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  • Commémoration de Corneliu Coposu

    Commémoration de Corneliu Coposu

    Corneliu Coposu, grand homme politique et
    ancien membre du Parti national paysan, a été emprisonné dans les prisons
    communistes 17 ans durant. A sa libération, il a mis sur papier les vers qu’il
    avait imaginés pendant sa détention, recueillis dans un volume inédit, volume lancé
    lundi soir à Bucarest lors du gala Corneliu Coposu. L’événement marquait aussi
    24 ans depuis la mort du dissident anticommuniste et leader du Parti national
    paysan.


    Octav Bjoza, le président de l’Association des
    anciens détenus politiques de Roumanie, a évoqué Corneliu Coposu en tant
    qu’exemple de verticalité : « C’était
    très difficile de faire partie de son entourage, mais j’ai eu, deux ou trois
    fois, l’occasion de lui parler brièvement. La dernière fois c’était quelques
    mois avant son intervention chirurgicale en Allemagne. Vous savez ce qu’il m’a
    dit à ce moment-là ? Monsieur Bjoza, j’aimerais tant voir les
    parlementaires débattre devant le Parlement, confronter leurs stratégies,
    programmes et idéologies. Et à la fin des discussions, j’aimerais les voir
    aller ensemble à un concert, au théâtre, prendre une bière ou un café, regarder
    un match de foot. Mais ils se haïssent à mort, monsieur Bjoza, ces choses ne
    sont tout simplement pas possibles. »


    Corneliu Coposu a été prisonnier politique
    dans les prisons communistes les plus atroces du pays : Văcăreşti, Jilava,
    Piteşti, Malmaison, Craiova, Aiud, Poarta Albă, le Canal Danube – mer Noire,
    Gherla, Sighetu Marmaţiei. A Râmnicu Sărat, il a été en isolement carcéral
    pendant huit ans, entre 1954 et 1962. Pour ne pas devenir fou à cause de la
    solitude durant ces longues années, il récitait des prières, faisait des
    calculs mathématiques ou composait des poèmes.


    Surnommé le Sénior, Corneliu Coposu n’a pas
    trahi ses principes et a lutté sans cesse pour que la Roumanie devienne, d’un
    Etat satellite de l’URSS, une démocratie de type occidental. Né en 1914, sa
    formation s’est faite aux côtés d’un autre grand homme d’Etat – Iuliu Maniu,
    ancien premier ministre, dont il a été le secrétaire politique. Corneliu Coposu
    a été impliqué dans l’opposition anticommuniste à la fin de la Deuxième Guerre
    mondiale et il a organisé les protestations des étudiants. En 1947, suite à un
    coup monté, Corneliu Coposu a été arrêté et retenu en détention sans jugement.
    A sa libération en 1964, les communistes lui ont proposé de devenir
    collaborateur en échange de la réhabilitation. Il a refusé et a organisé dans
    la clandestinité le Parti national paysan, qu’il allait faire adhérer à l’Internationale
    démocrate chrétienne en 1987.

    A la chute du communisme en 1989, il a rassemblé
    l’opposition de l’époque sous la forme de la Convention démocratique. Il est
    mort en 1995, un an avant la victoire de cette alliance politique aux élections
    locales, parlementaires et présidentielles. Corneliu Coposu avait trois
    objectifs pour la Roumanie : l’adhésion à l’Union européenne, à l’OTAN et
    la restauration de la monarchie. Son dernier est le seul qui n’est pas devenu
    réalité. (Trad. Elena Diaconu)

  • Corneliu Coposu

    Corneliu Coposu

    Corneliu Coposu a été une grande figure de la résistance politique anticommuniste pendant les décennies noires de lépoque communiste, mais il fut également lhomme politique ayant joué un rôle essentiel dans la renaissance de la démocratie roumaine et du multipartisme après 1989. Il fit de la sorte le lien entre la démocratie davant-guerre, celle qui précéda linstauration du communisme daprès la guerre, et celle qui allait renaître au début des années 90 du siècle passé. Sa foi inébranlable dans la démocratie, dans lesprit de résistance et dans la nation roumaine, le modèle de lutte pour lhonneur, pour la liberté et la justice quil incarna, notamment par les 17 ans de traversée du Goulag roumain, lérigent sans nul doute parmi les grandes figures du Panthéon des hommes dEtat que la Roumanie compte dans son histoire récente. A la fin de sa vie, Corneliu Coposu se faisait, à bon escient, appelé par ses jeunes partisans, le « Sénior ».





