Tag: Première Guerre Mondiale

  • Les désertions dans l’armée roumaine pendant la Première Guerre Mondiale

    Les désertions dans l’armée roumaine pendant la Première Guerre Mondiale

    La désertion, pas une lâcheté, mais un effet du stree post-traumatique

     

    L’historienne Gabriela Dristaru de l’Institut d’histoire “Nicolae Iorga” de Bucarest s’est longuement penché sur le phénomène de désertion de l’armée roumaine pendant la Première Guerre mondiale, dans une approche comparative.

    « Dans l’espace anglais, les recherches sur le sujet ont débuté dans les années 1980, avec la déclassification de documents qui étaient jusqu’alors inaccessibles aux chercheurs, par souci de protection de la vie privée des accusés et de leurs familles. Les historiens et les chercheurs ont conclu que la désertion pendant la Grande Guerre n’était pas le résultat des lâchetés individuelles, comme on le croyait à l’époque, mais plutôt l’effet du stress post-traumatique. Par conséquent, les 321 exécutions pour désertion au sein de l’armée de l’Empire britannique avaient été des actes d’injustice, qui appelaient à des réparations morales. »

     

    La Roumanie dans le contexte géo-politique de l’époque

     

    L’armée roumaine entre dans la Première Guerre mondiale en août 1916. Après une première phase offensive couronnée d’exploits au nord et à l’est, le long des Carpates, elle est stoppée par les armées germano-austro-hongroises. Au sud, la défaite de l’armée roumaine face à l’armée bulgaro-allemande met la capitale en grand danger. Bucarest est finalement occupée en décembre 1916, alors que le gouvernement et l’administration se réfugient en Moldavie, dans la ville de Iasi. En 1917, l’armée roumaine, avec le soutien de la mission militaire française dirigée par le général Henri Berthelot et de l’armée russe, encore alliée, parvient à renverser la vapeur lors des batailles épiques de Mărăști, Mărășești et Oituz. La révolution bolchevique de l’automne 1917 et la désintégration de l’armée russe ne permettent cependant plus à la Roumanie d’envisager la résistance possible. La Roumanie signe l’armistice au mois de mars 1918 avec l’Allemagne et ses alliés.

     

     

    Les premières désertions sont apparues dans l’armée roumaine après la chute de Bucarest et la retraite en Moldavie.

     

    Une retraite précipitée, parfois chaotique, selon les récits laissés par les témoins oculaires. Les historiens roumains se sont penchés sur les archives militaires et compilé des statistiques. Jusqu’au 1er juin 1918, deux tiers des causes jugées par les cours martiales des différentes unités de l’armée roumaine concernaient la désertion et les délits associés. La justice militaire roumaine, organisée sur la base du Code de justice militaire français de 1857, distinguait entre les différents types de désertion : désertion à l’intérieur du pays, désertion à l’intérieur du pays en temps de guerre, désertion devant l’ennemi, désertion à l’ennemi, désertion dans un pays étranger. La désobéissance à la conscription et à la mobilisation, l’insubordination, les insultes envers les supérieurs et l’automutilation étaient également considérées comme des désertions en temps de guerre.

     

    Des sanctions sévères

     

    Pour mieux observer le phénomène de désertion, Gabriela Dristaru a consulté les archives des cours martiales de deux grandes unités, la 5e et la 13e division. Alors que les sanctions en cas de désertion étaient sévères, allant depuis la peine de mort et jusqu’à la dégradation militaire, il s’est avéré que les juges militaires ne prenaient pas leurs décisions à la hâte et sans le recul nécessaire.

     

    Gabriela Dristaru : « Alors que le crime de désertion à l’intérieur du pays en temps de guerre était passible des travaux forcés à perpétuité, voire de la peine de mort, seules 3 condamnations aux travaux forcés à perpétuité et 3 autres condamnations à la peine de mort ont été prononcées. Les 6 cas concernés et frappés par des peines maximales avaient des circonstances aggravantes : meurtre, vol, faux en documents publics, insulte au supérieur. Par ailleurs, la plupart des arrêts rendus pour le crime de désertion en temps de guerre avaient été des acquittements. »

     

    Déserter pour retrouver sa famille

     

    Il s’avère aussi que les raisons qui poussaient les militaires à la désertion n’étaient pas tant la peur devant les risques inhérentes au front, comme on pourrait le penser, mais surtout le besoin irrépressible de retrouver leur foyer, leur famille, le désir de dire à leurs proches qu’ils étaient en vie, la peur de les laisser seuls sous l’occupation de l’ennemi. La grande majorité des déserteurs ont regagné de leur propre chef leurs unités par leurs propres moyens après une absence de plusieurs semaines. Une autre raison de désertion était le mécontentement à l’égard des dirigeants militaires et politiques. Les désertions furent encore plus nombreuses en 1917, favorisées par l’esprit de défaitisme qui avait gagné l’armée russe et encouragées par la propagande austro-allemande.

     

    Gabriela Dristaru : « Marcel Fontaine, membre de la mission militaire française, notait que la majorité des commandants roumains était d’avis que les déserteurs étaient déjà trop nombreux pour être exécutés, et que les punitions sévères n’auraient fait qu’aggraver la situation. Devant la désintégration de l’armée russe, le défaitisme gagnait aussi bien les grades supérieures et les commandements militaires roumains qu’une bonne partie de la troupe. Les gens sentaient la fin imminente de la guerre. Les moyens utilisés dans la propagande de l’ennemi pour renforcer cet état d’esprit au sein de l’armée roumaine ne faisait qu’aggraver la situation. Les autorités militaires roumaines ont réagi devant les désertions en masse en procédant au remplacement des unités formées par des militaires originaires de la Valachie, occupée par l’ennemi, par des unités moldaves sur la ligne du front. Car les moldaves avaient tout intérêt de continuer à défendre leurs chaumières devant les coups de boutoir de l’ennemi. »   

     

    Le phénomène de désertion en temps de guerre et la manière dont il avait été abordé par les autorités et par la justice militaire de l’époque n’arrête pas de susciter le débat au sein des sociétés européennes 100 ans après la fin de la Grande Guerre. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Souvenons-nous d’Ecaterina Teodoroiu

    Souvenons-nous d’Ecaterina Teodoroiu

    La Banque nationale de Roumanie a profité de l’occasion pour faire découvrir
    cette femme courageuse au large public, dans une exposition temporaire
    réunissant des objets personnels – son uniforme militaire, son uniforme de
    scout, ses lunettes et autres objets représentatifs de la vie d’Ecaterina
    Teodoroiu et de son époque. C’est Roxana Onofrei, experte du Musée de la BNR,
    qui s’en est chargée.




    Nous l’avons invitée au micro de RRI pour nous présenter
    plus en détail cette exposition : « Effectivement, c’est une
    exposition consacrée à Ecaterina Teodoroiu, à l’occasion du lancement du billet
    de banque de 20 lei, le premier à porter l’effigie d’une personnalité féminine.
    A l’époque de la Première Guerre mondiale, il y a avait des billets de banque
    aux figures féminines, mais c’étaient des représentations symboliques,
    allégoriques, pas de personnalités. Il faut mentionner aussi qu’en 2018, la
    Banque centrale avait lancé une coupure anniversaire de 100 lei, destinée aux
    collectionneurs et représentant les portraits du roi Ferdinand et de la reine
    Marie. On pourrait donc dire que c’est la reine Marie qui est la première femme
    à figurer sur un billet de banque roumain, mais c’était une pièce de
    collection, qui n’était pas destinée à la circulation. »






    Que peut-on découvrir en visitant
    l’exposition temporaire consacrée à Ecaterina Teodoroiu à la Banque nationale
    de Roumanie ? La vie de cette héroïne, entre autres, nous dit Ruxandra
    Onofrei : « Nous avons souhaité surprendre quelques éléments
    importants de la vie d’Ecaterina Teodoroiu. Nous avons plusieurs photographies
    qui ont servi de source d’inspiration pour le portrait se trouvant sur le
    billet. Son passé militaire est plus connu, mais on en sait assez peu sur ses
    origines. Elle est née dans un village près de la ville de Târgu Jiu
    (sud-ouest). En fait, ce village fait partie actuellement de la ville même.
    Elle fut le 3e des 8 enfants de la famille. Elle a voulu vivement
    avoir une éducation et ses parents l’ont encouragée en ce sens. Elle a fait le
    collège à Târgu Jiu, à l’école roumano-allemande, puis elle s’est rendue à Bucarest
    pour faire ses études à l’Ecole « Elena Doamna » et à l’école
    d’infirmières. Elle s’est aussi inscrite dans le scoutisme roumain. Cette
    dernière idée lui est venue à l’esprit en 1913, durant la Guerre balkanique.
    Elle était menée par son sentiment patriotique et souhaitait lutter pour sa
    patrie. Lorsque la Roumanie est entrée dans la Première Guerre mondiale,
    Ecaterina Teodoroiu s’est portée volontaire et a lutté aux côtés des troupes
    stationnées dans la zone de la rivière Jiu. Ses actes ne sont pas du tout à
    ignorer. Par exemple, à un moment donné, elle est devenue prisonnière aux côtés
    de son commandant et de 15 autres soldats. Elle a tué les sentinelles et a
    libéré ses camarades. Elle fut blessée, refusant au début les soins médicaux.
    Elle a fini par être soignée, et au moment où elle était guérie, les
    principales institutions de l’Etat avaient été transférées de Bucarest à Iaşi, puisque
    Bucarest avait été occupée par les troupes allemandes. Pour la période où
    Ecaterina fut membre des scouts de Roumanie, ce qui reste, ce sont sa tunique
    et sa ceinture, que nous avons exposées dans notre musée. S’y ajoute la blouse
    roumaine et une partie du costume traditionnel qu’Ecaterina Teodoroiu emmenait
    dans son coffre de campagne et auxquels elle avait renoncé en faveur de
    l’uniforme militaire, dont nous exposons le casque militaire et les lunettes
    qui l’ont rendue célèbre. »






