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  • Mircea Eliade

    Mircea Eliade

    Mircea Eliade a été, sans l’ombre d’un doute, une des grandes personnalités de la culture roumaine du vingtième siècle. L’éclectisme de ses passions, depuis l’histoire des religions et jusqu’à son engouement pour la littérature de fiction, ont fait de lui un auteur complexe, dont les thèses faisaient autorité à l’Université de Chicago, où il a été le titulaire de la chaire de l’Histoire des religions, de 1956 et jusqu’à sa mort, survenue en 1986.

    Né le 9 mars 1907, à Bucarest, dans une famille aux origines moldaves, de la ville de Tecuci, Mircea Eliade se distingue déjà parmi ses camarades de classe. Il suit ses humanités au lycée « Spiru Haret », creuset de bon nombre de personnalités culturelle roumaines de l’entre-deux-guerres, parmi lesquelles mentionnons l’écrivain et journaliste Arșavir Acterian, l’écrivain et le poète Haig Acterian, le philosophe Constantin Noica ou encore le critique d’art Barbu Brezianu. Entiché de sciences naturelles, tout autant que d’alchimie et d’occultisme à l’époque de son adolescence, il se découvre une passion pour la littérature, à travers la découverte de l’œuvre monumentale d’Honoré de Balzac, auquel il voue un véritable culte, puis d’un contemporain, Giovanni Papini. Etudiant en Lettres et en Philosophie, Mircea Eliade soutient sa thèse, à l’Université de Bucarest, sur Tommaso Campanella, poète et philosophe utopiste italien.

    Polyglotte sans complexes, Eliade deviendra l’un des historiens des religions les plus influents de son temps. Il signera plus de 30 ouvrages, traduits en 18 langues, portant notamment sur la persistance de la pensée mythique dans les sociétés modernes, sur la relation entre le sacré et le profane, sur le mythe des origines ou encore sur la pensée de type cyclique de l’homme traditionnel. Mais Eliade s’avère également un littéraire prolifique, auteur de 12 romans, dont « La nuit bengali » et « La forêt interdite » demeurent les plus connus. Enfin, Mircea Eliade est un mémorialiste passionné, témoin d’une génération culturelle d’exception, confrontée aux vicissitudes de l’époque mouvementée qu’elle est obligée de traverser. Eliade a par ailleurs été l’un des premiers orientalistes roumains. En effet, très jeune, il tombe amoureux de l’Inde, où il débarque de 1928, et qu’il ne quittera qu’en 1933. C’est là qu’il apprend le sanscrit et qu’il devient familier d’une spiritualité orientale foisonnante, au milieu d’une société imprégnée de sens religieux. C’est de son expérience indienne qu’il trouve l’inspiration de son premier roman, « La nuit bengali », dont le personnage principal, Maitreyi, n’est autre que la fille de son hôte et maître spirituel.

    A son retour d’Inde, Eliade soutiendra sa thèse de doctorat sur les techniques du yoga. L’archive d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine recèle un document exceptionnel : l’interview de Mircea Eliade, réalisée en 1970 par Monica Lovinescu, célèbre critique littéraire et dissidente anticommuniste, chroniqueuse littéraire à la radio Free Europe. Dans son interview, Mircea Eliade parle de sa période indienne comme d’une période charnière, qui l’aidera à comprendre le sens de l’histoire, soit le dialogue des cultures. Son voyage passionnant à travers le monde des mythes et des croyances religieuses avait commencé là-bas, en Inde : « Depuis mon retour d’Inde, j’avais compris les limites du provincialisme culturel occidental. J’ai compris qu’il fallait nouer, surtout après la Deuxième guerre mondiale, des ponts entre les diverses cultures- occidentale, orientale, cultures archaïques. Qu’il n’existe pas de meilleure introduction à une autre culture que de comprendre ses traditions, la structure religieuse de cette culture. L’histoire des religions me semblait dès lors une première étape pour comprendre l’altérité, les autres cultures, dans une démarche respectueuse de l’autre, d’égal à égal, dans une démarche de dialogue. Et j’ai eu alors la certitude que mes recherches, mes ouvrages, allaient trouver un public réceptif, intéressé et attentif, parce que la réalité historique me donnait raison. »