    Né le 20 mai 1914 dans le département de Salaj, en Transylvanie, dans une famille de prêtres grecs-catholiques, Corneliu Coposu fait des études de droit, devient avocat, pour décrocher ensuite un doctorat ès sciences juridiques à lUniversité de Cluj. Il parvient à devenir un des plus proches collaborateurs du président du Parti national paysan, Iuliu Maniu, figure historique de lémancipation nationale des Roumains de Transylvanie, auquel lunissent des liens familiaux et, surtout, son crédo politique. Dans la période trouble de la fin de la guerre et de loccupation soviétique de la Roumanie, Corneliu Coposu devient secrétaire personnel du leader national-paysan et secrétaire général adjoint de son parti. Le 14 juillet 1947, Coposu, à linstar de la quasi-totalité des leaders de son parti, est arrêté, suite au guet-apens imaginé par le nouveau pouvoir communiste. Le même pouvoir communiste qui sétait installé, pour 43 ans, au mois de novembre 1946, après avoir falsifié les résultats des élections, à lombre et sous la protection des chars russes et de la Commission alliée de contrôle, dirigée, à Bucarest, par les Soviétiques. Condamné aux travaux forcés à perpétuité sur la base dun dossier monté de toutes pièces, il ne sera libéré quen 1964, à la faveur dune amnistie générale des prisonniers politiques, après avoir passé 17 ans au Goulag roumain, dont 9 à lisolement.





    Mais, Corneliu Coposu survécut dans la dignité à ce calvaire prolongé. Son épouse, Arlette, dorigine française, prisonnière politique à son tour, mourut quelques mois après sa libération, en 1965.



    Interviewé en 1993 et provoqué à un exercice dimagination par la journaliste Lucia Hossu-Longin, qui voulait savoir sil aurait choisi la même voie pour autant que le choix se présentât devant lui à nouveau, Corneliu Coposu a répondu par laffirmative : « Ecoutez, jai eu le temps de passer en revue toutes les souffrances, les misères endurées pendant mon emprisonnement, puis le nombre et lampleur des persécutions vécues après la libération. Mais je ne pense pas avoir le choix. Les yeux fermés, je choisirais de vivre le même destin. Peut-être que notre destin est écrit davance. Je ne suis pas fataliste, mais si javais cette alternative devant moi, je choisirais, le même chemin sans hésiter ».





    Côtoyer de tels personnages est un privilège rare. Cest le pénitentiaire politique de Râmnicu Sărat qua le plus marqué Corneliu Coposu, lhomme qui fera renaître le Parti national paysan chrétien-démocrate et en deviendra le président, après 1989.





    Corneliu Coposu : « Le pénitentiaire de Râmnicu Sarat comptait 34 cellules, 16 au rez-de-chaussée et tout autant au premier étage. 4 cellules disoloir étaient situées au sous-sol. Cétaient des cellules de 3 mètres sur 2, disposées en rayons de miel, lune à côté de lautre. A 3 mètres de hauteur, on trouvait une fente de lumière, à laquelle on navait en revanche pas daccès, et qui était dailleurs condamnée de lextérieur. La seule source de lumière, allumée en permanence, provenait dune ampoule de 15 watts, suspendue au plafond, et qui donnait une lumière sépulcrale. Passons le chauffage, car il ny en avait pas, il sagissait dun bâtiment érigé aux environs de lan 1900, avec des murs épais et entourés de deux autres murs denceinte dune hauteur de 5-6 mètres. Des gardes armés guettaient, perchés dans leurs tours de garde. Il y régnait une atmosphère sinistre. »





    Corneliu Coposu a marqué durablement la conscience collective roumaine, par la sérénité avec laquelle il a accepté son sort et par sa capacité singulière de pardonner à ses bourreaux. Plus encore, il a marqué ses contemporains par lobstination avec laquelle il a mené sa lutte pour la liberté, la démocratie, pour lidéal national et en faveur du système monarchique, quil avait investi, jusquà la fin de sa vie, de tous ses espoirs. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Ion Diaconescu