    Durant sa courte vie, Ecaterina
    Teodoriu a eu la chance de rencontrer la reine Marie, 2e reine de
    Romanie, épouse du roi Ferdinand Ier (1875-1938). C’était à l’époque où la
    reine elle-même offrait son aide en tant qu’infirmière de charité dans la
    Première Guerre mondiale. Les actes d’Ecaterina Teodoroiu ne sont pas passés
    inaperçus, affirme Ruxandra Onofrei : « Après sa rencontre avec la reine
    Marie, en février 1917, Ecaterina est décorée par le roi Ferdinand, en mars
    1917, de la décoration de la Vertu militaire. Le même mois, Ecaterina Teodoroiu
    est avancée en grade de sous-lieutenant, devenant la première femme officier de
    Roumanie. Sa personnalité a été appréciée et respectée par ses
    compatriotes. »







    C’étaient quelques mots sur le
    destin de cette brave jeune femme roumaine dont on a trop peu parlé jusqu’ici.
    Il est grand temps de rendre hommage aux femmes de l’histoire roumaine sans
    lesquelles, sans doute, notre présent n’aurait pas été le même. (Trad.
    Valentina Beleavski)

  • L’espionnage en Roumanie durant la première guerre mondiale

    L’espionnage en Roumanie durant la première guerre mondiale

    Durant la première conflagration mondiale, en Roumanie aussi une guerre des renseignements et des espions a été menée, comme d’ailleurs sur tous les fronts. Après sa constitution, en 1859, en tant qu’Etat moderne, la Roumanie s’est dotée de ses propres services de renseignements. En 1908 était créée la Direction générale de la police nationale et des informations. Durant les années qui ont précédé la première guerre mondiale, l’activité de surveillance des personnes qui faisaient de l’espionnage en Roumanie s’est intensifiée. On surveillait principalement les étrangers, mais aussi les Roumains qui faisaient de la propagande en faveur de l’ennemi. En 1916, lorsque la Roumanie entrait en guerre du côté de l’Entente (France, Royaume Uni, Russie), tous les étrangers se trouvant sur le territoire du pays étaient retenus. Une partie d’entre eux étaient internés dans des camps, une autre partie étaient envoyés en Moldavie. Ceux qui étaient surveillés, entraient dans le viseur des services roumains de contre-espionnage lorsqu’ils glorifiaient l’ennemi ou insultaient les deux souverains : le roi Ferdinand et la reine Marie.



    L’historien Alin Spânu est l’auteur d’un livre sur l’espionnage en Roumanie durant la première guerre mondiale. A son avis, l’activité de renseignement était plus importante pour des pays comme la Roumanie, dont les capacités de défense étaient plus faibles. Alin Spânu explique: «On ne gagne pas une guerre uniquement par l’activité de renseignements, on la gagne aussi sur le champ de bataille, et par rapport à d’autres pays, la Roumanie avait un grand désavantage : elle ne disposait pas d’une industrie militaire, malheureusement, elle ne fabriquait pas de canons, d’avions, de mitrailleuses, tout devait être importé. Certes, la Roumanie a bénéficié d’armement, dont une partie provenait de ses alliés de 1883 — l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie — une autre partie, elle l’a importée par la suite de France. De plus en plus, d’ailleurs, au fil du temps, la Roumanie s’est orientée vers la France et le Royaume-Uni. C’est de là qu’elle a commencé à importer de l’armement ; après l’entrée du pays en guerre, ce fut uniquement à ces puissances que l’on acheta de l’armement et des munitions. »


    L’armée a compté parmi les premières structures de l’Etat à bénéficier de renseignements pendant la guerre. Les polyglottes et les personnes capables de constituer des réseaux de renseignements et qui souhaitaient collaborer, étaient cooptés dans les structures de l’Etat. Une des personnes qui remplissait ces conditions a été Florea Bogdan, originaire de Transylvanie, province faisant partie à l’époque de l’Autriche-Hongrie. Alin Spânu: « Ingénieur roumain de Reghin, dans l’est de la Transylvanie, Florea Bogdan, était un excellent officier de renseignement qui, une fois arrivé à Bucarest, a créé son propre réseau de renseignements en Transylvanie, à commencer par 1914. Il avait mis sur pied un centre de renseignements à Cluj et a transmis des informations sur l’entrée en Transylvanie des troupes allemandes venues soutenir les troupes de l’Autriche-Hongrie. Malheureusement, au Grand Quartier Général roumain, on n’y crut pas. Bogdan devient chef du Bureau de renseignements de la 14e division d’infanterie, actif en Transylvanie. Officier de liaison auprès d’un corps d’armée russe de Bicaz, pour un certain temps, il est rappelé au Grand Quartier Général, où il est chargé de la censure de la presse et de l’élaboration de bulletins d’informations à partir des renseignements obtenus des prisonniers. Il connaissait très bien le hongrois et l’allemand. Ce qui est le plus important — et que la plupart des gens ignorent — c’est qu’il a dirigé l’équipe qui a travaillé et réussi à déchiffrer le code de l’armée allemande, en 1917, ce qui a apporté des avantages à l’armée roumaine durant les combats de l’été 1917. »



    Comme cela arrive souvent, dans le fonctionnement des services de renseignements il y a eu des erreurs, des vengeances personnelles, les informations étaient vendues et achetées, pour différentes raisons, surtout pour des récompenses financières, certains travaillaient pour l’ennemi. Les femmes ne pouvaient pas manquer, certes, de l’activité d’espionnage et de contre-espionnage de Roumanie. Alin Spânu: « Certaines travaillaient pour de l’argent, d’autres par loyauté. Cette activité était très bien payée. Par exemple, en 1916, un agent de sureté touchait entre 120 et 150 lei par mois, alors que 50 lei était à l’époque un bon salaire. Deux jeunes dames soupçonnées de faire de l’espionnage et à qui, après l’entrée du pays en guerre, on a interdit de franchir la frontière entre la Roumanie et l’Autriche-Hongrie, étaient très fâchées de perdre 1.000 lei par jour. Je donnerais encore deux ou trois exemples de femmes qui faisaient de l’espionnage. Une dame bien nantie, Roza de son nom, s’était attiré la collaboration du chef d’un poste de gendarmes. Veronica, une autre dame qui faisait de l’espionnage, était cartomancienne. Elle faisait une propagande anti-roumaine féroce, en racontant à ceux qui venaient la consulter combien on mangeait bien dans l’armée des Puissances Centrales et mal dans l’armée roumaine et que la Roumanie allait être vaincue. Elle a fini par se faire arrêter par les services de sureté. Une autre femme, fiancée d’un officier roumain, parcourait la Moldavie en train. Son savoir concernant les calibres des canons roumains, leur emplacement, ainsi que l’emplacement des entrepôts d’armes était suspect. Elle finit par susciter des doutes. »


    L’espionnage et le contre-espionnage en Roumanie durant la première guerre mondiale étaient quelque chose de normal. Leur ampleur, leurs effets immédiats, les aspects anecdotiques et les détails piquants restent dans les archives, attendant que quelqu’un les dévoile, comme partie de l’histoire, cent ans après.


    (Trad. : Dominique)

  • Iasi

    Iasi


    La ville de Iaşi recèle à la fois des trésors dhistoire et dart, mais elle est également synonyme dinnovation. Que lon mentionne les pages de lhistoire écrite par les grandes familles des boyards moldaves ou du moment historique de la montée sur le trône de Moldova dAlexandru Ioan Cuza, celui qui, en étant élu à la fois par le divan, soit le parlement de Iasi, puis par celui de Bucarest, allait réaliser ce que les historiens ont par la suite appelé la petite Union, cest à Iasi que lon trouve les origines de la Roumanie moderne. Ville chargée dhistoire, Iasi propose au touriste daujourdhui des tours inédits ou encore les classiques tours guidés, où la parole du narrateur fait ressusciter les personnages et la vie dantan.


