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  • La Commission européenne du Danube

    La Commission européenne du Danube

    A la fin du 18e siècle et au début du 19e,
    bouleversée par les guerres napoléoniennes et par la pénétration de nouvelles idées
    politiques, l’Europe ressentait le besoin d’une nouvelle organisation. Et c’est
    le Danube, ce fleuve pan européen majestueux qui la traverse du Nord au Sud,
    qui deviendra l’axe de cette nouvelle construction continentale. Le nouveau
    statut international réservé à ce fleuve avait aussi pour but de rejeter le
    contrôle exercé sur cette importante voie d’eau par l’empire du Tsar et par la
    Porte ottomane, en facilitant du coup l’essor d’un nouvel Etat sur la carte du
    continent, soit les Principautés roumaines, qui deviendront sous peu le royaume
    de Roumanie.




    La première guerre européenne d’envergure de
    l’époque post-napoléonienne sera la guerre de Crimée. Elle débutera en 1853,
    entre la Russie d’une part, et l’Angleterre, la France et l’empire Ottoman, de
    l’autre. Conclue en 1856 par la Paix de Paris, la victoire de la coalition
    antirusse marque également le début de la création de l’Etat roumain moderne.
    En effet, l’ordre instauré par les Puissances victorieuses permettra la mise en
    place de l’Union de 1859 entre la Moldavie et la Valachie, puis l’indépendance
    de la Roumanie, reconnue en 1878. Le Danube devenait enfin une voie de
    transport européenne, sur laquelle la navigation pouvait se dérouler sans aucune
    entrave. Le Danube désenclavait les pays des Balkans, permettant à leurs habitants
    de remonter son cours, pour rejoindre l’Europe de l’Ouest, jusqu’à la mer du
    Nord. Avec le Rhin, il permettait au voyageur de traverser le continent d’Est
    en Ouest et du Nord au Sud, depuis la mer du Nord et jusqu’à la mer Noire.

    L’historien
    Constantin Ardeleanu, professeur à l’Université du Bas Danube, établie dans la
    ville de Galați, met l’accent sur le rôle essentiel joué par ce fleuve dans la
    création de la Roumanie moderne, puis à son arrimage aux valeurs occidentales. Constantin
    Ardeleanu : « Le Danube a joué un
    rôle essentiel dans le processus de modernisation de la Roumanie. Une
    modernisation, certes, économique, mais également politique, d’abord des
    Principautés danubiennes, appellation des Etats roumains au milieu du 19e
    siècle, ensuite de la Roumanie. Et l’histoire du statut de ce fleuve est
    passionnante, car, à l’instar de Rhin, il a été régi par une commission
    internationale. »




    D’ailleurs, l’apparition de la Roumanie sur la carte
    de l’Europe au moment même où est créé l’organisme international, garantissant
    la liberté de navigation sur le Danube, n’est pas innocente. La Commission
    européenne du Danube réunissait tout ce qui comptait comme puissance à l’époque,
    soit l’Autriche, la France, l’Angleterre, la Prusse, la Sardaigne, la Russie et
    l’empire Ottoman. Institution paneuropéenne, issue de la Paix de Paris qui
    mettait un terme à la guerre de Crimée, la Commission européenne du Danube a
    été créée pour garantir la liberté de navigation sur le fleuve. Constantin
    Ardeleanu, auteur d’un livre sur l’histoire de cette Commission, raconte :
    « C’était une institution
    internationale fondée à l’issue de la guerre de Crimée, et qui avait pour
    objectif d’assurer la navigation fluviale, en trouvant des solutions aux
    problèmes techniques et politiques qui entraveraient la liberté de navigation,
    notamment à l’embouchure du Danube. Ce n’était que la deuxième organisation
    internationale jamais créée, la première ayant étant un organisme similaire,
    fondé en 1815, pour réglementer la navigation sur le Rhin. Mais la Commission
    du Danube est différente, en cela qu’il s’agissait d’une véritable commission
    européenne, réunissant des représentants des sept puissances garantes des
    Principautés roumaines. Vouée, au départ, à une brève histoire, elle s’est transformée
    au fil du temps en une institution solide, qui a mené sa mission entre 1856 et
    jusqu’en 1948. Il s’agit d’ailleurs de la 1re institution affublée
    de l’appellatif d’européen. »