    Ion Diaconescu

    Le 11 octobre 2011, Ion Diaconescu, l’un des seniors de la vie politique roumaine de l’après 1989, meurt à 94 ans. Fils de prêtre, lui-même ingénieur, il commence son activité politique en 1936, à 19 ans, sous la bannière du Parti national paysan. Ce parti était né après la Première Guerre mondiale, de l’union entre le Parti national de Transylvanie, dirigé par Iuliu Maniu, et qui militait au nom de l’idée nationale au sein de l’empire d’Autriche-Hongrie, et du Parti paysan, dirigé par Ion Mihalache, et basé dans la petite Roumanie, celle formée avant la Grande guerre par la Valachie et la Moldavie. Jeune militant national paysan, démocrate dans l’âme, c’est entre 1944 et 1947 que Ion Diaconescu se distingue aux côtés de ses pairs de génération dans la lutte d’arrière-garde portée contre l’inexorable poussée des communistes roumains, épaulés par la présence du million de soldats de l’Armée rouge sur le territoire roumain. Condamné politique, il fera 17 ans de prison, entre 1947 et 1964, dans les geôles du régime.

    Une fois libéré, il essaye de retrouver certains de ses amis politiques et de reconstituer un début d’organisation, forcément opposée aux communistes. Après la fin du régime communiste de décembre 1989, avec Ion Puiu, Valentin Gabrielescu, Nicolae Ionescu-Galbeni, Constantin Ticu Dumitrescu, il épaule Corneliu Coposu pour faire revivre le Parti national paysan et pour aider à la renaissance démocratique de la Roumanie. Ion Diaconescu suit Corneliu Coposu à la présidence du Parti national paysan, devenu entre temps chrétien-démocrate, entre 1995 et 2001, et devient président de la Chambre des Députés entre 1997 et 2000.

    Le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine a eu le privilège d’interroger en 2003 ce vétéran de la lutte politique pour la démocratie : « Nous avons réussi à faire renaître officiellement notre parti tout de suite après la révolution de décembre 1989. On a même été le premier parti officiellement enregistré auprès d’un tribunal après la chute du communisme, et tout cela parce que nous nous connaissions entre nous, nous savions qui nous étions, nous avions une idéologie, un programme. Ce parti n’est pas une construction artificielle. C’est l’héritier de la lutte nationale et pour la justice sociale du début du siècle, c’est l’héritier de la lutte anticommuniste de la dernière moitié du siècle passé. Nous venons avec notre passé de luttes, de souffrances, avec nos martyrs. Le désavantage, c’est que l’on était des gens qui, pour la plupart, avaient dépassé l’âge de 70 ans. Nous étions les survivants des Jeunesses national-paysannes, des jeunesses anticommunistes des années 44-47. Mais à 70 ans, c’est difficile de faire de la politique active, militante. A cet âge, c’est plutôt à un rôle de sage que les hommes politiques se dévouent. Mais nous n’avions pas le choix. Il fallait reprendre le flambeau de nos prédécesseurs, de Maniu et de Mihalache, et il fallait bien poursuivre leur combat. On avait ce devoir moral, envers eux et envers tous les autres martyrs du parti. »

    Ion Diaconescu a fait partie de cette génération brisée, et tuée au sens propre du terme dans les camps de travail et dans les geôles du système concentrationnaire communiste roumain. Cette génération qui aurait pu faire renaître la Roumanie après la Deuxième Guerre mondiale, mais qui n’a eu l’opportunité d’investir la scène politique que sur le tard, 45 ans plus tard. Pour eux, comme pour la Roumanie, c’était, diront certains, trop tard.

  • La crise politique de 1927

    La crise politique de 1927

    Dans l’histoire de l’humanité, les moments de crise n’anticipent jamais sur les développements ultérieurs. L’effondrement de la démocratie au cours de la première moitié du 20e siècle avait été annoncé par des signaux de crise, souvent pris à la légère par des sociétés qui espéraient voir les choses retrouver leur cours normal. Juste avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, les ennemis de la démocratie n’étaient pas totalement inconnus. En Roumanie, la crise démocratique s’est déclenchée en février 1938, lorsque le roi Carol II a supprimé les partis politiques, mis en page une nouvelle Constitution et instauré sa dictature personnelle.