    Le dernier tour en date, très à propos dans cette année du Centenaire, nous emmène dans un endroit particulier non seulement pour la ville de Iasi, mais pour tous les Roumains dhier et daujourdhui. Il faut savoir quau mois de novembre 1916, les armées ennemies avaient traversé le Danube par le sud et quelles sapprochaient de la capitale, Bucarest. Acculé, le gouvernement déménagea en catastrophe à Iasi, situé dans le nord de la Moldavie. Cest à Iasi que se réfugièrent aussi le roi Ferdinand Ier et la famille royale, le parlement ainsi que les autres administrations de la Roumanie encore libre. Cest toujours à Iasi que fut transporté en première instance le trésor de la Banque nationale, transféré par la suite à Moscou, et dont on perd la trace lors de la révolution bolchévique.


    Sorina Dănăilă, initiatrice de ce tour et narratrice à ses heures, raconte : TRACK


    « A lheure du Centenaire de la Grande Union, il a été décidé de marquer la période du refuge à Iasi, celle de 1916 à 1918. Notre agence a conçu ce tour pour mieux mettre en exergue le rôle essentiel joué par notre ville pendant ces deux années de refuge, alors que Bucarest était occupée par les Allemands. La ville de Iasi est devenue la capitale de facto de cette Roumanie meurtrie par la guerre, et dont le territoire sest rétréci comme une peau de chagrin. Iasi fut aussi le creuset qui vit éclore le sursaut de la fierté nationale retrouvée et qui permit la genèse de la Grande Roumanie, la réunion de tous les locuteurs de langue roumaine sous la bannière dun même Etat. Le souvenir de ces années de refuge demeure ignoré autant par les contemporains qui, en 1918, se pressèrent pour rejoindre Bucarest, que par bon nombre dhistoriens. Cest pour rendre justice à cette page méconnue de lhistoire de notre ville que lon propose cela ».


    La narration est disponible dans les principales langues étrangères. Sorina Dănăilă : TRACK


    « Les touristes étrangers sont émerveillés par cette ville quils perçoivent comme située à la frontière est de lUE. Ils y sont intrigués, et de cette curiosité avec laquelle ils arrivent naissent des interactions étonnantes. Quoi quil en soit, nous, nous sommes ravis de leur faire découvrir cette ville qui, au demeurant, est une merveille ».


    Et si vous arrivez à Iasi, ne ratez surtout pas le Zoo de la ville. Fondé en 1856 sur sa propriété par le médecin et naturaliste Anastasie Fătu, et dont il porte le nom, le jardin zoologique de Iasi demeure une référence dans le paysage de la ville. Aussi, parcourir à pied les ruelles romantiques, bordées de tilleuls et dhôtels de maître des anciens boyards, demeure un plaisir quil ne faudrait surtout pas refréner. Enfin, la traditionnelle hospitalité moldave et la richesse culinaire de la région se donnent la main dans les jardins des restaurants de cette ville à maints égards encore patriarcale.


    Voilà, linvitation a été lancée. Jusquà la prochaine fois, profitez bien du beau temps et de vos vacances !


    Trad. Ionut




  • Les Juifs roumains durant la Première Guerre Mondiale

    Les Juifs roumains durant la Première Guerre Mondiale

    Avant 1918, les minorités ethniques de Roumanie ont participé pleinement aux côtés des Roumains à la réalisation de la Grande Roumanie et ont contribué à atténuer les effets de la Première Guerre mondiale.Les Juifs ont compté parmi ces minorités. Ils se sont enrôlés dans l’armée, ils ont intégré le personnel sanitaire déployé sur le front, ils ont fait des actes de charité pour alléger le fardeau de la guerre. A la fin de la conflagration, ils ont reçu la nationalité roumaine et tous les droits dont jouissaient les citoyens d’un Etat démocratique.

    La participation des Juifs aux grands événements de l’histoire moderne de la Roumanie commence en 1877-1878, avec la guerre d’indépendance. Des Juifs y ont participé comme soldats ou officiers, comme médecins ou membres du personnel sanitaire, sur le front ou derrière les lignes du front, dans les hôpitaux ou partout où les blessés étaient soignés.

    Pendant l’assaut de la redoute de Griviţa par l’unité du capitaine Valter Mărăcineanu, le Juif Mauriciu Brociner et d’autres héros sont tombés aux côtés du capitaine. Selon Marius Popescu du Centre d’Histoire des Juifs de Roumanie, le sacrifice de Brociner n’a pas été l’unique de ce genre. Durant la deuxième guerre balkanique de 1913, des militaires juifs ont servi dans les rangs de l’armée roumaine, entre autres le capitaine Armin Iaslovici, lieutenant pendant la guerre de 1877-1878 et commandant en 1916, au début de la Grande Guerre.

    Selon Marius Popescu, la participation des Juifs roumains à la Première Guerre mondiale a été comparable à la participation des minorités juives dans les autres pays européens : « Dans les Principautés roumaines unies, la population juive comptait quelque 230.000 personnes, dont 23.000 – soit 10% – avaient été enrôlées. Ce nombre est similaire à celui des Juifs d’autres pays ayant participé à la guerre. Sur les 23 mille Juifs roumains enrôlés, 882 sont morts, 825 ont été blessés, 449 ont été faits prisonniers et 3043 ont été portés disparus. »

    Les Juifs civils ont eux aussi accompli des actes héroïques pendant la guerre – par exemple celui enregistré à la fin de l’année 1916 dans la Roumanie occupée par les Allemands.

    Marius Popescu explique : « J’aimerais mentionner un héros décoré à titre posthume. Il s’appelait Herman Kornhauser et il était originaire de la ville de Târgovişte. En décembre 1916, il s’est procuré des aliments et des vêtements civils pour aider les prisonniers roumains des camps allemands. Il a même facilité l’évasion de certains de ces prisonniers, mais, surpris par les autorités allemandes d’occupation, il a été condamné et exécuté. On lui a accordé à titre posthume la Vertu militaire. Kornahuser n’a pas été le seul, de nombreux autres Juifs ont accompli des actes d’héroïsme. »

    A compter de 1916, les communautés juives ont participé pleinement à l’effort de guerre des Roumains pendant la première conflagration mondiale. Les efforts se sont intensifiés en 1917, lorsque les autorités s’étaient réfugiées en Moldavie et les armées roumaine et russe tenaient tête aux Puissances centrales dans les Carpates et le long de la rivière Siret.

    Marius Popescu : « Un autre aspect est lié à la contribution des communautés juives derrière les lignes du front pour soutenir l’effort de guerre du pays. Car les Juifs non seulement ont participé effectivement aux combats, ils ont également apporté une contribution matérielle. Un comité d’aide de l’Union des Juifs natifs a été créé pendant la guerre, qui avait des ramifications partout dans le pays. Son but était de collecter des aliments et de l’argent pour contribuer aux aides accordées aux blessés et aux veuves des soldats morts sur le front. Ce comité collaborait avec d’autres institutions telles la Croix rouge, la Famille de combattants, le réseau d’hôpitaux « La Reine Marie » etc. Les communautés juives s’y sont engagées à fond. Les synagogues, les écoles juives, toute la chaîne d’institutions de la communauté ont été mises à la disposition de l’armée roumaine. Et cela alors que, pendant la guerre, les Juifs n’étaient pas des ressortissants roumains. Ces gens-là ont pris les armes et ont lutté pour le pays, alors qu’ils n’étaient pas ses citoyens. »

    La signature de la paix n’a pas été la fin des difficultés. Les Juifs se sont engagés dans les efforts de reconstruction.
    Marius Popescu : « Ils ont offert, individuellement, d’importantes sommes d’argent. Par exemple, Frederic Costiner, un industriel très riche du comté de Botoşani, a versé 20.000 lei dans un fonds créé pour acheter des terres au bénéfice des descendants des villageois tombés au combat. C’était la façon de ce philanthrope de manifester sa charité et sa reconnaissance envers les victimes de la guerre. »

    C’est par la voix de son souverain, le roi Ferdinand Ier, que l’Etat roumain reconnaissait la loyauté des Juifs.

    Marius Popescu : « A la fin de la guerre, le roi Ferdinand a fait une déclaration d’une grande importance. Celui-ci affirmait – je cite: « Je suis arrivé à la conclusion – et je suis satisfait de constater que je ne me suis pas trompé – que tous les habitants du territoire roumain, quelle que soit leur race et leur origine, sont animés par les mêmes sentiments nobles de fraternité. » – fin de citation. Cette déclaration était une reconnaissance des mérites de tous ceux qui avaient contribué à la guerre de réunification nationale. »

    La reconnaissance finale fut l’abrogation de l’article 7 de la Constitution de 1866. La Constitution de la Grande Roumanie, élaborée en 1923, accordait des droits à tous les citoyens, quelle qu’eut été leur religion. (Trad. : Dominique)

  • Ecaterina Teodoroiu

    Ecaterina Teodoroiu

    Elle a été la femme-soldat qui a refusé de rester derrière les tranchées et qui a choisi d’être là où les combats étaient les plus acharnés. Née en 1894 dans le département de Gorj (sud), dans une famille de paysans, Ecaterina Teodoroiu a été une élève appliquée de l’École allemande de Târgu Jiu et, avant d’aller à Bucarest pour se préparer à devenir institutrice. Elle a suivi aussi les cours d’une école d’infirmières.