    A l’époque, on parlait de la Roumanie comme du
    grenier de l’Europe. Mais l’origine de l’expression trouve justement sa source
    dans la politique internationale du 19e siècle, lorsque les
    puissances européennes étaient à la recherche de voies de transport accessibles
    pour pouvoir se fournir en denrées alimentaires. Or, les Principautés roumaines
    constituaient à cet égard une source, à la fois proche et sure, impossible à
    négliger. Constantin Ardeleanu : « Les
    Principautés danubiennes représentaient une source importante
    d’approvisionnement en céréales. L’Europe se trouvait en pleine révolution
    industrielle et ses besoins étaient importants. Et le succès de la constitution
    de la Roumanie moderne était directement lié à la prospérité offerte par le
    commerce des céréales. La Russie, qui contrôlait les Principautés, mettait des
    bâtons dans les roues de ce commerce. C’est que la guerre de Crimée a aussi
    cette composante économique qui ne doit pas être oubliée. A la fin de la
    guerre, après la défaite de la Russie, les Grandes Puissances établissent le
    principe de la liberté de la navigation fluviale. La Russie doit s’incliner et
    l’accepter. Ce principe s’applique donc au Danube depuis 1856, date qui
    coïncide avec l’éloignement de la menace russe des bouches du Danube. »




    Et l’Etat roumain, nouvellement constitué, devait se
    montrer à la hauteur de l’honneur accordé. Les Grandes Puissances règlent
    alors, dans la foulée, le statut international des Principautés danubiennes.
    Constantin Ardeleanu : « Du
    point de vue des Grandes Puissances, la Roumanie avait le rôle de garantir la
    liberté de navigation à l’embouchure du Danube. Cela ressort de façon manifeste
    plus tard, lors du Traité de Berlin de 1878, qui acte la reconnaissance
    internationale de l’indépendance de la Roumanie, l’invitant du coup à siéger à
    la Commission européenne du Danube. La Roumanie devient ainsi un Etat tampon
    entre l’empire du Tsar et l’empire Ottoman. Elle est tenue de garantir la
    liberté de navigation sur le fleuve. »




    La Commission européenne du Danube a été bien plus
    qu’une énième institution bureaucratique. Elle bâtit son prestige patiemment,
    grâce à son efficacité, à la réussite de ses projets et puis, évidemment, grâce
    à sa neutralité. A nouveau, Constantin Ardeleanu : « La Commission commence à
    jouer un important rôle international dès le départ. Les 7 commissaires
    européens sont perçus comme un facteur d’équilibre dans une région
    régulièrement traversée par des tensions. Lors de la guerre d’indépendance de
    la Roumanie, en 1877, la petite ville de Sulina se voit épargnée, car elle
    abritait justement le siège de la Commission européenne du Danube. Les Russes
    essayeront de bombarder la ville, mais en prenant bien soin d’orienter leurs
    tirs de sorte à ne pas toucher le quartier de la Commission, institution neutre
    par excellence. La Commission arbore même le drapeau, symbole de sa neutralité.
    Cette Commission a été un exemple de construction diplomatique internationale
    aboutie. A la fin de la Grande Guerre, la Commission représente un modèle de ce
    que peut être la collaboration internationale. »


    La Commission européenne du Danube cessera d’exister
    en 1948. Une partie de son héritage immatériel se retrouve encore aujourd’hui
    sur les ondes de Radio Roumanie, qui fait tous les jours état du niveau
    actualisé des eaux du Danube, en roumain, français et russe. (Trad. Ionuţ
    Jugureanu)