    Pourtant, cet enchaînement n’est pas sorti du néant. La crise de la démocratie roumaine commençait déjà à se manifester en 1927, une année cruciale dans l’histoire politique de la Roumanie. Une année où le pays avait perdu deux grandes personnalités, le roi Ferdinand et l’homme politique libéral visionnaire Ion I. C. Brătianu, tous les deux fortement impliqués dans la création de la Grande Roumanie, suite à l’union du Royaume de Roumanie avec la Transylvanie et la Bessarabie, en 1918, à la fin de la première guerre mondiale. L’Etat roumain de l’entre-deux-guerres a toujours accusé le poids de cette perte, qui allait entraîner une dégradation accélérée de l’image publique de la monarchie et, pour le Parti national libéral de Brătianu, l’entrée dans une période de tensions et de scissions. L’année 1927 a également posé un autre problème à la société roumaine : assurer la succession au trône, puisque l’héritier du défunt roi était son petit-fils, Mihai, âgé de seulement 6 ans.

    Florin Müller, professeur d’histoire roumaine contemporaine à la Faculté d’histoire de l’Université de Bucarest, revient sur l’évolution de la monarchie, après la mort du roi Ferdinand : « La mort du roi Ferdinand a produit des effets dans la durée, car elle a ouvert ce que l’on appelait, à l’époque, « la question fermée », et qui était, en fait, l’acte du 4 janvier 1926, lorsque le fils du roi, le prince Carol, avait renoncé à son droit au trône. Or, le décès de Ferdinand laissait ouverte la question de l’héritage. La régence était une structure provisoire, qui ne solutionnait pas le contenu de l’institution monarchique. Le roi Ferdinand n’avait pas été un chef d’Etat au style autoritaire, similaire à celui de Brătianu ou, encore moins, de son fils, Carol II. En revanche, grâce à lui, la monarchie a toujours été vue comme une institution solide et stable, sans les dérapages vers un pouvoir absolu enregistrés sous Carol II. Il faudrait aussi rappeler le penchant vers l’autoritarisme de la reine Marie, qui ne fut pourtant pas le véritable contenu de la monarchie sous Ferdinand. Ce roi avait donné une image sthénique de cette monarchie, qui était une institution de représentation, et non pas de pouvoir réel. »

    Le Parti national libéral (PNL) n’a pas réussi à surmonter la mort de Brătianu et à lui trouver un remplaçant du même calibre. Une incapacité organisationnelle qui s’expliquerait par la manière dont l’ancien chef et premier ministre tenait en main le parti, considère Florin Müller : « Ion I C Bratianu a été celui qui a généré et organisé la démocratie libérale. Il a permis une démocratie limitée, dans le cadre conçu par le Parti national libéral, dans le sens où les réformes se réalisaient du haut vers le bas. C’est le pouvoir exécutif qui décidait au sujet du pouvoir législatif. Dans les années ’20 la caractéristique essentielle de la vie politique roumaine, qui allait avoir des conséquences pendant les années à suivre, a été la personnalité d’Ion I C Bratianu. Il concentrait dans ses mains un pouvoir démesuré. Les leaders du PNL exerçaient d’ailleurs un pouvoir trop grand par rapport aux usages du système démocratique. Par son style personnel, Bratianu n’a pas permis la création d’une élite politique libérale dans le sens classique du terme. On peut mentionner Ion Gheorghe Duca, son successeur à la tête du parti ou bien son frère, Vintila Bratianu, mais aucun des deux ne peut être comparé à Ion I C Bratianu. Seul Duca s’est rapproché du style de Bratianu, mais ce ne fut pas le cas pour les autres politiciens libéraux. »

    C’est le Parti national paysan qui allait profiter de la crise qui secouait le Parti national libéral. Fondé en 1926 suite à la fusion entre le Parti national roumain de Transylvanie et le Parti paysan de l’ancien royaume de Roumanie, le Parti national paysan se voulait une alternative au régime instauré par les libéraux. Bénéficiant d’une vague de sympathie populaire, cette formation politique est arrivée au pouvoir en 1928 suite à la mort de Bratianu. Malheureusement le Parti national paysan n’a pas réussi à équilibrer les excès de pouvoir de l’autoritaire roi Carol II.