    Mircea Eliade s’est voulu un savant total, dans l’acception ancienne du terme, avant le cloisonnement de la science, de la philosophie et des lettres, dans leurs prés carrés respectifs. Certes, mieux connu pour ses recherches en l’histoire des religions, pour sa carrière universitaire aux Etats-Unis où il fonda, avec l’Allemand Joachim Wach, la Divinity School, Eliade garda le contact avec sa langue natale pendant ses longues décennies d’exil grâce à l’œuvre de fiction qu’il s’attacha à écrire. C’est par la littérature qu’il retournait régulièrement à ses origines roumaines, selon ses propres termes : « En faisant de la littérature, je retourne à mes origines, ce qui est normal au fond. J’utilise, pour écrire ma littérature, ma langue maternelle. J’ai besoin, pour ma santé mentale, d’écrire en roumain, de rêver en roumain. Je pourrais me traduire moi-même en français ou en anglais. Je pourrais probablement écrire directement mon œuvre de fiction dans ces langues, mais il est plus important pour moi ce désir intime que j’ai de garder le contact avec cette langue, avec ma propre histoire, soit l’histoire d’un Roumain qui a vécu et travaillé autant en Roumanie qu’à l’étranger. »

    Quant au monde d’aujourd’hui, à la désacralisation rampante, et considéré par d’aucuns comme un monde vidé de sa substance religieuse, Mircea Eliade y décelait le sacré enfoui dans notre quotidien, un sacré qui restera omniprésent aussi longtemps que les hommes en auraient besoin :« Le besoin d’entendre une histoire, l’histoire mythique des origines, celle qui raconte le commencement du monde et de l’homme, les débuts de l’organisation sociale et ainsi de suite, cela fait partie de nos besoins fondamentaux. Ce besoin relève d’une structure de notre inconscient collectif. Je ne pense pas que l’homme puisse exister en tant que tel s’il était dépourvu de cette capacité d’écoute, de ce besoin de connaitre l’histoire, la sienne et celle du monde, au milieu duquel il est apparu. » Avec l’avènement du régime communiste en Roumanie, Mircea Eliade est forcé à l’exil en 1945. Il vivra d’abord à Paris et, après 1957, à Chicago, où il mourra le 22 avril 1986, laissant derrière lui une œuvre monumentale. Après la chute du communisme en Roumanie, il sera reçu post mortem à l’Académie roumaine, en 1990. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • Les animaux sont-ils bêtes ? (I)

    Les animaux sont-ils bêtes ? (I)

    Plus précisément nous allons de la manière dont les animaux sont considérés par les humains. Il existe effectivement une longue histoire de linterprétation des comportements et des pensées animaux qui a évolué avec le temps. Cest ce que nous verrons avec notre invitée, Vinciane Despret, qui est philosophe et enseigne à lUniversité de Liège.




  • Moshe Idel

    Moshe Idel

    Philosophe et historien de la Kabbale, qui est une représentation ésotérique de la Tora, Moshe Idel est une personnalité académique présente depuis longtemps dans toutes les bibliographies du domaine. Il a été influencé par Shlomo Pines, professeur d’histoire des religions judaïque et islamique, et ses ouvrages concernant la pensée mystique judaïque ont été traduits en 11 langues.



    Idel est né en 1947 dans une famille juive traditionaliste de Târgu Neamţ, dans le nord-est de la Roumanie. Dans son enfance il a reçu une éducation religieuse, ce qui allait être décisif pour sa future carrière. Selon ses propres confessions, pendant sa jeunesse, Moshe Idel a été un libre penseur et il a fait des recherches sur l’histoire de la religion de son peuple d’une perspective laïque.



    En 1963, à 16 ans, Idel allait émigrer avec sa famille en Israël. Après avoir été soldat dans l’armée israélienne, il fait des études de littérature hébraïque et de langue anglaise à l’Université d’Haïfa. Son directeur de thèse de doctorat, consacrée à la Kabbale, a été Shlomo Pines. Vers le milieu des années ’70, il a commencé sa carrière académique à l’Université Hébraïque de Jérusalem, où il continue d’enseigner.