    L’entrée de la Roumanie dans la Grande Guerre en août 1916 a été accueillie avec enthousiasme par la population et beaucoup de jeunes volontaires se sont enrôlés dans l’armée. Ecaterina Teodoroiu a été, elle aussi, une de ces jeunes. Pour sa participation aux combats, Ecaterina sera décorée et avancée au grade de sous-lieutenant. Le 22 août 1917, son régiment, qui se trouvait sur la ligne de front au sud de la Moldavie, dans la zone de Vrancea, a été attaqué par l’armée allemande et les Roumains ont été forcés à se retirer. Le sous-lieutenant Ecaterina Teodoroiu, qui était à la commande d’un peloton, y est tué par les balles d’une mitrailleuse.

    L’historien Ioan Scurtu explique pourquoi elle est devenue le symbole féminin le plus fort de la Grande Guerre : «Déjà en 1917-1918, Ecaterina Teodoroiu était une légende et ses camarades d’armes ont témoigné de son comportement exemplaire, de son courage et de son héroïsme au combat. Le fait qu’une jeune femme ait participé aux hostilités a acquis la valeur d’un symbole. Ecaterina Teodoroiu s’est vu demander de rester travailler pour la Croix Rouge, en compagnie d’autres femmes, dont la plus importante était la reine Marie, mais elle a refusé. Elle a déclaré que sa place était sur le front, à lutter l’arme à la main. En 1921, cent ans après la révolution de Tudor Vladimirescu, sa dépouille a été transférée à Târgu Jiu, où elle repose dans un sarcophage créé par la sculptrice Miliţa Pătraşcu. Le roi Ferdinand, la reine Marie et l’historien Nicolae Iorga, tout comme le maréchal Alexandru Averescu et tous les dirigeants de la Roumanie qui étaient impliqués dans la construction du symbole national des 800.000 soldats roumains tombés sur le front de la Grande Guerre, ont fait des efforts pour mettre en évidence la personnalité d’Ecaterina Teodoroiu. »

    Tuée à seulement 23 ans, dans la bataille de Mărăşeşti, en août 1917, Ecaterina Teodoroiu montre le prix de guerre payé par les Roumains. (Trad. Nadine Vladescu)

  • Artistes plasticiens durant la Première guerre mondiale

    Artistes plasticiens durant la Première guerre mondiale

    La Grande Guerre a été aussi la première conflagration richement illustrée par des images cinématographiques, des photographies et des dessins. Les plasticiens de différents pays en guerre se sont retrouvés en première ligne soit par initiative personnelle, soit parce qu’ils avaient été appelés par leurs patries à illustrer les combats et l’atmosphère générale du front. Ce fut également le cas de la Roumanie. Le 23 juin 1917, lorsque la Roumanie était en guerre contre les Puissances centrales, le général Constantin Prezan a émis un ordre de mobilisation des peintres, illustrateurs et sculpteurs pour réaliser des œuvres qui allaient par la suite être exposées dans un futur musée militaire. Au sujet des artistes appelés par leur patrie pour manier non pas les armes, mais les pinceaux et le carnet de croquis, écoutons Adrian Silvan Ionescu, directeur de l’Institut d’histoire de l’art de Bucarest : « Un service cinématographique et photographique de l’armée existait déjà en Roumanie, mais les responsables militaires de l’époque ont jugé que la vibration transmise par les plasticiens pourrait s’avérer plus intense que la présentation sommaire et très réaliste que produisait l’appareil photo. C’est sous les couleurs du drapeau que toute une série d’artistes ont créé ; ils étaient déjà officiers en réserve, mais aussi des personnes qui n’avaient aucun rang dans l’armée, des Roumains qui n’avaient même pas effectué leur service. Ils avaient reçu le rang honoraire de lieutenant et la solde à laquelle ils avaient droit. Parmi eux, les sculpteurs Ion Iordanescu, Ion Jalea, Cornel Medrea, Oscar Han, mais aussi les peintres Teodorescu-Sion, Traian Cornescu, Camil Ressu, Alexis Macedonski, Nicolae Dărăscu, Petre Bulgărăş et d’autres. Tous ces plasticiens ont disposé de peu de temps pour créer des œuvres. Ils ont commencé début juin et déjà en septembre une exposition était inaugurée à l’Ecole des beaux-arts de la ville de Iasi, dans le nord-est.»

    Afin de surprendre le mieux possible le caractère dramatique des combats, mais aussi les efforts des soldats, ces plasticiens se sont rendus en première ligne du front. Certains ont été même victimes des échanges de tirs. Ce fut le cas du grand sculpteur Ion Jalea, qui, sur le front de Marasesti, dans l’est de la Roumanie actuelle, là où il réalisait quelques croquis, a été atteint par un obus et il a perdu son bras gauche. Mais quelles étaient les créations de ces artistes ? Le drame quotidien et la vie tourmentée des soldats dans les tranchées a constitué le point commun de toutes les œuvres réalisées par les plasticiens roumains », affirme l’historien de l’art Adrian Silvan Ionescu. « Les scènes émanant de la force, le combat mené jusqu’au paroxysme ne sont pas celles qui dominent, mais plutôt celles illustrant le quotidien des tranchées, la lecture de la presse, le transport des blessés aux hôpitaux, la marche des prisonniers. Les artistes n’osent plus illustrer d’amples scènes de combats, avec des charges de cavalerie, des explosions d’obus, des attaques à la baïonnette sans précédent, comme ce fut le cas des conflits antérieurs, marqués par une solennité martiale. Glorifier la guerre n’est plus l’objectif de ces artistes, qui cherchent désormais le réalisme dans leurs œuvres. »

    Les artistes convoqués par le général Prezan n’ont pas été les seuls à exercer leur vocation sur le front roumain de la Première Guerre mondiale. Nombre de peintres ont travaillé indépendamment des services spécialisés de l’armée. Parmi eux, Iosif Iser. Même si officiellement il combattait au sein du service géographique de l’armée et réalisait des cartes militaires, et aussi des cartes de menu pour les diners des officiers supérieurs, Iosif Iser trouvait le temps de peindre et de dessiner des scènes du quotidien des tranchées. Parmi ces artistes qui ne se retrouvaient pas sous le haut patronage du Grand Quartier Général figurait aussi Costin Petrescu, le créateur de la grande fresque qui décore l’intérieur de l’Athénée roumain.

    L’historien de l’art Adrian Silvan Ionescu passe en revue d’autres artistes de cette catégorie : « Victor Ion Popa, un admirable dessinateur, une personnalité culturelle, a collaboré avec la presse de l’époque et produit des illustrations humoristiques, mais aussi des œuvres d’une grande force expressive. Un autre plasticien à ne pas faire partie du groupe créé au sain du Grand QG a été Sabin Popp. Détaché auprès de la flotte aérienne déployée à Barlad, il a même survécu à un incident aéronautique. Lors d’un virage très serré effectué par le pilote, Sabin Popp fut carrément éjecté du cockpit. A la dernière minute, il réussit à s’accrocher à une des ailes et l’avion se posa avec lui hors de son siège. Il échappa ainsi à une mort horrible, car à l’époque les aviateurs ne portaient pas de parachute. Sabin Popp a été initialement attaché à un régiment d’infanterie pour être ensuite redéployé à la flottille aérienne, où il a peint les portraits de ses camarades officiers et de ses subordonnés. »

    Les œuvres de ces artistes illustrant la tragédie de la Grande Guerre peuvent être admirées dans une exposition récemment inaugurée au Musée national d’art de Bucarest.

  • La Roumanie en 1918, entre l’extase et l’agonie

    La Roumanie en 1918, entre l’extase et l’agonie

    Occupée par les armées des Puissances centrales et avec une image ternie dans les yeux de ses alliés pour avoir conclu une paix séparée en mars 1918, la Roumanie s’efforçait, à l’automne 1918, de sortir du mieux qu’elle le pouvait d’une situation désespérée. Le changement du rapport de forces entre les Puissances centrales et l’Entente à l’automne 1918 a fait qu’à la fin de la guerre la Roumanie se trouve dans le camp des vainqueurs. La récompense fut l’apparition de la Grande Roumanie par l’union de la Bessarabie, de la Bucovine et de la Transylvanie avec l’ancien Royaume de Roumanie. Cela n’a pas été facile, pourtant. Jusqu’en 1920, l’élite politique et la société dans son ensemble ont dû dépasser les obstacles à la reconnaissance internationale du nouvel Etat.