    Florin Müller : « L’enjeu politique et idéologique du Parti national paysan était bien réel dans le sens où par le biais de toute une série d’arguments, les membres de ce parti attiraient l’attention du public sur le pouvoir oligarchique du Parti national libéral. Mais le Parti national paysan avait une rhétorique de gauche, pseudo-révolutionnaire, qui ne correspondait point avec les attentes sur le long terme de la société roumaine. Et même si ces tendances ont été liquidées par le caractère fort de son président, Iuliu Maniu, le Parti national paysan s’est confronté à un autre problème : la restauration, c’est-à-dire le retour du roi Carol II en Roumanie et son avènement au trône de Roumanie. On voit apparaître autour du roi Carol II une sorte de pôle de pouvoir parallèle, qui s’efforce de miner le Parti national paysan. Il est intéressant de remarquer que ce parti et notamment Maniu ont une position plutôt ambiguë à l’égard de la restauration. En contrepoids à Duca et au reste du parti, Maniu se déclarait favorable à une révision de l’acte du 4 janvier 1926. Mais le leader national paysan voulait que le retour de Carol II sur le trône se fasse selon les usages démocratiques, que le futur roi respecte la démocratie roumaine. Or Carol n’a jamais donné d’assurances et d’autant plus, il n’a jamais mis en œuvre ce que souhaitait Maniu : le respect des principes constitutionnels».

    Un autre grand acteur politique qui allait jouer un rôle non négligeable sur la scène politique nationale à compter de 1927, ce fut la Légion de l’Archange Michel, un mouvement fasciste. Ses membres et partisans ambitionnaient de libérer la société de tous les maux du capitalisme. 1927 a marqué le passage d’une politique nationale paisible à une vie politique agitée, à une rhétorique politique construite autour du radicalisme. (Trad. Ileana Taroi, Alex Diaconescu)

  • Corneliu Coposu, le Senior de la nouvelle démocratie roumaine

    Corneliu Coposu, le Senior de la nouvelle démocratie roumaine

    On dit que l’une des choses les plus importantes dans la vie, c’est l’héritage légué aux générations futures. Il s’agit non seulement de biens matériels, mais aussi et surtout de biens immatériels, à valeur symbolique, à savoir la conduite, les conseils pour la vie, une certaine manière de vivre. Corneliu Coposu est mort le 11 novembre 1995. A présent, les Roumains se souviennent de lui comme d’un martyr de la démocratie et d’un modèle de la renaissance de celle-ci après 1989, au bout de près d’un demi-siècle de communisme. Il nous a laissé en héritage un immense capital de convictions politiques et de foi, d’intégrité, d’austérité, d’endurance dans le combat inégal qui l’a opposé aux communistes, devant lesquels trop nombreux ont été les Roumains à fléchir ou à finir par collaborer. Le régime de la terreur, que le philosophe polonais Leszek Kolakowski allait appeler « le diable de l’histoire », n’a pas cessé de tracasser Corneliu Coposu jusqu’en 1989. Il a cherché à le tenter, à en corrompre l’âme et les convictions, à le compromettre. Selon ses propres témoignages, confirmés par les documents découverts dans les archives de la Securitate, l’ancienne police politique du régime communiste, après sa sortie de prison, Coposu a été arrêté 27 fois pour de brèves périodes de temps. En plus, sa maison a été fouillée à plusieurs reprises et plus de 3000 documents personnels lui ont été confisqués.

    C’est autour de Corneliu Coposu qu’en 1989 les gens se sont réunis dans une tentative de refaire le tissu politique, social, culturel et mental de la Roumanie, gravement endommagé par les pratiques de la tyrannie communiste. Si début 1990 Corneliu Coposu semblait seul et refusé par la majorité, quelques années plus tard, en 1995, l’année de sa disparition, il avait réussi à attirer une bonne partie de la population désireuse de changer quelque chose. Ce qui a pesé le plus lourd dans le changement d’attitude de Roumains face à Corneliu Coposu entre 1990 et 1995, ce fut sa terrible souffrance. Après avoir passé 17 années et demie dans une prison d’extermination, soit de 1947 à 1965, le Senior, comme il allait être surnommé avec respect et affection, a confirmé un proverbe que tout le monde connaît: celui de la vérité qui triomphe à chaque fois, car la vérité, c’est comme de l’huile dans l’eau : elle finit toujours par remonter à la surface. Toutefois, Corneliu Coposu ne s’est jamais présenté comme un exemple singulier à suivre. Il a toujours affirmé que son modèle était celui d’une génération entière de Roumains qui n’ont pas survécu pour raconter toutes les horreurs qu’ils ont vues ou souffertes.

