Je trouve que le nombre des personnes ayant fait lexpérience des tels établissements est très grand et cest dommage quil ny ait personne qui défende leurs intérêts. Nous nous sommes fixé plusieurs objectifs. Le premier consiste à récupérer la mémoire collective relative à ces centres de protection de lenfance. Aucune démarche na jusque là visé à créer un musée des institutions de ce type, censé recueillir les témoignages de ceux qui ont vécu cette expérience. Nous nous proposons aussi de mettre sur pied un réseau danciens pensionnaires de ces centres, lesquels, parvenus à lâge adulte, peuvent jouer le rôle de partenaires des autorités publiques en charge de la protection des enfants séparés de leurs parents. »



    Les effets du passage en centres de placement sont dévastateurs, affirme Daniel Rucăreanu : « La vie était dure dans ces établissements géants. Dautant que la plupart des nouveaux-venus étaient traumatisés par labandon, la rupture davec la famille. Dautres traumas venaient sy ajouter avec le temps: ceux du manque daffection, de linstitutionnalisation, très accablants aussi et dont beaucoup ne parviennent plus jamais à se débarrasser. Moi, jai passé 7 ans dans deux centres de placement, à Ploieşti et à Buşteni. La chance ma pourtant souri, car, lorsque javais 8 ou 9 ans, jai fait la connaissance dun couple dun certain âge, qui ma pris en affection et ma guidé dans la vie. Ils mont invité à passer ensemble toutes mes vacances, sans pour autant madopter. Je leur dois non seulement ces échappées, mais aussi et surtout le fait de navoir pas sombré dans léchec. Seulement 2 ou 3% des jeunes issus de ces établissements suivent les cours dun lycée ou dune faculté. Je nai connu que ma mère. Victime des abus en milieu familial, jai passé un bon bout de temps dans la rue, avant dêtre placé dans un centre. »



    La Stratégie sur les droits de lenfant 2014-2020 stipule lobligation de la Roumanie de fermer les vieux centres de placement et de trouver des solutions à la réintégration des enfants au sein de leurs familles. La Fondation Hope and Homes for Children (HHC), active en Roumanie depuis 2000, fait renaître lespoir dans lâme des orphelins, des enfants abandonnés ou vulnérables, les aidant à grandir au sein dun foyer affectueux et rassurant.



    Otto Sestak, directeur des projets de formation à la Fondation Hope and Homes for Children, affirmait : «Après la révolution anticommuniste, la communauté roumaine et internationale ont remarqué lampleur du phénomène des enfants institutionnalisés et les conditions affreuses dans lesquelles ils vivaient. On a fait des reportages qui ont montré pour la première fois des images de ces enfants. La réforme du système roumain de services destinés aux enfants sans parents a démarré en 1996. Il sagissait dun processus complexe, qui ne se limitait pas à remplacer les institutions anciennes par des maisons de type familial. En fait, il fallait changer lensemble des services sociaux destinés aux enfants. Avant, pour toute situation de risque, pour tout problème concernant lenfant ou les parents, la seule solution était de séparer lenfant de sa famille, en le plaçant dans un centre spécialisé. La plupart des gens croyaient que les 100.000 enfants institutionnalisés recensés en Roumanie en lan 2000 étaient des orphelins. Alors quen réalité, environ 80 – 90% dentre eux avaient des parents. Ils nétaient pas orphelins. Mais à ce moment-là il ny avait aucune solution cohérente pour quils puissent rester en famille ».



    Depuis lan 2000, lorsque la Fondation HHC a commencé à travailler en Roumanie, plus de 6000 enfants ont quitté les centres spécialisés, 21.000 ont été sauvés de labandon et 47 institutions ont été fermées à jamais. Somme toute, 30.000 enfants profitent actuellement dune vie meilleure : certains ont réintégré leurs familles naturelles, dautres sont élevés dans des familles daccueil, pour dautres encore lon a construit des maisons de type familial.



    Otto Sestak : « Dans notre vision, tout enfant mérite un foyer et une famille. Cest ce que nous souhaitons leur offrir et non pas seulement bâtir des maisons de type familial, car autrement le type de soins offerts ne change pas. Notre désir est de rapprocher les petits le plus possible des familles et dun milieu aussi proche dune famille que possible. Pour ce faire, nous allons fermer les institutions anciennes et développer des services fondés sur la communauté et destinés à soutenir les familles. Certes, construire des maisons de type familial est une partie de notre activité. Cest là une alternative temporaire pour les enfants qui ne peuvent plus regagner leurs familles. Certains enfants vivent dans des familles toxiques, abusives, dautres nécessitent des soins spécialisés prolongés. Il est donc utile davoir pour eux des services résidentiels, conçus comme une solution temporaire et qui leur donnent la possibilité de résoudre un problème avant de rejoindre leur famille naturelle ou une famille daccueil ».



    Avant de terminer, sachez que la Fondation HHC soccupe également de linsertion sociale des jeunes qui quittent le système de protection sociale. Grâce à ses efforts, jusquici 456 jeunes ont réussi à se trouver une place dans la vie active. (Trad. Mariana Tudose, Valentina Beleavski)