    Cristina Toma, son ancienne étudiante, nous parle de Moshe Idel, une personnalité très populaire dans les milieux ésotériques et des parasciences. Elle nous dit également ce que la Roumanie représente pour lui: « Il a été mon professeur à l’Université Hébraïque de Jérusalem. Il nous enseignait la pensée mystique judaïque, un cours qui attirait beaucoup d’étudiants. Certains y venaient avec des idées préconçues. Ils étaient très enthousiastes, mais ils exprimaient toute sorte d’avis sur la Kabbale, sur le Golem, sur des histoires liées à la mystique judaïque qu’ils avaient probablement puisées dans des livres de fiction et des légendes. Le professeur était très calme, il ne rejetait personne, mais il commençait à expliquer. Il parlait surtout de ce que la Kabbale n’était pas. Il ne portait pas de jugement et n’avait rien de théâtral, il était très proche de ses étudiants, ce qui ne signifiait pas que l’on pouvait négliger ses études, sa formation académique. Avec moi et avec une autre étudiante qui venait également de Roumanie, il parlait en roumain avant le cours. Pourtant nous ne parlions pas philosophie, nous ne parlions pas de la Kabbale. Souvent il m’interrogeait sur des mélodies qu’il avait écoutées à la Radio roumaine et qu’il connaissait pour les avoir entendues dans son enfance. Un jour il m’a confié qu’il savait jouer de l’accordéon. »



    Idel a été souvent invité à conférencier en France et aux Etats-Unis. Par ses affinités professionnelles et humaines, il a été un proche d’Ioan Petru Culianu, un autre nom roumain de référence dans l’histoire des religions. Il a reçu de nombreuses distinctions, dont l’Ordre du mérite culturel, accordé par le président de la Roumanie. Parmi le grand nombre d’universités qui lui ont décerné le titre de Docteur Honoris Causa comptent celles de Cluj et de Bucarest. (trad. : Dominique)

  • Nae Ionescu, ange et démon

    Nae Ionescu, ange et démon

    Les différentes époques historiques portent parfois l’empreinte de fortes personnalités des domaines politique, social ou culturel. Des personnalités influentes, controversées et formatrices d’opinions. Dans la Roumanie de l’entre — deux — guerres, une des personnalités les plus controversées fut celle de Nae Ionescu, philosophe, logicien et professeur, théoricien du nationalisme et de l’antisémitisme. Il a fait partie d’un courant philosophique similaire en quelque sorte à l’existentialisme. Il a également été directeur de la revue Cuvântul (Le Mot), et mentor de l’élite intellectuelle roumaine de l’époque, au sein de laquelle on retrouve Mircea Eliade, Mircea Vulcănescu, Mihail Sebastian, Emil Cioran. Nae Ionescu s’est également investi en politique, où il s’et manifesté comme adepte du roi Carol II et puis comme mentor du mouvement connu sous le nom de Garde de Fer.



    Né en 1890, à Brăila, Nae Ionescu a été diplômé de l’Université de Bucarest. En 1912 il devient professeur des lycées. Socialiste, pendant sa jeunesse, il s’oriente plus tard vers le fascisme italien. Dans les années 1920-1930, il se fait remarquer, en tant que journaliste, par son style incisif. Nae Ionescu mène également une vie mondaine intense. Parmi ses aventures galantes, il convient de mentionner celles avec la pianiste Cella Delavrancea ou avec Maruca Cantacuzène, future épouse du musicien Georges Enesco. Malgré ses qualités, Nae Ionescu peine à décrocher un poste de professeur des universités. En 1938, il commence à enseigner la philosophie à la Faculté de Philosophie et Lettres. L’intellectuel Nae Ionescu s’érige dès le début contre les règles strictes de la culture académique et de la culture politique de la Roumanie de l’entre-deux-guerres.