    L’historien Ioan Scurtu sur la Roumanie entre l’extase et l’agonie dans les années de guerre 1916-1918 : «Théoriquement, la Roumanie aurait dû être prête parce qu’elle est entrée en guerre en 1916, soit deux années après le commencement de la grande conflagration mondiale. Normalement, elle aurait dû en profiter pour armer ses contingents, préparer son arsenal de guerre et constituer ses réserves. Malheureusement, elle n’a rien fait de tout cela. Une fois éteint l’enthousiasme du départ à la guerre quand les soldats sont partis sur le front en chantant, les armes ornées de fleurs et acclamés par la foule comme s’ils allaient faire la fête, le désastre s’est installé lors de la bataille de Turtucaia. C’est à ce moment-là que les responsables roumains ont compris l’ampleur de la situation. En novembre, les troupes se sont retirées de Transylvanie pour qu’en décembre, la capitale soit placée sous l’occupation en forçant le gouvernement à se retirer à Iasi. En plus, une épidémie de choléra éclatée dans la région s’est soldée par des milliers et des milliers de victimes. Et comme si tout cela ne suffisait pas, un accident ferroviaire s’est produit près de Iasi quand un train a déraillé en provoquant la mort de plus d’un millier de personnes ».

    Mais, en 1917, l’armée roumaine enregistre enfin ses premiers moments de gloire, à Marasesti, Marasti et Oituz où elle arrive à bloquer l’avancée des troupes allemandes et austro-hongroises. Pourtant, suite à la révolution bolchevique, la Roumanie dépose les armes et se voit placer sous l’occupation russe. Même si son trésor fut à jamais perdu en Russie, même si elle a fait la paix avec ses adversaires et même si elle s’est vu forcer de tenir tête aux révolutions bolcheviques de Russie et de Hongrie, la Roumanie a pourtant réussi à surmonter toutes ses grandes difficultés.

    Tout cela, grâce à une élite politique visionnaire, selon Ioan Scurtu : « Evidemment que ce fut un succès, et tous ces obstacles ont été surmontés grâce à une classe politique roumaine de valeur. Je me réfère avant tout à I.C. Bratianu, le président du PNL, qui a participé aux événements et qui a joué un rôle important dans la Grande Union. Les habitants de Bessarabie ainsi que ceux de Bucovine et de Transylvanie ont envoyé à Iasi leurs émissaires. Lesquels se sont entretenus, avant la proclamation de l’Union, avec le roi Ferdinand, avec Ion C. Bratianu et d’autres hommes politiques sur les voies à suivre en vue de la mobilisation pour l’Union. I.C. Bratianu a dirigé la délégation roumaine à la Conférence de paix de Paris. C’est là qu’il a rencontré les grands noms politiques de l’époque, à commencer par le président américain Wilson jusqu’au premier ministre britannique. Ce fut finalement une victoire vu que les documents de l’union de Chisinau, Cernauti et Alba Iulia ont été ratifiés par les traités de paix de 1919 – 1920.»

    Ce sont les deux monarques de la Roumanie, Ferdinand Ier et Marie, qui ont mobilisé les énergies de la nation. Ioan Scurtu : « Le roi Ferdinand était Allemand et il avait été officier dans l’armée allemande. Lorsque le Conseil de la Couronne s’est déclaré en faveur de l’entrée de la Roumanie en guerre contre son pays, en fait, contre sa famille, en disant « oui », le roi a fait un sacrifice personnel et un acte d’une grande importance pour la Roumanie. La Conseil de la Couronne une fois achevé, l’homme politique Petre P. Carp fit remarquer au roi qu’il avait oublié sa nationalité allemande, en vertu de laquelle il n’aurait pas dû prendre une telle décision. Ferdiand lui répondit qu’il savait très bien qu’il était Allemand : « Si les intérêts de mon pays avaient concordé avec ceux de la Roumanie, c’est avec grande joie que j’aurais fait autrement. » – lui dit le roi. »

    Pourtant, il se considérait aussi Roumain, roi des Roumains, et a agi dans l’intérêt du pays à la tête duquel il se trouvait. Le sacrifice de la nation était aussi celui du couple royal, et les caractères forts, on les reconnaît dans les moments de difficulté maximale.

    L’historien Ioan Scurtu : « La reine Marie a été dès le début l’adepte de l’entrée de la Roumanie dans la Guerre aux côtés de l’Entente. Elle était Britannique et elle a joué un rôle important dans la démarche visant à convaincre Ferdinand de faire ce sacrifice personnel, dans l’intérêt du peuple roumain. Pendant la guerre, le roi et la reine sont restés en permanence aux côtés des Roumains, de l’armée, des principaux leaders politiques. Au moment où il fut question de quitter la ville roumaine de Iasi pour trouver refuge à Odessa, face à une possible occupation allemande de toute la Moldavie, le roi Ferdinand a refusé de partir. I.C Bratianu a fait de même. Ce geste a mobilisé la conscience publique, y compris certains hommes politiques qui s’étaient empressés à quitter le pays pour gagner l’Ukraine, dans des villes loin de la ligne du front ».

    La Grande Roumanie a été l’objectif de la génération au début du 20e siècle. Un objectif qui a été atteint par tous ceux qui y ont cru, en suivant certains modèles et principes, en dépassant des émotions et des hésitations, par une volonté puissante… (trad. : Ligia Mihaiescu, Dominique)

  • Centenaire de l’héroïne Ecaterina Teodoroiu

    Centenaire de l’héroïne Ecaterina Teodoroiu

    Femme-soldat et magnifique exemple de sacrifice personnel, Ecaterina Teodoroiu a été l’héroïne roumaine symbole de la première guerre mondiale. Ne se contentant pas de rester derrière les lignes de front, elle s’est aventurée là où le combat était le plus dur et où la mort frappait aveuglément. Âgée de 23 ans à peine, elle est tombée au combat à Mărăşeşti, en août 1917.

    Née en 1894 dans le comté de Gorj, dans une famille de paysans, Ecaterina Teodoroiu a eu 5 frères et 2 sœurs. Elève appliquée, elle a suivi les cours de l’école allemande de Târgu Jiu, pour aller ensuite à Bucarest faire des études pour devenir institutrice. Elle a également suivi une école d’infirmières et a fait partie du mouvement roumain des scouts.

    L’entrée de la Roumanie en guerre en août 1916 a été accueillie avec enthousiasme par la population et de nombreux jeunes se sont engagés comme volontaires dans l’armée, entrant dans la spirale de la mort, animés par les nobles idéaux de leur génération. Ecaterina Teodoroiu a compté parmi ces jeunes et elle a choisi l’expérience difficile de la guerre, s’enrôlant dans l’armée et allant sur le front. On dit que c’est la mort d’un de ses frères, tombé au combat pendant l’automne 1916 qui l’a déterminée à prendre une telle décision. Son enthousiasme et sa décision étaient néanmoins exceptionnels pour une femme de son époque.

    Selon l’historien Ioan Scurtu, son éducation et la situation du le pays l’ont également poussée à partir au combat: « Elle s’est affirmé à un moment je dirais symbolique de la guerre, à savoir celui où la population de Târgu Jiu a défendu la ville, empêchant les troupes allemandes d’y pénétrer. Ecaterina Teodoroiu a compté parmi les initiateurs et héros de cette action populaire qui a déterminé l’armée allemande à faire demi-tour. Encouragée par ce succès, elle est allée sur le front et elle a prié le général Dragalina, qui défendait la Vallée du Jiu, de l’accepter, comme soldat, dans les rangs de l’armée. Le général dit « oui » et dès octobre 1916, elle participe aux combats. Blessée à deux reprises – dont une fois grièvement – elle fut hospitalisée à Craiova, ensuite à Bucarest et à Iaşi. A Iaşi, la reine Marie vint lui rendre visite et à partir de ce moment-là, son nom acquit une véritable notoriété. Ce fut la Reine Marie qui lui remit, sur son lit d’hôpital, la décoration offerte par le roi Ferdinand pour sa participation aux combats et ses actes de prouesse durant l’automne et l’hiver 1916 – 1917.


    Une femme dans l’armée et surtout une qui aille sur le front était à l’époque quelques chose de tout à fait exceptionnel. Comment les soldats l’ont-ils accueillie ? Ioan Scurtu: « Selon les livres que j’ai lus – et j’ai d’ailleurs écrit moi-même un livre sur les héros de la première guerre mondiale, dont Ecaterina Teodoroiu – elle a été accueillie avec beaucoup de respect et de considération pour son geste unique. Le fait qu’elle participait à toutes les activités militaires, n’évitant aucune corvée ou obligation, apprenant à manier l’armement fraîchement reçu, début 1917, de la part des alliés, lui a valu le respect de ses camarades, qui appréciaient et admiraient cette jeune femme si courageuse et si ferme dans sa décision de lutter pour son pays. »

