Tag: psychologue

  • Plus d’écran, moins d’école

    Plus d’écran, moins d’école

    Le progrès technologique a profondément bouleversé la société moderne et a engendré des changements encore inimaginables il y a une vingtaine d’années. Il fait désormais partie intégrante de nos vies. Le recours massif aux technologies modernes nous a certes permis de gagner en confort et en ressources. Mais il a apporté avec lui son lot de problèmes sociaux et psychologiques. Parmi eux, la dépendance chronique à la technologie.



    Il s’agit d’une catégorie spéciale de dépendance comportementale (non chimique). Elle implique une interaction excessive des hommes avec les machines. Les dépendances à Internet, aux smartphones et aux jeux vidéo constituent les trois principales de ce phénomène. On a constaté que ce type de dépendance à la technologie avait des conséquences néfastes sur bien des aspects de nos vies, comme par exemple la santé, le bien-être et la scolarité des adolescents. Les adolescents sont en effet les plus vulnérables face au numérique. Mais d’où cela provient-il ? Comment expliquer rationnellement que les enfants passent tout ce temps sur les écrans ? Maria Elena Dumitrescu, psychologue et spécialiste en thérapie cognitive comportementale, nous explique les origines de ce phénomène.



    « A la naissance, notre toute première émotion est la peur. Le nourrisson quitte le ventre de sa mère et se retrouve confronté à un monde étranger, plein d’incertitudes. Il a besoin d’être rassuré. Il pleure, appelle sa mère, comme s’il cherchait à lui dire « vois-moi », « entends-moi », « regarde-moi ». Pour se rassurer, sa première réaction est de rechercher de l’attention. Sa mère lui procure des aliments, lui offre amour et protection. Le nourrisson ressent cet amour, qui vient remplacer la peur et satisfait son besoin d’être rassuré, qu’il associe avec un sentiment de plaisir. Ainsi, notre cerveau devient dépendant au plaisir. Une émotion que nous apprenons ensuite à satisfaire grâce à notre capacité à nous divertir. Internet, et plus particulièrement les réseaux sociaux, peuvent partiellement nous aider à y parvenir, en comblant une partie de nos besoins primaires, et notre fameux besoin d’attention. Sur les réseaux, nous sommes vus, observés, écoutés. Les mentions « j’aime », les émojis cœurs et les commentaires peuvent répondre à notre besoin de nous sentir appréciés. »



    Parlons maintenant des parents. Evidemment, ils sont pleins de bonnes intentions. Mais à force de répéter sans cesse à leurs enfants qu’ils ne peuvent rien faire sans leur accord, rien d’étonnant que les enfants choisissent de s’évader sur Internet, où tout, je dis bien tout, leur est accessible. Maria Elena Dumitrescu explique :



    « J’ai déjà évoqué deux besoins primaires des enfants. Il y en a évidemment d’autres. J’aimerais souligner ici que les parents, aussi plein d’amour et de bonne volonté soient-ils, transmettent aux enfants en bas âge le message suivant : ils ne peuvent rien faire sans eux. Ce qui est vrai. Mais en grandissant, l’enfant passe par différentes étapes de développement, et il serait bon qu’il se réapproprie ce pouvoir d’agir seul. En grandissant, il doit pouvoir sentir qu’il a cette capacité. Bien souvent, l’adulte est persuadé que le vieillissement biologique lui a permis de résoudre ce manque de confiance en soi. Il n’en est rien. C’est une question de maturité émotionnelle qui ne relève pas nécessairement de l’âge. Nous devons rendre à nos enfants ce pouvoir d’agir seuls. Les jeux en ligne peuvent leur offrir ce sentiment de puissance. Ils peuvent faire dans le virtuel tout ce qu’ils ne peuvent pas faire dans le réel. »



    7 heures et 22 minutes par jour. Voilà en moyenne le temps que passe un adolescent sur Internet. C’est ce qu’affirme une étude réalisée et publiée cette année dans les « Rapports actuels de pédiatrie ». C’est bien plus que le temps de sommeil ou le temps passé à l’école. Les jeunes se tournent vers leurs pairs pour obtenir du soutien. Et le téléphone leur offre un moyen de rester constamment connectés les uns aux autres. De même, il leur offre un accès illimité aux réseaux sociaux qui modèlent et définissent la culture des jeunes. Maria Elena Dumitrescu nous en dit plus :