    Il a été évalué de manière contradictoire tant par la droite que par la gauche, explique l’historien Florin Müller de la Faculté d’histoire de l’Université de Bucarest. « Certains commentaires à son adresse ont été pleins d’éloges — comme ceux de Mircea Eliade — et d’autres, accusateurs dans les termes les plus graves, émanant de la gauche marxiste ou des intellectuels rationalistes tels que Tudor Vianu, Şerban Cioculescu et Mihail Ralea. Nae Ionescu a été apprécié par des intellectuels très différents dans des tons particulièrement contrastants. Pour Eliade, Ionescu était un esprit philosophique, une personnalité qui s’élevait contre la philosophie ex cathedra. Sans être populaire, Nae Ionescu s’est toujours trouvé du côté des éléments créateurs, dynamiques et héroïques. Pour Mihail Sebastian, intellectuel roumano-juif très proche de Nae Ionescu, collaborateur à la revue Cuvântul (Le Mot), le philosophe était un véritable directeur de consciences. Cela voulait dire que Ionescu avait permis le déchaînement des forces créatrices des jeunes intellectuels. Ces images très favorables avaient un contrepoids très radicalement négatif parmi les intellectuels de gauche, des intellectuels rationalistes, adeptes du style classique et académique. L’un d’entre eux, Lucreţiu Pătrăşcanu, un communiste radical, considérait Nae Ionescu comme un exemple typique de dégénération de l’intellectualité roumaine, intéressée uniquement par son avènement social, sans aucun fondement, sans appétit pour la vérité, somme toute un véritable cabotin. De l’avis de Pătrăşcanu, Ionescu ne faisait que distordre la pensée, et promouvoir la politique nationaliste et antisémite la plus lamentable. Et il en existait d’autres dans la zone de la droite radicale, tels que Nichifor Crainic, pour lesquels Nae Ionescu n’avait fait qu’utiliser des instruments extrêmement vénaux pour devenir directeur du journal Cuvântul, il n’avait fait rien d’autre que d’enterrer l’esprit de loyale concurrence et de politique nationaliste loyale dont Cuvântul avait été empreint jusqu’en 1926-27 ».



    Ionescu a été aussi un plagiaire avéré, comme l’affirme l’historien Florin Müller, qui nuance le contexte dans lequel le publiciste a fait ce plagiat : « Zevedei Barbu compte parmi ceux qui ont analysé et observé les filiations, le presque-plagiat de Nae Ionescu, d’œuvres appartenant à des penseurs occidentaux, tels Spengler. Barbu a découvert aussi que Nae Ionescu avait copié certains thèmes et passages, même certains syntagmes et exemples. Max Scheler est aussi un autre auteur que Nae Ionescu avait frauduleusement mis en valeur. Si on étudie la technique utilisée, on observe que Nae Ionescu faisait ce que nous appelons de nos jours un plagiat visible. Il s’agit d’une pratique pas du tout académique qu’il faut combattre totalement. Néanmoins, pour Nae Ionescu, il était important que ces concepts et configurations spirituelles entrent dans la structure intime du créateur et ce n’est qu’alors que l’on peut parler de leur adoption et d’un transfert juste dans la conscience des autres. Nae Ionescu fut placé dans une zone des miroirs parallèles. Il a été à la fois créateur de consciences et mentor du nationalisme, de l’antisémitisme et de toute attitude anti-démocratique. »



    La pensée de Nae Ionescu n’a pas été homogène, affirme l’historien Florin Müller selon lequel ce sont les événements historiques qui ont influencé les opinions et les attitudes politiques: « Quel est en fait le contour de la pensée politique du théoricien et du philosophe entre 1924 et 1940, l’année de sa mort ? La pensée politique de Nae Ionescu connaît trois étapes principales. La première met en valeur ou essaie de construire un modèle de la démocratie des masses, réelle, de facture paysanne. La deuxième étape est celle de la justification de la monarchie de droit divin, une théorie à la périphérie de la pensée politique roumaine et appartenant plutôt au Moyen Age qu’à la modernité. La dernière étape, celle qui commence en 1933, est celle d’exaltation du modèle totalitaire, collectiviste et même crypto-socialiste du mouvement roumain d’extrême droite — la Légion de l’archange Michel. Pourquoi les trois périodes sont-elles importantes ? Parce que le problème de l’antisémitisme se retrouve sous différentes formes dans chacune des trois étapes de sa pensée ».



    Nae Ionescu est décédé en 1940, dans des conditions étranges, qui ont alimenté les rumeurs. C’est en raison de la fascination et de la répulsion qu’avait provoquées sa personnalité puissante qu’à son époque, Nae Ionescu a été à la fois ange et démon… (trad. : Ligia Mihaiescu, Mariana Tudose, Alex Diaconescu)