    Pour sa participation aux combats, Ecaterina Teodoroiu allait être décorée et promue au grade de sous-lieutenant. Le 22 août, à 21 h 15, son régiment fut attaqué par l’armée allemande et les Roumains furent obligés de battre en retraite. Durant cette manœuvre défensive, Ecaterina Teodoroiu fut touchée par deux balles meurtrières en pleine tête sur le Colline Secului-Muncel. Nous avons demandé à l’historien Ioan Scurtu si le grade de sous-lieutenant d’Ecaterina Teodoroiu avait été symbolique et censé remonter le moral des troupes ou bien si elle l’avait bien mérité. L’historien Ioan Scurtu explique : Dès 1917-1918 Ecaterina Teodoroiu est devenue une légende et ceux aux côtés desquels elle a lutté ont parlé de son courage et de son héroïsme. Par son acte de s’engager dans le combat, cette femme est devenue un symbole. Sortie de l’hôpital, on la pria avec insistance de rester travailler pour la Croix Rouge, avec d’autres femmes remarquables, dont la Reine Marie. Elle a pourtant refusé, affirmant que sa place était sur le front, l’arme à la main. En 1921, à l’occasion du centenaire de la révolution de Tudor Vladimirescu, la dépouille d’Ecaterina Teodoroiu, enterré à Mărăşeşti, fut transportée à Târgu Jiu, et déposée dans un sarcophage réalisée par la femme sculpteur Miliţa Pătraşcu. Le roi Ferdinand et la reine Marie, l’historien Nicolae Iorga et le maréchal Alexandru Averescu, ainsi que toutes les personnalités de premier rang de la vie politique roumaine qui ont maintenu vivante la mémoire des 500 mille soldats roumains tombés dans cette guerre ont accordé une attention à part à Ecaterina Teodoroiu. »

    La postérité de la jeune institutrice a été à la mesure de son sacrifice. L’ « Héroïne de Jiu » – comme elle fut surnommée – est devenue le symbole féminin par excellence de la première guerre mondiale en terre roumaine.(Aut. : Steliu Lambru ; Trad. : Dominique)

  • Diplomates étrangers en Roumanie. Le comte de Saint-Aulaire.

    Diplomates étrangers en Roumanie. Le comte de Saint-Aulaire.

    Né en 1866 et mort en 1954, Auguste-Félix-Charles de Beaupoil, comte de Saint-Aulaire, est venu en Roumanie en tant qu’ambassadeur de France pendant l’été tumultueux de l’année 1916 – année où notre pays entrait dans la Première Guerre Mondiale. «Notes d’un diplomate d’autrefois. En Roumanie entre 1916 et 1920» réunit les écrits du comte ambassadeur sur les transformations profondes qui se passaient sous ses yeux. Ce livre est une des plus importantes et riches sources d’informations sur les jeux politiques et les tragédies ayant marqué la fin de la Grande Guerre. Roumanophile, anticommuniste et partisan de l’entrée de la Roumanie dans la guerre, Saint-Aulaire fait preuve d’un solide esprit analytique quand il regarde le monde qui l’entoure et d’esprit visionnaire quand il regarde la marche de l’histoire.

    Selon l’historienne Alina Pavelescu, les mémoires de Saint-Aulaire devraient être lus deux fois : « La première scène que j’aie lue dans ce livre, ce fut celle où Saint-Aulaire raconte sa visite dans le bureau d’Aristide Briand, avant son départ pour la Roumanie. Le comte note que le bureau de cet homme était aussi vide de papiers que sa tête l’était d’idées. Il me l’a ainsi rendu très sympathique et j’ai pensé que ce personnage méritait la reconnaissance de tous ceux qui reportent indéfiniment le moment de mettre de l’ordre dans les papiers qui traînent sur leur bureau. Je recommande une double lecture de ce livre. La première lecture se déroule très bien pour nous, les Roumains, car elle nous est très favorable. Dans certaines circonstances, elle nous est même plus favorable que les mémoires des Roumains de l’époque, car Saint-Aulaire est un personnage de l’histoire amoureux de la reine Marie. Il dit des choses extrêmement belles sur la capacité des Roumains à se sacrifier et sur la générosité qu’ils mettent dans ce geste, il parle de la classe politique roumaine d’une façon dont nous n’avons pas l’habitude de le faire. La lecture des mémoires du comte de Saint-Aulaire est d’autant plus flatteuse pour nous, que, tout en parlant des Roumains comme il le fait, il est très critique à l’adresse de la classe politique française. »

    Le comte de Saint-Aulaire fait preuve d’une intelligence remarquable, prouvant qu’il comprenait le monde qu’il avait intégré. Selon Alina Pavelescu, la seconde lecture nous aide à mieux saisir les observations des auteurs : «Je recommande une seconde lecture, car Saint-Aulaire n’est qu’en apparence une source facile à repérer dans le paysage de l’époque. Pourquoi ? Parce qu’il est un aristocrate représentant une république, c’est un conservateur qui sert de diplomate à un gouvernement de gauche, un civil qui se retrouve, à un moment donné, claustré, aux côtés de beaucoup d’autres, dans un milieu dominé par la guerre et l’armée, par les militaires et leur logique. Nous connaissons la fin de l’histoire, mais lorsque nous lisons les mémoires de Saint-Aulaire, nous ignorons de quelle façon tout allait se terminer. Il est vrai qu’il écrit en 1953, il sait, avec une certaine tristesse, quel a été le sort de la Grande Roumanie, il voit en quelque sorte confirmés ses jugements sévères sur la paix conclue après la première guerre mondiale. Il ne sait pourtant pas comment a fini le monde instauré suite à la victoire de l’Union Soviétique dans la seconde guerre mondiale. Pourtant, à chaque fois, le lecteur est confronté aux différents plans et il doit déceler de quelle façon ces gens-là voyaient les choses lors des différentes étapes, quand ils ne savaient pas comment tout allait finir. En tant que Français, il venait d’une société qui était à l’époque beaucoup plus favorable aux Russes que la société roumaine. Les Français aimaient les Russes et peut-être les aiment-ils encore plus que nous, les Roumains, nous ne les avons jamais aimés. Saint-Aulaire ne souffre pas de russophilie – même au contraire, je dirais. Il ne se faisait pas d’illusions même pas d’illusions sur la Russie tsariste au moment où il entre en contact, à Bucarest, avec les représentants de la Russie avec lesquels était négociée l’entrée de la Roumanie dans la guerre.»

    L’historien littéraire Dan C. Mihăilescu parle de la manière dont Saint-Aulaire était vu par les hommes politiques roumains de l’époque : « L’homme politique Ion Gheorghe Duca savait très bien gouverner le monde diplomatique et faisait preuve d’une grande perspicacité à saisir les gestes et les paroles des diplomates. Or, en parlant de Saint-Aulaire, il dit : « Mon Dieu, cet homme est honnête. » Comme tous les Français, il ne savait pas s’adapter. S’adapter à la façon des Roumains de faire des affaires, au byzantinisme, au jeu « une maille à l’endroit, une à l’envers » c’était très difficile. Le pauvre Saint-Aulaire ne savait pas comment naviguer entre les conservateurs de Marghiloman et Carp, qui étaient germanophiles, et les francophones Brătianu, Duca, Barbu Ştirbey, la reine Marie. Peu à peu ce français apprend à se plier aux horizons d’attente et il devient un expert de la psychologie mercantile des Roumains. »

    Comme on peut le constater en lisant ses mémoires, le comte de Saint-Aulaire a été un visionnaire. Il a pu anticiper l’échec du communisme. Dan C. Mihăilescu explique. SON : « J’admire cet homme parce qu’il a su être un partisan de la droite et un conservateur qui, dans une Europe dominée par les médias de gauche, à l’époque de la guerre civile en Espagne, n’a pas hésité à se ranger du côté des nationalistes de Franco. Saint-Aulaire était l’arrière petit-fils d’un colonel de Beaupoil, qui avait lutté en Vendée, là où avait eu lieu les plus terribles massacres de la révolution française, mère de la révolution bolchevique. Cet homme, proche des représentants du pouvoir qui ont été les artisans de la Grande Roumanie. Il a été proche du roi Ferdinand, de la reine Marie, de Barbu Ştirbey, de I.G. Duca et il sait nous offrir, à travers le filtre de sa subjectivité, toute une documentation sur ces grands événements. Il nous offre également, dans ses mémoires, la petite histoire : toute une série de détails piquants et d’intrigues, les manigances, les jalousies et les favoritismes que l’on retrouve dans toute diplomatie. »

    Le livre du comte de Saint-Aulaire est le livre de quelqu’un qui a compris la monde où il a vécu et qui a deviné son avenir. Un avenir d’habitude teinté de noir. (Trad. : Dominique)

  • Bucarest sous occupation

    Bucarest sous occupation

    En décembre 1916, la ville de Bucarest était occupée par les armées des Puissances centrales et les autorités roumaines trouvaient refuge à Iasi. Le régime de l’occupation a été plutôt dur et traitait la Roumanie comme un pays vaincu. Une paix qui a été signée entre les Puissances centrales et la Roumanie en mars 1918 à Bucarest, mais elle ne fut jamais ratifiée par le Roi Ferdinand Ier. Heureusement, l’occupation s’est achevée en novembre 1918, à la fin de la Première Guerre mondiale, une guerre qui a fait pas moins de 10 millions de morts. L’historien Sorin Cristescu de l’Université Spiru Haret de Bucarest a analysé le régime de l’occupation militaire instauré par l’armée allemande, dès son entrée dans la Capitale roumaine. « Plusieurs colonnes des armées victorieuses sont entrées à Bucarest. Le maréchal Mackensen a pris une automobile décapotable pour arriver au Palais royal de Bucarest avant les troupes austro-hongroises. Ce palais lui a été d’ailleurs offert pour qu’il installe sa résidence. Il n’a pourtant pas utilisé ce bâtiment, choisissant la maison Meitany. L’administration allemande s’est installée à Bucarest. Elle allait durer 707 jours, disait un chroniqueur de l’époque. Ce furent 707 jours sous la culture du poing allemand, selon le titre d’un livre. »