    « Les groupes d’enfants se réunissent dans la vie réelle. Mais ils communiquent dans le monde virtuel. Il est intéressant de se demander pourquoi. C’est encore plus vrai pendant la puberté, à l’adolescence, lorsque l’image est importante, que le besoin d’être vu sous un certain angle se fait fortement ressentir. Le virtuel facilite cela, et facilite aussi les interactions avec les autres. Lorsque l’on n’a pas confiance en soi, le virtuel facilite en quelque sorte cette exposition, et nous cherchons tous à nous faciliter les choses. Le problème, c’est que cela n’aide pas les enfants dans leur développement, il faut trouver un juste milieu. Nous vivons à l’ère d’Internet et du tout connecté. Il ne faut pas interdire non plus. Car tout le monde finit par braver les interdits, c’est dans notre nature. Nous poussons parfois les choses à l’extrême et imposons ces interdits, sans offrir aux enfants la possibilité de passer outre. Cela peut fortement les déstabiliser, car ils risquent d’être exclus ou rejetés de leur groupe. D’autre part, cela vient mettre à mal son besoin d’appartenance au groupe. L’enfant peut alors avoir l’impression qu’il n’a pas satisfait son besoin de se sentir accepté et respecté. Il faut apporter à l’enfant ce sentiment d’être soutenu. Lui donner la possibilité de goûter au plaisir des choses bien faites, dans le monde réel. Il faut trouver un équilibre entre vie réelle et réalité virtuelle. »



    Le psychologue, tout comme les parents, joue un rôle essentiel dans cette éducation. Il peut aider l’enfant à comprendre qu’Internet n’est pas une force obscure dont il doit se libérer, mais qu’il s’agit aussi d’un outil très utile au quotidien :



    « La psychoéducation est primordiale pour comprendre le processus de développement de l’enfant. Car il nous faut comprendre comment répondre à son besoin afin de l’aider à développer son estime et sa confiance en soi, afin qu’il s’épanouisse pleinement et exprime tout son potentiel. Il prendra ainsi goût aux choses bien faites et cela donnera du sens à sa vie. La rencontre entre le psychothérapeute et l’enfant implique un rôle actif des parents dans le processus thérapeutique. En effet, en grandissant, l’enfant va avoir besoin du soutien et de l’encadrement de ses proches. Il faut faire des technologies, des jeux vidéo et des réseaux sociaux des outils d’accompagnement de l’enfant dans son développement, et non une réalité parallèle », a conclu Maria Elena Dumitrescu au micro de RRI.


    (Trad : Charlotte Fromenteaud)


  • La situation des employés domestiques roumains au sein de l’UE

    La situation des employés domestiques roumains au sein de l’UE

    Au début des années 2000, lorsque la vague d’émigration au départ de la Roumanie vers les autres Etats membres de l’UE s’est intensifiée, la plupart des femmes issues de milieux défavorisés qui quittaient le pays se faisaient embaucher à l’étranger comme employées domestiques. Avec les années, leur nombre a augmenté, et de plus en plus sont atteintes de troubles psychiques connus sous le nom du « syndrome d’Italie ». Pourquoi l’Italie ? Parce que la plupart des victimes sont des travailleurs domestiques étrangers, pas seulement roumains, travaillant dans ce pays. L’Italie étant le pays accueillant la plus importante communauté roumaine de l’UE. Beaucoup parmi ces malades sont soignés à l’Institut psychiatrique Socola de Iaşi, où travaille Petronela Nechita, médecin généraliste et psychiatre.



    « J’ai fait mes débuts en tant qu’interne à Socola en janvier 2008. A l’époque j’entendais déjà parler de ces patients qui revenaient de l’étranger et qui étaient atteints de troubles psychiatriques comme la dépression ou les troubles psychotiques. L’Italie, c’est bien connu, a une population vieillissante. Le pays a accueilli beaucoup de travailleurs roumains qui s’occupent notamment des personnes âgées. Ce sont les fameuses ‟badante” (femmes de ménage), ces aides-soignantes qui s’occupent des personnes âgées. C’est bien plus qu’un travail d’assistant. Elles administrent aussi des médicaments, dispensent certains soins médicaux qui ne relèvent pas de leurs compétences. C’est extrêmement stressant pour elles. Une personne âgée a besoin d’être prise en charge 24h/24h, surtout si elle est atteinte de troubles neuropsychologiques. Il faudrait trois personnes pour couvrir ces 24 heures de soins, car nous avons tous besoin de huit heures de sommeil, huit heures de travail et huit heures de repos actif. Beaucoup parmi les femmes qui partent ainsi à l’étranger travaillent plus de huit heures par jour. Elles ont rarement le temps de prendre une pause pendant la semaine et n’ont, dans certains cas, même pas de jour de repos. Avant de partir à l’étranger, elles devraient s’assurer qu’elles ont bien un contrat de travail garantissant des jours de repos, ou du moins un contrat comprenant des horaires de pause et de travail clairement énoncés. »



    En Italie, un contrat légal limite évidemment le nombre d’heures de travail. Le problème, c’est que nombre de ces « badante » n’ont pas de contrat, et se retrouvent donc en difficulté, comme l’a constaté la militante Silvia Dumitrache, présidente de l’Association des femmes roumaines d’Italie.