    Né le 20 mai 1914 au département de Salaj, dans le nord-ouest de la Roumanie, dans la famille d’un prêtre grec-catholique, Corneliu Coposu a poursuivi une carrière d’avocat, devenant docteur ès sciences juridiques de l’Université de Cluj. Il a été proche du président du Parti National Paysan, Iuliu Maniu, dont il a été le secrétaire personnel. Le 14 juillet 1947, Corneliu Coposu a été arrêté aux côtés de toute la direction du Parti, suite à un coup monté par le gouvernement communiste. Il a été condamné aux travaux forcés à vie et libéré en 1964. Il a passé 9 ans dans l’isolement total, si bien qu’au moment où il en était sorti, il avait presque oublié de parler.

    La rencontre avec une personne de la grandeur morale du Senior est un privilège, et l’expérience existentielle maximale qu’il a pu partager a été celle de la prison comme univers fermé, sombre et répressif au plus haut degré.

    Pour Corneliu Coposu, cet univers-là a été la prison de Râmnicu Sărat : « La prison de Râmnicu Sărat avait 34 cellules dont 16 alignées au rez-de-chaussée et au premier étage, que séparait un filet métallique. Il existait encore 2 cellules de côté et 4 cellules de punition au sous-sol. Chaque cellule avait une dimension de 3 mètres sur 2. Elles étaient placées en rayon, l’une à côté de l’autre, à une hauteur de 3 mètres il y avait une petite fenêtre inaccessible, 45 cm sur 30, avec des volets à l’extérieur, qui ne laissait pas filtrer la lumière extérieure. Il y avait une ampoule de 15 W allumée en permanence et qui donnait à l’intérieur une lumière de caveau. Il n’y avait pas de chauffage, la prison datait du début du siècle, faite vers 1900, avec des murs épais. Et ceinte de deux rangées de murs très hauts de 5-6 mètres, avec un couloir de contrôle au milieu. Sur la deuxième rangée de murs, il y avait les miradors avec les soldats armés qui gardaient la prison. »

    Le régime totalitaire se rapportait aux gens non pas comme à des êtres avec des noms et des prénoms, mais comme à des nombres. En 1993, Corneliu Coposu se souvenait de sa vie et de celle des autres en prison : «Chaque détenu portait un nombre qui représentait celui de sa cellule. On n’avait plus de noms, juste un nombre qui servait à l’identification. Comme chacun d’entre nous était seul dans sa cellule, la conversation était exclue et pour communiquer avec les autres détenus, on se servait de l’alphabet Morse, en tapant dans les murs. Mais finalement le système a été découvert et sévèrement sanctionné. Pour continuer à parler entre nous, on s’est mis à tousser selon le code Morse, un processus extrêmement fatiguant surtout pour des personnes comme nous, dans un état de faiblesse extrême. Moi, j’avais la cellule n° 1 et juste au-dessus de moi, il y a avait la cellule n° 32 de Ion Mihalache avec lequel j’ai pu communiquer à travers le code Morse 4 ou 5 ans durant. Après quoi, il a commencé à perdre son ouïe et il ne réagissait donc plus. »

    Il est arrivé bien souvent à Coposu de se voir interroger s’il aimerait bien changer de destin s’il pouvait remonter le temps. Non, a-t-il répondu à chaque fois qu’on lui avait posé cette question. En 1993, il disait « j’ai fait un examen de conscience, j’ai passé en revue toutes les souffrances et les misères que j’ai subies durant les années de prison, durant les années de persécutions après ma remise en liberté et je ne pense pas pouvoir vraiment choisir différemment. J’embrasserais volontiers, les yeux fermés, le même destin. D’ailleurs, il se peut que nos destinées soient écrites d’avance. Sans jouer les fatalistes, je crois que j’opterais pour le même passé que j’ai déjà vécu et que je répéterais volontiers. » (Trad. Mariana Tudose, Valentina Beleavski, Ligia Mihaiescu, Ioana Stancescu)