    L’occupation a été particulièrement dure. Les gagnants ont profité pleinement de la faiblesse des vaincus, affirme l’historien Sorin Cristescu :« Ce fut une période de pillage organisé, exercé sur la population civile, qui a été obligée d’offrir de grandes quantités de sucre et des draps. Les occupants ont confisqué toutes les grilles et les autres objets en métal, même les cloches des églises, pour les transformer en canons. L’occupation a impliqué aussi des restrictions de circulation. Les Allemands ont également essayé d’exterminer à l’arme à feu tous les chiens errants de Bucarest. A en croire le politicien Constantin Argetoianu, toutes les prostituées de la ville ont été ramassées et internées dans une caserne à Mizil. Là elles ont été soumises à des examens médicaux et celles qui étaient malades ont été soignées au compte de l’Etat. Les Allemands étaient admirés par des personnalités roumaines de l’époque. Parmi eux, les hommes politiques conservateurs Alexandru Marghiloman et Petre P. Carp. Ce dernier disait que « jamais les rues de Bucarest n’avaient été aussi bien balayées. Ces Allemands auraient dû rester encore une dizaine d’années pour nous transformer vraiment en citoyens modernes. »Mais le pillage de la population civile, le pillage de tout ce qui était agriculture et pétrole, a pris des proportions démesurées. Vu que les sondes de pétrole avaient été détruites par les autorités roumaines qui se retiraient, Mackensen a décidé de les remettre en service. Une centaine de milliers de prisonniers roumains ont été questionnés s’ils avaient travaillé dans l’industrie pétrolière. Ceux qui avaient répondu oui ont obtenu le droit de rester en Roumanie, alors que les autres furent envoyés en Allemagne. En six mois, l’industrie extractive roumaine a été remise en fonction. »

    Quel a été le comportement des autres troupes d’occupation ? Il s’agit des armées bulgare, turque et austro-hongroise. Réponse avec l’historien Sorin Cristescu de l’Université Spiru Haret de Bucarest. « Les Bulgares sont devenus célèbres, une triste célébrité d’ailleurs, pour avoir pillé la fameuse pâtisserie Capsa, qui possédait aussi une riche collection de liqueurs fines, et la Bibliothèque de l’Académie roumaine. Ils avaient essayé d’emporter des manuscrits. Le moment le plus important a eu lieu en janvier 1917, lorsque les Bulgares ont volé les reliques de Saint Dimitri Basarabov. Durant ce rude hiver, les Bulgares ont mis les reliques du saint dans une automobile qui est tombée en panne lors du passage du Danube. Et même si la voiture n’était pas tombée en panne, le maréchal allemand von Mackensen aurait de toute façon annihilé cette tentative de vol. L’historien de l’art Alexandru Tzigara Sarmucaş est allé voir Mackensen, lui a expliqué la situation, et le maréchal allemand a ordonné que les Bulgares soient capturés et que les reliques soient restituées. Pour ce qui est des soldats turcs, ils se sont contentés de prendre les deux canons qui flanquaient la statue de Michel le Brave de Bucarest. C’étaient deux canons que l’armée roumaine avait capturés à Pleven en 1877 durant la Guerre d’indépendance de la Roumanie contre l’Empire ottoman. Les deux pièces d’artillerie ont été glorieusement récupérées par l’armée turque. Il n’y a rien à signaler au sujet de l’armée austro-hongroise qui a occupé Bucarest. »

    La conquête du sud de la Roumanie et de la ville de Bucarest a constitué un véritable coup donné par les armées des Puissances centrales. Explication avec Sorin Cristescu :« En lisant les mémoires, parfois risibles, des Allemands participants à la campagne d’occupation de la Roumanie, on découvre que ceux-ci avaient appelé cette opération, la campagne « du coq gras » parce qu’ils ont trouvé sur place d’immenses quantités de nourriture. Une fois arrivés dans les restaurants bucarestois, les Allemands ont commandé tout ce qu’il y avait sur la carte. Certes, ils ont payé, mais en fin de compte, l’idée c’est qu’ils ont mangé tout ce qu’ils ont souhaité. Le problème, c’était que les troupes d’occupation à Bucarest étaient principalement des soldats de la deuxième ligne. En quelques semaines, ces soldats ont refait leur santé tellement bien que les médecins militaires les ont déclarés aptes à combattre dans les premières lignes du front. Et alors, les soldats ont cherché à se déclarer touchés par toute sorte de maladies. Durant l’occupation, le général von Morgen a ordonné à chaque soldat d’envoyer à la maison 12 kilos d’aliments. Hélas, aucun soldat allemand ne pouvait rentrer chez lui durant les permissions avec de la nourriture, selon les ordres du même von Morgen. En Allemagne, les gens mourraient carrément de faim durant la guerre. Sans la conquête du sud de la Roumanie, de la plaine du Baragan, la situation aurait été beaucoup plus difficile pour les civils allemands. En Allemagne, les autorités ont annoncé avoir conquis toute la Roumanie, même si en fait, seulement deux tiers du pays étaient tombés dans les mains des Allemands. Les familles allemandes qui avaient des membres dans les troupes d’occupation en Roumanie étaient rassurées. Les combats s’étaient achevés et ils recevaient chaque mois une douzaine de kilos d’aliments. Mais à l’été 1917, un coup de foudre s’est abattu sur l’Allemagne : plus de 10 mille soldats étaient tombés dans des batailles livrées dans des localités aux noms assez étranges : Mărăşti, Mărăşeşti, Oituz ».

    L’occupation de Bucarest s’est achevée après près de deux ans, en novembre 1918, par la joie de la victoire et le retour à la normalité. Bucarest devenait ainsi la capitale d’un pays beaucoup plus grand : la Grande Roumanie.

  • Les Roumains de l’extérieur de la Roumanie dans la Grande Guerre

    Les Roumains de l’extérieur de la Roumanie dans la Grande Guerre

    Même si la Roumanie est entrée en guerre en 1916, après deux années de neutralité, les pertes en vies humaines et les dégâts ont été significatifs. Même si larmée roumaine na lutté dans la première guerre mondiale que deux ans, les soldats roumains comptent pour 6% des pertes militaire totales de lEntente, alors que ceux des Etats-Unis par exemple ne comptent que pour 1% du total, après une participation aux combats de seulement une année. En chiffres nets, la Roumanie a perdu un demi-million de soldats et plusieurs centaines de milliers de civils suite à lépidémie de typhus exanthématique. A cela vient sajouter la perte du trésor national, envoyé en Russie en 1916, doù il ne fut jamais restitué.







    Mais les Roumains qui habitaient au delà des frontières de la Roumanie ont combattu pendant quatre ans dans la Première Guerre mondiale. Ressortissants de lAutriche-Hongrie, de la Russie et des autres pays balkaniques, ces Roumains se sont retrouvés là où le devoir envers les pays où ils vivaient les a appelés. Les Roumains des régions historiques de Transylvanie, du Banat et de Bucovine, soit des territoires appartenant à lépoque à lAutriche-Hongrie, ont combattu dès le début sur le front de la plus grande conflagration que lHumanité eut connue jusqualors. Des centaines de milliers de tels Roumains allaient perdre leur vie ou tomber prisonniers. Les Roumains de Bessarabie, territoire roumain appartenant à lépoque à lEmpire des Tsars, ont lutté contre les armées des Puissances centrales dans larmée impériale russe. Enfin les Roumains dAlbanie, de Grèce, de Bulgarie et de Yougoslavie ont également participé à la Guerre de 1914 – 1918.







    Mais les Roumains nont pas été les seuls à sêtre confrontés à la situation de lutter sur plusieurs fronts, parfois même contre leurs propres convictions. Les nationalités de lAutriche-Hongrie ont choisi la loyauté envers leur pays et leur Empereur. Si à la fin de la guerre, le fait que le sens de lhistoire a suivi une autre direction que celle quils simaginaient au début, cest à cause du changement des opinions et de lécroulement des anciennes valeurs.