    « En général, ces aides-soignantes ont des contrats de travail de 40 heures par semaine. La réalité est en fait toute autre. Il arrive fréquemment que ces femmes soient en fait logées sur leur lieu de travail, chez la personne dont elles s’occupent, qu’elles ne quittent pratiquement pas. C’est inadmissible. Elles sont à la disposition de leur employeur, qu’elles ne connaissent même pas. J’ai pu observer la même chose ailleurs, comme en Roumanie, où on ne sait plus exactement qui propose le contrat et qui veille à sa bonne application. Le flou persiste et c’est probablement volontaire. Ces travailleuses n’ont pas de vie sociale, et beaucoup n’arrivent pas à dormir la nuit, car les personnes dont elles s’occupent ont constamment besoin de soins, même la nuit. La famille du patient arrive ensuite avec d’autres exigences qui n’ont pas été indiquées dans le contrat. Ces familles ne sont pas prêtes à accueillir chez elles des employés ayant des droits, en plus de leurs obligations de travail. »



    Malgré la fatigue, la restriction de leur liberté de mouvement, le manque d’intimité, c’est bien l’absence de leur famille qui affecte le plus ces femmes. Docteur Petronela Nechita nous explique ce qui est à l’origine de ces troubles :



    « C’est l’éloignement avec leurs proches, partenaires, enfants, parents, frères et sœurs, qui les affecte le plus. Beaucoup sont parties car elles étaient financièrement en difficulté. Elles partent travailler à l’étranger en quête d’un salaire qui leur permette d’élever leurs enfants. Elles envoient donc l’argent qu’elles gagnent à la maison, pour subvenir aux besoins des enfants. Beaucoup prévoient de ne partir que quelques mois mais finissent pas rester à l’étranger plusieurs années. C’est cette séparation qui a des conséquences néfastes. Beaucoup parmi ces femmes finissent par divorcer, car la distance nuit à leur relation. Les enfants aussi ont tendance à prendre des distances avec ce parent qui habite à l’étranger. Et lorsque ces femmes finissent par rentrer après plusieurs années, elles ne retrouvent pas le confort émotionnel qu’elles avaient laissé derrière elles. Elles subissent un torrent de reproches de la part de leurs enfants, qui avaient davantage besoin de leur présence que de sécurité financière. »



    Silvia Dumitrache nous explique les conséquences psychologiques que cela engendre chez certaines femmes, déjà fragilisées par une situation précaire et des horaires dépassant la durée légale.



    « Effectivement, celles qui partent en quête d’un travail à l’étranger s’exposent à certains risques, car leur statut de femmes seules les met en situation de vulnérabilité. Il est crucial de légiférer pour que cela change. C’est inadmissible et de surcroit illégal, de faire travailler quelqu’un 24h/24h. C’est humainement impossible. Vous pouvez tenir deux ou trois mois, mais vous finirez par avoir des problèmes de santé. La loi italienne ne prévoit aucunement qu’une personne travaille autant. »



    Après de nombreuses années de sensibilisation à cette question, Silvia Dumitrache estime que les autorités roumaines, et celles des autres Etats membres, sont tout à fait au courant de la situation des victimes du « syndrome d’Italie ». Pour le moment, on attend encore une mise en application totale de la loi et une surveillance accrue de ceux qui la transgressent. Par ailleurs, les campagnes de sensibilisation menées par des activistes tels que Silvia Dumitrache s’orientent dans une nouvelle direction.



    « Nous cherchons aussi à sensibiliser les travailleurs afin qu’ils prennent conscience de la vulnérabilité à laquelle ils s’exposent. On peut porter un tel fardeau pendant un, deux ou trois mois, peut-être même un an, avant de sombrer dans une dépression dont on ne parvient pas à se sortir. Evidemment, chacun est libre de choisir. Tous les cas ne sont pas désespérés. Il arrive que certains s’accommodent très bien de leur nouvelle situation à l’étranger. Quoi qu’il en soit, cela dépasse le cadre de la légalité, car quiconque accueille un employé sous son toit et dans ces conditions ne respecte déjà pas la loi italienne. »



    Bien évidemment, les employés domestiques d’Italie ne sont pas tous roumains. Mais la situation de ces derniers est peut-être encore plus grave, étant donné que la Roumanie est l’un des pays les plus pauvres de l’UE. Ainsi, leur choix de partir peut relever d’une décision personnelle, toutefois influencée par des facteurs externes. Parmi les patients de la psychiatre Petronela Nechita, beaucoup choisissent de reprendre le travail une fois guéris.



    « Nombreux sont les patients qui retournent ensuite à l’étranger, car ils n’arrivent pas à trouver du travail en Roumanie. Beaucoup maintiennent pourtant qu’ils vont rester auprès de leurs proches et de leurs enfants. Mais ils finissent par repartir à l’étranger, souvent avec les mêmes conditions de travail, pour gagner l’argent nécessaire pour subvenir aux besoins de leur famille. »



    C’est pour cette raison que les militants tels que Silvia Dumitrache se battent pour obtenir une meilleure protection des familles transnationales au niveau européen. Mais l’évolution des conditions de ces « badante » et la disparition du « syndrome d’Italie » dépendent aussi de la situation de ceux qui sont restés au pays.


    (Trad. : Charlotte Fromenteaud)