    Lhistorien Ion Bulei est davis que les Roumains ont bénéficié dune situation un peu plus favorable : « Nous les Roumains, nous avions un Etat, ce que les Slovaques, les Tchèques et les Polonais navaient pas. Nous comptions, aux côtés des Serbes, parmi ces peuples heureux davoir un noyau, autour duquel il était plus facile de coaguler un Etat plus grand. Ce fut un avantage important que les Roumains ont eu, même si nous étions placés entre les Empires de lépoque : celui des tsars, des Habsbourg et lempire allemand. Les Roumains nétaient pas les seuls à se retrouver dans une situation spéciale, dautres se trouvaient dans une situation encore plus compliquée. Le nationalisme qui domine le 19e siècle, si virulent au début du 20e, sest manifesté en force durant la Première Guerre mondiale. Il se manifeste parmi tout cet amalgame de peuples, chacun dentre eux cherchant son propre chemin par le biais du nationalisme. Et les Roumains sétaient également inscrits dans cette quête dun Etat plus grand que celui quils possédaient à lépoque. »





    Le nationalisme a certainement constitué la motivation la plus importante pour lacharnement avec lequel ont été menés les combats de la Grande Guerre. Il a éveillé les sentiments de fraternité entre les locuteurs de la même langue, qui se trouvaient dans des camps opposés. Et les grands dilemmes sont intervenus justement lorsque les combattants avaient à choisir entre le sentiment du devoir et de lhonneur et les croyances personnelles. Dans la littérature roumaine, Liviu Rebreanu est lauteur dun roman émouvant : « La forêt des pendus », où les doutes, les révoltes, les confusions et les convictions du héros principal, Apostol Bologa, officier dorigine roumaine dans larmée austro-hongroise, se confrontaient à celles des autres. Lincertitude, le désir sévader de la folie de la guerre, lespoir en un monde meilleur appartiennent bien à Apostol Bologa et à tous ceux qui voient une fin apocalyptique de la guerre. A la fin de la première conflagration mondiale, tout a changé. Les Roumains qui avaient combattu dans des camps opposés se sont retrouvés au sein de la Grande Roumanie. En Transylvanie, au Banat et en Bucovine, les gardes nationales ont été formées de militaires roumains rentrés du front. Ce furent eux qui ont défendu les localités et rendu possible la Grande Assemblée Nationale dAlba Iulia qui a proclamé lUnion avec la Roumanie.




    Lhistorien Liviu Maior, auteur dun volume sur lhistoire des Roumains sujets dautres pays à avoir combattu dans la Grande Guerre, a affirmé quhormis les gagnants et les perdants, une guerre fait aussi un changement de perceptions et laisse derrière elle des traces irréparables : « Le début de la Grande Guerre prouve combien imprévue et combien imprédictible peut savérer une guerre qui a allait avoir des conséquences dramatiques sur lhumanité. Ce fut une guerre terrible. 77 mille Roumains habitant à lextérieur du Royaume de Roumanie ont péri aux champs dhonneur. Dautres ont souffert toute sorte de maladies et de malheurs que la guerre engendre. Tout a commencé dans les camps de prisonniers de guerre. Cest là qua eu lieu la radicalisation des anciens soldats et officiers et cela non seulement dans le cas des Roumains. La Transylvanie a accueilli des camps de prisonniers italiens et serbes. A Arad, par exemple, pas moins de 4 mille prisonniers serbes sont morts dans des conditions terrifiantes. Pour leur part, les Italiens étaient utilisés pour la construction des routes. »







    Après 1918, les nations ont formé leurs propres Etats et leurs habitants sont redevenus citoyens. Les Roumains qui avaient combattu des deux côtés de la barricade entre 1914 et 1918 ont été réunis dans la cadre de la Grande Roumanie, un projet national conforme aux tendances européennes de son époque. (Trad. Alex Diaconescu)

  • Maintenir la neutralité

    Maintenir la neutralité

    Lorsqu’éclata la Première Guerre Mondiale, la Roumanie se trouvait au milieu d’une controverse au sujet de sa participation à cette conflagration aux côtés des Puissances centrales. Les germanophiles, avec à leur tête, le roi Carol Ier, étaient sceptiques à l’égard d’une possible alliance avec l’Entente.



    Au pôle opposé, les tenants de cette dernière, également appelés aussi ententophiles, considéraient comme inacceptable l’entrée en guerre du pays en tant qu’allié de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. Ils avançaient l’argument des intérêts de Bucarest liés à la situation des Roumains vivant dans les territoires occupés par l’Empire des Habsbourg. Dans ces conditions, la neutralité apparut comme la solution provisoire à même de retarder la prise d’une décision.



    L’autre raison de la neutralité relevait de la nécessité de doter l’armée roumaine en vue d’une éventuelle participation à la guerre. Malgré les efforts des élites politiques roumaines visant à l’alignement sur les normes occidentales, le caractère vétuste de l’économie roumaine et le manque d’armement moderne ont beaucoup pesé dans le maintien de la neutralité pendant les deux premières années de la Grande Guerre, précise l’historien Alin Ciupală : « La situation de la Roumanie était très compliquée. Il y avait déjà un trait d’alliance avec l’Allemagne et les partenaires de celle-ci, mais ce traité défensif était méconnu de l’opinion publique et de la majeure partie des hommes politiques roumains. Le chancelier de l’Empire allemand, Otto von Bismarck, avait exigé du milieu politique de Roumanie, en tout premier lieu du roi Carol Ier, de garder secret ce traité, dont seuls le souverain et une poignée de politiciens étaient au courant. L’alliance signée en 1883 avait offert des garanties de sécurité au jeune Etat roumain. Pourtant, en 1914, c’est le même document qui allait poser problème à la Roumanie, car il limitait, du moins au plan juridique international, la liberté de manœuvre de sa classe politique. »



    En 1914, les relations internationales étaient marquées par les rivalités entre les deux alliances militaires, l’Entente et les Puissances centrales. La Roumanie était préoccupée par la situation des droits nationaux et civils en Transylvanie, au Banat et en Bucovine, territoires à population roumaine majoritaire, occupés par l’Empire austro-hongrois. Voici comment le premier ministre roumain de l’époque, Ionel Bràtianu, avait synthétisé les arguments du rejet des demandes formulées par les Puissances centrales et du maintien de la neutralité du pays:



    Alin Ciupală : « Un Etat comme le nôtre, qui est entré dans cette alliance sur un pied d’égalité, en tant que pays souverain, ne peut être traité ainsi […] D’autre par, la Roumanie ne saurait accepter de prendre les armes et de participer à une guerre qui vise à l’anéantissement d’une petite nation. […] La quasi totalité de la population se déclare contre cette conflagration. […] Le sort des Roumains de Transylvanie, l’idéal national de roumanité sont autant d’aspects que pas un gouvernement du pays ne saurait ignorer. »



    L’historien Alin Ciupală relate le déroulement des travaux du Conseil de la Couronne lors duquel fut proclamée la neutralité du pays : « Les hommes politiques et Ionel Brătianu, premier ministre et chef du Parti National Libéral, étaient conscients du fait que l’armée roumaine n’était pas prête, que ses dotations ne se hissaient pas aux exigences d’une guerre moderne. Cette incapacité militaire avait déjà été constatée en 1913, lorsque l’armée roumaine avait dû combattre au sud du Danube, en Bulgarie, pendant la Deuxième Guerre Balkanique. Voilà pourquoi les discussions sur l’entrée en guerre de la Roumanie ont été très tendues. Le roi Carol Ier a convoqué, au Palais de Peleş, un Conseil de la Couronne, auquel ont participé tant les leaders du Parti National Libéral, les ministres du cabinet en place, lui aussi libéral, que d’autres hommes politiques, dont l’héritier du trône, le prince Ferdinand. Carol Ier a demandé explicitement que la Roumanie entre en guerre aux côtés de l’Allemagne et de ses alliés, invoquant, comme principal argument, le traité défensif de 1883. Pour la première fois pendant son long règne, Carol allait éprouver une vive désillusion. La plupart des politiciens présents à la réunion ont rejeté sa demande, car elle nuisait au projet national, celui de l’Union avec la Transylvanie. En plus, le pays et son armée n’étant pas préparés pour l’effort de guerre, la majorité des participants au Conseil de la Couronne ont proposé de maintenir la neutralité. Le Parti National Libéral et ses chefs y ont joué un rôle tout aussi important que d’autres hommes politiques de l’époque. Ionel Brătianu lui — même était conscient du fait que la décision relative à l’entrée en guerre concernait l’intégralité de la classe politique autochtone. A considérer strictement le rôle des libéraux, notamment des ministres issus de ce parti, on peut affirmer que le gouvernement avait entamé des préparatifs assez soutenus en vue de l’entrée en guerre. Son chef, Ionel Brătianu souhaitait, en fait, repousser aussi longtemps que possible le moment où la Roumanie allait s’engager dans la guerre. »



    Deux années durant, après la mort de Carol Ier, les puissances belligérantes allaient déployer d’intenses efforts pour attirer la Roumanie dans l’un ou l’autre des deux camps. Ni le nouveau souverain, Ferdinand Ier, ni le premier ministre, Ionel Brătianu, sympathisant de la France et de l’Angleterre, n’avaient l’intention de renoncer à la neutralité, avant que l’évolution du conflit ne devienne prévisible et ce afin d’accomplir les objectifs nationaux. Ayant reçu des garanties concernant son intégrité territoriale, la Roumanie entra en guerre, du côté des pays de l’Entente, en août 1916. Un choix qui, au lendemain de la Grande Guerre, rendait possible la création de la Grande Roumanie, suite à l’union des provinces historiques de Transylvanie, de Bessarabie et de Bucovine avec le Royaume de Roumanie. (Trad. Mariana Tudose)